Lorsque l’on pense à des enfants, on pense immédiatement au jeu. En effet, il est quasiment omniprésent dans leurs moments de loisirs. D’ailleurs, certains types de jeux sont également présents à l’âge adulte. Le jeu fait donc partie intégrante de la vie de tout individu, avec bien évidemment des nuances selon les différents moments de l’existence. Cela semble donc naturel de l’utiliser dans le lieu où les enfants passent énormément de temps : l’école. A l’école maternelle, il est d’ailleurs extrêmement présent, ce qui est notamment justifié par le jeune âge des élèves. Cependant, arrivé à l’école élémentaire, il se fait de plus en plus rare. Cela tient peut-être au fait qu’il est fortement connoté avec les loisirs et un côté ludique, et que cela paraît incompatible avec les apprentissages devant être faits à l’école élémentaire. En effet, l’école est avant-tout un lieu d’apprentissages, de travail, et l’utilisation de jeux peut paraître contradictoire avec ces notions. Cela est dommage, car le jeu peut s’avérer être un excellent outil pédagogique, et pas seulement à l’école maternelle. De part les nombreux avantages qu’il apporte, son utilisation peut être tout à fait pertinente à l’école élémentaire également, et particulièrement au cycle 3. En effet, le jeu est un excellent outil pour mobiliser les élèves, leur apporter de la motivation et leur permettre de donner du sens aux apprentissages qu’ils font. Ceci est d’autant plus important au cours de ce cycle, où une perte de sens donnée à l’école peut apparaître chez certains élèves. De plus, en grandissant, les élèves ont davantage besoin d’être motivés et de comprendre pourquoi ils doivent apprendre telle ou telle notion. Avoir recours au jeu peut donc être un bon moyen pour un enseignant de ne pas « perdre » ses élèves.
De plus, le jeu est un outil polyvalent qui peut être utilisé à différents moments d’une séquence d’apprentissage, ce qui rend son utilisation assez pratique. Cependant, il s’agit toutefois de l’utiliser à bon escient. En effet, avoir recours au jeu n’est pas toujours pertinent. Son utilisation doit donc être réfléchie et complémentaire avec d’autres outils. De plus, il ne faut pas tomber dans le piège que parce que c’est un jeu, il ne nécessite aucune analyse et aucun retour avec les élèves, bien au contraire. Si on l’utilise à l’école, c’est bien parce qu’il permet des apprentissages, qui doivent toujours être explicités par l’enseignant. Le rôle du maître lors d’utilisations de jeux n’est donc pas à négliger.
QU’EST-CE QU’UN JEU ?
Il est important, avant de commencer une véritable réflexion autour du jeu comme outil pédagogique, d’avoir une définition claire et précise du sujet que l’on va aborder. C’est pourquoi il est primordial de commencer par définir exactement ce qu’est un jeu.
Plusieurs définitions générales
La définition de Caillois
Le jeu, en particulier sa définition, est un sujet qui intéresse de nombreux auteurs. Toutefois, il est assez difficile à définir précisément, certains éléments de définition se retrouvant dans d’autres activités qu’un jeu. Certains auteurs ont toutefois essayé de définir ce qu’est un jeu, à partir de différents critères. Ainsi, dans son ouvrage, Caillois donne une définition du jeu en six critères. Pour qu’une activité soit considérée comme un jeu, il faut qu’elle réponde au premier critère qui est celui de «liberté ». En effet, le jeu a un caractère attirant par le divertissement et l’amusement qu’il peut proposer. Il doit donc être une activité libre, dans le sens volontaire et choisie par l’individu qui joue. Si un individu est forcé à jouer à un jeu, alors ce dernier peut apparaître comme contraignant, voire même comme une corvée. Il perd alors son statut de jeu car un jeu ne peut pas être imposé à un individu.
