Pourquoi enseigner explicitement ?
Pour réduire les inégalités scolaires
Pourquoi aujourd’hui les pédagogues et l’institution s’accordent pour donner une place centrale à l’enseignement explicite dans les programmes ? Cela provient d’un constat fait depuis plusieurs années : le système scolaire français est l’un des plus inégalitaires comme le montrent les résultats de l’enquête PIRLS. En effet, les écarts se creusent entre les élèves provenant des milieux favorisés qui réussissent mieux et ceux des milieux défavorisés qui ont de plus en plus de difficultés. L’origine sociale pesant lourdement sur la réussite des élèves, les élèves des milieux les plus éloignés des codes scolaires ne perçoivent pas les implicites qui se cachent dans les situations d’enseignement. Ces élèves peinent à comprendre le sens réel des activités menées en classes. De plus, les enseignants sont familiers de l’école car la plupart ne l’ont jamais quittée ou étaient considérés comme des bons élèves. Ils n’est donc pas aisé pour eux de percevoir les difficultés de compréhension des élèves ce qui provoque un décalage entre les perceptions des enseignants et des élèves concernant les situations d’apprentissages. Pour les élèves appartenant aux milieux les plus défavorisés, l’Éducation Nationale a mis en place le Réseau d’Éducation Prioritaire (REP) afin de leur donner plus de moyens pour apprendre. Pour guider les enseignants en REP, l’institution a rédigé un référentiel composé de six priorités dont la première est de « Garantir l’acquisition du « Lire, écrire, parler » et enseigner plus explicitement les compétences que l’école requiert pour assurer la maîtrise du socle commun ». Sous cette priorité, l’institution demande à l’enseignant d’ « expliciter les démarches d’apprentissage pour que les élèves comprennent le sens des enseignements ». Il est donc formellement demandé aux enseignants en éducation prioritaire de conduire un enseignement explicite. Dans le référentiel, l’éducation nationale précise ce qu’il doit être explicité à savoir : « les objectifs de travail », « les procédures efficaces pour apprendre », « les acquis, les améliorations attendus et les compétences encore à acquérir ». A travers l’enseignement explicite, l’institution tente de lever les sous – entendus, les implicites afin que l’école puisse s’adresser à tous les élèves et ainsi favoriser leur autonomie intellectuelle. L’objectif de l’enseignement explicite est de donner à voir aux élèves ce qui est attendu, rendre visible l’invisible. Toutefois, si l’enseignement explicite participe à la réduction des inégalités, il ne peut se suffire à lui – même.
Pour donner du sens aux apprentissages
L’enseignement explicite a fini par s’imposer comme une nécessité suite au constat fait depuis plusieurs années comme quoi les élèves ne perçoivent pas le sens des apprentissages. Comment les élèves comprennent – ils et interprètent – ils les tâches scolaires ? Concrètement, que travaillent – ils sur le plan cognitif en classe?
Suite aux observations faites par les enseignants et les chercheurs, il s’est avéré que les élèves les moins performants réduisent les tâches scolaires uniquement à leur réalisation. Les élèves sont enfermés dans une logique de faire et traitent la tâche sans chercher à en saisir le sens. Ils peinent à transférer les connaissances d’un tâche à une autre ou bien surgénéralisent les procédures en les appliquants à toutes situations qui leur semble semblables. Aujourd’hui, les enseignants ne demandent plus à l’élève de seulement réussir la tâche mais avant tout de la comprendre. Les élèves ne doivent plus prendre pour acquis les tâche scolaires données par les enseignants mais apprendre à les questionner. Or les élèves ont des difficultés à interroger les situations d’apprentissages, à passer de situation en contexte à une décontextualisation lors des moments d’institutionnalisation où ils doivent réorganiser les savoirs anciens et les nouveaux. Elisabeth Bautier et Roland Goigoux théorisent la notion de secondarisation impliquant une décontextualisation or les élèves sont centrés sur la tâche les empêchant ainsi de construire concepts et apprentissages.
