L’effet pygmalion
Présentation du travail de Rosenthal et Jacobson
Le mythe de Pygmalion renvoie à la légende selon laquelle le sort des hommes est intimement lié au bon vouloir des dieux. Pygmalion est un sculpteur qui s’est voué au célibat. Il sculpte une statue de femme qu’il nomme Galatée et la trouve si belle qu’il en tombe éperdument amoureux, allant même jusqu’à prier Aphrodite, déesse de l’amour, de lui donner vie, afin de pouvoir l’épouser. L’ouvrage de Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson transpose le mythe de Pygmalion à l’école. Il importe ici d’observer quelques précisions.
L’expérimentation menée dans cet ouvrage concerne des élèves de primaires, mais nous verrons que les conclusions sont transposables à tous les niveaux de la scolarité tant c’est plus largement « l’effet maître » qui est mis en évidence. De plus, distinguons ici « effet pygmalion » et « prophétie auto-réalisatrice ». L’ouvrage prend appui sur le mythe de Pygmalion, mais développe bien plus la notion de prophétie auto-réalisatrice. En effet le mythe de Pygmalion induit une intervention divine qui se calquerait sur les désirs de l’homme et les exaucerait. André Demailly, maître de conférences en psychologie à l’université Paul-Valéry de Montpellier, parle alors de « prédictions d’origine exogène », divines, qui détermineraient les comportements humains. Il est évident, mais important de préciser, qu’il ne sera pas ici question d’une quelconque dimension divine ou supranaturelle. André Demailly précise également que dans le mythe : « Pygmalion émet un vœu, plus qu’il ne formule une prophétie, et ne participe en rien à sa réalisation, puisque c’est la déesse qui l’exauce » . C’est pourquoi il nous semblait important de préciser ici les deux notions qui peuvent tendre à être confondues.
Car pour ce qui est de la prophétie auto-réalisatrice, nous n’aborderons pas la question du déterminisme naturel ou supranaturel. Cette notion permet plutôt « d’appréhender la véritable nature des phénomènes qu’elle recouvre : purement humains et largement collectifs, tant dans leur versant prédictif que dans leur versant performatif » . D’où la place centrale du maître, de l’enseignant, dans l’ouvrage de Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson et dans notre travail de recherche.
Tel est le postulat de départ du livre de Robert A. Rosenthal, psychologue, et Leonore Jacobson, directrice d’école. Le psychologue américain travaille sur la notion de prophétie auto-réalisatrice quand tous deux décident d’expérimenter ce phénomène au sein de l’école de Leonore Jacobson. L’expérience de Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson consiste à faire croire aux maîtres d’une école que 20 % de leurs élèves sont particulièrement « prometteurs » (les élèves en question ayant été sélectionnés parfaitement aléatoirement). Ils observent alors que ces derniers obtiennent de bien meilleurs résultats que leurs camarades. Les prédictions ont ainsi un effet si déterminant sur l’interaction des maîtres vis-à-vis de leurs élèves qu’elles semblent se réaliser « toutes seules », d’où la notion de prophétie auto-réalisatrice. Ainsi il suffirait de penser que les élèves sont compétents pour qu’ils le soient réellement ou en tout cas pour qu’ils le deviennent. Un des facteurs de la réussite des élèves reposerait donc sur la vision préétablie que l’enseignant a de ces élèves et de leurs compétences, autrement dit, « l’attente de l’enseignant à propos de la capacité intellectuelle de ses élèves peut devenir une prophétie pédagogique qui se réalise automatiquement » . Cependant, comme le précisent les auteurs, le principe de réalisation automatique d’une prophétie n’implique pas nécessairement que les prédictions initiales soient négatives, on parle alors de « préjugés favorables », que nous aborderons par la suite. La question est donc celle de l’attente d’une personne sur le comportement d’une autre. Aussi, qu’il s’agisse de la crainte de l’échec ou de la volonté de réussir, elles peuvent évidemment venir de l’individu lui-même, mais il importe que le pédagogue prenne conscience du rôle qui lui incombe, évidemment dans son enseignement à proprement parler, mais également dans sa façon d’envisager la réussite de ses élèves et dans la façon qu’il a de considérer ses élèves et leurs potentialités. L’existence, expérimentée et prouvée par Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson dans leur ouvrage, d’une corrélation entre les prédictions et les événements qui en découlent montre que la différence, qui existe a priori dans l’esprit du pédagogue, entre ses différents élèves a une incidence directe sur les résultats de ces derniers.
