POURQUOI L’ETUDE DES FISSURES MICROSTRUCTURELLEMENT COURTES?
Avant de montrer l’intérêt d’étudier les fissures microstructurellement courtes, il est nécessaire de rappeler les différentes définitions d’une fissure courte.
Cette définition dépend principalement de la taille de l’objet considéré – variant d’une éprouvette monocristalline de laboratoire à une structure massive – ainsi que de ses propriétés microstructurales.
o Des fissures dont la taille varie de 1 à 2 µm (figure 1.1.a). Celles-ci sont induites par des phénomènes de localisation de la déformation plastique à l’échelle de la microstructure (stade I). La déformation plastique macroscopique est localisée à l’échelle microscopique à l’intérieur de bandes de glissement persistantes (BGPs), au sein des grains favorablement orientés. Une description précise des propriétés des BGPs est exposée dans la partie 1.3. Ces fissures sont qualifiées de courtes à l’échelle de la microstructure car leur longueur est inférieure à la taille de grain. Leur propagation nécessite des niveaux élevés de charges, pouvant être prédits par des calculs mécaniques à l’échelle microstructurale. Le niveau de charge dépend intimement de la configuration cristallographique au voisinage de la fissure initiée.
o Des fissures dont la taille est comprise entre 0 et 1 mm. Une zone affectée plastiquement apparaît en fond de fissure (figure 1.1.b), dont la taille est du même ordre de grandeur que la longueur de la fissure. Seuls dix grains ou moins sont traversés par ces fissures, généralement en mode I (stade II). Ces fissures sont qualifiées de courtes à l’échelle physique. La croissance de ces fissures nécessite des niveaux de charges intermédiaires, prédits par la mécanique élastoplastique de la rupture. Ces fissures sont freinées voir arrêtées par les barrières microstructurales naturellement présente dans les métaux : joints de grains et de macles. Un pré écrouissage en surface permet également de freiner leur croissance.
o Enfin, des fissures de plusieurs millimètres de longueur (de 1 à 10 mm) peuvent être détectées au sein d’une structure massive (figure 1.1.c). Leur longueur implique que plusieurs centaines de grains (pour un matériau à taille de grains standard) ont déjà été traversés par cette fissure (continuant à se propager en mode I). La taille de la zone affectée plastiquement en fond de fissure est très courte devant la longueur de la fissure. La propagation de cette fissure est quasi-indépendante de la microstructure. La charge à appliquer pour la faire propager est relativement faible. Dès lors, un critère simple issu de la MLER (Mécanique Linéaire Elastique de la Rupture, ou LEFM) est appliqué afin de déterminer la dangerosité de la fissure connaissant le chargement macroscopique. Par exemple, la loi de Paris permet de connaître sa vitesse de propagation.
Dans le cas de l’échangeur sodium-gaz – sujet de notre étude – la structure est composée de canaux séparés de murs dont l’épaisseur est de l’ordre du millimètre (figure 2). Dès lors, la définition d’une fissure de plusieurs millimètres avec un critère de contrainte critique issu de la MLER ne pourra s’appliquer au cas de cette structure.
Par ailleurs, le procédé de fabrication retenu des modules de l’échangeur sodium gaz est le soudage-diffusion par compression isostatique à chaud (SD-CIC). Ce procédé engendre un grossissement de la taille de grains (voir un grossissement de grain anormal) ce qui est potentiellement lourd de conséquences vis-à-vis de la tenue en fatigue d’une structure : la plus faible longueur de fissure détectée dépend de manière intime de la taille de grains. En effet, une fois la fissure initiée, la propagation de cette dernière est aisée au sein du grain qui l’a vu naître. Cette (micro)propagation sera freinée ou s’arrêtera alors une fois une barrière microstructurale rencontrée. Une augmentation de la taille de grains diminue alors naturellement la fraction de la durée de vie totale passée à initier des fissures. En considérant des fissures courtes à l’échelle physique (figure 1.1.b), la ruine de la structure serait théoriquement proche étant donné le faible nombre de grains dans l’épaisseur de la structure.
