Possibilités de construction des mémoires collectives et individuelles

Victimes du terrorisme / membres d’AIVITER

Virginio, 75 ans, vivant à Turin, membre de l’association depuis 2008 suite à l’appel du secrétaire général qui cherchait à contacter toutes les victimes. Il a été victime d’une « jambisation » le onze décembre 1979 à l’Ecole d’Administration et de Commerce à Turin, où il était chargé de cours, suite à une attaque armée des membres du groupe Prima Linea (PL). Avec AIVITER, il fait des interventions dans les écoles et anime des ateliers de style « story telling », se basant sur son expérience pour « prévenir les radicalisations et les confrontations violentes ». Il a une réflexion plutôt éthique voire religieuse sur le sujet.
– Giacomo, 69 ans, vivant à Turin, membre de l’association depuis une vingtaine d’années, et membre du conseil de direction de l’association depuis 2004. Il a également été victime d’une « jambisation » à la même date et dans la même école, où il suivait des cours, lui même travaillant à l’époque comme chargé des relations publiques à la Banque Centrale de Turin. Il fait également des interventions en milieu scolaire, et a voulu faire partie de la directi on afin de « s’assurer de la bonne application des droits aux victimes ».
– Mattia, 54 ans, vivant à Milan, actuellement ingénieur en télécommunication à Milan. Il fait partie de l’association depuis six ans, et du conseil de direction depuis quatre ans. Auparavant il était membre d’une association de victimes basée à Milan, mais il a préféré venir dans AIVITER car « c’est la plus grande, la plus active et celle qui a le plus de poids en Italie ». Il n’a pas été touché directement, mais est le frère d’un policier tué en 1979 par des membres du Prolétariat Armé pour le Communisme (PAC), dont Cesare Battisti ferait parti, qui a d’ailleurs était condamné pour ce meurtre, suite aux confessions de ‘terroristes’ ayant collaboré avec la justice.
Luigi, 52 ans, vivant à Turin. Il n’a pas été touché par les attentats des années de plomb, et donc n’est pas une victime. Il travaille pour AIVITER depuis 2000, dans un premier temps comme développeur web et rapidement en tant que Responsable des Relations Internationales.
Il a développé un réseau européen « cherchant à lutter contre toutes formes de radicalisations », se basant essentiellement sur les interventions et témoignages directs des victimes comme méthode d’action. Il s’occupe également de faire les demandes de subventions et de collaborations avec les instituts publics de la région Piémontaise.
Si tous les prénoms des entretenus ont été modifiés, les références ou citations de telle ou telle personne pendant les entretiens ont été laissées telles quelles.
Enfin, considérant que les mots n’ont pas à proprement parler de définitions mais des usages sociaux, dont le sens est objet de lutte, une dernière clarification concernant le vocabulaire utilisé est de rigueur. Quand on parle des italiens vivant en France suite à leur participation aux années de plomb, une récurrence et confusion sémantique vient se coller : terroristes et criminels pour les uns, réfugiés politiques pour les autres. Afin de cadrer la recherche, il a été nécessaire de trouver des termes appropriés non pas pour enfermer, mais pour questionner l’environnement social dans lequel ils s’inscrivent, et permettant de réunir tout un ensemble de choses éparses. Toutefois, il était de rigueur de dégager les termes mobilisés des usages courants, émiques du terrain. C’est pourquoi le terme « exilé » a été choisi, en ce sens qu’il permet de rompre avec le champ sémantique habituellement mobilisé pour ce sujet, et permet de se soustraire de la dimension morale en insistant sur le fait que ces individus sont avant tout défini par leur expérience de l’exil, leur nécessité de départ, et non pas pour leur participation à tel acte de violence, tel meurtre, tel hold-up, ou encore par leur bravoure à la lutte, leur noblesse politique etc. Pour ce qui est des « victimes », j’ai délibérément choisi de garder le terme utilisé dans l’auto-désignation de ce groupe social, permettant d’insister sur le côté collectif et la centralisation de leurs actions politiques.

