Pourquoi découvrir le cinéma dès l’entrée à l’école maternelle ?
La place du cinéma dans les programmes
Les programmes du cycle 1 de 2015 précisent les modalités spécifiques d’apprentissage de l’école maternelle. Une des spécificités de celles-ci réside dans le fait que les élèves de cet âge doivent apprendre en se remémorant et en mémorisant. Il est d’ailleurs précisé que les enfants s’appuient fortement sur ce qu’ils perçoivent visuellement pour maintenir des informations en mémoire temporaire, alors qu’à partir de cinq-six ans c’est davantage le langage qui leur est adressé qui leur permet de comprendre et de retenir. Ceci souligne ainsi le rôle important des images au cycle 1. L’école maternelle doit également permettre à chaque élève de se construire comme personne singulière au sein d’un groupe. Il est notamment indiqué que les histoires lues, contes et saynètes contribuent à développer chez les élèves une première sensibilité aux expériences morales (sentiment d’empathie, expression du juste et de l’injuste, questionnement des stéréotypes…). La mise en scène de personnages fictifs suscite des possibilités d’identification diverses et assure en même temps une mise à distance suffisante. Même si cette assertion concerne plutôt la littérature jeunesse, le cinéma peut également jouer ce rôle d’identification à des personnages fictifs.
Alain Bergala, dans L’hypothèse cinéma suggère de son côté que « les plus beaux films à montrer aux enfants ne sont pas ceux où le cinéaste essaie de les protéger du monde, mais souvent ceux où un autre enfant joue le rôle de tampon, d’intermédiaire, dans cette exposition au monde, au mal qui en fait partie, à l’incompréhensible […]. Ce semblable, à qui on peut s’identifier même quand on ne comprend pas plus que lui le mal qui l’environne (on s’identifie alors à son incompréhension) protège des agressions du monde telles qu’elles sont présentes dans le film, sans les cacher pour autant. L’exposition au mal qui circule (Bresson) ou qui surgit (Buñuel) dans le monde est moins traumatisante si elle passe par un personnage de la fiction qui y est en quelque sorte « à notre place », en première ligne, afin de nous laisser un peu de recul et de réserve ».
Dans le domaine « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », le cinéma n’est pas désigné mais il peut, au même titre que les albums, participer au développement des apprentissages. Concernant le langage oral, des activités liées à la compréhension de l’histoire d’un film peuvent être menées au même titre que celles liées à la compréhension d’un album : travailler sur le schéma actanciel (héros, adjuvants, opposants), sur la chronologie… Ces activités permettent, comme le recommandent les programmes, d’amener les élèves à échanger et réfléchir avec les autres. Cela favorisant ainsi l’argumentation, l’explication, les questions et l’intérêt pour ce que les autres croient, pensent et savent. Des activités peuvent également permettre de travailler le langage d’évocation comme par exemple raconter une scène d’un film visionné précédemment uniquement à partir d’images fixes tirées du film. Elles permettent ainsi d’entraîner les élèves à mobiliser le langage pour se faire comprendre et offrent un moyen de s’exercer à s’exprimer de manière de plus en plus explicite.
Nous retrouvons dans le domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques » le cinéma à la fois dans les arts du visuel et dans les arts du son. Il est précisé que l’école maternelle joue un rôle décisif pour l’accès de tous les enfants aux différents univers artistiques. Les objectifs visés dans ce domaine sont de développer du goût pour les pratiques artistiques, découvrir différentes formes d’expression artistique, vivre et exprimer des émotions, formuler des choix. Il est spécifié que des rencontres régulières dans la classe doivent être organisées avec différentes formes d’expressions artistiques. Les élèves peuvent ainsi être confrontés à des œuvres sous forme de reproductions, d’enregistrements, de films ou de captations vidéos. Le cinéma a ainsi toute sa place dans le cycle des apprentissages premiers et participe à la construction progressive d’une culture artistique de référence. Il est également précisé que les enfants doivent, autant que possible, être initiés à la fréquentation d’espaces d’exposition, de salles de cinéma et de spectacles vivants afin qu’ils en comprennent la fonction artistique et sociale et découvrent le plaisir d’être spectateur.