Cela pose évidemment la question de notre positionnement en tant que pédagogue, si la réussite, les progrès de nos élèves peuvent, d’une certaine manière, dépendre de notre attitude vis-à-vis de leurs performances intellectuelles, alors la question du préjugé des enseignants sur les capacités de leurs élèves apparait primordiale.
L’effet-maître et la question des préjugés
Avant même qu’un maître ait observé un élève aux prises avec un devoir scolaire, il a déjà un préjugé sur son comportement. (…) Avant même qu’il ait vu le travail de l’enfant, il a pu prendre connaissance des résultats de ses tests d’aptitude ou de ses classes antérieures, ou s’être procuré des renseignements moins officiels qui constituent la réputation d’un enfant. On a avancé théoriquement, on a même quelque peu prouvé, en général par des anecdotes, que le préjugé du maître pouvait devenir une prophétie capable de se réaliser elle-même. »
A la lecture de cet extrait de l’introduction du livre de Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson, on comprend que le préjugé est la source même de la prophétie auto-réalisatrice. Le maître étant à l’origine de ce préjugé, il est donc également responsable des conséquences de ladite prophétie et de son autoréalisation. Ainsi Pascal Bressoux, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Grenoble Alpes et dont les recherches portent notamment sur les « phénomènes motivationnels » en tant que processus médiateurs qui s’interposent entre l’environnement scolaire et les acquisitions des élèves et sur les pratiques d’enseignement les plus à même de favoriser la réussite des élèves, parle « d’effet-maître ». A travers cette notion, ce sont les pratiques enseignantes, leur influence quant à la réussite des élèves, ainsi que le jugement que les enseignants portent sur la valeur scolaire de leurs élèves que questionne Pascal Bressoux. On entend souvent dire que la réussite ou l’échec a pour causes le handicap socioculturel, le caractère inné de nombreuses aptitudes, selon Pascal Bressoux, ces conceptions sont également largement présentes dans le corps enseignant. Ce qui tendrait, d’une certaine manière, à minimiser le rôle de l’école et par extension celui du maître. Pour lui, « l’effet-maître » c’est, de façon générale, l’impact des pratiques enseignantes sur les acquis des élèves. Il ajoute que « l’effet-maître » agit « tant sur les acquisitions scolaires des élèves que sur leurs comportements, attitudes et croyances » . Cependant, comme le précise Pascal Bressoux : « aucune pratique n’est valable pour tous les publics ou toutes les disciplines indépendamment des contextes sociaux et institutionnels dans lesquels elle se réalise » . Nous ne sommes pas ici en train d’essayer de démontrer que l’enseignant ne doit pas prendre en compte la diversité de ses élèves, mais plutôt de dire que la prise en compte d’une certaine forme d’hétérogénéité se doit d’être conscientisée par l’enseignant et surtout ne doit pas se calquer sur des attentes particulières liées au profil des élèves. Le fait de prendre en compte le contexte social dans lequel évolue un enfant ne doit en aucun cas amener l’enseignant à revoir à la baisse les objectifs attendus ou encore de se préparer, a priori, à l’échec de ce dernier.
S’il est clair que le maître n’attend rien de bon, l’enfant se laisse tomber au niveau le plus bas. Au contraire, attendre une bonne réponse, et l’espérer de tout son cœur, c’est la vraie manière d’aider.
Les avantages des préjugés favorables
Nous avons vu l’incidence que le préjugé peut avoir sur la réussite effective des élèves et notamment l’incidence des préjugés négatifs de l’enseignant quant aux potentialités de ses élèves. Mais c’est bel et bien la question du préjugé favorable qui est expérimentée dans l’ouvrage de Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson. En effet, pour des raisons éthiques, les auteurs ont délibérément choisi de n’expérimenter que les effets des préjugés favorables.
