PORC-ÉPIC D’AMÉRIQUE
Effets nocifs des ectoparasites sur leurs hôtes
Les parasites exploitent donc leur hôte au détriment de celui-ci et, bien qu’ils ne causent généralement pas leur mort afin de conserver leur source de nourriture, ils peuvent entraîner des dommages plus ou moins importants chez ces hôtes. Les effets peuvent varier d’une simple irritation ou d’un léger dérangement jusqu’à la mort de l’hôte.Les ectoparasites peuvent causer des dépenses énergétiques coûteuses en mouvements répulsifs, par exemple, et même entraîner un bilan énergétique négatif lorsque les insectes sont très abondants (Walsh et al. 1992; Toupin et al. 1996). Plusieurs études sur le caribou (Rangifer tarandus) et le renne ont démontré qu’un harcèlement sévère par les oestres (Gasterophilidae) provoque généralement une diminution du temps consacré à l’alimentation et au repos alors que la période passée en position debout et la fréquence des changements d’activité augmentent (Downes et al. 1986; Folstad et al. 1991 ; Toupin et al. 1996; Mbrschel et Klein 1997; Colman et al. 2001; Hagemoen et Reimers 2002; Colman et al. 2003). Par exemple, une diminution de 23% du temps passé à s’alimenter et une augmentation de 38% du temps passé en position debout ont été observées chez les caribous du troupeau de la Rivière George, au Québec (Toupin et al. 1996). Des résultats similaires ont été observés chez les bœufs musqués (Ovibos moschatus) réintroduits en Alaska (Jingfors 1982), le bétail (Bos ta urus ) (Fredeen 1969; Harvey et Launchbaugh 1982), la chèvre sauvage (Capra hircus) (Brindley et al. 1989), et le cerf élaphe (Cervus elaphus) (Sleeman et Gray 1982), bien que ce dernier semble également utiliser la position couchée pour fuir le harcèlement des insectes (Espmark et Langvatn 1979). Par ailleurs, certains animaux peuvent compenser la réduction de la prise alimentaire en période d’insectes. Sleeman et Gray (1982) ont observé que le cerf élaphe reprenait le temps passé à s’alimenter qui avait été perdu durant les périodes où les insectes étaient moins abondants. De plus, Dougherty et al. (1993; 1994; 1995) ont
observé une compensation au niveau de la prise alimentaire chez la vache. En effet, ellesaugmentaient le taux et la taille de leurs bouchées en présence de mouches piquantes des étables (Stomoxys ca/citrans L.). Quant au caribou, Colman et al. (2003) indiquent qu’il ne semble pas y avoir de compensation et ont même constaté une réduction de la masse corporelle chez les jeunes et les femelles suite à un été de forte abondance d’insectes piqueurs.
Les animaux irrités par les insectes parasitiques peuvent également tenter de fuir en se déplaçant vers des milieux moins propices à ces insectes. Toutefois, ces déplacements peuvent se faire sur de longues distances, plus d’un kilomètre dans le cas des chevaux de Camargue (Equus cabal/us) (Duncan et Cowtan 1980), et peuvent donc entraîner une interruption des activités normales et causer des dépenses énergétiques supplémentaires (Rutberg 1987). De plus, les habitats où le dérangement par les insectes est moindre ne sont pas nécessairement les habitats de meilleure qualité pour l’alimentation (Toupin et al. 1996). Les animaux doivent donc soit faire un compromis
entre l’alimentation et le harcèlement par les insectes ou se déplacer vers les habitats refuges entre les périodes de broutage (Rubenstein et Hohmann 1989).
Au niveau physiologique, plusieurs conséquences du harcèlement des ectoparasites peuvent être observées. Tout d’abord, les morsures des insectes piqueurs peuvent causer des dommages cutanés et sous-cutanés (van Vuren 1996; Smith et al. 1998). Par exemple, les piqûres de mouches noires (Simuliidae) peuvent occasionner des dermatites sévères au cou et à la tête des jeunes buses à queue rousse (Buteo jamaicensis) (Smith et al. 1998). De plus, les quantités de sang et de fluides corporels soutirées par les insectes piqueurs peuvent être très importantes: pertes de 2 kg de sang chez le caribou à cause des moustiques, en une seule saison (Syroechkovskii 1995 cité par Mërschel et Klein 1997). Ces pertes de sang peuvent affaiblir les animaux de façon marquée et être la cause de perte d’appétit, d’anémie et de déshydratation (Hart 1992; van Vuren 1996; Smith et al. 1998).
