ย pourquoi mesurer des forces entre surfaces ?ย
Dans lโรฉtat colloรฏdal, la matiรจre, qui peut รชtre un liquide, un solide ou un gaz, est trรจs finement divisรฉe et dispersรฉe dans un liquide ou un gaz. La frontiรจre entre le domaine colloรฏdal et le domaine non colloรฏdal peut รชtre dรฉfinie par le diamรจtre des particules pour lequel lโรฉnergie dissipรฉe par le frottement visqueux est de lโordre de grandeur de lโรฉnergie thermique kBT oรน T est la tempรฉrature et kB la constante de Boltzmann. Si 2 B kT aU โผฮท , oรน ฮท=10โปยณP est la viscositรฉ du milieu (ici lโeau), U=1ยตm/s est la vitesse de la particule colloรฏdale, et a le rayon caractรฉristique, Ce dernier vaut a=2ยตm. Cet ordre de grandeur permet de dรฉfinir le domaine colloรฏdal comme celui des particules de diamรจtre infรฉrieur ร une dizaine de microns environ. Comparรฉ ร un objet macroscopique, dont la taille est de lโordre du millimรจtre par exemple, le rapport de la surface au volume est beaucoup plus grand, dโun facteur 1000 pour lโexemple considรฉrรฉ.
Les premiรจres synthรจses de colloรฏdes modรจles, monodisperses, de tailles contrรดlรฉes ont รฉtรฉ rรฉalisรฉes dans les annรฉes 1950 [Vanderhoff, 1956], ce qui a permis dโรฉlaborer des thรฉories et de les vรฉrifier expรฉrimentalement en sโaffranchissant des effets de polydispersitรฉ. Le dรฉveloppement de techniques expรฉrimentales comme la microscopie รฉlectronique a permis de caractรฉriser prรฉcisรฉment la taille et lโรฉtat de surface des colloรฏdes. Les annรฉes 1960 et 1970 ont vu la mise au point de techniques expรฉrimentales telles que la Surface Force Apparatus [Tabor, 1968; Tabor, 1969; Israelachvili, 1972] permettant de mesurer les forces entre des surfaces et de vรฉrifier des thรฉories dรฉveloppรฉes par Derjaguin et al. [Derjaguin, 1941] et Verwey et al. [Verwey, 1948]. Ce domaine sโest considรฉrablement dรฉveloppรฉ, tant en physique quโen chimie et en biologie : si lโon entre le mot clef ยซ colloid ยป dans le moteur de recherche de Isi Web of Science, plus de 47000 rรฉfรฉrences apparaissent depuis 1980.
Les forces entre surfaces se rรฉvรจlent donc particuliรจrement importantes dans les colloรฏdes. Elles interviennent dans de nombreux phรฉnomรจnes physiques et biologiques, ce qui a motivรฉ le dรฉveloppement dโoutils trรจs sophistiquรฉs destinรฉs ร leur รฉtude. Si lโon sโintรฉresse aux systรจmes colloรฏdaux, domaine vaste et ร grand impact industriel (pigments, peintures, cosmรฉtiques, agroalimentaireโฆ), ces forces jouent un rรดle capital. En effet, un systรจme colloรฏdal est un systรจme mรฉtastable dโun point de vue thermodynamique [Cabane, 2003]. Or, certaines de ces solutions colloรฏdales restent dans leur รฉtat dispersรฉ mรชme si elles ne sont pas dans leur รฉtat dโรฉnergie minimum. Ceci est dรป aux forces entre les surfaces des colloรฏdes. Derjaguin et Landau [Derjaguin, 1941] dโabord, puis Verwey et Overbeek [Verwey, 1948] ont รฉtรฉ les premiers ร comprendre cet effet, qui empรชche ces systรจmes de tomber dans leur รฉtat dโรฉnergie le plus favorable, donc de sโagrรฉger. Leur thรฉorie (thรฉorie DLVO) montre que lโรฉnergie potentielle dโinteraction entre deux surfaces Etot est la somme de deux contributions.