La violence politique des « années de plomb » : apparitions et résolution d’un conflit armé

La violence politique : apparition, gestion et effets

Pour te citer une petite phrase d’un camarade lorsqu’on était en prison, on se disait « putain, merde », on cherchait à revenir sur notre histoire, sur les erreurs commises etc. Tu sais, il fallait… avoir cette expérience pour analyser, tous ces discours analytiques de l’histoire. A un moment, il sort ce truc « Tu sais Mauro, même ma tante qui est analphabète aurait pu faire la lutte armée ». Donc on ne s’étonne pas qu’il y ait eu autant de gens sans expérience au niveau politique. On avait beaucoup de gens qui étaient poussés par la spontanéité, par la nécessité d’un changement. Extrait entretien Mauro.

Vagues de mobilisations et constitution de groupes révolutionnaires en Italie : contexte et formes d’apparition

La difficulté à laquelle on se heurte en essayant de reconstruire le processus qui a conduit la formation de luttes armées est de tomber dan s une approche linéaire, si ce n’est même évolutionniste. Pourtant il n’en est rien, chaque mouvement a été traversé par des contradictions, des luttes internes, des dissensions. Un détour approfondi par le contexte socio-historique et idéologique de l’époque, avec les premières formes d’apparition des groupes révolutionnaires, a été considéré nécessaire pour la compréhension et la suite de l’analyse. Néanmoins, il est important de noter que cette partie ne propose pas une histoire politique de l’Italie, mais plutôt l’exposé de cette dernière à travers l’analyse du matériau et des histoires singulières.
Le premier point à soulever concernant l’histoire socio-économique et politique de l’Italie est sa rapide croissance notamment au niveau économique, qui dans l’après-guerre tend à s’accélérer considérablement. Jusqu’au milieu des années cinquante, l’Italie est un pays principalement agricole. Elle va pourtant se trouver propulsée dans une industrialisation massive comprenant un passage vers une économie capitaliste. Ainsi, en une décennie, ce pays rentre dans l’ère de la société de consommation, avec toutes les répercussions qu’un passage aussi rapide du monde rural au monde urbain et industriel peut avoir en termes de migrations internes, perte d’identité, déracinement. Il a en effet été estimé que dans la période comprise entre et 1971, près de 9 150000 personnes ont été impliquées dans les flux migratoires interrégionaux italiens. Durant les quatre années 1960–1963, le flux de migration du Sud vers le Nord a atteint un total de 800 000 personnes par an . Cette période souvent nommée « miracle économique italien » présentera également une profonde mutation structurelle de la société italienne, avec par exemple l’augmentation rapide du nombre d’employés et une chute dans le secteur agricole. Parallèlement à cette période, le niveau d’instruction de la population n’augmente pas de façon aussi considérable, créant ainsi un grand écart par rapport à la croissance économique. Les générations des années 1970 sont donc les enfants de parents anciennement paysans dont l’urbanisation est encore récente.
Comme le souligne Simona Colarizi , un autre élément à prendre en compte est la conséquence de vingt ans de fascisme sur l’éducation politique de la société. Si le passage, entre 1943 et 1948, d’une dictature fasciste à une république démocratique a été relativement accéléré, cela ne veut pas dire que la population se soit miraculeusement convertie à la démocratie tout aussi rapidement. Ainsi, la démocratie a vite été portée et représentée par les partis, se présentant comme les garants d’un sentiment d’unification et de démocratie, sans que ce sentiment existe réellement, indépendamment des partis, au sein de la majorité de la population. Nous pouvons ainsi parler des fractures internes, tant de la droite que de la gauche italienne. La Démocratie Chrétienne (DC), parti du gouvernement, conservait encore en son sein une Eglise complice et sympathisante du régime fasciste, et excluait bon nombre de partis jugés dangereux pour la démocratie, dont le Parti Communiste Italien (PCI). Le PCI quant à