POTENTIEL DES GNSS POUR LA SURVEILLANCE DE SANTE STRUCTURALE
PRINCIPES ET OBJECTIFS DE LA SURVEILLANCE D’OUVRAGES
Les ouvrages de génie civil sont des éléments clés des réseaux de communication, et par conséquent de l’aménagement du territoire. Leur exploitation implique des enjeux de natures variées : des enjeux économiques liés à l’acheminement de biens et de personnes, des enjeux sociétaux de couverture du territoire, et des enjeux de sécurité pour la protection des usagers et riverains. Avec la densification des réseaux de transport à l’échelle mondiale et l’augmentation constante du nombre d’usagers, ces ouvrages subissent une sollicitation croissante. Le besoin de les maintenir en service le plus longtemps possible (Brühwiler, [2015]) entraîne un vieillissement global des parcs d’ouvrages à l’échelle mondiale, ce qui implique une augmentation du nombre d’ouvrages nécessitant un suivi plus fin ou des opérations de maintenance. Par exemple, aux EtatsUnis, un rapport de 2019 de l’American Road & Transportation Builders Association (ARTBA, [2019]) estime qu’environ 8% des ponts du parc américain sont structurellement déficients, et qu’environ 1 ouvrage sur 3 nécessite des réparations. En France, un rapport d’information sénatorial de 2019 (Maurey et al., [2019]) note que sur l’ensemble des 250000 ponts français, environ 10% présentent un risque et nécessitent des réparations. Une majorité de ces structures sont des ouvrages de petite taille dont la gestion est assurée par les collectivités. Quant aux 12000 ouvrages du réseau routier national, environ 7% présenteraient un risque d’effondrement « à terme » si aucune action de rénovation n’est entreprise. Dans la majorité des cas, l’absence de maintenance appropriée ou le non-renouvellement du parc sont attribués au manque d’investissement. Cette situation appelle au développement d’outils permettant d’optimiser les budgets de maintenance et de réparation d’ouvrages, les stratégies d’inspection et de surveillance ayant une place prépondérante pour y parvenir.
En France, l’Instruction Technique pour la Surveillance et l’Entretien des Ouvrages d’Art (ITSEOA) propose un référentiel de politique de gestion des ouvrages d’art. Cette gestion regroupe les actions de surveillance, d’évaluation, d’entretien et de réparation entreprises pour en assurer la sécurité et la pérennité. La surveillance d’un ouvrage décrit l’ensemble des contrôles et examens permettant de suivre son état et d’effectuer des recommandations sur sa maintenance. Elle doit aboutir à son évaluation, qui consiste à en quantifier l’état. Pour la surveillance, le référentiel de l’ITSEOA couple des actions ponctuelles liées à des évènements particuliers à un régime périodique constitué des actions suivantes :
● le contrôle annuel de l’ouvrage, qui a pour objectif de vérifier l’état des dispositifs de sécurité des usagers, de chercher l’apparition de nouveaux désordres apparents depuis la précédente visite, et de constater l’évolution de désordres déjà notés ;
● la visite d’évaluation triennale, qui est un examen visuel de l’ouvrage permettant de façon similaire au contrôle annuel de constater l’apparition ou l’évolution de désordres sur l’ouvrage. Cette visite permet surtout d’en apprécier l’état apparent, et aboutit à une cotation de l’ouvrage ;
● les inspections détaillées, qui consistent en un examen visuel détaillé de l’ouvrage pouvant être complété par des mesures sur site, des auscultations ou des contrôles. Leur objectif est de dresser un bilan de santé complet de l’ouvrage. Les ouvrages concernés sont les ouvrages exceptionnels, innovants, comportant des détails critiques, les ouvrages supportant un fort trafic, tous les tunnels, tranchées couvertes et grands ouvrages en béton précontraint. Les ouvrages ayant subi des modifications ou sollicitations susceptibles d’altérer leur état, présentant un risque en raison de leur âge ou conception, ou plus généralement dont l’état est significativement dégradé doivent également faire l’objet d’inspections détaillées. La périodicité par défaut des inspections détaillées est fixée à 6 ans, mais celle-ci peut être ajustée selon les conditions d’accès ou l’état de l’ouvrage. Cette inspection aboutit également à une cotation de l’état de l’ouvrage ;
● les inspections détaillées de parties d’ouvrages. Ces inspections spécifiques peuvent être réalisées soit en complément d’une visite d’évaluation lorsque certains éléments de la structure sont inaccessibles, soit en complément d’une inspection détaillée lorsque l’inspection desdits éléments requiert l’intervention d’équipes très spécialisées. Elles visent à dresser un bilan précis de l’état des éléments concernés. Comme pour les inspections détaillées, leur périodicité est fixée par défaut à 6 ans, mais celle-ci peut être modulée.
