À PROPOS DES MYTHES
Il faut comprendre par mythe, non pas une littérature folklorique qui ne mérite l’attention que le temps d’un amusement, comme cela fut récemment la position en Sciences Humaines occidentales, mais un trait de civilisation à travers lequel s’exprime symboliquement une conception du monde. Un mythe atteste donc l’effort humain de dessiner un modèle de comportement de manière à contrôler nos instincts animaux. Le mythe transcende l’homme vers le divin autrement dit, le mythe est la première dimension religieuse de l’existence humaine. Le mépris dans lequel le mythe fut confiné pendant longtemps provient de plusieurs facteurs mais nous allons en retenir seulement deux. Le premier est qu’il stigmatise l’opposition entre l’Occident et l’Orient en termes d’opposition entre l’écriture et l’oral. Tout ce qui relève de l’oral ne peut pas être pris en considération parce que caractérisé par sa volatilité. Le deuxième facteur vient du fait que la théorie de l’énonciation fut comprise comme quelque chose qui doit concerner seulement les phrases. En conséquence, quand il y a une forte distorsion entre le signe et le référent, violation du principe de non contradiction du langage, le texte est taxé de simple folklore, de récit fantaisiste qui n’a aucune attache avec la réalité. Les efforts des anthropologues, notamment celui de LEVI-STRAUSS ont contribué à neutraliser le reproche de volatilité. En effet, on s’est aperçu que le mythe n’est pas à lire seulement littéralement, mais dans tous les sens. Cela a pour but de mettre en évidence qu’il agit comme une force de loi pour la communauté qui l’a produit dans la mesure où l’existence réelle a pour référence le mythe. En ce qui concerne le deuxième facteur, il faut admettre que la véritable référence des textes est de nature intertextuelle et que la réalité importe peu du moment que le langage qui la prend en charge est conforme au mythe qui modélise l’existence. C’est ainsi qu’il est possible de mener une guerre au nom de Dieu. Autrement dit, le mythe ne signifie pas seulement par les signes qu’il convoque, il signifie surtout par son énonciation. Ce qui veut dire exactement qu’à la question de savoir pourquoi les mythes parviennent à traverser le temps et l’espace malgré son caractère oral, nous répondons que la référence à l’énonciation des mythes a pour force illocutoire l’ordre de se conformer à l’intimation des mythes, pour éviter les conséquences néfastes qu’ils mettent en scène. Il en va ainsi particulièrement du mythe de Pandore ou du mythe de la Genèse dans la Bible. Les mythes sont universels, parce qu’ils traduisent une tentative de résolution de la contradiction de l’existence bien avant la philosophie existentielle. Parmi les thèmes qui font l’universalité des mythes, la question de la femme a attiré notre attention. En effet, dans ces mythes, la femme est à la fois séductrice et destructrice de la volonté de l’homme de s’élever vers Dieu. Nous allons, à cet effet, considérer en premier lieu le mythe de Pandore.
ANALYSE DES TEXTES SUR L’ORIGINE DU RIZ
Les mythes de BEAUJARD relatent les mythes de la création portant sur l’origine du riz. Dans ces mythes, nous avons la femme comme étant fille de Dieu d’où, dans les contes malgaches, l’on parle d’Andriambavilanitra, qui est à l’opposé de l’homme terrestre. Dans les textes de Philippe BEAUJARD, nous évoquons surtout la sacralité de la femme, car elle est d’origine divine. Ensuite, elle a apporté le riz, sur terre, qui est devenu le repas quotidien des Malgaches. Parmi ces mythes, nous avons par exemple Kotofamandrika, « Koto, le poseur de piège » (tanala), Radisonankonjy et Ndriantomoa (sakalava). La fille de Zanahary (merina), l’origine du riz (sihanaka), Ratovoana. Nous pouvons faire référence à Ch. RENEL et à A. DANDOUAU. Dans tout cela, elle a traversé beaucoup de difficultés et a même abandonné sa demeure parentale (Ciel), afin de suivre l’homme et l’aider à fonder un foyer. Ces mythes se résument à peu près de la même manière, c’est pourquoi nous n’avons pas pris un seul d’entre eux. Nous remarquons la seule présence de l’homme sur terre qui part à la quête de la fille du Zanahary. La fille de Dieu part avec l’homme sans l’accord de son père, ce qui le met fort en colère. Elle n’est pas habituée à consommer les nourritures terrestres de l’homme qui sont le manioc, la patate, le maïs, etc. Pour dieu, sa fille a épousé un esclave et il refuse de leur donner du paddy. Ainsi, la fille va se débrouiller pour nourrir son foyer : cacher du riz dans sa chevelure, dans son « lamba », ou