Le second domaine รฉmergeant, oรน le problรจme des forces est crucial, est celui de la biologie [Bao, 2003]. En effet, mรชme si les interactions en biologie ne diffรจrent pas fondamentalement de celles que lโon retrouve en physique ou en chimie, elles se rรฉvรจlent en gรฉnรฉral nettement plus complexes que ces derniรจres. Cela est dรป en partie ร la grande complexitรฉ des macromolรฉcules biologiques, dont la taille et la forme peuvent varier dโune structure globulaire de quelques nanomรจtres de diamรจtre, pour une protรฉine par exemple, ร une structure allongรฉe de plusieurs microns de longueur pour une double hรฉlice dโADN. Ces interactions sont cruciales en biologie car elles dรฉterminent la fonction biologique des molรฉcules. Considรฉrons le cas de lโADN. LโADN est constituรฉ de deux brins appariรฉs par les bases adรฉnine, cytosine, thymine et guanine. Lors de la rรฉplication de lโADN, les bases se dรฉsapparient. Ceci nโest possible que si les interactions entre les paires de base sont faibles.
En lโoccurrence, les bases sont reliรฉes par des liaisons hydrogรจnes : elles se dissocient donc facilement. De nos jours, la plupart des techniques initialement utilisรฉes pour mesurer des forces entre surfaces servent ร sonder les interactions en biologie. Ces interactions sont des interactions entre membranes de cellules [Pierres, 1998; Zhu, 2000; Senden, 2001], entre protรฉines [Leckband, 1994; Evans, 1998; Lakey, 1998; Bongrand, 1999; Leckband, 2000], entre membranes et protรฉines [Blomberg, 1998; Boulbitch, 2001]. En รฉtirant les molรฉcules dโADN ou dโARN [Smith, 1992; Clausen-Schaumann, 2000; Harlepp, 2003], on a รฉtudiรฉ les interactions entre ses bases [EssevazRoulet, 1997; Cocco, 2003].
Bibliographie : prรฉsentation des techniques de mesures de forcesย
Principe gรฉnรฉral des mesures de forcesย
Commenรงons par rappeler quelques gรฉnรฉralitรฉs sur les mesures de force. La maniรจre la plus simple et la plus directe pour mesurer des forces entre deux surfaces est de suspendre une surface ร un ressort dont la raideur k est connue, dโapprocher une surface de lโautre, et de mesurer lโallongement du ressort quand les deux surfaces sont ร lโรฉquilibre mรฉcanique ร une distance D lโune de lโautre.
Il existe actuellement diffรฉrentes techniques expรฉrimentales qui permettent de mesurer ces forces. Nous allons tenter ici de faire un bref rรฉsumรฉ de ces techniques afin de pouvoir les comparer. Une telle comparaison exige tout dโabord de trouver des grandeurs mesurables qui soient communes ร chacune de ces techniques. La force mesurรฉe, par exemple, nโest pas une grandeur pertinente. En effet, une technique telle que lโAppareil ร Force de Surface (SFA) mesure des forces entre des surfaces macroscopiques qui sont de lโordre du nN, avec une rรฉsolution du mรชme ordre de grandeur [Leckband, 2001]. On ne peut pas comparer cette rรฉsolution directement ร celle obtenue grรขce ร la Microscopie ร Rรฉflexion Interne Totale (TIRM) car les objets dโรฉtude nโont ni la mรชme taille, ni la mรชme forme [Prieve, 1999]. En effet la TIRM permet de mesurer des forces de lโordre du pN avec une rรฉsolution infรฉrieure au pN entre une particule colloรฏdale et une surface. Il faut donc trouver une grandeur mesurable qui soit indรฉpendante de la gรฉomรฉtrie de lโappareil utilisรฉ. En revanche, lโรฉnergie dโinteraction par unitรฉ de surface entre deux surfaces planes W(D) constitue un bon รฉlรฉment de comparaison. En effet, il est possible de relier simplement la force entre deux surfaces courbes ร W(D) [Derjaguin, 1934; Israelachvili, 1992].