Le deuxième critère élaboré par Caillois afin de définir le jeu est celui d’activité «séparée ». L’auteur veut dire par là qu’il doit avoir son espace propre mais aussi un temps défini à l’avance. Lorsque l’on joue à un jeu, il y a toujours un espace précis où l’on peut jouer, et un autre qui ne fait plus partie du jeu. Hormis l’espace, des limites de temps doivent également être fixées. C’est le cas par exemple dans les jeux de société, où l’espace de jeu peut être délimité par un plateau, et le temps limité par le nombre de tours devant être réalisé par les joueurs. Pour être considérée comme jeu, une activité doit également répondre au troisième critère défini par Caillois : celui d’activité « incertaine ». En effet, le déroulement et la fin du jeu ne doivent pas être connus d’avance par les joueurs, sinon il n’y a plus d’intérêt au jeu. Le jeu est une activité distrayante parce que chaque joueur doit trouver la réponse adaptée à celle du joueur précédent. Elle force à chercher la meilleure solution possible. Si l’on sait d’avance ce qui va se passer, alors il n’y a plus de surprise et donc plus d’envie de jouer. L’autre caractéristique indispensable à un jeu est celle d’ « improductivité ». Autrement dit, une activité considérée comme un jeu ne doit produire aucun bien ni aucune richesse. On pourrait alors opposer à ce critère les jeux de cartes où les participants misent de l’argent, mais Caillois explique qu’il s’agit de l’argent misé dès le début de la partie, c’est-à-dire que le jeu n’a pas créé de richesse, mais l’a simplement redistribuée.
Si le jeu est considéré comme une activité séparée en termes d’espace et de temps, il l’est également sur le plan de la législation. En effet, le quatrième critère élaboré par Caillois est celui d’activité « réglée ». Le jeu suit ses propres règles et met de côté les règles ou lois habituelles. On parle donc de législation différente mais non absente, car un jeu doit bien obéir à des règles pour être considéré comme tel. Ces règles peuvent parfois paraître arbitraires ou inutiles, mais en réalité elles sont indispensables au bon déroulement d’un jeu. De plus, dans certains jeux, comme dans celui de fiction, de « faire-semblant », il n’y a a priori pas de règles. Cependant, ce type de jeux comporte quand même des règles implicites. En effet, il faut toutefois tenir correctement son rôle. Ainsi, si un enfant joue « à la maman », il doit respecter les règles qui incombent au rôle de « maman ». Si tout jeu comporte donc bel et bien des règles, Caillois fait cependant la distinction entre les jeux réglés, qui suivent des règles officielles et clairement établies, et les jeux fictifs, qui suivent eux plutôt des règles implicites.
Enfin, le terme « fictif » est repris par Caillois afin de nommer le dernier critère permettant de classer une activité dans celles des jeux. L’auteur le définit comme le fait de séparer la réalité du moment de jeu. L’auteur veut dire par là que le jeu doit être en quelque sorte dissocié de la réalité. En effet, l’individu qui joue sait qu’il n’est pas dans la réalité, dans la continuité de ses activités. Comme dit précédemment, le jeu est délimité dans un espace et un moment précis, il s’agit donc de se couper de la réalité. Le terme « fictif » induit également le fait que le jeu n’a a priori pas d’incidence ni de conséquence sur le reste de la journée. Ainsi, selon Caillois, toute activité qui répond à ces six critères peut être considérée comme un jeu.
La définition de Brougère
Plus récemment, Brougère s’est également intéressé à la définition du jeu. Il le définit comme suit : « Le jeu serait alors une activité de second degré constituée d’une suite de décisions, dotée de règles, incertaine quant à sa fin et frivole car limitée dans ses conséquences. » . Nous pouvons constater qu’il reprend en partie les critères utilisés par Caillois : celui de « fictif », de « réglé », d’ « incertain » et d’ « improductif ». Cependant, les deux auteurs n’associent pas ces critères au jeu dans le même ordre. Lorsque Brougère considère que le jeu serait alors « une activité de second degré », il se réfère directement au critère « fictif » élaboré par Caillois. Brougère maintient donc que, selon lui, le jeu est une activité en dehors de la réalité. Cependant, alors que Caillois place ce critère en sixième et dernière position, Brougère, lui, le place lui en premier. Selon lui, c’est un critère primordial afin de définir ce qu’est le jeu.