Cependant les résultats des expériences menées, s’ils montrent que le rôle du préjugé favorable est réel sur la réussite des élèves, ils sous-tendent également celui des préjugés « défavorables ». Ainsi, si l’on indique à un enseignant que ses élèves sont mauvais, alors il semble assez inévitable que cette annonciation devienne prophétie. D’une certaine manière, cela contribuerait à renforcer un état de fait qui montre que les « enfants désavantagés » réussissent moins bien à l’école. Les enfants, sélectionnés au hasard par les expérimentateurs et qui jouissent d’un espoir plus grand de leur enseignant dans leur réussite, sont appelés « les enfants miracle de Galatée » , en référence au mythe de Pygmalion que nous avons précédemment évoqué. Dans un premier temps il semble important de préciser que les préjugés du maître ont bien plus de poids chez les élèves issus de milieux sociaux défavorisés. Lorsque nous parlons de milieux favorisés ou défavorisés nous nous appuyons notamment sur les études statistiques concernant la réalité sociale, et notamment les inégalités sociales, que l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) réalise à partir des catégories socioprofessionnelles (CSP). Précisons cependant que la notion de CSP n’est pas entièrement substituable à celle de classe sociale définit, elle, par Karl Marx, et inversement. Pour Marx, la société se divise schématiquement en deux grands ensembles sociaux, en deux classes sociales : le prolétariat et la bourgeoise, correspondant respectivement à la classe dominée (qui vend sa force de travail) et à la classe dominante (qui possède les moyens de production). Cette vision antagoniste de la société se base sur la possession ou non des moyens de production. Mais, qu’il s’agisse des CSP ou des classes sociales, toutes opèrent une hiérarchie sociale de notre société. L’Insee regroupe, au sein des CSP, des individus possédant des attributs sociaux communs, notamment sur le plan professionnel. Même si, au sein d’une CSP, ou d’une classe sociale, cohabitent des individus occupant des positions sociales, socioprofessionnelles relativement variées. Là n’est pas le cœur principal de notre propos, mais il importe de savoir de qui il s’agit lorsque l’on parle d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés. Aussi, si l’on se rapporte aux classes sociales, il s’agira des élèves issus du « prolétariat » ou de la classe sociale dite dominée. Si l’on fait référence à la classification de l’Insee, il s’agira des élèves issus des CSP suivantes : ouvriers, employés et autres personnes sans activités professionnelles. L’Insee elle-même indique qu’il existe des différences de réussite scolaire en fonction de l’origine sociale des parents dans le secondaire puis dans l’enseignement supérieur . En effet, dans les milieux plus favorisés, les élèves jouissent d’un préjugé, a priori, favorable de l’enseignant, mais également d’un capital culturel plus en phase avec les exigences scolaires. L’effet est donc double pour les « enfants désavantagés » qui évoluent dans un milieu social familial moins en phase avec le monde scolaire, mais sont également plus sensibles aux préjugés de l’enseignant à leur égard. Ils sont plutôt la cible de préjugés défavorables, ce qui a tendance à les désavantager fortement. Mais en s’appuyant sur ces connaissances, Robert A. Rosenthal et Leonore Jacobson montrent que ce sont ces élèves pour qui les préjugés favorables ont été le plus probants. Ainsi, ce seraient les enfants qui en auraient le plus besoin, qui jouiraient le plus des préjugés favorables. Si l’importance du regard de l’enseignant sur ses élèves semble établie, reste à questionner la nature de ce regard. Pour Michelle Mauduit, Inspecteur d’Académie, Inspecteur Pédagogique Régional Etablissement et Vie Scolaire (IA-IPR EVS), le pédagogue doit poser « un regard positif sur l’élève, voire empathique » . Il faut toujours considérer l’élève comme le premier centre des préoccupations de l’enseignant. Pour ce faire l’auteur propose de « poser un regard positif » sur l’élève et de développer une pédagogie basée sur la pluridisciplinarité et la notion de projet. Ces deux notions, sur lesquelles nous reviendrons, sont au cœur du métier de professeur documentaliste. Car ce dernier, n’ayant