Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous, ensemble (Euripide).
Professeur des écoles stagiaire, j’enseigne pendant cette année dans l’école Edouard de la Boussinière. Cette école est située près du centre-ville du Mans, dans un quartier à niveau socio-économique favorisé. Cependant, le projet d’école stipule que la population scolaire est en évolution : une plus grande mixité sociale avec de plus en plus de familles défavorisées socialement et des primo-arrivants. Mon stage se déroule à quart temps dans une classe CE2-CM1 composée de 24 élèves. Le second quart temps se déroule dans une classe de CM1 composée de 27 élèves. C’est au sein de cette classe que je suis en charge de l’enseignement de la résolution de problèmes. L’objectif est d’amener les élèves à être en mesure, en fin de cycle, de résoudre des problèmes relevant des quatre opérations. Mais également d’acquérir une logique, de développer leur questionnement et leur esprit critique et d’apprendre à mener une démarche d’investigation. La résolution de problèmes, au centre de l’activité mathématique, engage les élèves à chercher, émettre des hypothèses, élaborer des stratégies, confronter des idées pour trouver un résultat. Qu’elle soit proposée individuellement ou collectivement en invitant les élèves à coopérer avec leurs pairs, la tâche de résolution de problèmes permet aux élèves d’accéder au plaisir de faire des mathématiques .
Au sein de la classe, j’ai pu observer dès les premières semaines des niveaux hétérogènes en mathématiques quant à la résolution de problèmes. Egalement, pour les élèves régulièrement en réussite, il s’est avéré que certains problèmes (type problème ouvert ou problème à étapes) pouvaient représenter une difficulté réelle car peu souvent rencontrée. Pour tous les élèves, la réussite passait régulièrement par un contrat didactique rempli (j’ai calculé / j’ai donné une réponse/ j’ai utilisé la soustraction ou la multiplication) sans toutefois mettre du sens dans leur réponse ou dans leur procédure de résolution. De plus, j’ai pu observer un esprit de compétition exacerbé chez certains élèves, et pour la majorité d’entre eux, un statut d’élève établi dans chaque domaine (l’élève qui se définit et est identifié par ses pairs comme « fort » dans un domaine ou pour réaliser une tâche précise). La recherche montre en effet qu’un même élève peut avoir plusieurs statuts simultanés : statut scolaire, statut d’expert en lien avec une tâche, statut social influençant la participation à un travail de groupe (Rouiller, 2008, citée par Reverdy , 2016).
J’ai pu également remarquer un manque d’empathie envers les élèves en difficulté face à un apprentissage particulier. Cette observation peut être renforcée par les résultats de l’étude dans le dossier de l’Institut Français de l’Education (Reverdy, 2016) : l’esprit de compétition augmente avec le niveau socio-économique des élèves et leur niveau en lecture. En parallèle, l’esprit de coopération est plus faible dans des écoles à niveau socio-économique favorisé.
Pourquoi la coopération entre élèves ?
Définitions et courants pédagogiques
La coopération, selon le CNRTL , désigne l’action de participer à une œuvre ou une action commune. Afin d’observer la coopération, l’entente entre les membres d’un groupe est primordiale en vue d’un but commun. La coopération en milieu d’apprentissage est définie par un processus, c’est-à-dire la façon dont les membres d’un groupe, confrontés à un apprentissage particulier, rassemblent leurs forces, leurs savoir-faire et les savoirs pour atteindre leurs fins (Olry-Louis, 2011). Lorsque la coopération est mise en place dans une situation d’apprentissage, on parle alors de pédagogie coopérative. Ce terme désigne un ensemble de méthodes dont l’enjeu est d’organiser une classe en sous-groupes au sein desquels les élèves apprennent ensemble et travaillent en coopération sur des tâches scolaires .
Selon Piaget , les méthodes actives sont plus appropriées pour le développement de l’enfant en mettant au premier rang la recherche en commun (travail en équipe) et la vie sociale des élèves eux-mêmes. La coopération est promue au rang de facteur essentiel du progrès intellectuel. Le travail en groupe permet d’instaurer une idée d’égalité, de symétrie entre les élèves : égalité des savoirs et des pouvoirs, portant sur les personnes, leurs statuts, leurs compétences face à la tâche. La résolution de problème en groupe permet aux élèves de travailler sur des apprentissages variés et d’accéder à l’autonomie, tout en acquérant des compétences clés.