Ces actions périodiques sont complétées par des visites ou inspections détaillées ponctuelles liées à des évènements particuliers de la vie de l’ouvrage, comme sa (re)mise en service, la fin d’un contrat de garantie ou de responsabilité, ou suite à des évènements imprévus susceptibles d’avoir endommagé l’ouvrage, etc… Ce régime de surveillance permet d’évaluer et de mettre à jour la connaissance d’un parc d’ouvrages de façon continue. Plusieurs stratégies de gestion des parcs d’ouvrages existent. On peut citer en France la méthode des Visites Simplifiées Comparées (Méthode VSC), applicable sur tout type d’ouvrage, qui s’appuie sur l’établissement de trois indices d’état :
● l’indice d’état mécanique définissant l’état structurel ;
● l’indice d’état d’usages relatif aux conditions de sécurité et de confort des usagers ;
● l’indice d’état stratégique, définissant l’importance de l’ouvrage .
Le croisement de ces trois indices produit un indice d’état global, qui est alors utilisé pour établir un classement des interventions à réaliser, pondérant ainsi l’état des structures et leur importance stratégique. La méthode départementale (MD) est une méthode de gestion conçue pour être adaptée au patrimoine des collectivités locales. Elle combine l’évaluation de l’état apparent des ouvrages avec des indices de priorité socio-économiques pour aider à la programmation de la maintenance du parc. L’état apparent des ouvrages y est estimé sous la forme d’indices d’état déterminés à partir de l’observation de défauts et de désordres cotés. Cette méthode est une approche simplifiée et comporte de nombreux outils (logiciel, modèles de procès-verbaux d’inspection, guides) à destination de collectivités locales.
L’ITSEOA recommande la cotation des ouvrages selon la méthodologie Image Qualité des Ouvrages d’Art (IQOA), qui définit trois classes d’ouvrages selon leur état apparent et structural. La classe 1 regroupe tous les ouvrages en bon état apparent, ne nécessitant que des travaux d’entretien courant. Les ouvrages de classe 2 nécessitent un entretien spécialisé en raison de défauts sur les éléments de protection, sur les équipements, ou des défauts structuraux mineurs. Deux sous classes séparent les ouvrages nécessitant un entretien spécialisé sans urgence (classe 2) de ceux nécessitant un entretient urgent (2E). Enfin, la classe 3 regroupe les ouvrages dont la structure est altérée et nécessitant des travaux de réparation. Deux sous classes distinguent les cas où les travaux de réparation n’ont pas de caractère d’urgence (classe 3) ou sont au contraire urgents (3U). La cotation d’un ouvrage, selon la classe attribuée, doit permettre la prise de décision pour le gestionnaire : changement ou ajustement du régime de surveillance (Figure I-1), planification des opérations d’entretien ou de réparation, et éventuellement des mesures de sauvegarde ou de sécurité (restrictions, interruption partielle ou totale de service).
Lorsque l’état d’un ouvrage est significativement dégradé, ou qu’un doute existe sur la nature des désordres, le gestionnaire peut passer l’ouvrage en régime de surveillance renforcée, voire de haute surveillance si l’état de la structure implique un risque de sécurité pour les usagers. La surveillance renforcée a généralement pour objectif de détecter l’évolution anormale ou l’aggravation de l’état d’une structure qui pourrait affecter la sécurité des usagers. Elle peut aussi être mise en œuvre pour permettre de mieux identifier les problèmes d’une structure et appréhender son comportement en cas d’incertitude sur l’origine des désordres observés, ou encore pour vérifier l’efficacité d’une réparation structurale. La surveillance renforcée est généralement constituée d’examens réalisés avec une fréquence accrue par rapport aux examens périodiques (semestriels, trimestriels, mensuels, hebdomadaires…), et peut être complétée par l’instrumentation de l’ouvrage. La haute surveillance est une mesure exceptionnelle réservée aux ouvrages en état défectueux afin d’assurer la sécurité des usagers et tiers ou limiter les conséquences matérielles en cas de défaillance à l’aide d’alarmes. Elle repose généralement sur la télésurveillance.
L’instrumentation et la télésurveillance des ouvrages d’art sont ainsi des éléments majeurs des régimes de surveillance spéciaux bien qu’elles n’y soient pas nécessairement cantonnées (instrumentation d’ouvrages neufs). L’innovation des différents processus les constituant (technologies de capteurs, méthodes d’acquisition, télétransmission, traitement et analyse des données) est un enjeu clé pour l’amélioration des stratégies de gestion du patrimoine.
APPROCHES COURANTES D’INSTRUMENTATION ET DE TELESURVEILLANCE
Bien que les ouvrages et leurs enjeux soient variés, l’instrumentation et la télésurveillance reposent généralement sur des approches similaires. Ce paragraphe présente brièvement les méthodes et capteurs de surveillance couramment déployés pour la surveillance d’ouvrages d’art.