pas de classe attitrée, mène la plupart de ses séquences et séances pédagogiques dans le cadre d’un partenariat avec un autre enseignant. Ainsi il définit des objectifs info-documentaires en lien avec des objectifs disciplinaires, ce qui fait que chacune des séances menées se fait dans une logique pluridisciplinaire. Quant à la notion de projet, elle est, elle aussi, au centre des préoccupations du professeur documentaliste. Car s’il ne veut pas mener de séances décontextualisées et éparses, il se doit de concevoir son travail sous forme de progression et de projet, ce qui a également pour objectif de remettre l’élève au centre de son processus d’apprentissage. La mise en place d’une pédagogie de projet peut ainsi s’apparenter à la mise en place d’une « pédagogie de la réussite » . Car, rappelons le, l’objectif premier de l’école est la réussite de tous les élèves. Alors, elle se doit de faire fi des déterminismes socioculturels encore à l’œuvre aujourd’hui. Pour ce faire, Michelle Mauduit propose d’inscrire « l’école de la République dans un vrai projet humaniste » . L’école doit gommer les inégalités sociales initiales et non les renforcer.
Il apparaît donc, dans un premier temps, que tout pédagogue se doit de postuler l’éducabilité de tous ses élèves, ainsi que leur potentielle réussite. Pour revenir à la question du préjugé, à proprement parler, la notion de prophétie auto-réalisatrice nous montre que les gens ont tendance à se conformer à ce que l’on attend d’eux : « l’attente d’une personne à l’égard du comportement d’une autre peut se transformer en une prophétie à réalisation automatique ». Il en va donc de même pour nos élèves, ces derniers infirment rarement les préjugés dont ils sont victimes et ont alors tendance à se conformer aux attentes. Nous verrons que c’est ce qui est à l’œuvre dans certaines filières technologiques au sein desquelles de nombreux élèves ont été orientés par défaut. Ces filières sont alors dévalorisées par les élèves qui n’y ont pas été orientés par choix, mais également parfois par le corps enseignant, voire par l’institution elle même. Aussi, il semble essentiel que le pédagogue se questionne quant à son rôle concernant, à la fois, la réussite de ses élèves, mais également concernant les questions sous-jacentes d’évaluation, voire de jugement, et d’orientation
Le statut de pédagogue en question
L’évaluation en question
Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément.
En prenant appui sur cette citation d’Albert Einstein, nous allons essayer de nous intéresser à la notion d’évaluation, intimement liée à l’acte d’enseigner. Mais qu’est-ce que l’évaluation, qu’évalue-t-on et selon quelles modalités ? L’évaluation est « une démarche opératoire par laquelle on apprécie une réalité donnée en référence à des critères déterminés (…), opération qui mesure l’écart entre un résultat et un objectif » . En d’autres termes, l’évaluation mesure l’écart d’acquisition vis-à-vis d’un objectif référent ; plus cet écart est réduit, meilleure est l’évaluation. Cependant comme l’exprime la citation en exergue d’Albert Einstein, tout ne peut être évalué, toutes les choses qui peuvent être évaluées ne sont pas nécessairement primordiales et nous pouvons passer à côté de l’essentiel faute de pouvoir l’évaluer. De plus l’évaluation se fait au regard d’un référent, c’est-à-dire, si on reprend l’étymologie du terme, que toute évaluation vise à déterminer la valeur, le prix de quelque chose. Or est-ce le rôle d’un enseignant de juger la valeur du travail d’un élève, ou par extension de juger la valeur d’un élève lui-même ? Evaluer reviendrait donc à considérer que tout n’est pas d’égale valeur et donc à hiérarchiser, ce que la notation, comme pratique d’évaluation, tend à faire. Selon Guy Bourgeault, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, nous faisons aujourd’hui face à une « volonté de tout mesurer et évaluer »
