En 2008, Serge Tisseron crée les balises 3-6-9-12-correspondant à l’âge des enfants-, avec comme objectif de réguler la consommation des écrans au sein des foyers familiaux. Bien que peu d’études aient été menées pour mesurer l’impact des écrans sur les enfants, à cause notamment de problèmes éthiques que ces recherches engendrent, elles pointent le risque de surconsommation et d’addiction, pouvant provoquer des troubles du développement cognitif affectant le langage, l’empathie, la motricité, la concentration, la sociabilité. En effet, selon Linda Pagani, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal «L’exposition précoce au petit écran semble nuire aux processus de la fonction exécutive régulant l’orientation à la tâche, la productivité, l’autonomie, la coopération avec les camarades et l’observation des règles et des instructions.» . Autant de compétences essentielles aux enfants en devenir élève, pour « apprendre, affirmer et épanouir sa personnalité » ; « comprendre la fonction de l’école, et se construire comme personne singulière au sein d’un groupe ».
D’une manière plus générale, ces compétences contribuent à l’équilibre individuel et relationnel d’un individu, lui permettant d’incarner ce qui semble signifier le bien-être. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), deux enfants sur trois regardent la télévision tous les jours et un enfant sur deux commence à la regarder avant 18 mois. Nous pouvons aisément comprendre que ce constat interroge, quand nous savons que la télévision n’est qu’une part des nombreux outils numériques utilisés dans les foyers familiaux, qui plus est de façon massive durant ces dernières années, ce qui entrave la possibilité d’avoir suffisamment de recul pour en mesurer les effets à long terme .
Le schéma corporel et son impact sur le devenir élève
Le schéma corporel implique les plans perceptif, moteur et relationnel de l’individu
Le schéma corporel s’établit sur trois plans. Premièrement, il est en relation avec le plan perceptif. Selon Merleau-Ponty , notre corps est le pivot du monde, nous avons conscience du monde par le moyen de notre corps : nous observons les objets extérieurs, nous les manions, nous les inspectons, nous en faisons le tour avec notre corps. Le corps propre est ainsi le référentiel de perception du monde, et c’est à partir de sa stabilité que s’établit la relation avec le monde. D’une bonne évolution du schéma corporel découlent les possibilités d’orientation, indispensables en primaire pour l’apprentissage de la lecture entre autres. Un déficit du schéma corporel entraîne donc sur le plan perceptif des troubles de la structuration spatio-temporelle. En reprenant l’exemple de l’apprentissage de la lecture, cela se manifeste par « l’inversion de la droite et de la gauche (confusions entre le « b » et le « d ») ; l’inversion du haut et du bas (confusion entre le « n » et le « u ») ; l’inversion de la place des lettres dans les mots, l’inversion de la place des syllabes ou encore l’inversion de la place des mots » .
Le schéma corporel s’élabore deuxièmement sur le plan moteur. A son achèvement, R. Mucchielli , psycho-sociologue et psychopédagogue, nous explique que « la conscience du corps propre est toute chargée de schémas moteurs virtuels » . Ceux-ci étant à l’origine de la réalisation des actes les plus usuels, ils ne peuvent s’organiser qu’à partir du schéma corporel. Nous pouvons donc comprendre l’importance que revêt le schéma corporel pour l’action en général. Un schéma corporel flou, entraîne sur le plan moteur un manque de disponibilité motrice, caractérisée par des maladresses, de l’incoordination, des attitudes gauches, de la lenteur. Les difficultés d’apprentissage dans le domaine de la lecture rencontrées sur le plan perceptif conditionnent en suite logique des difficultés d’écriture sur le plan moteur, se manifestant par des lettres mal formées, des tâches, des ratures, des feuilles qui se déchirent.
En parallèle de l’intégration sensori-motrice, le schéma corporel résulte troisièmement, de la dimension relationnelle. Au regard des difficultés rencontrées sur les deux plans précédents, sur l’apprentissage de la lecture puis d’écriture, l’enfant rencontrant ces problèmes est d’autant plus confronté à des situations stressantes, provenant principalement des réactions de ses parents et de l’enseignant. Il en résulte chez l’enfant des réactions de défense, d’opposition, se traduisant en sautes d’humeur, anxiété, stress, agressivité, troubles du sommeil, tics nerveux…
Ainsi, des carences dans l’éducation du schéma corporel amènent de l’insécurité pour un enfant dans cet univers mouvant. Cette insécurité occasionne des perturbations affectives dégradant les relations à autrui et provoquant des préjudices considérables à l’évolution normale de l’enfant. Le schéma corporel représente ce que l’enfant vit, ce qu’il expérimente sur ces trois plans, il sera donc essentiel à la construction de sa personnalité et en temps qu’élève, sur sa disponibilité pour apprendre. Dans l’étude du développement du schéma corporel, il est indispensable d’envisager ensemble l’intégration sensori-motrice et les relations de l’enfant avec son milieu. C’est pourquoi, comme le souligne H. Wallon « le schéma corporel n’est pas inné, ce n’est pas une entité biologique ou physique, ni même une donnée initiale, mais le résultat et la condition de justes rapports entre l’individu et son milieu » .