lui prônait plutôt la dictature du prolétariat et non la démocratie, le modèle soviétique et non pas le modèle libéral-démocrate. A la lumière de cet élément, nous pouvons comprendre les conséquences et l’effet propulseur vers la lutte armée qu’a pu avoir le « compromis historique » , accord du début des années 1970, entre la DC et le PCI, visant à faire entrer ce dernier, force électorale non négligeable et touché par une conventio ad excludendum, dans le gouvernement. Cet accord, considéré par bon nombre de militants de gauche comme une trahison, entérinera la scission entre le PCI et les groupes de gauche extraparlementaire. Les années 1970 vinrent donc secouer et mettre en lumière la fragilité des fondements démocratiques en Italie.
Les premiers grands élans de mobilisation tournent généralement autour de la question du mal logement dont pâtissent les populations du Sud nouvellement arrivées travaillant désormais pour l’industrie, qui, bien qu’italiennes, endossent la figure de l’étranger et de marginaux. La figure de l’ouvrier se présente comme centrale, en ce sens que sur lui et son travail semble reposer la croissance économique et industrielle italienne, qui sont les facteurs de la mutation socio-culturelle de la société. Face à la nécessité d’analyser les changements dans la composition de la classe ouvrière avec le développement du travail à la chaîne et d’en tirer les nouvelles formes de lutte et d’organisation, apparaît l’opéraïsme vers la fin des années 1960 . C’est ainsi que Tito me présenta le dynamisme de la décennie soixante, et la constitution des groupes d’intervention ouvriers :
« En Italie début années 1960, c’était peut-être les années les plus actives, les plus riches… Terminée la domination nette et dure de la Démocratie Chrétienne, le Parti Communiste et la gauche étaient une force électorale, en train de se renouveler. Et la Vénétie avait un monopole de la DC, mais son développement industriel était très récent, c’était une terre d’immigration et d’émigration. On a constitué des comités autonomes dans les usines. Ca a commencé comme ça. C’était sur des très petites unités de production. On distribuait des tracts, on faisait des réunions […] Il y avait déjà des expériences comme ça, toujours en relation avec les groupes ouvriers ou d’invention ouvrière. Ce n’était pas seulement une intervention, c’était une théorie. Et il y avait vraiment ce contact entre le monde universitaire et le monde ouvrier. Il y avait cette théorie ouvriériste, opéraïste qui était très importante. C’était la gauche à gauche du PC. En France il y a toujours eu le trotskysme, en Italie c’était l’opéraïsme. C’était pas quelque chose de pratique, pas qu’une praxis, c’était une théorie. En particulier dans mon institut de sciences politiques à Padoue, mais aussi à Rome. […]On a fait à cette époque des luttes avec 3000 ouvriers, organisées par le comité autonome. C’était vraiment quelque chose de grand à voir ».Extrait entretien Tito.
Le point de départ est donc de comprendre les contradictions dans l’expansion économique de l’Italie moderne, contradictions portées par la figure de l’ouvrier et dans la classe ouvrière. Regroupé autour de revues tels que Quaderni Rossi (Cahiers Rouges) puis Classe Operaia (Classe Ouvrière) et de personnalités comme Adriano Sofri, Mario Trenti ou Antonio Negri (dit Toni Negri), ce courant cherchait à allier praxis et théorie. Il repose sur l’idée que la classe ouvrière est le moteur du développement capitaliste, prône le refus du travail et donc la légitimité d’actions visant à entraver ce dernier, ce qui permettrait de lutter contre le capitalisme et de produire le communisme . Leurs contributions étaient une combinaison d’enquêtes sur le terrain, de polémiques et de relectures des classiques marxistes. C’est donc dans ce contexte que fut abordé 1968, et par extension ce que certains appellent «la biennale rouge » faisant référence aux années 1968-1969, particulièrement intenses en termes de mobilisations et luttes sociales dans le cas italien, qui verront la vague de contestation à même de provoquer par la suite la formation de groupes révolutionnaires.

