Pourquoi adopter une approche en acteur-réseau ?

Pourquoi adopter une approche en acteur-réseau ?

« Nous vivons le temps des objets », constate J. Baudrillard : « je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon leur succession incessante. C’est nous qui les regardons aujourd’hui naître, s’accomplir et mourir alors que, dans toutes les civilisations antérieures, c’étaient les objets, instruments ou monuments pérennes, qui survivaient aux générations d’hommes »  Baudrillard, 1970, p. 18 (Le Menestrel, 1996).

Pourquoi une entrée par une approche sociale ? 

Notre objectif étant de comprendre le rôle que jouent les déchets dans cette transition vers la soutenabilité, et plus précisément l’émergence des réseaux sociaux dans la genèse d’une gouvernance partenariale multi-niveaux, nous essayons d’interpréter la réorganisation de la gestion des déchets depuis l’éclatement de la crise en 2015 à Beyrouth qui a impliqué de nouveaux acteurs. Cela nous pousse à comprendre les structures sociales et les modèles particuliers concernés.

A cette étape de notre réflexion, nous nous intéressons aux structures sociales et techniques qui se forment afin de trouver des solutions de gestion durable des déchets. La gestion des déchets ménagers fournit un terrain d’observation remarquable pour appréhender les échanges qui prennent place entre les sous-systèmes fonctionnellement aménagés par les autorités publiques d’un côté et les constituantes du monde vécu d’un autre côté. Une coalition rallie plusieurs entités hétérogènes : les habitants, les mouvements environnementaux, les autorités publiques ainsi que les pouvoirs publics et milieux industriels. Pourtant, toute une série de contraintes vient se déplacer ; ceci pousse à chercher les logiques socio économiques sous-jacentes qui font appel aux différents acteurs pour une réorganisation d’une gestion des déchets. Pour cela, les angles d’analyse proposés par Callon et Latour dans un processus sociologique ou de traduction semblent propres à rendre compte de ces formes d’opérations et de leurs articulations.

Théorie de l’acteur-réseau ou « Actor-Network Theory »

Actor-Network Theory (ANT), en français théorie de l’acteur-réseau est une approche sociologique développée à partir des années 80 principalement par Callon, Latour et Akrich, ainsi que d’autres chercheurs du centre de Sociologie de l’Innovation de Mines – Paris Tech. Elle est traduite par « sociologie de l’acteur-réseau » (SAR) et elle combine deux notions qui normalement sont considérées comme contradictoires : celle d’acteur et celle de réseau. Toutefois, l’ANT, connue également comme sociologie de la traduction, a pour objectif de suivre la constitution de ces deux termes et de présenter des outils d’analyse. « La société ne constitue pas un cadre à l’intérieur duquel évoluent les acteurs. La société est le résultat toujours provisoire des actions en cours. » (Callon et al., 2006). L’ANT contribue aux études sur la science et la technologie comme le signale Callon (2006) dans son chapitre intitulant « sociologie de l’acteur réseau », et elle permet la circulation des faits scientifiques et sociotechniques qui créent des réseaux composés de traductions successives. D’où l’attribution du terme « sociologie des réseaux sociotechniques » à l’ANT.

La notion de société faite d’humains est remplacée par celle de collectif produit par des humains et de non humains (Callon, 1986) – (Akrich et al., 2006). Callon (2006) précise que l’ANT diffère des autres courants constructivistes car elle prend en compte les non humains dans la construction de la société. Les non humains prennent la forme d’artéfacts techniques ou bien ils sont présents sous la forme d’énoncés. Ils constituent donc des éléments du contexte à étudier et forment le cadre de l’action. Dans le cadre d’une recherche dans un laboratoire ou en dehors du laboratoire, les non humains agissent et leur rôle actif dans la recherche et dans l’innovation technique en sciences sociales augmente et entraîne des conséquences multiples. D’où l’importance de ces collectifs hybrides qui composent la société.