, que Charles Hadji, maître de conférences en science de l’éducation, qualifie même de « fièvre évaluative » . Si l’évaluation hiérarchise en déterminant la valeur des choses, cette hiérarchisation se fait au regard d’un référent ou, autrement dit, d’une norme. Evaluer serait donc un processus de confrontation à une norme. Ainsi le rôle de l’enseignant serait de situer ses élèves au regard de ladite norme. La notion même d’évaluation renvoie à celle de norme, c’est même l’évaluation qui a tendance à définir la norme et par extension une certaine forme de normalité vis-à-vis de laquelle il convient de situer nos élèves. Guy Bourgeault nous met d’ailleurs en garde contre la dérive normative, qui peut aller jusqu’à tendre vers une certaine forme de normalisation. Mais l’évaluation, ce n’est pas la notation, ce n’est pas la hiérarchisation, c’est la mesure de ce qui est appris, de ce qui est acquis, bien qu’aujourd’hui elle relève en grande partie d’une « mesure chiffrée ou alphabétique des savoirs acquis à l’école ». Même à l’école maternelle, où il n’y a pas de notation, de nombreux enseignants ont recours à des modalités sensiblement similaires en utilisant, non plus des notes chiffrées ou des lettres, mais des couleurs ou des smileys. La position du professeur documentaliste quant à la question de l’évaluation n’est pas excessivement claire. Même s’il va de soi que toute action pédagogique menée avec des élèves se doit d’être évaluée. C’est-à-dire que l’on mesure, en fin de séance ou de séquence, ce qui a été appris par les élèves, on identifie, on évalue ce qui a évolué chez eux grâce à la situation d’apprentissage. La situation se doit également d’être elle même évaluée afin d’être améliorée, adaptée aux difficultés rencontrées et aux besoins particuliers des élèves qui ont été observés lors de sa mise en place. Même si le professeur documentaliste n’enseigne pas de discipline à proprement parler (bien qu’il soit « enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias »), qu’il n’y ait pas de ligne EMI sur le bulletin des élèves, il évalue bel et bien. Nous prendrons comme exemple, le cadre de référence des compétences numériques. Il a vocation à remplacer le B2i (Brevet Informatique et Internet) et prend appui sur le socle commun de connaissances de compétences et de culture. Il s’agit d’un référentiel qui se construit sur une échelle des niveaux de maîtrise des compétences. Il est organisé en cinq domaines de compétences subdivisés en seize sous-domaines et tente d’identifier les compétences essentielles à l’exercice d’une citoyenneté numérique. Les compétences peuvent être évaluées selon huit 8 niveaux de maîtrise des compétences. Ce référentiel s’apparente donc à une évaluation par compétences. Il ne s’agit pas de noter les élèves, mais plutôt d’observer leur degré d’acquisition des compétences. On peut alors parler de curriculum, pour aller vers un curriculum info-documentaire ou vers un curriculum en info-documentation. Un curriculum c’est un « programme d’étude ou de formation organisé dans le cadre d’une institution d’enseignement ou, plus précisément, ensemble cohérent de contenus et de situations d’apprentissage mis en œuvre dans une progression déterminée » , ou encore, pour reprendre la définition donnée par le Dictionnaire encyclopédique de l’éducation de la formation , «ensemble de ce qui est censé être appris, selon un ordre de progression déterminé, dans le cadre d’un cycle d’étude donné (…), c’est un programme d’études ou un programme de formation organisé dans le cadre et sous le contrôle d’une institution d’enseignement » . La logique curriculaire s’articule donc autour de la notion de progression, elle tend également à sortir du cloisonnement disciplinaire, elle est notamment mise en valeur par le Conseil supérieur des programmes (CSP), dans le cadre de la mise en place du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. D’où le lien facilité entre le Socle et le cadre de référence des compétences numériques. Cette notion de curriculum semble, à ce titre, particulièrement pertinente dans le cadre de l’orientation. Cependant les professeurs documentalistes, malgré l’émergence de la notion de curriculum, ne bénéficient pas d’un cadre institutionnel clair, car les savoirs qu’ils enseignent ne sont pas inscrits, à proprement parler, dans un programme. Ils ne voient pas les élèves de façon hebdomadaire dans le cadre de séances pédagogiques dédiées à leur enseignement. La construction d’un curriculum info documentaire, comme le préconise l’APDEN (l’Association des Professeurs Documentalistes de l’Education Nationale), permettrait de dépasser ces obstacles.