Transformation de la lutte en lutte armée clandestine, et relations entre les groupes et leurs membres

La singularité de la violence politique connue en Italie, nous l’avons vu, s’inscrit dans un contexte d’interactions complexes entre des mouvements sociaux, des courants révolutionnaires, eux même traversés de contradictions, l’Etat, représenté dans un premier temps par les forces de l’ordre, et les alliés potentiels des uns et des autres. La radicalisation du mouvement doit se placer dans un long processus, et ne peut se résumer à une filiation linéaire des mouvements de 1968. Nous essaierons d’approfondir ce point tout en laissant apparaître les divisions et contradictions au sein même des mouvements d’extrême gauche, en se basant sur les déclarations singulières des personnes rencontrées.
Comme déjà présenté plus haut, un des facteurs qui ont servi de légitimation pour recourir à la violence armée fut l’effet des affrontements violents avec les forces de l’ordre et dans une autre mesure avec les membres de groupes fascistes. Ces affrontements donnèrent les éléments pour alimenter l’image d’un Etat violent et répressif, dont la démocratie était défaillante. En réécoutant les entretiens réalisés, est apparue une espèce de ritualisation de l’affrontement physique et de l’entrée dans les mouvements, faisant écho à un capital guerrier et aventurier, et mettant en lumière la dimension sociale et affective dans l’adhésion à tel groupe, cette dernière faisant à certains égards office de rite de passage, symbole d’entrée dans une collectivité :
L’escalade de la violence s’accentue dans le processus d’interaction entre les différents acteurs du système politique, selon les actions de l’Etat et les interprétations faites de celles-ci par les activistes etc. Le paroxysme de cette violence est d’une certaine façon contenu dans l’apparition de la clandestinité comme mode opérationnel de lutte. Pour reprendre l’expression de Donatella Della Porta « on peut alors affirmer que certains groupes devinrent des entrepreneurs de violence, diffusant les tactiques les plus radicales au sein des mouvements sociaux qui demeuraient, pour la plupart, pacifiques» .La revendication de la radicalité ouvre la porte à la formation spontanée de différents groupes, créant ainsi une espèce de constellation, nébuleuse d’organisations diverses, unies mais opposées avec le rôle fédérateurs de certaines d’entre elles comme PotOp, BR, LC etc. Fruit d’un processus ponctués d’innombrables ruptures, chaque collectif acquiert ainsi la possibilité de créer son propre groupe armé pour organiser hold-up, incendies, attentats à l’explosif, et gambizzazione (« jambisations », soit des tirs d’armes à feu dans les jambes). Ces éléments peuvent entre autres présenter une explication quant à la participation massive des jeunes dans des organisations armées et clandestines :
[…] Et par rapport à la lutte armée il y avait un accord global, une homogénéité entre toutes les organisations ? Non pas du tout, pas du tout. On passait du Che-guévarisme au maoïsme en passant par les léninistes… Donc il y avait des grosses contradictions entre luttes. Tout le monde de la révolution était parcellisé […] Donc il y avait une constellation de petites micro -formations. Les gens s’organisaient sous la forme d’organisations spontanées. Les gens s’organisaient ensemble pour aller frapper quelqu’un qui avait cassé les couilles dans le quartier, contre le gouvernement, contre la police etc. A trois, quatre, tu tombais d’accord et tu faisais ton truc. C’était vraiment ce climat là, dans lequel il y avait des points de repères dans cette histoire, qui étaient les organisations plus importantes. […] La chose commune, c’était la dictature du prolétariat. C’est-à-dire la prise du pouvoir par le prolétariat. Ça, grosso modo, tout le monde était d’accord. Après, les méthodes, les schémas, c’était un débat. On pouvait commencer à discuter et terminer après 5 jours. Extrait entretien Mauro
La violence politique et les méthodes radicales présentent des points contradictoires.
L’accent mis sur la violence qui semble dans un premier temps relativement unificateur et rassembleur, a également provoqué de grandes crises et divisions entre les différents groupes.