Texte fondateur de la SAR, par Callon 

La recherche de Callon en 1986 sur « la domestication des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint Brieuc » (CALLON, 1986), a mis en place cette nouvelle école de pensée : celle de la sociologie de la traduction ou théorie de l’acteur-réseau ou la sociologie de l’acteur-réseau. Et depuis, plusieurs travaux menés par Callon, Latour, Akrich ainsi que par d’autres chercheurs, ont porté sur la construction sociale de la science et les conditions d’émergence des innovations techniques et scientifiques (Akrich et al., 2006; Callon & Latour, 1981; Callon & Law, 1997).

Une relecture de 1986 de Callon nous aide à comprendre les éléments essentiels de cette approche. Dans sa recherche, il étudie la constitution progressive du processus de la domestication des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint Brieuc dans les années 70, et ceci pour ne pas arriver à la catastrophe de Brest là où le stock a diminué progressivement à cause de la pêche des coquilles toute l’année sans leur laisser le temps de se reproduire. En baie de St Brieuc, le fait de ne pas pêcher pendant une partie de l’année a permis une meilleure reproduction et donc une préservation du stock, mais les marins-pêcheurs de St Brieuc s’inquiétaient du risque car les ventes commençaient à diminuer. Lors d’un voyage au Japon, trois chercheurs ont découvert que les coquilles St Jacques sont élevées d’une façon très originale : les larves sont récupérées puis fixées sur des sacs ou collecteurs, qui les protègent des prédateurs le temps qu’elles fassent leurs coquilles, avant de les relâcher en fond de baie où elles se développent pendant deux à trois ans avant d’être pêchées. Cette technique a permis l’augmentation des stocks considérablement. Ces trois chercheurs disposaient de connaissances qu’ils souhaitaient retransmettre au profit des besoins des pêcheurs et des consommateurs en France. Ils avaient importé la méthode utilisée au Japon qui a fait ses preuves afin d’accroître leur crédibilité. Ils se rendent indispensables d’avoir acquis un savoir spécifique. Une problématique sur l’élevage des coquilles émerge tout en admettant le risque d’extinction de ces mollusques dans la baie de Saint Brieuc. Trois catégories d’acteurs humains et non humains se sont formées comportant les coquilles, les marins pêcheurs et les collègues scientifiques. Les connaissances sur le comportement des coquilles étant insuffisantes pour savoir si l’expérience du Japon est transposable en France, une problématisation prend donc lieu.

Dix ans après, un groupe social s’est formé à Saint Brieuc et un groupe de spécialistes s’est organisé pour étudier et promouvoir la culture des coquilles. Dans son étude, Callon identifie une asymétrie entre les interprétations fournies par ces groupes. « Lorsqu’ils se rendent compte des aspects scientifiques et techniques des controverses, ces sociologues restituent fidèlement les points de vue en présence et s’abstiennent à juste titre de prendre parti » (p.170). Cette asymétrie joue un rôle primordial dans la compréhension des sciences et des techniques. Les sociologues ne projettent que peu de discussions portées par les acteurs et ne sélectionnent qu’un petit nombre d’acteurs lorsque ces derniers parlent d’eux mêmes, de leurs alliés, de leurs adversaires ou de situations sociales plus larges. Il est important aussi de noter que mêmes les explications sociologiques de la science sont le plus souvent controversées. L’identité des acteurs présente donc un enjeu continu dans les controverses qui se développent au cours de l’élaboration des innovations techniques ou scientifiques. Callon a donc opté pour le répertoire de la traduction tout en observant trois principes de méthode : le premier principe porte l’observateur à ne privilégier aucun point de vue et ne censurer aucune interprétation. Le deuxième est celui de symétrie qui consiste à ne pas changer de répertoire lorsqu’il y a un passage des aspects techniques aux aspects sociaux, même si les controverses portent sur des enjeux scientifiques ou techniques ou sur la constitution de la société. Le dernier principe consiste en une libre association entre les différents acteurs.

