Cette thèse publiée sur https://www.chatpfe.com/ s’intéresse aux apports de la taxonomie dans un contexte de lutte biologique, en se basant sur le modèle des acariens prédateurs de la famille des Phytoseiidae. La lutte biologique est une modalité de contrôle des organismes nuisibles dans les systèmes agricoles, basée sur l’utilisation d’antagonistes naturels (ou auxiliaires des cultures) afin d’abaisser les densités de ravageurs en dessous des seuils de tolérance économique (Stern et al., 1959 ; DeBach, 1974 ; Eilenberg et al., 2001 ; Radcliffe & Hutchison, 2009). Afin de mener à bien des stratégies de lutte biologique, il est indispensable d’accéder à différentes connaissances afférentes entre autres aux interactions entre les auxiliaires et leurs proies et hôtes (e.g. spécificité, réponses fonctionnelle et numérique), aux aspects de dynamique et de génétique de populations ou encore d’interactions tritrophiques (plantes hôtes, auxiliaires, proies) (Rosen, 1986 ; DeBach & Rosen, 1991). Cependant, l’élément essentiel pour accéder à l’ensemble de ces caractéristiques et connaître ces interactions est l’identification correcte de l’auxiliaire et de la proie / hôte contre lequel il est censé lutter. Ainsi, les éléments de taxonomie et de diagnostic sont donc indispensables au succès du contrôle biologique. De nombreux exemples dans la littérature montrent les conséquences économiques et environnementales d’une mauvaise identification des ennemis naturels (i.e. Bortolus, 2008 ; Marshall, 2000 ; Hoelmer & Kirk, 2005 ; Kim & Birne, 2006 ; Bin et al., 2012). On peut citer l’exemple de l’espèce Epilachna varivestis Mulsant, un coléoptère ravageur d’Amérique du Nord confondu avec des espèces de coccinelles prédatrices (Marshall, 2000) ou encore celui de l’acarien Tyrophagus phylloxerae Riley décrit des États-Unis et importé en France pour lutter contre le phylloxera. Il s’est avéré quelques années plus tard que cette espèce était déjà connue et présente en France ; il s’agissait de Rhyzoglyphus echinopus Fumouze & Robin, ravageur des bulbes et suspecté de causer des dégâts sur la vigne (Michael, 1903). Pour la famille des Phytoseiidae, on peut citer les difficultés taxonomiques liées à la distinction entre Amblydromalus limonicus (Garman & McGregor) et Amblydromalus manihoti (Moraes) en Colombie, qui ont entravé la recherche des espèces potentielles pour le programme de lutte biologique classique contre l’acarien vert du manioc (Edwards et al., 1997 ; Hoy, 2011).
Outre l’aspect d’identification, la systématique par l’étude des relations phylogénétiques entre les espèces d’auxiliaires peut permettre en retraçant l’histoire évolutive des organismes de mieux connaître l’évolution des traits d’histoire de vie importants pour le raisonnement de la lutte biologique des ravageurs (invasions, spécificités, reproduction). Ce champ d’investigation est récent et les études concernent essentiellement les ennemis naturels utilisés pour contrôler les mauvaises herbes. L’idée sous-jacente est que les traits d’histoire de vie (la consommation de certaines proies, nourriture alternative, vie sur des plantes plus ou pileuses, contenant plus ou moins de métabolites secondaires) sont issues d’une histoire évolutive non convergente et que ces adaptations pourraient être portées par des groupes monophylétiques. Étudier et caractériser les déterminants évolutifs permettait de prédire ainsi certains traits d’histoire de vie pour tous les représentants d’un clade donné (Gauld, 1986 ; Shaw, 1988 ; Miller & Wenzel, 1995 ; Godefroid et al., 2016). Certains auteurs montrent que les dommages causés par des herbivores sur des chênes aux USA diminuent avec la ressemblance phylogénétique entre les espèces considérées (Ness et al., 2011). Pour les acariens Phytoseiidae, peu d’études mobilisent ce concept. On peut citer l’exemple d’une publication portant sur l’espèce Phytoseiulus longipes Evans, où la proximité entre les populations semblent être reliée à certains traits d’histoire de vie (plantes hôtes et proies) (Tixier et al., 2010a).