Gestion et répression du conflit via des mesures dites « d’urgence »

L’analyse de la gestion politico-juridique italienne des années de plomb est relativement périlleuse, en ce sens que, comme le souligne Franck Lafaille, il y a un « oubli » de cette période en terre juridique française, les revues de droit public tout comme les manuels de droit constitutionnel ne s’y intéressent pas . Le travail proposé ici n’a donc ni les moyens ni l’objectif de faire une analyse juridique et technique de cette période et de sa gestion. Après avoir présenté des éléments à propos du cadre législatif dans lequel le sujet étudié s’inscrit et évolue, l’objectif sera plutôt de faire un exposé subordonné au matériau recueilli, soit donc à l’analyse des interprétations faites par les exilés italiens de la gestion étatique du conflit et de ses effets.
Plusieurs lois emblématiques de cette période apportent des restrictions aux libertés et droits fondamentaux. C’est le cas avec la « loi Reale » de 1975, intitulée Disposizione a tutella dell’ordine pubblico (« Dispositions relatives à la protection de l’ordre public »), qui porte sur l’extension des pouvoirs de police. Cette dernière permet ainsi « une limitation des cas de liberté provisoire, un renforcement du pouvoir de perquisition, une interdiction de participer à des manifestations avec le visage totalement ou en partie couvert » (article 5). Elle augmente également le temps de détention provisoire à 96 heures, même en absence de preuves d’un flagrant délit (article 3), et octroie aux forces de l’ordre une marge d’interprétation quant à l’usage d’armes à feu (pas seulement en situation de violence ou de résistance, mais également dans des cas de préventions d’assassinats, de vols, d’enlèvements etc. article 13 de la loi) . Cette loi qui a suscité beaucoup de controverses a été soumise à un référendum le 11 juin 1978 (76,5% des votes pour son maintien, et 23,5% pour son abrogation). Elle est aujourd’hui toujours en vigueur. La deuxième loi emblématique est le « décret-loi Cossiga » de 1979, nommée Misure urgenti per la tutella dell’ordine democratico e della sicurezza pubblica (« Mesures urgentes relatives à la protection de l’ordre démocratique et de la sécurité publique »). Cette loi fait émerger la notion de « circonstance aggravante liée au terrorisme ou à la subversion de l’ordre démocratique, un délit d’association avec finalité terroriste et renversement de l’ordre démocratique, une possibilité de perquisition sur autorisation téléphonique d’un magistrat, et une extension de la détention préventive. » Elle autorise également les écoutes téléphoniques des personnes soupçonnées, et renforce les « législations premiale » soit les mesures législatives qui incluent une remise de peine à tout « terroriste » acceptant de collaborer avec la justice et renonçant publiquement à la lutte armée. Ce dernier point se réfère aux pratiques judiciaires qui poseront les bases pour l’élaboration des statuts du « repenti », en 1980, puis de « dissocié » en 1987, et qui marqueront la fin des lois répressives dites « spéciales », en réduisant les conditions et temps de détention.
Comme on a pu le voir, de nombreux points de divergences ont traversé et divisé les groupes d’extrême gauche italiens, notamment concernant le positionnement et l’approbation (officielle et officieuse) face à la violence, la lutte armée et la clandestinité. Toutefois, l’analyse d’un Etat d’urgence qui aurait annihilé l’Etat de droit en établissant des lois spéciales anti-terroristes et portant atteinte aux libertés fondamentales, fait quant à elle unanimité et semble facteur de rassemblement parmi les exilés italiens. Ainsi, les critiques de la gestion législative du conflit portant sur le plein pouvoir des forces de l’ordre, les condamnations excessives et les détentions préventives rallongées, ainsi que sur la répression unitaire et le manque de preuves s’agglomèrent autour de la conceptualisation d’un Etat d’urgence appelé aussi Etat d’exception italien, qui aurait déployé des mesures spéciales,hors du droit commun, à l’encontre des personnes considérées comme terroristes. Ce concept d’Etat d’exception est porté par de nombreux personnages, dont notamment Oreste Scalzone et Paolo Persichetti dans leur livre La Révolution et l’Etat qui théorise le caractère exceptionnel de l’arsenal juridique mis en place pendant les années de plomb, « L’exception ayant été ainsi transformée en règle, la norme s’était dissoute dans un vaste ensemble d’exceptions.»