Cette introduction sur la théorie de l’acteur-réseau montre l’intérêt qu’elle porte à la production de la science particulièrement à la construction des faits scientifiques. Les auteurs de cette théorie considèrent les faits scientifiques et humains en fonction d’une multitude de relations qui la forme, rejetant toute approche dichotomique qui sépare l’humain du non humain, la politique de la technologie, ou en sens plus large nature et société. L’ANT considère qu’un réseau social se concrétise grâce à des relations entre humains et non humains qui interagissent dans leurs environnements technique, matériel et organisationnel pour constituer un acteurréseau (Callon, 1989). Partant alors du principe que dans l’ANT, le monde est pensé en termes de réseaux d’actants, ces actants étant des humains et des non humains, Ils construisent ensemble un réseau ; d’où l’importance des deux notions clés d’ANT : acteur et réseau.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Chapitre 1 : Le déchet au centre de notre recherche
1.1. La notion de développement durable comme cadre général
1.2. Le déchet
1.2.1. L’histoire du déchet
1.2.1.1. La préhistoire (période allant de trois à cinq millions d’années jusqu’à trois mille ans avant Jésus-Christ)
1.2.1.2. L’antiquité (période allant de 3500 avant J-C jusqu’à 476 après J-C)
1.2.1.3. Le Moyen-âge et la Renaissance (période allant de 476 jusqu’en 1789)
1.2.1.4. La période contemporaine
1.2.2. Le déchet comme sujet de recherche
1.2.3. La gestion des déchets
1.2.3.1. La collecte et le tri
1.2.3.2. Le transport, le traitement et la valorisation des déchets
1.2.3.3. Vers une gestion plus durable
1.2.4. La crise des déchets à Beyrouth
1.2.4.1. Aperçu général sur la gestion des déchets au Liban
1.2.4.2. Faits et chiffres avant la crise de 2015
1.2.4.3. L’éclatement de la crise en 2015
2. Chapitre 2 : Pourquoi adopter une approche en acteur-réseau ?
2.1. Théorie de l’acteur-réseau ou « Actor-Network Theory »
2.1.1. Texte fondateur de la SAR, par Callon
2.1.2. Acteur ou « actant »
2.1.3. Réseau
2.1.4. Controverse
2.1.5. Le processus de traduction
2.1.6. L’ANT comme théorie, méthodologie et méthode
2.2. Critiques de l’ANT
2.3. Le choix de l’ANT malgré les critiques
2.3.1. Le déchet comme actant non humain
2.3.2. La crise des déchets lue au travers du processus de traduction
2.3.2.1. La problématisation : la prise en compte de l’hétérogénéité des actants
2.3.2.2. L’intéressement
2.3.2.3. L’enrôlement
2.3.2.4. La mobilisation des alliés
2.3.3. La mobilisation de l’ANT dans notre recherche
3. Chapitre 3 : Une gouvernance « partenariale » des déchets ?
3.1. Les notions de gouvernance et des biens communs
3.1.1. La gouvernance des biens communs
3.1.2. La gouvernance partenariale multiniveaux
3.2. Vers une gouvernance partenariale multiniveaux des déchets considérés comme étant des communs
3.2.1. Le statut des profanes et experts dans la gestion des communs
3.2.2. Les partenaires de la gouvernance partenariale des déchets
4. Chapitre 4 : Réseau Social
4.1. Qu’est-ce qu’un réseau ?
4.2. Le réseau : quel champ de recherche ?
4.2.1. Le rôle des réseaux dans les services de gestion des déchets
4.3. Réseau social
4.3.1. L’analyse des réseaux sociaux
4.3.2. Du réseau social physique au réseau social virtuel
4.3.2.1. Un point sur les réseaux sociaux numériques
4.3.2.2. Les réseaux sociaux numériques du point de vue des chercheurs
4.4. Le réseau comme méta organisation
5. Chapitre 5 : Apprentissage organisationnel
5.1. De l’apprentissage individuel à l’apprentissage organisationnel
5.2. Quelques approches de la notion d’apprentissage organisationnel
5.2.1. L’apprentissage à dominance individuelle et cognitive
5.2.2. Le modèle interactionniste de Nonaka et Takeuchi
5.3. Quelle relation entre chercheur/praticien au regard des modèles d’apprentissage présentés ?
5.3.1. Par rapport au modèle d’Argyris et Schön
5.3.2. Par rapport à l’approche de Nonaka et Takeuchi et la spirale des savoirs
6. Chapitre 6 : Méthodologie
CONCLUSION

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