Ce travail de thèse s’intéresse à la famille d’acariens Phytoseiidae, qui est composée d’espèces prédatrices planticoles. Les espèces de cette famille sont présentes partout dans le monde, et certaines d’entre elles sont communément utilisées pour le contrôle d’acariens et petits insectes ravageurs sur de nombreuses cultures (Zhang, 2003 ; Moraes & Flechtmann, 2008 ; Hoy, 2011). Actuellement, cette famille est composée de 2,709 espèces distribuées dans 91 genres, 15 tribus et trois sousfamilles : Amblyseiinae, Phytoseiinae et Typhlodrominae (Demite et al., 2014). Cette division est définie essentiellement sur la base de la chaetotaxie de l’idiosoma (présence / absence de soies, disposition et longueurs) et d’autres caractères morphologiques comme la forme de la spermathèque ou de la plaque ventrianale (Chant & McMurtry, 2007). Du fait de l’importance des espèces de cette famille pour le contrôle biologique, elle est la plus étudiée dans l’ordre des Mesostigmata. Cependant, certains aspects taxonomiques ne sont pas encore bien définis et / ou clarifiés. Au cours des dernières décennies, grâce au développement de marqueurs moléculaires et de nouveaux outils de bio-informatique appliqués à la systématique, des travaux se sont attachés à étudier les limites entre les espèces et les variations intra et inter-spécifiques pour assurer une identification fiable. Cependant de nombreuses questions sont encore peu ou pas du tout résolues. Cette thèse propose donc une contribution à la taxonomie des Phytoseiidae pour apporter des réponses méthodologiques, analytiques et scientifiques par le développement d’approches moléculaires.
L’utilisation de marqueurs moléculaires en systématique permet d’accélérer, de fiabiliser la description de nouvelles espèces et d’améliorer la compréhension des relations évolutives entre les espèces (Edwards et al., 1997 ; Bellows & Fisher, 1999; Tautz et al., 2002, 2003). Dans le cas d’organismes de petite taille comme les acariens de la famille des Phytoseiidae, le nombre de caractères visibles est faible, leur interprétation est parfois difficile (e.g. analogie, homologie, variation intra et inter spécifique) et la pertinence de certaines caractéristiques pour définir des espèces parfois mises en doute. L’utilisation de marqueurs moléculaires s’est avérée pertinente pour résoudre certaines interrogations concernant des complexes d’espèces (Jeyaprakash & Hoy, 2002 ; Okassa et al., 2009, 2010 ; Kanouh et al., 2010b ; Tixier et al., 2011a) et les marqueurs pertinents pouvant être utilisés de façon routinière sont disponibles (COI mtDNA, CYTB mtDNA, 12S rRNA , ITSS). Cependant le nombre d’études moléculaires pour la famille des Phytoseiidae est encore limité, et le nombre d’espèces étudiées faible. Des développements analytiques pour interpréter les variations moléculaires, et établir des règles de décision générales pour clarifier le diagnostic à l’échelle de la famille (e.g. distances moléculaires entre deux espèces ou deux populations) sont donc nécessaires.
L’Homme, par le concept de lutte biologique, tente d’imiter la nature en favorisant l’action des ennemis naturels, afin de réduire les densités d’organismes nuisibles et par là-même les dégâts qu’ils occasionnent (Moraes & Flechtmann, 2008). Depuis les années 1950, les espèces de la famille Phytoseiidae (Berlese) ont été largement utilisées dans les agrosystèmes et sont actuellement parmi les agents de lutte biologique les plus importants pour contrôler les acariens ravageurs de diverses cultures partout dans le monde (i.e. Zhang, 2003).
Les Phytoseiidae sont des espèces planticoles connues pour leur capacité de prédation d’acariens phytophages (Tetranychidae (Donnadieu), Tenuipalpidae (Berlese) et Eriophyidae (Nalepa)) et de petits insectes ravageurs des cultures (McMurtry, 1982 ; Charles et al., 1985 ; Duso & Camporese, 1991 ; Kreiter et al., 1993a, b, 2000 ; Chermiti, 1992 ; Kostiainen & Hoy, 1996 ; McMurtry & Croft, 1997 ; Tixier et al., 1998, 2000 ; Ferragut et al., 2010 ; Cavalcante et al., 2015a ; Gigon et al., 2016).
Selon Sigsgaard (2006), les Phytoseiidae sont par exemple utilisés pour le contrôle des acariens phytophages et des thrips dans environ 90,000 ha dans le monde, pour les seules cultures de vigne (40,000 ha), de vergers (30,000 ha) et de fraisiers (20,000 ha). Certaines espèces sont élevées et commercialisées pour être lâchées dans les agrosystèmes. D’autres sont utiles car naturellement présentes dans les agrosystèmes.
La lutte biologique par conservation de la biodiversité : consiste à modifier l’environnement des parcelles ou les pratiques culturales pour préserver les ennemis naturels et augmenter le potentiel de contrôle des ravageurs (DeBach, 1974 ; Eilenberg et al., 2001). La première étape de la préservation et valorisation de ce potentiel d’auxiliaires est la caractérisation des espèces naturellement présentes dans les abords non cultivés des parcelles et / ou à l’intérieur de celles-ci. Dans un deuxième temps, il s’agit de déterminer les facteurs permettant de favoriser les espèces les plus efficaces pour mettre en œuvre des pratiques et des aménagements adéquats. Pour les Phytoseiidae, cette stratégie de lutte biologique a été essentiellement appliquée dans des agrosystèmes pérennes, notamment viticoles et arboricoles (i.e. Kreiter et al., 2000). Elle a conduit à l’abandon quasi-total de l’utilisation des acaricides dans ces agrosystèmes notamment grâce à des aménagements permettant la colonisation des parcelles par des espèces prédatrices généralistes telles que Typhlodromus (Typhlodromus) pyri Scheuten et Kampimodromus aberrans (Oudemans) dans les vignobles et Amblyseius andersoni Chant dans les vergers en Europe (Duso et al., 1993 ; Kreiter et al., 2000, 2002 ; Tixier et al., 2000).