En fonction du chargement imposé et des propriétés microstructurales, la phase d’initiation des fissures microstructurellement courtes représente une part variable de la durée de vie. Dans le domaine de la fatigue à grands nombres de cycles (HCF et VHCF), il est accepté que plus de 80% de la durée de vie totale est passé à initier une ou plusieurs microfissures [Miller 1997 ; Texier et al. 2016]. Les 20% restants concernent alors la propagation de ces fissures jusqu’à la ruine finale de la structure. A l’inverse, dans le cas de la fatigue oligocyclique (faibles à moyennes durées de vies), de nombreuses fissures s’initient rapidement (dès 10% de la durée de vie). L’essentiel de la durée de vie est alors consacré à la croissance de ces fissures, voir à leur coalescence jusqu’à atteindre la ruine de la structure [Bataille et Magnin 1994 ; Stinville et al. 2016]. L’ensemble de ces constats ont été établi sur la base d’études sur éprouvettes de dimensions standard (plusieurs millimètres de diamètre le long de la zone utile). La phase de propagation des fissures serait donc altérée dans le cas de l’échangeur sodium-gaz, quel que soit le domaine de la fatigue considéré.
Les fissures courtes à l’échelle de la microstructure sont les plus pertinente à étudier pour cette structure. Néanmoins, le chargement exact de l’ECSG n’étant à ce jour pas encore clairement identifié, la fatigue à faible comme à fort niveau de chargement est à considérer dans la suite.
LOCALISATION DE LA DEFORMATION PLASTIQUE ET EXTRUSIONS
Localisation de la déformation dans les métaux cubiques à faces centrées
Le phénomène de localisation du glissement plastique est observé depuis plus d’un siècle. L’étude de [Kuhlmann-Wilsdorf et Wilsdorf 1953] est pionnière en la matière. Le relief de surface créé suite à une traction a été étudié dans des polycristaux et monocristaux d’aluminium, de cuivre, d’argent et de laiton. Une localisation de la déformation plastique sous forme de bandes de glissement a été observée pour toutes les éprouvettes.
Depuis l’apparition des techniques de microscopie en transmission, de nombreux auteurs ont étudié la structure de dislocations subsurfacique des métaux et alliages. Un très grand nombre d’études ont été publiées pour différents métaux et alliages, conditions de chargements et de températures [Fourie 1970 ; Mughrabi 1970 ; Jin 1989]. Pour certains métaux déformés cycliquement, le lien entre formation de bandes en surface et structure des dislocations à cœur est clairement établi [Wang et al. 1984 ; Mughrabi et Wang 1988 ; Kwon et al. 1989 ; Polák et al. 1992].
Une vaste étude bibliographique a été réalisée dans le but d’élargir le lien entre formation de bandes en surface et structure de dislocations à cœur aux cas des métaux et alliages de structures cubiques à faces centrées déformés cycliquement. L’influence de plusieurs paramètres a été établie sur la formation de bandes de glissement en surface et à cœur :
– Formation de bandes de glissement dans des métaux et alliages cfc de haute à basse énergie de faute d’empilement (nickel, cuivre, acier 316L, alliages cuivre-zinc, alliages cuivre-aluminium, argent) ;
– Microstructures de dislocation dans les bandes de glissement de ces métaux et alliages ;
– Existence des bandes à très basse température (inférieure à la température ambiante) ;
– Existence des bandes à la température ambiante ;
– Existence des bandes à haute température (supérieure à la température ambiante).