DETECTION D’ANOMALIE OU D’ENDOMMAGEMENT
Dans le cadre d’une surveillance par instrumentation, la recherche d’anomalie repose principalement sur la comparaison du comportement de l’ouvrage à un état de référence. L’objectif est de détecter soit un écart significatif soudain du comportement de certains éléments ou de l’ouvrage dans son ensemble avec un état de référence, soit l’apparition d’une dérive au cours du temps. Un des premiers enjeux de la mise en place d’un système de surveillance est le dimensionnement de ce dernier et la localisation des capteurs déployés (Schoefs et al., [2011]). L’installation de capteurs doit permettre de détecter les signes faibles et avant coureurs d’une anomalie sans que sa localisation ne soit nécessairement connue à l’avance tout en optimisant le nombre de capteurs déployés (en raison de contraintes pratiques ou économiques). Par ailleurs, la réponse des ouvrages d’art est généralement fortement influencée, sinon dominée, par la réponse de la structure aux effets environnementaux ou aux charges. Pour appréhender ces changements sous conditions variables, il est possible d’utiliser des modèles mécaniques de l’ouvrage prédisant le comportement de l’ouvrage en fonction des conditions ambiantes. Le modèle physique fournit un comportement de référence de l’ouvrage, une anomalie est détectée si les données de l’instrumentation correspondent à une réponse différente de celle annoncée par le modèle. On parle alors d’approche model-driven. Le déploiement de tels modèles est une étape complexe, puisqu’elle nécessite l’acquisition de nombreuses données complémentaires (environnement, charges), une bonne connaissance de l’ouvrage et de ses matériaux, et une validation des lois mécaniques établies. Des modèles physiques basés sur les données environnementales peuvent être utilisés pour procéder à la normalisation des données, c’est-à-dire le retrait de la réponse induite par les effets environnementaux.
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Table des matières
Introduction
I. Potentiel des GNSS pour la surveillance de santé structurale
I.1. Principes et objectifs de la surveillance d’ouvrages
I.2. Approches courantes d’instrumentation et de télésurveillance
I.2.1. Détection d’anomalie ou d’endommagement
I.2.2. Méthodes et outils usuels pour la surveillance des ouvrages d’art
I.2.3. Tendances et innovation
I.3. Systèmes de positionnement par satellites
I.3.1. Définition et principes fondamentaux
I.3.2. Méthodes de calcul précises
I.3.3. Eléments constitutifs d’une solution GNSS
I.3.4. Limites et contraintes
I.4. Utilisation des GNSS pour la surveillance structurale
I.4.1. Surveillance des tours et structures de grande hauteur
I.4.2. Surveillance des ponts et viaducs
I.4.3. Utilisation de stations GNSS à bas coût
I.4.4. Synthèse
II. Evaluation expérimentale de stations GNSS à bas coût
II.1. Revue des méthodes d’évaluation expérimentales pour les phénomènes dynamiques
II.1.1. Critères d’évaluation en statique
II.1.2. Evaluation à partir de dispositif expérimentaux à excitation contrôlée
II.1.3. Evaluation à partir de dispositif expérimentaux en oscillation libre
II.1.4. Synthèse sur les protocoles d’évaluation expérimentale
II.2. Approche GNSS choisie
II.3. Evaluation de matériel GNSS
II.3.1. Matériel évalué
II.3.2. Protocoles expérimentaux
II.3.3. Critères d’évaluation
II.3.4. Résultats & discussions
II.4. Evaluation des modes et paramètres de calcul
II.4.1. Modes et paramètres de calcul évalués
II.4.2. Evaluation des modes et paramètres de calcul en scénario fixe
II.4.3. Evaluation des modes et paramètres de calcul en scénarios dynamiques
II.5. Synthèse
III. Instrumentation d’ouvrages d’art par réseaux de capteurs GNSS à bas coût
III.1. Solution GNSS déployée : le Géocube
III.2. Instrumentation du pont de Brotonne
III.2.1. Présentation de l’ouvrage
III.2.2. Instrumentation en place et données disponibles
III.2.3. Etude des séries GNSS par parties d’ouvrage
III.2.4. Analyse du comportement global de l’ouvrage
III.3. Instrumentation du pont d’Aquitaine
III.3.1. Présentation de l’ouvrage
III.3.2. Instrumentation en place et données disponibles
III.3.3. Etude du calcul effectué par G3GPS
III.3.4. Etude des séries GNSS par parties de l’ouvrage
III.3.5. Analyse du comportement global de l’ouvrage
III.4. Synthèse et perspectives
IV. Analyse des données de réseaux de capteurs GNSS pour la détection d’anomalies
IV.1. Contexte
IV.2. Outils de régression par apprentissage
IV.2.1. Modèles linéaires
IV.2.2. Modèles autorégressifs et moyennes mobiles
IV.2.3. Machines à vecteurs support
IV.2.4. Réseaux de neurones artificiels
IV.3. Etude de modèles de régression des séries acquises par les réseaux de capteurs GNSS
IV.3.1. Données utilisées
IV.3.2. Critères d’évaluation d’une régression
IV.3.3. Ajustement et paramétrage dans le cas des réseaux de neurones
IV.3.4. Etude de sensibilité des outils de régression
IV.4. Détection des anomalies à l’aide des réseaux de neurones artificiels
IV.4.1. Principes et enjeux
IV.4.2. Stratégie d’automatisation proposée
IV.4.3. Application de la détection automatisée d’anomalies
IV.5. Synthèse
Conclusions