Diviser pour mieux régner : logiques et effets du repentir et de la dissociation

L’Etat italien, déjà critiqué pour n’être qu’un pays « semi-démocratique » , ne pouvait se contenter des mesures répressives législatives mises en place pour régler un problème qui était in fine politique. La pérennité d’un pouvoir ne peut se maintenir seulement par la violence et la répression, car si la politique répressive a asséné des coups durs aux groupes armés, elle n’a pas permis l’enrayement du renouvellement des rangs subversifs, ni la baisse de la population carcérale. C’est ainsi que nous pouvons comprendre la remarque du magistrat italien, Gian Carlo Caselli, symbole de la lutte anti -terroriste selon lequel « c’est d’avantage grâce à la sociologie, à la psychologie et à la science politique que par la répression proprement dite qu’a été vaincue la lutte armée en Italie ».
Cela expliquera la création des deux statuts juridiques, premièrement celui de « repenti » dès 1980, puis celui du « dissocié » en 1987. Ces deux statuts permettant globalement aux inculpés de se voir réduire leur peine à conditions de reconnaître la totalité de leurs actions, de collaborer en donnant des informations ou de demander publiquement pardon, avaient pour but de « diviser pour mieux régner », d’exploiter les failles personnelles que la vie en clandestinité favorisait.
Constatant que la révolution prolétarienne voulue par ces groupes révolutionnaires n’a pas eu lieu, et que l’Etat italien est resté en place à la fin de ces événements, nous nous demandons quels sont les mécanismes qui permettent au pouvoir central de maintenir sa domination dans cette configuration particulière. Dans « La part idéelle du réel », Maurice Godelier apporte des éléments d’analyse, en proposant l’idée que l’expression du pouvoir dominant, même s’il parvient à s’imposer par la violence, ne peut perdurer dans la manifestation de cette violence. La structure même des relations de pouvoir configurées par les groupes dominants tend toujours à acquérir le consentement des groupes dominés, ce consentement sans être de l’ordre de la croyance relève plutôt de l’ordre de l’arrangement. De fait, plutôt que de reconnaitre l’exercice du pouvoir dominant comme légitime, le groupe dominé devient à son tour acteur de la reproduction de la domination. Donc, dans la situation théorique évoquée ici, la composante qui participe le plus à la configuration de la relation de domination est le consentement des dominés, et non l’exercice de la violence. Seul ce consentement, cette adhésion des dominés semble à même d’expliquer le maintien d’un pouvoir central coercitif. « La formule générale des liens de dépendance et d’exploitation est la dette que contractent les dominés vis-à-vis des dominants ».
Toutefois, bien que le gouvernement italien ait réussi à se maintenir en place, et que certains anciens membres de groupes révolutionnaires lui aient octroyé une légitimité à exercer le pouvoir, le constat est à relativiser. En effet, cette légitimité n’a pas été reconnue par tout le monde et demeure contestée. D’autre part, une fois cette époque historique considérée comme « close » (mais l’a-t-elle été vraiment ? ), l’ordre social et politique n’a pas retrouvé un équilibre équivalent à celui d’avant les « années de plomb ». Un véritable processus, une dynamique inévitable de transformation du paysage social et politique, due à une interpénétration entre les différentes sphères qui composaient ce paysage, a eu lieu.
Chaque groupe social a évolué et s’est fait influencer par l’autre. La question n’est donc plus de savoir qui a provoqué quoi, qui a alimenté quoi : est-ce que c’est l’Etat avec sa législation qui a créé une division dans les groupes, ou sont-ce des dissensions internes aux groupes révolutionnaires qui ont favorisé la création par l’Etat d’une telle législation ?
L’analyse des conditions de pérennité d’un pouvoir dominant proposée par Godelier est à exploiter ici. En illustrant la nécessité de compromis entre un Etat (la partie dominante) et ceux sur qui l’Etat gouverne (les dominés), en insistant sur le fait que pour durer, tout pouvoir de domination, même né de la violence, doit trouver un équilibre entre violence et consentement, il doit prendre la forme d’un échange de services ; son analyse permet de penser comment les « dominants » parviennent à créer les conditions où les « dominés » intériorisent ou tout du moins s’approprient les normes dominantes à des fins stratégiques, invoquent le pouvoir en place pour in fine le légitimer. C’est ce qui s’est passé en Italie avec la création de ces statuts.