La lutte biologique par acclimatation (ou lutte biologique classique) : est utilisée pour contrôler des espèces de ravageurs invasifs (Eilenberg et al., 2001). Elle consiste à importer des ennemis naturels de la zone d’origine du ravageur et à les introduire dans un nouvel écosystème (Van Drieshe & Bellows, 1996 ; Coombs & Hall, 1998 ; Eilenberg et al., 2001). Un exemple de réussite de lutte biologique grâce aux Phytoseiidae est le contrôle en Afrique de l’acarien vert du manioc Mononychellus tanajoa (Boundar), espèce originaire d’Amérique du Sud (Yaninek et al., 1989). Plusieurs espèces collectées au Brésil et en Colombie ont été introduites dans certains pays d’Afrique (e.g. Neoseiulus idaeus (Denmark & Muma), Amblydromalus manihoti (Moraes) et Typhlodromalus aripo (De leon)). Cette dernière espèce est la seule à s’être installée durablement sur tout le continent africain. Elle permet aujourd’hui de contrôler efficacement l’acarien vert du manioc sans avoir recours aux pesticides (Yaninek & Hanna, 2003).
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1. CHAPITRE I : LA FAMILLE DES PHYTOSEIIDAE
1.1. La famille Phytoseiidae : des acariens prédateurs efficaces en lutte biologique
1.2. Position taxonomique des Phytoseiidae
1.3. Distribution biogéographique des Phytoseiidae
1.4. Caractéristiques morphologiques générales des Phytoseiidae
1.4.1. Le gnathosoma
1.4.2. L’idiosoma
1.5. Éléments biologiques et écologiques des Phytoseiidae
1.5.1. Le cycle de développement
1.5.2. Le régime alimentaire des Phytoseiidae
1.5.3. Le mode de reproduction
1.5.4. Les capacités de dispersion
1.5.5. Les Phytoseiidae et les plantes-hôtes
1.6. La classification actuelle des Phytoseiidae et ses limites
1.6.1. La division en trois sous-familles
1.6.2. Les questions posées par la classification actuelle des Phytoseiidae
1.7. L’identification des espèces de Phytoseiidae
2. CHAPITRE II : PRINCIPES ET CONCEPTS TAXONOMIQUES
2.1. Taxonomie et Systématique : définitions
2.2. Le niveau spécifique : les concepts d’espèces
2.2.1. Le concept biologique de l’espèce
2.2.2. Le concept morphologique de l’espèce
2.2.3. Le concept phylogénétique de l’espèce
2.3. Les taxa supra-spécifiques
2.4. Les caractères morphologiques
2.5. Les caractères moléculaires
2.5.1. Les marqueurs mitochondriaux et leur utilisation en taxonomie
2.5.2. Les marqueurs nucléaires et leur utilisation en taxonomie
2.6. Marqueurs moléculaires et concepts analytiques
2.6.1. Quels concepts analytiques pour étudier le niveau spécifique ?
2.6.2. Quels concepts analytiques pour l’étude des taxa supra-spécifiques ?
3. CHAPITRE III : TAXONOMIE DES PHYTOSEIIDAE & DIAGNOSTIC MOLÉCULAIRE
3.1. Problématique
3.2. Le cas d’Amblyseius swirskii Athias-Henriot à l’Ile de la Réunion
3.2.1. Amblyseius swirskii, une espèce importante en lutte biologique
3.2.2. Amblyseius swirskii, une espèce appartenant à un genre particulièrement complexe
3.2.3. L’étude réalisée et ses principales conclusions
3.2.4. Article: An unexpected occurrence of Amblyseius swirskii (Athias-Henriot) in La Reunion Island (Acari: Phytoseiidae)
3.3. Le cas de Phytoseius finitimus Ribaga
3.3.1. Phytoseius finitimus, une espèce potentiellement importante en lutte biologique
3.3.2. Phytoseius finitimus, une espèce appartenant à un genre à la taxonomie complexe
3.3.3. L’étude réalisée et ses principales conclusions
3.3.4. Article: Great molecular variation questions the species Phytoseius finitimus (Acari: Phytoseiidae): implications for diagnosis within the mite family Phytoseiidae
CONCLUSION GENERALE
Télécharger le rapport complet