Quelle que soit la température d’essai, une localisation du glissement sous forme de bandes de glissement est observé pour cette large gamme de métaux et alliages. L’énergie de faute d’empilement agit sur le glissement dévié des dislocations [Magnin et al. 1989 ; François et al. 1993 ; Goncalves 2018]. Une forte dépendance à la température de l’énergie de faute d’empilement a été mise en avant pour les métaux (et alliages) à structure cfc par [Rémy et al. 1978]. Malgré cela, l’ensemble des métaux purs étudiés (nickel, cuivre, argent) présentent des bandes de glissement avec des structures en échelle dans les grains bien orientés, quelle que soit la température d’essai. La formation d’une structure en échelle est le signe d’un comportement dévié aisé [Bretschneider et al. 1995 ; Buque et al. 2001 ; Li et al. 2011]. Les métaux purs présentent tous un comportement dévié, plus ou moins favorisé par l’énergie de faute d’empilement .
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Table des matières
INTRODUCTION
CONTEXTE INDUSTRIEL ET OBJECTIFS
BIBLIOGRAPHIE ET GENERALITES SUR LA FATIGUE
1.1 Introduction
1.2 Pourquoi l’étude des fissures microstructurellement courtes ?
1.3 Localisation de la déformation plastique et extrusions
1.4 Initiation des fissures courtes
1.5 Effet de la taille de grains et du chargement sur la durée de vie en fatigue
1.6 Conclusions
1.7 Références
CARACTERISATIONS MICROSTRUCTURALES ET EN FATIGUE D’UN ACIER 316L : EFFET DE LA TAILLE DE GRAINS ET DE L’EPAISSEUR D’EPROUVETTE
2.1 Introduction
2.2 Matériaux étudiés
2.3 Essais de déformation cyclique
2.4 Effets de la taille de grains et de l’épaisseur d’éprouvette sur le comportement cyclique
2.5 Conclusions
2.6 Références
ESSAIS CYCLIQUES INTERROMPUS PAR DES OBSERVATIONS AU MICROSCOPE ELECTRONIQUE A BALAYAGE (MEB)
3.1 Introduction
3.2 Préparation des éprouvettes et conditions d’essais cycliques
3.3 Observation de la formation et de l’extrusion des bgps
3.4 Observations et analyses des configurations microstructurales d’initiation des microfissures
3.5 Synthèse
3.6 Comparaisons aux observations de la littérature
3.7 Conclusions
3.8 Références
PREDICTION OF THE EFFECT OF PSB IMPINGEMENT ON GRAIN BOUNDARIES IN DUCTILE METALS: PART I – GB EXTRUSION ANALYSIS
4.1 Introduction
4.2 Hypothesis of the finite element simulations
4.3 Prediction of the extrusion of PSBs through the Neighboring GBs in copper: effect of microstructure and crystallographic orientation
4.4 Discussion
4.5 Conclusions
4.6 Acknowledgements
4.7 References
PREDICTION OF THE EFFECT OF PSB IMPINGEMENT ON GRAIN BOUNDARIES IN DUCTILE METALS: PART II ‒ GB STRESS FIELDS ANALYSIS
5.1 Introduction
5.2 Hypothesis of the finite element simulations
5.3 Prediction of GB stress fields induced by PSB impingement: effect of microstructure and crystallographic orientation
5.4 Discussion: Influence of the different assumptions on GB stress fields
5.5 Conclusions
5.6 Acknowledgements
5.7 References
PREDICTION OF THE EFFECT OF PSB IMPINGEMENT ON GRAIN BOUNDARIES IN DUCTILE METALS: PART III – MICROCRACK INITIATION
6.1 Introduction
6.2 Hypothesis of the finite element simulations
6.3 Finite fracture mechanics prediction of GB microcrack initiation
6.4 Discussions
6.5 Conclusions
6.6 Acknowledgements
6.7 References
COMPARAISONS ENTRE PREDICTIONS ET OBSERVATIONS EXPERIMENTALES DE l’INITIATION DE MICROFISSURES INTERGRANULAIRES
7.1 Modélisation avancée de l’initiation des microfissures intergranulaires
7.2 Apport des calculs atomistiques pour la rupture intergranulaire
7.3 Comparaisons entre observations et prédictions de l’initiation du dommage intergranulaire
7.4 Discussion
7.5 Conclusions
7.6 Références
CONCLUSIONS
ANNEXES
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