Les ectoparasites peuvent également affecter la croissance des hôtes. Une étude sur les mésanges charbonnières (Parus major) a démontré que la masse corporelle, la longueur du tarse et de l’aile étaient inférieures chez les jeunes avec des charges de puces plus grandes (Heeb et al. 2000). Il a également été observé chez cette espèce que le succès reproducteur était réduit lorsque le nid était parasité (Richner et al. 1993; Oppliger et al. 1994; Allander 1998). Un ralentissement de la croissance a également été observé chez les marmottes (Marmota flaviventris) (van Vuren 1996) et chez les rennes (Helle et Kojola 1994; Colman et al. 2001). De plus, le fait que le gain de masse soit moindre peut engendrer des effets sur la survie des jeunes et la reproduction. Chez le caribou et le renne, le dérangement suite au harcèlement des ectoparasites diminue les réserves corporelles et peut avoir des conséquences négatives sur la reproduction: retardement de l’ovulation, effets sur le taux de grossesse, la période de mise-bas, la croissance et la survie des veaux entre autre par la réduction du temps de tétée (Helle et Tarvinen cités par Downes et al. 1986; Helle et al. 1992; Walsh et al. 1992; Cameron et al. 1993; Colman et al. 2001; 2003).
Un autre impact très nocif des ectoparasites vient des insectes piqueurs vecteurs de maladies. Les insectes hématophages peuvent transmettre des maladies débilitantes et parfois létales aux hôtes, un vecteur parmi les plus connus étant le moustique (Culicidae), vecteur de la malaria. Les oestres qui ne se nourrissent pas du sang de leur hôte peuvent aussi être cause de maladie. En effet, ces insectes peuvent causer des réactions allergiques et des infections secondaires chez les hôtes et entraîner leur mort (Morschel et Klein 1997). De plus, les larves des oestres du nez (Gasterophilus
haemorrhoidalis) peuvent pénétrer les poumons de leur hôte suite à une course rapide et causer une pneumonie (Morschel et Klein 1997).
Finalement, les ectoparasites peuvent avoir des effets sur la réaction des animaux à l’environnement qui les entoure. Par exemple, une réduction de la vigilance ou de la peur face aux prédateurs a été observée chez certains animaux (Anderson 1971 ; Kavaliers et Colwell 1995a; Moore 2002). Chez les souris (Mus musculus), Kavaliers et Colwell (1995b) ont également observé une diminution des habilités spatiales (déplacement en labyrinthe) lorsqu’elles sont exposées aux mouches piquantes des étables. Dans le cas des ongulés, Hart et al. (1992) ont démontré que les infestations de tique peuvent affecter l’habilité de fuir les prédateurs, la capacité des mâles de
compétitionner pour un territoire et une diminution de la vigilance. En ce qui concerne les oiseaux, une diminution du nombre de jeunes à l’envol a été observée chez la mésange charbonnière (Heebet al. 2000). De plus, chez la buse à queue rousse, la mort de jeunes trouvés au pied du nid a été attribuée au fait que l’oisillon avait sauté ou était tombé du nid suite à un harcèlement sévère de mouches noires (Smith et al. 1998).
Les effets des ectoparasites sont donc très nombreux et peuvent être très coûteux au niveau énergétique pour les hôtes. Ces derniers ont donc développé des comportements préventifs (actif même en absence d’insectes) et défensifs (en réaction directe aux insectes) afin de contrer ces effets. Toutefois, pour que ces défenses représentent un avantage, il faut que l’investissement en énergie nécessaire pour les produire soit inférieur au coût occasionné par les ectoparasites.
Susceptibilité des hôtes
Les ectoparasites repèrent généralement leurs hôtes selon des signaux chimiques (ex. CO2) et visuels et certains facteurs peuvent augmenter la susceptibilité de ces derniers. Le harcèlement des ectoparasites est fortement influencé par l’âge chez plusieurs hôtes. Toutefois, l’effet varie selon les espèces. En effet, bien que dans la plupart des cas, ce soient les plus jeunes qui subissent le plus de dérangement (Kale et al. 1972; LaPointe 1983; Edman et Scott 1987; Woollard et Bullock 1987; Smith et al. 1998; Colman et al. 2003), certains auteurs ont observé un plus grand harcèlement chez les adultes (Edman et Spielman 1988; Sota et al. 1991; Torr et Mangwiro 2000), notamment chez le porc-épic (Marshall et al. 1962). Par exemple, Rubenstein et Hohmann (1989) ont observé huit fois plus de mouches sur les chevaux adultes (Equus cabal/us) comparativement aux jeunes, ce qui a été attribué à une surface disponible aux morsures plus petite et un taux métabolique inférieur chez ces derniers. Chez les cervidés, les bois peuvent également faire la différence au niveau du harcèlement. En effet, Woollard et Bullock (1987) ont observé que les insectes tendaient à piquer aux extrémités des bois chez les adultes tandis qu’ils s’attaquaient à la tête des jeunes sans bois. Dans le cas des rennes semi-domestiques, ce sont les jeunes nés tardivement et les femelles qui ont le moins de réserves corporelles qui ont été le plus affectés par les ectoparasites (Helle et Kojola 1994). Heeb et al. (2000) ont également trouvé que les oiseaux les plus faibles et les moins nourris étaient les plus dérangés par les ectoparasites.