Concernant les productions artistiques et visuelles, nous retrouvons tout un paragraphe dédié à la pratique du dessin. Le professeur des écoles peut montrer à ses élèves les réponses apportées par des plasticiens, des illustrateurs d’album, à des problèmes qu’ils se sont posés. Nous pouvons étendre cette affirmation aux dessinateurs du cinéma d’animation. Un film peut également être le point de départ pour réaliser des compositions plastiques individuelles ou collectives. Par exemple, reproduire le décor dans lequel se sont promenés les personnages, qui peut ensuite être utilisé comme lieu pour s’immerger dans l’univers du film et raconter à nouveau certaines scènes avec des marottes. Un film permet également de s’intéresser aux couleurs, aux formes et aux volumes. Enfin, les programmes dans ce domaine mettent l’accent sur l’apprentissage lié à l’observation, la compréhension et la transformation des images.
Il est indiqué que : « les enfants apprennent peu à peu à caractériser les différentes images, fixes ou animées, et leurs fonctions, et à distinguer le réel de sa représentation, afin d’avoir à terme un regard critique sur la multitude d’images auxquelles ils sont confrontés depuis leur plus jeune âge. L’observation des œuvres doit être menée en relation avec la pratique régulière de productions plastiques et d’échanges ».
programmes. Au même titre que les images fixes, elles amènent les élèves à s’interroger et à adopter une posture critique. Un film est également constitué d’une bande son et peut ainsi favoriser la mise en place d’activités permettant de jouer avec sa voix, d’explorer des instruments, utiliser les sonorités du corps et affiner son écoute tel que recommandé dans les programmes dans la partie « univers sonore ».
Enfin, dans le domaine « Explorer le monde », les activités menées en classe autour d’un film peuvent participer à l’apprentissage des repères dans le temps. En effet, nous avons dans un film, comme dans un livre, une succession d’actions et d’événements. L’étude de cette chronologie peut ainsi participer à l’acquisition des marques temporelles dans le langage. L’enseignant peut mettre en valeur les relations temporelles de succession, d’antériorité, de postériorité, de simultanéité et les traduire par des formulations verbales adaptées (avant, après, pendant, etc.). Un film peut également donner lieu à la découverte de différents milieux comme par exemple la découverte d’espaces moins familiers (campagne, ville, mer, montagne…). Il peut également donner lieu à la découverte de pays et de cultures pour ouvrir les élèves à la diversité du monde, à la pluralité des langues.
Cinéma et développement de l’enfant : points de vue scientifiques
Pour comprendre comment le cinéma peut enrichir les développements attendus de l’enfant, je m’appuierai sur la conférence de Bernard Gosle intitulée « La culture et l’image entre acquisitions et apprentissages », qui s’est déroulée lors des Journées professionnelles cinéma 93, en novembre 2018. Ce pédopsychiatre s’inscrit dans l’approche Piklérienne qui considère que le bébé a une part active à jouer dans son propre développement : il n’est pas un être purement passif. Selon lui, le bébé éprouve, très vite, plaisir à découvrir par lui-même ce qu’il est capable de faire, accompagné d’un adulte qui ne fait pas tout à sa place. Il rappelle notamment que lorsque qu’un enfant arrive au monde, il doit affronter un certain nombre de grands chantiers développementaux, interdépendants les uns des autres. Deux de ces chantiers sont particulièrement intéressant pour expliquer le rôle que peut jouer la culture dans le développement de l’enfant : > Le bébé accède à l’intersubjectivité : il va pouvoir ressentir, intégrer, éprouver que lui et l’autre font deux, qu’il existe un écart entre les sujets. Tous les liens, et en particulier le langage, vont se développer dans cet écart. C’est le chantier qui va permettre à l’enfant de régler au mieux la « juste distance psychique » avec les adultes. > Il faut que s’établisse une régulation entre plaisir et déplaisir : très vite, le bébé doit pouvoir rechercher les situations de plaisir, essayer d’éviter celles qui provoquent le déplaisir, patienter. Un jour, il sera capable de tenir compte du plaisir et du déplaisir de l’autre. Bernard Golse considère