La nécessité de donner du sens aux apprentissages est particulièrement présente dans les programmes de l’école maternelle. En effet, depuis la rentrée 2019, l’instruction est obligatoire à partir de 3 ans. L’école maternelle est à ce jour considéré comme un levier pour la réussite et l’égalité et elle est un lieu où les enfants apprennent à devenir des élèves. Pour cela le programme d’enseignement de la maternelle (BOEN spécial n°2 du 26 mars 2015 , EDUSCOL) met l’accent sur l’intérêt de travailler en étroite collaboration avec les famille en rendant « explicites pour les parents les démarches, les attendus et les modalités d’évaluation propres à l’école maternelle. » On retrouve dans ce programme différents domaines tels que « Apprendre en jouant » où il est formulé que les enseignants doivent mettre en place « des jeux structurés visant explicitement des apprentissages spécifiques». Un des domaines qui est le plus parlant en terme d’enseignement explicite est celui intitulé « Apprendre la fonction de l’école », il y est indiqué que l’enseignant doit rendre « lisibles les exigences de la situation scolaire par des mises en situations et des explications qui permettent aux enfants – et à leurs parents – de les identifier et de se les approprier ». On y retrouve aussi des prérogatives pour le mettre en place dans sa classe telles que « Pour stabiliser les premiers repères, il utilise des procédés identiques dans ses manières de questionner le groupe, de faire expliciter par les enfants l’activité qui va être la leur, d’amener à reformuler ce qui a été dit, de produire eux-mêmes des explications pour d’autres à propos d’une tâche déjà vécue ». Le programme met donc l’accent sur la force du collectif, du groupe classe avec le domaine « Échanger et réfléchir les autres » ou encore « Vivre des émotions, formuler les choix ». Ces domaines mettent l’accent sur les compétences travaillées par les élèves en lien avec le langage puisque « Ces situations d’évocation entraînent les élèves à mobiliser le langage pour se faire comprendre sans autre appui, elles leur offrent un moyen de s’entraîner à s’exprimer de manière de plus en plus explicites. » et « L’enseignant les incite à être précis pour comparer, différencier leurs points de vue et ceux des autres, émettre des questionnements ; il les invite à expliciter leurs choix, à formuler ce à quoi ils pensent et à justifier ce qui présente à leurs yeux un intérêt».
Enseigner explicitement est donc un devoir pour les enseignants puisqu’il est inscrit dans les instructions officielles à savoir les programmes en vigueur, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et le référentiel de compétences professionnelles du professorat et des métiers de l’éducation comme nous avons pu le démontrer précédemment.
Assurer un enseignement explicite dans sa pratique en classe
Enseigner explicitement est un processus complexe et qui se joue sur plusieurs niveaux : Qui explicite quoi et à qui ? A quel moment ? Comment expliciter ?
Qui enseigne explicitement ?
L’enseignant peut expliciter aux élèves les situations, les apprentissages visées et les tâches qu’ils donnent aux élèves, reformuler les procédures et les stratégies lors de la phase d’institutionnalisation. Il suit un scénario didactique et pédagogique qu’il a anticipé en l’ajustant au fil de ses observations sur les réactions des élèves et du déroulement de l’activité ou du bilan. C’est ce qu’on appelle la clarté cognitive. Cependant, ce n’est pas toujours l’enseignant qui explicite les apprentissages, il est même favorable que ce soit l’élève qui le fasse. En effet, en répondant à la question « Comment fais – tu ? » l’élève en explicitant à ses camarades, à l’enseignant et à lui – même prend conscience de son activité mentale et intellectuelle favorisant ainsi sa capacité réflexive et son esprit critique et ceux dès la maternelle. De plus Sylvie Cèbe, lors de la table ronde organisée par le bureau de l’Éducation Prioritaire de la DGESCO en collaboration avec le Centre Alain Savary, se demande : « Quel est le travail de l’élève si l’enseignant explicite tout ? » Selon la chercheuse la reformulation de la consigne ne suffit pas pour que les élèves entrent dans la tâche et la comprennent. La reformulation peut être lacunaire si l’élève se contente de répéter avec ses propres mots car ils ne comprennent pas toujours les termes employés dans la consigne. Sylvie Cèbe formule plusieurs questions qui doivent émerger dans la tête des élèves avec l’aide de l’enseignant : « A quoi ressemblera le travail quand vous l’aurez fini ? Qu’est – ce que le maître ou la maîtresse a dans la tête en proposant cette tâche ? Quelle sont les règles du jeu ? Quels sont les critères qui vont lui permettre de dire si c’est correct ou non ? ». Selon elle , l’élève doit rentrer dans la tête de l’enseignant afin de comprendre ses attentes et « On les (les élèves) laisse tâtonner, explorer, découvrir les meilleurs manière de faire, sans, parfois, leur expliquer comment on fait pour bien faire ». L’élève en explicitant à l’enseignant, à ses camarades et à lui– même développe en parallèle des compétences langagières qui doivent être elles aussi enseignées comme l’explique Isabelle Bautier. En effet, pour expliquer aux autres comment il s’y prend et comment il a trouvé la bonne réponse, l’élève mobilise des compétences afin que les autres le comprennent et puissent reproduire ses explications. Apprendre à expliquer sa démarche intellectuelle est donc une compétence à travailler et ceux dès le plus jeune âge. Lorsqu’on demande à un élève d’expliquer comment il a trouvé la bonne réponse, il est fréquent que ce dernier réponde qu’il ne sait pas. En effet c’est compliqué pour un élève de réaliser une tâche tout en se questionnant en même temps sur comment il fait. Si l’explicitation est souvent pensée en amont avec la reformulation de la consigne ou en encore en aval avec l’explication des procédure, elle est aussi nécessaire au cours de la séance. On peut par exemple demander à l’élève d’expliquer à voix haute sa procédure en même temps qu’il la réalise.