Microscopie ร force atomique (AFM)
La microscopie ร force atomique a รฉtรฉ dรฉveloppรฉe par Binnig et al. [Binnig, 1986; Binnig, 1987], au milieu des annรฉes 80 pour visualiser ร lโรฉchelle atomique des surfaces non conductrices. Cโest un instrument mรฉcano-รฉlastique qui dรฉtecte des forces au niveau atomique grรขce au mouvement dโune petite lame รฉlastique (cantilever) trรจs sensible, de raideur connue, terminรฉe par une pointe de trรจs faible rayon de courbure. Un dรฉtecteur mesure le dรฉplacement relatif de cette lame lorsquโon approche la pointe dโune surface. Optiquement, le dรฉplacement est mesurรฉ en analysant lโintensitรฉ dโun faisceau laser envoyรฉ sur le cantilever et rรฉflรฉchi par celui-ci sur une photodiode ร quadrants. La rรฉsolution de la mesure du dรฉplacement de la pointe est de lโordre de 0.1nm. Selon le type dโinteraction entre la pointe et la surface, le cantilever sโapproche ou sโรฉcarte de celle-ci. La pointe de lโAFM ne permet pas vraiment de mesurer la force entre deux surfaces, car elle est quasiment ponctuelle. Elle permet, en revanche, de sonder la rugositรฉ dโune surface et de mesurer des forces sur des molรฉcules quand celles-ci sont attachรฉes dโun cรดtรฉ ร la surface et de lโautre ร la pointe. Pour remรฉdier ร ce problรจme, on peut coller sur la pointe une particule sphรฉrique de taille connue. Lโinteraction mesurรฉe est alors celle qui existe entre une particule sphรฉrique et une surface plane [Ducker, 1992; Senden, 2001; Hodges, 2002]. Parmi les avantages de cette technique, soulignons la facilitรฉ dโutilisation du microscope ร force atomique dans sa version commerciale. Ainsi, รฉtant donnรฉ que lโon peut ร la fois approcher et รฉcarter la pointe de la surface, ce type dโappareil permet de mesurer ร la fois des profils de forces attractives et rรฉpulsives. En revanche, la microscopie ร force atomique ne permet pas de mesurer directement la distance absolue par rapport ร la paroi, mais seulement la variation de la force par rapport ร une variation mesurable de la distance du cantilever ร la paroi. Cโest donc, en toute rigueur, un gradient de force plutรดt quโune force, qui est mesurรฉ. Notons en outre quโelle nโapporte pas dโinformation sur la maniรจre dont les surfaces se dรฉforment si celles-ci ne sont pas rigides, comme cela peut รชtre le cas pour des membranes. Aujourdโhui, lโAFM est de plus en plus frรฉquemment couplรฉe ร dโautres techniques qui dรฉtectent les dรฉformations des surfaces.
En termes de rรฉsolution, un montage optique ร quatre quadrants permet de rรฉsoudre des variations de distance ร 0.1nm prรจs. La rรฉsolution en force dรฉpend alors de la raideur du cantilever.
Microscopie ร rรฉflexion interne totale (TIRM)ย
Cette technique a รฉtรฉ dรฉveloppรฉe par Prieve ร la fin des annรฉes 80 [Prieve, 1987]. Elle permet de reconstruire de maniรจre non invasive le potentiel dโinteraction entre une surface et une sphรจre dont le diamรจtre est compris entre quelques microns et une cinquantaine de microns [Prieve, 1999]. รtant plus dense que le fluide environnant, la sphรจre sรฉdimente et se trouve prรจs de la surface. ร lโรฉquilibre, elle est ร une distance h de la surface dรฉterminรฉe par les effets de la gravitรฉ et des forces rรฉpulsives รฉlectrostatiques ou stรฉriques qui sโexercent entre la surface et la sphรจre.
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Table des matiรจres
I INTRODUCTION GรNรRALE
II FILAMENTS MAGNรTIQUES : APPLICATION ร LA CONCEPTION DE CAPTEURS DE FORCE
II.1. Introduction : pourquoi mesurer des forces entre surfaces ?