gaver de riz un coq, une poule ou des oies. Malgré les catastrophes envoyées par « Zanahary » pour dévaster les cultures, ils ont pu surmonter les obstacles et ont pu produire la céréale. Les textes affirment que c’est la fille de Dieu qui a apporté le riz sur la terre. En apportant le riz sur terre ou chez l’homme, elle devient nourricière de la vie humaine. Dans ce mythe, ce n’est plus l’homme qui apporte un élément vital à sa famille mais c’est la femme. C’est le symbole même de la condition humaine : la femme doit toujours se débrouiller pour donner à manger à sa famille. L’homme n’est que producteur. Mais en réalité, c’est elle qui alimente. La fille de Dieu est céleste et non terrestre, contrairement à l’homme qui est habitué à la dureté de la vie terrestre. Elle est donc divine, sacrée, fragile. Elle avait une vie stable et paisible avant d’être avec l’homme, tandis que ce dernier est terrestre, simple. Il ne vit que de ce que la terre lui offre (maïs, manioc, igname, etc.), mais débrouillard, travailleur et courageux, il a osé s’opposer à Dieu, malgré le pouvoir de celui-ci. Il a eu le désir de posséder la fille de Dieu en affrontant toutes les épreuves possibles. Ces comparaisons nous permettent de voir que même dans notre réalité, la femme possède toutes ces qualités. Elle devient donc passive pour le respect de sa sacralité. C’est pour cela que l’homme se définit par son activité et la femme par sa passivité. Elle est écartée de tout ce qui est violent : force de travail, agitation publique (prise de parole, politique), etc. ; elle ne fait que contrôler son foyer. Un autre symbole est également visible dans ces mythes : l’importance du « lamba » pour les malgaches. Il met en valeur la personne qui l’enveloppe parce qu’il est valeureux pour eux. Cela s’explique par le fait que c’est grâce au « lamba » que la fille céleste a pu emporter le riz sur terre, d’où l’importance, la sacralité de ce tissu et du riz pour les malgaches. Le riz désigne aussi le sexe féminin : nourricier, sacré. De même pour les volailles qui ont servi à transporter le paddy sur terre. La croyance malgache admet la sacralité des volailles puisqu’ils permettent le passage entre les deux mondes. Si la fille de Dieu a pu amener le riz sur terre c’est justement par le biais de ces volailles. C’est pour cela que le sacrifice de ces animaux est très symbolique pour les malgaches. Après avoir présenté brièvement les mythes, nous allons passer à la recherche de censure et postulation. Ce corpus va nous permettre d’approfondir notre étude dans la mesure où nous allons démontrer l’opposition entre le désir de l’homme et la puissance féminine.
MANIERES DE DECRIRE L’ANATOMIE FEMININE
Les blasons sont des discours, portraits ou encore descriptions sous forme de vers datant du début du XVIème siècle. Les Blasons du corps féminin, publiés dès 1550, se proposent de décrire et de faire l’éloge des charmes visibles ou secrets de la femme. Chacune de ces chansons mise en musique parle d’une partie précise et explicite. En analysant les blasons, nous pouvons apercevoir quatre tons pour décrire le corps, dont le ton sensuel et voluptueux, le ton grossier ou grivois, le ton courtois ou pétrarquiste, et enfin le ton spirituel, néoplatonicien ou ficinien. Quand le ton grossier est utilisé et qu’on tombe dans le dénigrement satirique, on parle alors de contre-blasons. Dans tous les autres cas, on parle de blasons. Après avoir examiné ces divers tons, nous devons préciser que les discours sur la femme sont chargés d’euphémie et de blasphémie. En réalité, ce sont des termes forgés par BENVENISTE pour désigner respectivement l’euphémisme et le blasphème à titre d’actes de parole dans leur relation intime. Dès lors, nous pouvons comprendre l’euphémie comme un comportement langagier qui témoigne d’un respect d’un interdit linguistique, c’est-à-dire que nous nous refusons à dire certaines expressions du langage par volonté de préserver la face et afin de ne pas blesser la sensibilité de la personne. Très souvent, l’euphémie prend l’aspect d’une synecdoque généralisante. Par exemple, faute de pouvoir nommer le sexe, on utilise un terme générique : la chose. Par contre, les blasonneurs ne s’interdisent pas du tout à dire certaines expressions choquantes à l’égard de la femme. Le rapport entre le blasphème et l’euphémisme va nous servir à comprendre le traitement linguistique à l’égard du corps féminin. Anthropologiquement, le tabou procède de deux aspects : l’horreur et la vénération. À partir du tabou de l’horreur de la pourriture et de la vénération se