Un autre facteur pouvant influencer la susceptibilité des différents membres d’une population d’hôte est le sexe. Certains ectoparasites détectent les hôtes potentiels à l’aide d’indicateurs chimiques. Rubenstein et Hohmann (1989) croient que la différence entre les hormones des chevaux mâles et femelles pourraient expliquer le fait que les mâles et les femelles allaitantes soient les plus détectés par les mouches.
La taille et la masse affectent également la susceptibilité des hôtes. Les espèces de grande taille subissent généralement un harcèlement plus élevé que les espèces de plus petite taille puisque ces derniers exercent un plus grand nombre de mouvements de répulsion par minute et sont donc plus défensifs (Edman et al. 1974; Day et Edman 1984; Edman et Scott 1987; Sota et al. 1991; Krasnov et al. 1997; Stanko et al. 2002).
Enfin, la densité des populations et l’habitat dans lequel elles se trouvent sont des facteurs agissant sur la susceptibilité. Dans le cas des insectes piqueurs, les jeunes et les femelles rennes grégaires sont moins harcelés que les mâles tandis que le regroupement est bénéfique pour les parasites tels les oestres et les taons (Helle et al. 1992; Hart 1994).
En ce qui concerne l’habitat, Hart et al. (1992) mentionnent qu’il existe une relation positive entre la quantité d’ectoparasites qui se trouvent dans l’habitat et la charge d’ectoparasites des animaux vivants dans ces habitats.
En résumé, les individus les plus susceptibles au harcèlement des ectoparasites sont généralement les plus jeunes, les plus faibles ou ceux qui expriment le moins de comportements défensifs.
Comportements préventifs
Si les parasites ont pu évoluer pour tirer partie de différents hôtes, ces derniers ont également pu développer des réponses préventives pour éviter le harcèlement de parasites. Chez les vertébrés, la désinfection du nid, la sélection de partenaire sexuelle et le toilettage sont associés à la protection contre les parasites (références ci-dessous). On peut classer ces comportements à différents niveaux : l’individu pour le toilettage, l’environnement physique pour la désinfection du nid, et l’environnement social pour le toilettage collectif et la sélection sexuelle. Ces réponses se produisent généralement sans stimulation des parasites bien que parfois, ceux-ci peuvent augmenter la réponse défensive comme c’est le cas avec le toilettage. Certains pourraient considérer comme comportement préventif la sélection d’habitat dans lesquels l’abondance d’ectoparasites est inférieure. Toutefois, aucune étude ne fait mention de sélection préférentielle d’habitat par les animaux afin de prévenir les attaques. Il semble que le déplacement vers les
habitats refuges soit toujours une réponse à l’abondance des ectoparasites et sera donc traité dans la section traitant des comportements défensifs.
Toilettage
Le toilettage est reconnu comme une activité ayant pour fonction le nettoyage du pelage, mais il semble qu’il soit également très efficace pour se débarrasser des ectoparasites (Murray 1990; Hart 1992; Hart et al. 1992; 1994; Moore 2002). Le toilettage est considéré ici comme un comportement préventif. En effet, Hart et al. (1992) ont développé l’hypothèse du toilettage programmé qui stipule que, dans un environnement qui possède peu d’ectoparasites, le toilettage continue d’être exercé de façon régulière mais avec une plus faible intensité que lorsque l’abondance d’insectes est élevée. La programmation diffèrera selon les espèces, leur organisation sociale et l’habitat dans
lequel elles se trouvent (Hart et al. 1992). Pour que le toilettage soit efficace, il faut qu’il élimine les stades de développement essentiels du cycle vital des ectoparasites; que la surface toilettée soit assez importante; que le temps de toilettage soit suffisant; et que les ectoparasites n’aient pas de sites de prédilection d’où ils ne puissent être délogés (Murray 1990).
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Table des matières
REMERCiEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE 1:INTRODUCTION GÉNÉRALE
REVUE DE LITTÉRATURE
Introduction
Effets nocifs des ectoparasites sur leurs hôtes
Susceptibilité des hôtes
Comportements préventifs
Toilettage
Désinfection du nid
Sélection sexuelle
Comportements défensifs
Mouvements repoussant les insectes
Sélection de l’habitat
Regroupement
Dispersion
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
CHAPITRE Il :IMPACTS OF BITING FLIES ON THE BEHAVIOR AND HABITAT USE OF THE NORTH AMERICAN PORCUPINE
Introduction
Materials and methods
General approach
Study area
Insect abundance
Repelling movements and microhabitat use
Black fly bites
Statistical analyses
Results
Insect abundance
Repelling movements
Microhabitat use
Black flies bites
Discussion
Defensive behavior
Microhabitat use
Acknowledgements
References
Tables and figures
CHAPITRE III :CONCLUSIONS DU MÉMOIRE
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