La définition de Brougère s’appuie sur un deuxième critère déjà énoncé par Caillois : celui de « libre », que l’auteur reprend sous le terme de « décisions », car moins connoté philosophiquement. En effet, les deux auteurs sont d’accord pour dire que la participation à un jeu est libre, dans le sens où elle est décidée par l’individu. Outre la décision d’entrer dans un jeu, les décisions continuent de s’opérer tout au long du jeu, comme dans le choix de la réponse du participant à un autre joueur. Tout jeu est donc une suite de décisions prises par le joueur. De plus, un joueur peut également prendre la décision de quitter le jeu, même si ce dernier n’est pas terminé.
Un autre critère commun aux définitions de Caillois et Brougère est celui de la règle. En effet, pour qu’une activité soit considérée comme un jeu, il faut qu’elle soit réglée, qu’elle suive un certain nombre de règles. Brougère ajoute que les règles sont la condition même de la liberté du jeu. En effet, les règles permettent de définir ce qui est autorisé ou non à l’intérieur du jeu, et donc de définir par là l’espace de liberté, ou de décisions, des joueurs. Le quatrième critère de la définition du jeu donnée par Brougère est celui d’ « incertain ». Ce critère est également retrouvé dans la définition de Caillois. En effet, le jeu est une sorte d’improvisation, le dénouement n’en est jamais connu à l’avance.
Enfin, le dernier élément de la définition de Brougère est la « frivolité ». Comme le critère de « second degré », cet élément se rapproche lui aussi du critère de « fictif » de la définition de Caillois. Cependant, Brougère lui ajoute une nouvelle dimension : celle de légèreté. En effet, le jeu est une activité frivole dans le sens où il n’a pas de conséquence sur la vie de l’individu. Cependant, si Brougère, dans sa définition, utilise le conditionnel pour définir le jeu, c’est parce que selon lui certaines activités sont très proches du jeu sans pour autant l’être. Définir le jeu est donc assez difficile, et reviendrait à le cloisonner et l’éloigner en quelque sorte d’autres activités pourtant très proches. De plus, certaines activités ont des critères en commun avec le jeu, mais pas tous, ce qui fait qu’elles peuvent être considérées ou non comme des jeux, et faussent quelque peu la définition du jeu.
Pour conclure sur la définition du jeu, nous pouvons donc nous appuyer sur celle de Caillois qui le définit en six critères, sans pour autant perdre de vue que toutes les activités ne sont pas cloisonnables dans telles ou telles catégories, jeu ou non-jeu, que certaines activités peuvent avoir des caractéristiques communes avec le jeu sans pour autant en être un. La frontière entre ce qui est jeu et ce qui ne l’est pas peut donc être mince.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. QU’EST-CE QU’UN JEU ?
1. Plusieurs définitions générales
1.1. La définition de Caillois
1.2. La définition de Brougère
1.3. Les jeux en classe correspondent-ils à ces définitions ?
2. Différents types de jeux pour différents objectifs
2.1. La typologie de Caillois
2.2. Le système ESAR
2.3. Utilisation de ces typologies à l’école
3. La place du jeu à l’école primaire
3.1. Le jeu à l’école maternelle
3.2. Le jeu à l’école élémentaire
II. CHOISIR LE JEU COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE
1. Pourquoi utiliser le jeu comme outil pédagogique ?
1.1. Pour enrôler les élèves
1.2. Pour motiver les élèves
1.3. Pour donner du sens aux apprentissages
2. Comment utiliser le jeu dans la classe ?
2.1. En situation de découverte
2.2. En situation d’entraînement et de réinvestissement
2.3. Dans un projet pluridisciplinaire
III. LE JEU : UN OUTIL PERTINENT AU CYCLE TROIS
1. Le jeu n’est pas réservé à l’école maternelle
1.1. La forte présence du jeu à l’école maternelle
1.2. Faire jouer les élèves au cycle trois
2. Les apports du jeu pour l’élève et les apprentissages
2.1. Des apports cognitifs
2.2. Des apports au niveau du savoir-être
2.3. Le rôle de l’enseignant
CONCLUSION
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