dessine la sacralité de la femme. Mais cette sacralité peut se comprendre également à partir de l’autonymie. C’est Jacqueline AUTHIER-REVUZ qui a développé l’idée d’autonymie19. Pour expliquer la valeur autonymique du corps féminin, nous allons prendre un exemple. Normalement, les jambes de la femme sont là pour marcher, ses fesses pour s’asseoir et ses seins pour allaiter, mais à cause des modalisations autonymiques, ces parties du corps ont d’autres fonctions que chacun peut interpréter. Les modalisations autonymiques donc détournent le sens des mots. Ainsi, le corps devient autonymique. Il faut alors admettre que le corps de la femme bénéficie d’une modalisation autonymique. Si au plan étymologique, le terme « séduction » signifie détournement, il s’agit d’un détournement du bon chemin de la neutralité, un détournement qui inscrit le corps de la femme comme objet de désir. Mais dans cette séduction elle-même, c’est le dialogue de la censure et de la postulation qui l’emporte. Les blasons anatomiques du corps féminin naissent d’une compétition poétique lancée par Marot lors de son exil à Ferrare en 1536. À sa suite, une quinzaine de poètes français se lancent dans un genre poétique nouveau, le blason, et détaillent une à une les différentes parties du corps féminin. Tandis que chaque poète s’empare, qui du bras, qui des cheveux, qui de la cuisse de la femme idéalisée, le recueil dans son ensemble décrit le territoire entier du féminin, des provinces les plus chastes et spiritualisées (l’œil, le front, la larme) aux domaines érotiques et scatologiques (sexe, cuisses). Cela est très visible dans l’utilisation des divers tons cités ci-dessus. Ce faisant, le recueil en tant que corpus de textes se donne à lire comme une figure du corps entier. Comme il a été précisé plus haut, la meilleure manière de décrire le corps de la femme est de le morceler, de traduire et de représenter ses diverses parties. En effet, la question qui se pose est de savoir pourquoi le corps féminin est toujours plus intéressant à blasonner. Encore une fois, nous pouvons redire que ce qui est interdit fascine toujours, d’où sa transgression. En plus, c’est surtout le corps de la femme qui est obsessionnel et plus attrayant car il suscite un désir chez l’homme. Pour illustrer cela, nous pouvons prendre un exemple malgache : d’abord, nous avons le « Jihe » (chez les « Vezo ») ou encore le « Beko » (chez les « Antandroy »). Ces expressions traduisent un moment donné d’une cérémonie mortuaire dans le sud de Madagascar où l’on insulte les morts mais en plus on dépouille le corps de la femme, surtout ses parties intimes ou son sexe. De ce fait, évoquer le sexe de la femme à ce moment là peut susciter du plaisir chez les hommes ou tous ceux qui assistent à la cérémonie mortuaire. À ce moment, les relations sexuelles sont libres et ce sera alors une occasion de faire l’amour avec celui ou celle qu’on désire, parmi ceux qui sont présents. Cela consiste à féconder une femme afin de pouvoir remplacer le mort : c’est la tradition. Ainsi, comme nous l’avons déjà dit, c’est le corps de la femme qui est érotique, d’où sa transgression. À travers ce chapitre, nous avons pu déterminer l’attirance des hommes sur le corps de la femme. Il s’agit surtout de percer les mystères de la sexualité féminine. Malgré la censure, le corps de la femme est toujours transgressé à travers ces écrits qui sont l’œuvre des blasonneurs. Au moins, ils sentent qu’ils sont en possession de ce corps. Ils le manipulent à leur guise. En tout cas, ils sont obsédés pour le corps de la femme.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA FEMME DANS LES MYTHES UNIVERSELS
1.1. À PROPOS DES MYTHES
1.2. ANALYSE DU MYTHE GREC DE PANDORE
1.2.1. PRESENTATION DU CORPUS
1.2.2. ANALYSE DE L’EXISTENCE DE CENSURE ET DE POSTULATION
1.3. OBSERVATION DU MYTHE DE LA GENÈSE : ADAM ET ÈVE
1.3.1. PRESENTATION DU CORPUS
1.3.2. RECHERCHE DE CENSURE ET POSTULATION DANS LE TEXTE
DEUXIÈME PARTIE : LA FEMME DANS LES MYTHES MALGACHES
2.1.1. ANALYSE DES TEXTES SUR L’ORIGINE DU RIZ
2.1.2. OBSERVATION DE LA CENSURE ET DE LA POSTULATION
2.2.1. OBSERVATION DES TEXTES AYANT UN RAPPORT AVEC LA FEMME
2.2.2. CENSURE ET POSTULATION DU CORPS FEMININ DANS LES TEXTES
TROISIEME PARTIE BLASON DU CORPS FÉMININ ET DESIGNATIONS DE LA FEMME
3.1.1. CENSURE ET POSTULATION DANS LES PAROLES DES AUTEURS
3.1.2. MANIERES DE DESCRIPTION DE L’ANATOMIE FEMININE
3.2.1. DECLARATIONS D’AMOUR
3.2.2. DESIGNATIONS DE LA FEMME
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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