ainsi que les expériences de lecture et de cinéma pour les toutpetits permettent probablement de travailler ces deux chantiers : on peut regarder un film ensemble et ressentir des choses différentes. D’autre part, pour accéder à l’intersubjectivité, le bébé doit creuser tout doucement un écart entre lui et l’adulte. Et en même temps, il doit continuer à tisser des liens (l’attachement, le dialogue tonique, l’empathie, l’imitation…), avec l’adulte, afin qu’ils puissent « se lâcher sans se perdre ». Ses liens doivent être co-construits par l’adulte et l’enfant et doivent se mettre en place pour qu’apparaisse le langage vers 18 mois, 2 ans. Il pense donc que les activités culturelles permettent une « défusion progressive, une distanciation douce » . Pour appuyer ses propos, il cite Donald Winnicott, célèbre pédopsychiatre et psychanalyste anglais qui a beaucoup travaillé sur la question de la défusion entre l’adulte et l’enfant à travers les concepts d’objets et d’espaces transitionnels. Bernard Golse pense que ce qui remplace à terme les objets transitionnels (ours en peluche, doudou) ce sont les phénomènes culturels : le langage et la culture (images, cinéma…) car ils permettent de partager des émotions. Il rappelle également le concept d’objet d’attention conjointe développé par le psychologue Jérôme Bruner. Dans son livre Comment les enfants apprennent à parler, il montre que les moments d’attention conjointe entre l’adulte et l’enfant sur un objet tiers sont très importants pour le développement de l’enfant. Par l’intermédiaire du langage, les adultes doivent présenter aux enfants le monde de manière progressive. Selon Bernard Golse, toutes les situations d’émotions partagées avec un tout-petit sont des occasions de nommer, verbaliser des objets, des affects… C’est dans ce sens que le cinéma peut également jouer cette fonction-là. Il ne s’agit donc pas de laisser un enfant seul face à un film car le cinéma n’a de sens pour les enfants que dans la relation avec un adulte. Il est essentiel que l’adulte et l’enfant partagent quelque chose autour de ce visionnage. Le cinéma est un objet transitionnel, au même titre que l’ours en peluche, c’est un objet partagé.
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Table des matières
Introduction
1) Pourquoi découvrir le cinéma dès l’entrée à l’école maternelle ?
1.1) La place du cinéma dans les programmes
1.2) Cinéma et développement de l’enfant : points de vue scientifiques
1.3) Le rôle de l’école dans la transmission du cinéma
1.4) Le cinéma : une mise en scène de l’imagination et de la fiction
1.5) Le cinéma à l’école maternelle : points de vue pédagogiques (table ronde – Journées professionnelles Cinéma 93)
2) Comment exploiter Mon premier cinéma dans ma classe de Petite Section ?
2.1)Présentation du dispositif Mon premier cinéma
2.2) Activités menées en amont de la sortie au cinéma
2.2.1) Composer une image pour raconter une histoire
2.2.2) Observer et décrire une affiche de film
2.3) Activités qui permettent de travailler le langage et la compréhension
2.3.1) Choisir son court métrage préféré
2.3.2) Atelier de compréhension d’une séquence du film L’Enfant au grelot
2.3.3) Un coin cinéma dans la classe
2.4) Activités liées à une approche du cinéma comme art
2.4.1) Productions artistiques réalisées autour du film
2.4.2) Les registres d’images : du rêve au cauchemar
2.4.3) Sonoriser une image extraite du film
2.5) Tisser des liens entre les œuvres
2.5.1) Lien entre L’Enfant au grelot et La chambre à coucher de Van Gogh
2.5.2) Lien entre L’Enfant au grelot et Jour de fête de Jacques Tati
2.6) Autres activités proposées
Conclusion
3) Annexes
3.1) Références
3.1.1) Bibliographie
3.1.2) Sitographie
3.2) Programme Mon premier cinéma (Édition 2018 – 2019)
3.3) Séquence « Composer une image pour raconter une histoire »
3.4) Séance « Lire l’affiche du film d’animation L’Enfant au grelot »
3.5) Séance « Compréhension d’une séquence du film L’Enfant au grelot »
3.6) Séquence « Production artistique autour du film L’Enfant au grelot »
3.7) Séance « Registres d’images du rêve au cauchemar – L’Enfant au grelot »
3.8) Séance « Sonoriser une image, tirée du film L’Enfant au grelot »
3.9) Séance « Comparer deux images : L’Enfant au grelot / tableau de Van Gogh »
3.10) Séance « Jour de Fête de Jacques Tati »