Le schéma corporel se structure à partir de la naissance, tout au long de la scolarité des enfants, jusqu’à la fin de l’école primaire
En s’inspirant des travaux de H. Wallon, R Muchielli et Ajuriaguerra, J. Le Boulch définit la structuration du schéma corporel en trois étapes majeures, au cours du développement de l’enfant, jusqu’à son achèvement aux alentours de 11-12 ans. La première étape, se situant avant trois ans, est celle du corps vécu. A ce stade, le comportement moteur est global, et ses répercussions émotionnelles, puissantes et mal contrôlées. L’enfant procède par essais-erreurs pour acquérir les différentes praxies usuelles. La place de l’imitation y est prépondérante, et à trois ans l’enfant s’est constitué un « moi » basé sur les praxies globales et la relation à l’adulte, avec une maîtrise globale de ses mouvements sans les dissocier aisément.
La deuxième étape constitue celle de la discrimination perceptive, se situant aux alentours de 3 à 7 ans (c’est la période que nous allons étudier). C’est un stade intermédiaire très important, étant inscrit à la fin de l’école maternelle et à l’entrée dans la scolarité élémentaire. C’est ici aussi que les premières difficultés scolaires peuvent apparaître. Le travail global porte sur les jeux et activités d’expression et la coordination globale. L’éducation perceptive à ce stade porte quant à elle sur la perception du corps propre, en mettant en jeu la fonction d’intériorisation, couplée à la perception des données extérieures, ceci afin de développer une forme différente d’attention perceptive. L’association verbalisation-perception permet de conscientiser les perceptions du corps propre, en reliant ces perceptions avec les représentations mentales de l’individu. Vers 6 ans, le travail psychomoteur -pour lequel J. Le Boulch propose des exercices – devrait aboutir à une image du corps orientée, à caractère statique évaluée par les tests classiques du schéma corporel. L’enfant est alors capable de porter alternativement son attention sur la globalité de son corps, et sur l’une de ses parties. Il n’a plus à penser aux détails d’exécution suite à une consigne verbale, ces détails s’étant organisés et automatisés dans son inconscient. En revanche il ne peut pas rester durablement dans une attitude corporelle, dû à son tonus musculaire encore peu développé.
Enfin, la dernière étape (7-12 ans) correspond au corps représenté. Sur le plan intellectuel, ce sont les opérations concrètes de Piaget , l’enfant peut prendre du recul par rapport à l’engagement immédiat dans l’action. Basé sur le schéma d’action, aspect dynamique du schéma corporel et image anticipatrice, il va progressivement être capable de se prendre en charge consciemment sur le plan moteur. Cependant, Le Boulch indique que ce stade est pleinement réalisé uniquement si les étapes précédentes ont amené une expérience suffisamment riche dans l’expérience du corps vécu dans un climat émotionnel serein; la possibilité d’intériorisation et la maîtrises des réactions émotionnelles primitives; un bon schéma d’attitude construit au stade de l’image du corps à caractère statique; et l’intégration unifiée des informations proprioceptives et extéroceptives selon une succession temporelle intériorisée et devenue consciente (perception temporelle). Selon ces conditions, l’enfant de 10-12 ans, grâce à une image du corps conscientisée dans l’action sera alors disponible pour apprendre intelligemment les savoirs-faires gestuels codifiés, ou techniques. Mais dans de nombreux cas ces conditions ne sont pas réunies, et la disponibilité motrice se heurte au manque de lien avec les représentations mentales de l’individu.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique
1.1 Le schéma corporel et son impact sur le devenir élève
1.1.1 Le schéma corporel implique les plans perceptif, moteur et relationnel de l’individu
1.1.2 Le schéma corporel se structure à partir de la naissance, tout au long de la scolarité des enfants, jusqu’à la fin de l’école primaire
1.2 La portée de la pratique du Yoga, dans la construction du schéma corporel et des attendus de fin de cycle 1
1.2.1 Le Yoga, avant tout une philosophie visant l’épanouissement de l’être humain
1.2.2 Le Yoga de Desikachar, activité motrice organisée autour du souffle, et la motricité scolaire
1.2.3 La dimension du souffle et la mise en œuvre de règles d’hygiène corporelle et d’une vie saine
1.3 Enseigner la pratique du yoga à l’école, sous l’angle de la théorie d’apprentissage du cours d’action
2. Cadre méthodologique
2.1 Terrain d’enquête
2.2 Dispositif d’enquête
2.2.1 La phase d’enrôlement, pour rendre les élèves disponibles
2.2.2 La phase de réalisation des postures, terreau des sensations à vivre
2.2.3 La phase de relaxation, indispensable pour prendre conscience des expériences vécues
2.2.4 Le guidage, variable à ne pas négliger pour situer pertinemment notre intervention
2.3 Recueil de données
2.4 Méthode d’analyse des données
3. Présentation des résultats
4. Interprétation des résultats
5. Analyse longitudinale de deux progressions illustrées
5.1 Illustration d’une progression conscientisée
5.2 Illustration d’une progression restée sur le plan de l’inconscient
5.3 Résultat d’un entretien avec un élève, pour conscientiser sa progression
6. Conclusion
6.1 Vérification de la problématique et des hypothèses de départ
6.2 Limites et pistes d’amélioration
6.3 Perspectives
Bibliographie
Annexes