La question de l’évaluation, et plus particulièrement celle que réalisent les professeurs documentalistes, semble plus pertinente quand elle relève d’une évaluation par compétences et prend appui sur un curriculum. Il convient de rappeler que le pédagogue n’est pas un juge, mais un éducateur et ainsi que l’évaluation ne doit pas se muer en jugement scolaire.
Pour une appropriation de son parcours scolaire et personnel
La filière STMG
« Le bac technologique devient-il une voie de relégation ? » titrait un article de l’Express en septembre 2016. Ou encore, pouvait-on lire dans un article du Monde de mai 2015 : « Le bac technologique peine à se débarrasser de son stigmate de « voie de garage ».
Une marque au fer rouge dans l’imaginaire des élèves et des parents qui y voient la promesse d’un déclassement ». Les filières technologiques, mais c’est également le cas pour les filières professionnelles, ont une image peu valorisante et apparaissent souvent comme un choix par défaut pour les élèves. Ainsi plutôt que d’y voir des formations enseignant un véritable savoirfaire, on a tendance à y voir des filières de substitution pour les élèves n’ayant pas le niveau pour accéder aux filières générales. Le rôle des enseignants est, ici encore, prépondérant. En effet, lors des conseils de classes les vœux d’élèves en difficulté scolaire qui souhaitent s’orienter vers une filière générale ont tendance à être refusés au profit d’une orientation en filière technologique ou professionnelle, sans, pour autant, qu’il y ait une réelle appétence de la part de l’élève pour la filière en question et sans être certain qu’il y réussira mieux. Car une orientation contre le gré de l’élève, voire de ses parents, peut sembler contre productive. De plus, en agissant de la sorte, l’institution contribue à la hiérarchisation des filières qu’elle propose. En orientant les élèves en difficultés vers les filières technologiques ou professionnelles, elle montre que celles-ci sont moins exigeantes et donc par extension de qualité moindre. Prenons pour exemple un commentaire laissé par un professeur documentaliste dans son renseignement du questionnaire relatif à l’orientation des élèves de filières technologiques : « le choix [d’une orientation en filière technologique] peut être volontaire et fait par l’élève s’il a un projet professionnel, mais peut aussi être imposé par les enseignants s’il est considéré que l’élève n’a pas le niveau pour aller dans une filière générale ».
Il semble alors essentiel de revaloriser ces filières aux yeux des élèves et cela passe par une revalorisation auprès des enseignants eux-mêmes. Ces filières doivent relever d’une orientation choisie et non subie, afin qu’elles soient pleinement investies par les élèves qui s’y engagent.
La filière STMG, quant à elle, a un statut particulier au sein de ces filières. Elle souffre de la concurrence avec les baccalauréats généraux du fait d’une spécialisation jugée moindre par les différents acteurs du monde de l’éducation. En effet c’est moins le cas pour d’autres filières comme celles de l’industrie (avec le baccalauréat STI2D : sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), des arts appliqués (avec le baccalauréat STD2A : sciences et technologies du design et des arts appliqués), des technologies de laboratoire (avec le baccalauréat STL : sciences et technologies de laboratoire), de l’hôtellerie (avec le baccalauréat STHR : sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration), de la santé et du social (avec le baccalauréat ST2S : sciences et technologies de la santé et du social), ou encore de l’agronomie (avec le baccalauréat STAV : sciences et technologies de l’agronomie et du vivant) par exemple, qui jouissent, elles, d’une spécialisation plus évidemment identifiable.