Des interactions pour apprendre
Selon les psychologues de l’éducation, ce sont les interactions qui jouent un rôle central dans la coopération et qui favorisent les apprentissages. Les approches de Meirieu présentent la coopération comme une méthode d’apprentissage et non comme un but en soi, qui a pour objectif le développement cognitif des membres du groupe. La recherche définit deux types d’interactions :
➤ Les interactions de tutelle, asymétriques (tutorat, aide ou entraide entre pairs) qui ne seront pas étudiées dans cet écrit réflexif.
➤ Les interactions symétriques entre pairs, pour lesquelles il y a, a priori, « une équivalence de compétence et de rôles » (Olry-Louis, 2011). Ce sont bien ces interactions qui seront analysées dans la deuxième partie de cet écrit.
Le conflit sociocognitif, facteur d’apprentissage
Le conflit sociocognitif, c’est-à-dire le conflit débouchant sur des apprentissages, n’est pas toujours celui qui se présente lors des interactions entre élèves. Souvent, des conflits rationnels les dominent (si l’autre est compétent, alors c’est que moi je ne le suis pas). Ou alors l’influence des liens d’amitiés et les relations interindividuelles entre élèves conditionnent et empêchent le conflit sociocognitif. Plus précisément, il s’agit de définir en quoi pour une tâche donnée, l’interaction sociocognitive peut être source de développement (Olry-Louis, 2003). Les travaux de Piaget indiquent notamment que « le conflit joue un rôle moteur dans la genèse de la structuration de l’individu et dans l’apprentissage de connaissances nouvelles». Dans le même courant psychologique, les travaux de Vygostki présentent des liens forts entre interactions sociales et développement. Il place « l’interaction sociale en condition constituante de l’apprentissage et donc du développement cognitif » (Reverdy, 2016, citant Lehraus & Rouiller, 2008).
Lors d’un travail en groupe, chacun des membres est lié aux autres pour atteindre un but commun. L’interdépendance peut donc être positive : interactions positives desquelles résultent la coopération. Elle peut aussi être négative, avec une relation d’opposition et de compétition d’où résulte une absence de coopération . Il est donc important de mettre en place une interdépendance positive afin que chaque élève se sente investi dans la réussite du groupe. Les élèves doivent percevoir qu’ils réussissent ou qu’ils échouent ensemble.
Quelles compétences développées ?
La pédagogie coopérative a pour finalité une acquisition des compétences dites académiques des programmes en mathématiques : chercher, modéliser, représenter, calculer, raisonner et communiquer. La résolution de problèmes constitue le critère principal de la maîtrise des connaissances dans tous les domaines des mathématiques, mais elle est également le moyen d’en assurer une appropriation qui en garantit le sens. Les compétences transversales qui seront acquises au contact d’une variété d’activités scolaires et non spécifiquement d’une discipline donnée sont : des compétences globales à communiquer, à résoudre des problèmes, la créativité, l’aptitude à travailler en équipe. Le faire apprendre à coopérer, c’est-à-dire les compétences sociales, dont les habiletés à communiquer, à s’écouter, à s’encourager, à questionner sont au cœur de l’apprentissage coopératif. L’apprentissage des compétences à coopérer est indispensable, notamment en primaire où leur maîtrise est plus difficile pour les élèves, qui se contentent de partager des informations ou de discuter sur la manière de réaliser l’activité demandée.
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Table des matières
Introduction
1. Pourquoi la coopération entre élèves ?
1.1 Définitions et courants pédagogiques
1.2 Des interactions pour apprendre
1.3 Le conflit sociocognitif, facteur d’apprentissage
1.4 Quelles compétences développées ?
2. Coopération et résolution de problèmes
2.1 Les programmes du cycle 3
2.2 L’importance de la définition de la tâche
2.3 Limites et difficultés de mise en œuvre
2.4 Les conditions de réussite
2.5 Le rôle de l’enseignant
2.6 Comment évaluer la coopération ?
3. La pédagogie coopérative, une analyse de mise en œuvre
3.1 Séance 1 : Les défis mathématiques
3.2 Séance 2 : L’énigme du nombre mystère
3.3 Séance 3 : La pyramide infernale, défi MEAN
3.4 Séance 4 : L’escape game pédagogique
3.5 Synthèse des séances mises en œuvre
Conclusion
Bibliographie
Annexes