II.1.1. Bibliographie : prรฉsentation des techniques de mesures de forces
II.1.2. La machine de force (Magnetic Chaining Technique, MCT)
II.1.3. Motivations
II.2. Croissance des chaรฎnes
II.2.1. Introduction
II.2.2. Agrรฉgation par les extrรฉmitรฉs
II.2.3. Chaรฎnes magnรฉtiques et interactions latรฉrales
II.2.4. Conclusion
II.3. Calcul de la force magnรฉtique : modรจle de Zhang et Widom
II.4. Calcul du signal diffractรฉ par une chaรฎne de particules
II.4.1. Introduction
II.4.2. Cas de N diffuseurs indรฉpendants
II.4.3. Calcul direct du facteur de structure ร partir des รฉquations de Maxwell
II.5. Caractรฉrisation des particules magnรฉtiques
II.5.1. Introduction
II.5.2. Particules magnรฉtiques : synthรจse et caractรฉrisation
II.5.3. Diamรจtre des particules : tri magnรฉtique
II.5.4. Mesure de rayon : diffusion dynamique de la lumiรจre
II.5.5. Mesure de la masse volumique des particules : centrifugeuse
II.5.6. Mesure de concentration : densitomรจtre
II.5.7. Susceptomรจtre: mesure de la susceptibilitรฉ des particules
II.5.8. Sphรจre intรฉgratrice : mesure des indices optiques des particules
II.5.9. Conclusion
II.6. Prรฉsentation du montage expรฉrimental
II.6.1. รchantillon
II.6.2. Partie magnรฉtique et porte-รฉchantillon
II.6.3. Montage optique : illumination
II.6.4. Montage optique : choix de la rรฉtrodiffusion
II.6.5. Interfaรงage et programmation
II.6.6. Calibration de la camรฉra
II.7. Signaux mesurรฉs
II.7.1. Signaux bruts
II.7.2. Traitement des signaux bruts
II.7.3. Allure des signaux traitรฉs
II.8. Croissance des pics et croissance des chaรฎnes
II.8.1. Introduction
II.8.2. Observation de la croissance des chaรฎnes au microscope
II.8.3. Croissance des pics
II.8.4. Courbes de force
II.8.5. Conclusion
II.9. Conclusion gรฉnรฉrale
II.9.1. Elaboration dโune mรฉthodologie
II.9.2. Comparaison des diffรฉrentes techniques
II.9.3. Applications et perspectives
II.10. Bibliographie
III FILAMENTS MAGNรTIQUES : APPLICATION ร LA CONCEPTION DE MICRONAGEURS ARTIFICIELS
III.1. Prรฉsentation : la nage ร bas nombre de Reynolds
III.1.1. Prรฉsentation de micro-nageurs naturels
III.1.2. Propositions de nageurs thรฉoriques
III.1.3. Conclusion
III.2. Filaments flexibles magnรฉtiques
III.2.1. Introduction
III.2.2. Fabrications des chaรฎnes
III.2.3. Observation de la flexibilitรฉ des chaรฎnes
III.3. Filaments sous champ magnรฉtique : รฉquations gรฉnรฉrales
III.3.1. Introduction
III.3.2. Description gรฉomรฉtrique du filament
III.3.3. Description des propriรฉtรฉs magnรฉtiques du filament
III.3.4. รquations du mouvement
III.3.5. Conclusion
III.4. Chaรฎnes magnรฉtiques flexibles et champ magnรฉtique statique
III.4.1. Instabilitรฉ en รฉpingle : รฉtude thรฉorique
III.4.2. Instabilitรฉ en รฉpingle : รฉtude expรฉrimentale
III.4.3. Conclusion
III.5. Chaรฎnes magnรฉtiques flexibles et champ oscillant
III.5.1. Introduction
III.5.2. Description qualitative
III.5.3. Prรฉdictions thรฉoriques des frontiรจres sรฉparant les diffรฉrents rรฉgimes
III.5.4. Vรฉrification expรฉrimentale des frontiรจres sรฉparant les rรฉgimes
III.6. Les nageurs colloรฏdaux
III.6.1. Introduction
III.6.2. Non-rรฉversibilitรฉ apparente du mouvement
III.6.3. Brisure de symรฉtrie 1 : le nageur en forme dโรฉpingle
III.6.4. Brisure de symรฉtrie 2 : le filament attachรฉ ร un globule rouge
III.6.5. Influence de la frรฉquence du champ oscillant sur la vitesse
III.6.6. Influence du champ magnรฉtique sur la vitesse
III.6.7. Comparaison expรฉriences-modรจle
III.7. Conclusion
III.8. Bibliographie
IV CONCLUSION GรNรRALE
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