Ainsi la filière STMG subit notamment une concurrence avec la filière générale ES (économique et social), qui malgré des modalités d’enseignement et des contenus différents, peut offrir des débouchés voisins de ceux offerts par la filière STMG. A l’occasion de la séance pédagogique (que nous détaillerons ci-après) menée avec des élèves de première STMG, nous avons été amenés à les questionner sur leur orientation. Les élèves de la classe ont ainsi répondu un questionnaire dont les résultats, même s’ils ne sont pas généralisables du fait du nombre d’élèves sondés (23), nous semblent pertinents et montrent une certaine tendance. A la question : « votre orientation en STMG relève-t-elle d’un choix de votre part ? », 65% des élèves ont répondu non. Cette tendance observée dans notre classe témoin semble se confirmer à la lecture de l’article d’Anne-Laure Lalouette , proviseure adjointe en lycée. Selon ses observations : « dans 85% des cas, les élèves n’ont pas été acteurs de leur orientation en STMG » . Le fait que ces élèves n’aient pas été acteurs de leur orientation signifie plusieurs choses. Dans un premier temps, cela signifie que d’autres acteurs ont pris en charge cette orientation. A la question : « Si votre orientation en STMG ne relève pas d’un choix de votre part, de qui relève cette décision selon vous ? », plus de 50 % (58,8%) des sondés estiment que
cette orientation relève d’un choix de leurs enseignants. On peut alors parler d’une orientation subie, les élèves se retrouvent orientés vers une filière technologique tertiaire sur laquelle ils sont peu ou pas renseignés et ont ainsi, pour beaucoup, du mal à s’y investir pleinement, tant règne chez eux un sentiment d’injustice. Pour près de 30% d’entre eux (29,4%) cette orientation est due à leurs parents, là encore l’orientation est subie par l’élève. Dans un second temps, le fait que les élèves aient subi leur orientation implique que celle-ci n’ait pas été dictée par un réel projet. Comme le précise Anne-Laure Lalouette : « peu d’entre eux ont un projet construit et solide » . Encore une fois cela semble se confirmer à la lecture des questionnaires distribués à la fois aux élèves d’une classe de première STMG, mais aussi à des professeurs documentalistes qui ont des filières technologiques dans leur établissement. Aux questions : « cette orientation est-elle liée à votre projet professionnel, ou à votre poursuite d’études ? » et « pensez-vous que ces élèves ont choisi telle ou telle filière par rapport à leur projet professionnel ? », posées respectivement aux élèves et aux professeurs documentalistes. Dans les deux cas plus de 60% des sondés (65,2% des élèves et 66,7% des professeurs documentalistes) répondent non à ces questions. Ce qui nous indique que la grande majorité des élèves des élèves de STMG et plus largement des élèves de filières technologiques (les professeurs documentalistes ont été questionnés sur les élèves de filières technologiques en général) ont subi leur orientation. Cependant le constat montre le caractère particulier de la filière STMG. En effet certains professeurs documentalistes ont ajouté des commentaires dans leurs réponses au questionnaire. A la question : « pensez-vous que la présence de ces élèves dans telle ou telle filière relève d’un choix : personnel ; des enseignants ; des parents ; des enseignants ; par défaut ? », les enseignants nuancent leur réponse en fonction des filières. Voici quelques extraits qui nous semblent significatifs.
|
Table des matières
Résumé
Introduction
1- L’effet pygmalion
1.1 Présentation du travail de Rosenthal et Jacobson
1.2 L’effet-maître et la question des préjugés
1.3 Les avantages des préjugés favorables
2- Le statut de pédagogue en question
2.1 L’évaluation en question
2.2 Le jugement scolaire
2.3 La place de l’enseignant dans l’orientation de ses élèves
3- Pour une appropriation de son parcours scolaire et personnel
3.1 La filière STMG
3.2 Vers une orientation active
3.3 Restaurer l’estime de soi
Conclusion
Bibliographie
Annexes
A1 : Questionnaire à destination des professeurs documentalistes
A2 : Questionnaire à destination des élèves de première STMG
A3 : Fiche de préparation de la séquence ..
Télécharger le rapport complet