Quand peut – on enseigner explicitement ?
Lors de cette table ronde, le chercheur Jacques Bernardin définit quatre moments dans la séance ou séquence où il est possible d’expliciter. Tout d’abord, les cinq premières minutes de la séance qui permettent de présenter les enjeux de la séance, de la tâche et permettent aux élèves de s’approprier les consignes, les savoirs, les supports. Il est important que l’enseignant fasse visualiser mentalement la tâche aux élèves et anticiper les stratégies, les procédures et définir le but et les apprentissages visés. Jacques Bernardin met en avant que tout se joue dans la tête de l’élève avant même qu’il ait commencé à réaliser la tâche. Ensuite, il est possible de suspendre l’activité au cours de la séance afin de réorienter la tâche afin de la faire évoluer en fonction des observations faites par l’enseignants concernant les réussites et les difficultés des élèves. L’intérêt est que l’activité colle toujours au plus prêt des besoins des élèves et de leurs capacités. S’ensuit le temps d’institutionnalisation qui fixe les savoirs appris lors de la réalisation de la tâche. L’objectif de ce temps est comme le mentionne Jacques Bernardin passer « du réussir au comprendre » ou encore « dégager le noyau dure de l’activité et en faire un objet de savoir générique que les élèves pourront transférer dans une situation de même nature ». Enfin, le chercheur termine par ce qu’il appelle « la transition » ou encore « le tissage entre une séance et la suivante». Il est possible d’expliciter à ce moment afin que ce qui n’a pas été perçu ou compris par les élèves lors de la phase d’institutionnalisation puisse être mis en lumière.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique
1.1 Pourquoi enseigner explicitement ?
1.1.1 Pour réduire les inégalités scolaires
1.1.2 Pour donner du sens aux apprentissages
1.2 Assurer un enseignement explicite dans sa pratique en classe
1.2.1 Qui enseigne explicitement ?
1.2.2 Quand peut – on enseigner explicitement ?
1.2.3 Que doit – on expliciter en priorité ?
1.3 Les points de vigilances auxquels les enseignants doivent être attentifs
1.3.1 Prendre du temps pour observer les élèves en activité
1.3.2 L’importance de la formulation de la consigne et la place laissée l’erreur
1.3.3 Les dérives de l’explicitation à l’extrême : l’habillage, la simplification à l’extreme de la tâche
2. Méthode
2.1 Description du cadre pratique (école et classe)
2.2 Les constats avant la mise en place du protocole de recherche
2.3 Déroulement d’un bilan type
2.4 Présentation des dispositifs et outils d’aide à la compréhension, à la verbalisation, à l’auto – évaluation et leurs limites
2.4.1 Les flashcards du bilan : une aide pour débuter les phrases
2.4.2 Les supports : les travaux des élèves
2.4.3 Oral ou écrit : l’enregistrement audio, la dictée à l’adulte
2.4.4 Des bilans en petits groupes ou grand groupes, individuels : palier au problème de petits parleurs
3. Résultats et analyse de la pratique
3.1 Observations directes au cours des séances
3.2 Protocole d’analyse du recueil de données
3.3 Les évolutions entre les constats du début de l’année, le premier recueil de données en janvier et le second en mars
3.3.1 Les évolutions entre les premiers constats et le recueil de données en janvier
3.3.2 Les évolutions entre le recueil de données de janvier et celui de mars
Conclusion
Bibliographie
Annexes