Possibilités de construction des mémoires collectives et individuelles

Doctrine Mitterrand et constitution d’une « communauté » d’exilés italiens en France

A la fin des années 1970 et au début des années 1980, on comptait en France, et spécifiquement à Paris, la présence de quelques centaines d’Italiens, fuyant la justice de leur pays en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, aux mouvements et organisations de lutte armée qualifiés de « terroristes ». Le nombre important de demandes d’extraditions présentées par le gouvernement italien, et le refus de la France d’extrader la plupart d’entre eux constituèrent un sujet d’embarras pour les deux pays. Là où auraient pu voir le jour des altérations des relations franco-italiennes, c’est en 1985 que François Mitterrand définit un compromis connu par la suite comme « doctrine Mitterrand », réglant, du moins pour un temps, le problème de ces réfugiés italiens, et permettant un apaisement diplomatique.
L’analyse juridique du cas de ces exilés italiens en France ne peut être posée en termes de droit d’asile stricto sensu (bien qu’appelés « réfugiés », par eux mais aussi par les autorités françaises, ils ne répondent pas de la convention de Genève, nous le verrons), mais en termes de politiques migratoires (accueil et séjour d’étrangers) et de relations diplomatiques (liens avec l’Italie, lutte contre le « terrorisme » ). Pour accéder à une analyse des expériences et conditions d’exil, ainsi que de l’organisation de la communauté d’exilés italiens à ses débuts, il faut passer en amont part l’analyse du dispositif qui leur a permis de s’installer en France.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Remerciements 
Introduction
Avant-propos 
Présentation du sujet et du questionnement 
Questions de méthode 
PREMIERE PARTIE : La violence politique des « années de plomb » : apparitions et résolution d’un conflit armé 
1. La violence politique : apparition, gestion et effets
1.1 Vagues de mobilisations et constitution de groupes révolutionnaires en Italie : contexte et formes d’apparition
1.2 Transformation de la lutte en lutte armée clandestine, et relations entre les groupes et leurs membres
2. Vaincre la lutte armée grâce à la sociologie et aux sciences politiques plutôt que par la répression
2.1 Gestion et répression du conflit via des mesures dites « d’urgence »
2.2 Diviser pour mieux régner : logiques et effets du repentir et de la dissociation
DEUXIEME PARTIE : Possibilités de construction des mémoires collectives et individuelles
1. Expulsion et exclusion de « l’ennemi de l’intérieur » : l’exil en France
1.1 Doctrine Mitterrand et constitution d’une « communauté » d’exilés italiens en France
L’Italie des « années de plomb » et le « terrorisme rouge » : entre altérité, histoire et mémoire ?
1.2 De la difficulté à établir une mémoire collective
2. En Italie, constitution d’un groupe de victimes du terrorisme en tant qu’entité collective, et début de politiques mémorielles
2.1 Construction de l’identité de victimes : du regroupement collectif à l’entité politique légitime. Le cas de l’association AIVITER
2.2 Jeu politique et travail de mémoire en Italie : le rôle d’AIVITER
Conclusion
Bibliographie 
Annexes 
Récapitulatif sur les organisations d’extrême-gauche italiens
« Terrorisme et mémoire historique » : exemple de production écrite d’AIVITER
Liste des sigles

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *