Dès son invention, le laser est apparu comme une source optique aux propriétés uniques. En particulier, un laser est équivalent à une source ponctuelle d’une très grande brillance (on parle aussi de « directivité » du faisceau laser). La conséquence directe de cette cohérence spatiale hors du commun est l’intensité lumineuse colossale émise par un laser. La recherche de puissances instantanées toujours plus grandes a conduit au développement de lasers capables de produire des impulsions brèves (d’une durée de 10⁻¹⁴ à 10⁻¹² secondes) dont les champs d’application s’articulent autour de deux thèmes principaux : l’étude de phénomènes ultra-rapides de nature physique, chimique, ou encore biologique (fluorescence résolue en temps), et la concentration d’une densité d’énergie extrêmement importante dans un petit volume (applications industrielles telles que le micro-usinage de pièces métalliques ou de diélectriques).
Le travail effectué au cours de cette thèse au sein de l’Équipe Lasers Solides et Applications* consiste à mettre en évidence le potentiel de nouveaux matériaux laser pour le développement de sources laser à impulsions brèves. La technologie qui a été choisie est celle des lasers solides utilisant des cristaux dopés avec l’ion ytterbium, que nous appellerons lasers ytterbium dans tout ce mémoire par soucis de concision. Cette technologie permet de réaliser des sources compactes, fiables et rentables grâce au pompage optique direct par diode laser. Les matériaux laser employés sont développés par le Laboratoire de Chimie Appliquée de l’État Solide, † avec qui notre équipe entretient une collaboration très fructueuse depuis plusieurs années. En particulier, les cristaux récemment découverts d’Yb3+: BOYS et d’Yb3+: SYS ont de larges spectres d’émission, autorisant ainsi la production d’impulsions de durées typiques allant de 70 à 100 fs, à des longueurs d’onde d’émission avoisinant le micron. Afin d’atteindre des énergies par impulsion de l’ordre du millijoule, à une cadence inférieure au kilohertz, nous avons réalisé une chaîne laser comportant un oscillateur produisant des impulsions courtes, et un étage d’amplification. L’ensemble de cette chaîne exploite les propriétés de ces nouveaux cristaux laser dopés à l’ion ytterbium, dont le comportement au sein de cavités laser en régime continu est connu depuis peu, mais dont les performances en régime femtoseconde n’avaient jamais été étudiées auparavant.
INTRODUCTION AUX LASERS YTTERBIUM FEMTOSECONDE
Après une introduction historique sur l’invention du laser, ce premier chapitre présente successivement les différents aspects d’un laser ytterbium femtoseconde : les lasers solides (par l’intermédiaire du pompage optique), la production d’impulsions courtes et, enfin, les matériaux laser utilisés dans ces sources d’impulsions brèves.
Introduction historique
« L’énergie emmagasinée par un atome ne peut prendre que certaines valeurs particulières formant une suite discontinue », telle est l’hypothèse formulée par le physicien Niels Bohr au début du siècle dernier afin d’expliquer le spectre de raies de l’onde électromagnétique émise par un atome soumis à une excitation.
Au début du XXème siècle, les connaissances scientifiques conduisaient à une représentation assez précise de la structure de la matière.3 Le siècle précédent avait donné naissance à l’hypothèse moléculaire à partir des lois quantitatives de la chimie (Dalton, Avogadro), puis à l’électron grâce aux expériences de Jean Perrin. Parallèlement, la structure de l’atome se dévoilait progressivement et aboutit à la découverte des ions positifs et des isotopes (J.-J. Thomson), qui ont permis l’introduction du numéro atomique Z (ordre de classement dans le tableau périodique des éléments) et du nombre de masse A d’un atome. Durant la première décennie du XXème siècle, Hertz et Maxwell ont participé au développement tant expérimental que théorique de l’électromagnétisme. La théorie électromagnétique permettait de rendre compte de l’ensemble des phénomènes de l’optique ondulatoire et de l’optique géométrique. Afin d’expliquer également les processus liés à la structure microscopique de la matière, un lien fut établi entre le modèle de l’atome de Thomson (les électrons sont élastiquement liés au noyau) et la théorie électromagnétique. Le résultat permis d’interpréter de manière satisfaisante les expériences d’interaction entre un champ électromagnétique et un atome comme la diffusion du rayonnement par un atome (diffusion Thomson, diffusion Rayleigh) ou les phénomènes d’absorption (bandes d’absorption correspondant à des fréquences de résonances liées au mouvement de l’électron). En revanche, le phénomène pourtant fondamental de l’émission de rayonnement électromagnétique demeurait sans explication convaincante. La décennie suivante fut marquée par l’abandon du modèle de l’atome de Thomson suite aux expériences de déviation de particules α menées par Rutherford en 1911, ce qui ouvrit la voie au modèle de l’atome d’hydrogène de Bohr issue de la balbutiante théorie quantique. Le développement de cette dernière fut ponctué par les travaux de Planck et de Louis de Broglie, et par les débats tumultueux désormais célèbres entre Bohr et Einstein. La théorie quantique a permis d’expliquer les phénomènes d’émission de rayonnement électromagnétique par l’introduction de la quantification des niveaux énergétiques de l’atome. À l’origine, la première idée de quantification avait été introduite par le physicien allemand Planck en 1900 pour expliquer la forme du spectre du rayonnement électromagnétique issu d’un four élevé à une certaine température. Le spectre continu issu d’une source thermique (à présent décrit par la loi de Planck) et le spectre de raies issu de sources lumineuses à décharge (expliqués par la structure des niveaux d’énergie des atomes ionisés issue de la théorie quantique) furent ainsi expliqués. Désormais, la dualité onde-corpuscule introduite par la théorie quantique permettait de caractériser la lumière à la fois par sa nature ondulatoire (« onde électromagnétique », propagation, diffraction) et par sa nature corpusculaire (« photon », énergie, quantité de mouvement).
Pompage optique par diode laser
Les différents types de lasers
Au début du XXIème siècle, quarante ans après la réalisation du premier laser, un grand nombre de sources coexistent sur le marché prolifique des lasers. Les domaines d’applications sont très variés, tout autant que les catégories de lasers. Ces derniers se regroupent généralement suivant quatre familles selon les principes physiques exploités pour leur réalisation :
– les lasers mettant en jeu des niveaux discrets, atomiques ou moléculaires : l’inversion de population résulte du transfert résonnant d’énergie (laser hélium-néon et laser à gaz carbonique), de réactions chimiques (le laser à HF est un exemple de « laser chimique »), de l’excitation par un processus dynamique, d’autres processus de collisions (laser à argon ou à krypton, laser à cuivre, laser à vapeurs métalliques, laser à azote) ou encore par pompage optique (lasers à CH3F, CH3I, etc.) ;
– les lasers à ions dilués dans une matrice solide ou « lasers solides » : le premier laser (le laser à rubis) était un laser solide pompé par lampe flash ;
– les lasers à colorant qui sont caractérisés par une grande accordabilité en longueur d’onde, mais aussi par les contraintes imposées par l’utilisation de jets à colorant ;
– les lasers à semi-conducteurs ou « diodes laser » qui sont connus pour leur compacité, leur rendement et leur fiabilité, mais qui ne disposent pas d’un faisceau d’une qualité remarquable.
Structure des diodes laser
L’émission de lumière par un semi-conducteur s’obtient usuellement par la recombinaison de paires électron-trou dans une zone où elles sont présentes en excès vis-à-vis de l’équilibre thermodynamique. Cette recombinaison s’opère de manière naturelle dans une jonction p-n polarisée en direct : c’est le phénomène d’injection électrique. Le courant d’injection qui traverse la jonction entraîne l’apparition d’un flux d’électrons et de trous, flux qui est compensé à l’équilibre par différents processus de recombinaison :
– non radiatifs, tels que la recombinaison de Shockley-Read-Hall due à la présence d’impuretés dans le semi conducteur, ou la recombinaison Auger due à l’interaction électron-électron ;
– la recombinaison radiative spontanée, équivalent de l’émission spontanée vue précédemment ;
– la recombinaison stimulée, équivalent de l’émission stimulée vue précédemment.
Augmenter le courant d’injection revient à augmenter la densité de porteurs hors d’équilibre dans le semiconducteur. Lorsque la densité de porteurs augmente, la différence entre les énergies des quasi-niveaux de Fermi des bandes de valence (EFv) et de conduction (EFc) augmente. Dès que l’écart entre les deux quasi-niveaux de Fermi excède la bande interdite (Eg), toute onde électromagnétique composée de photons d’énergie comprise entre Eg et EFc- EFv est amplifiée : c’est la condition de Bernard-Durrafourg. L’égalité Eg = EF c – EFv correspond quant à elle au seuil de transparence du matériau semi-conducteur.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1
1.1 INTRODUCTION HISTORIQUE
1.2 POMPAGE OPTIQUE PAR DIODE LASER
1.2.1 Les différents types de lasers
1.2.2 Structure des diodes laser
1.2.3 Propriétés spectrales
1.2.4 Propriétés spatiales
1.2.5 Application au pompage optique de matériaux laser solides
1.3 IMPULSIONS BRÈVES
1.3.1 Profil temporel d’une impulsion laser
1.3.2 Production d’impulsions courtes
1.3.3 Dispersion
1.3.4 Caractérisation temporelle
1.3.5 Caractérisation spectrale
1.3.6 Limitation par transformée de Fourier
1.4 AMPLIFICATION À DÉRIVE DE FRÉQUENCE
1.4.1 Compresseurs d’impulsions à réseaux
1.4.2 Étireurs d’impulsions à réseaux
1.4.3 Facteur d’étirement
1.5 LASERS YTTERBIUM FEMTOSECONDE
1.5.1 État de l’art
1.5.2 Nouveaux cristaux dopés à l’ion ytterbium
1.5.3 Spectroscopie de l’ion ytterbium
1.5.4 Propriétés laser
1.6 CONCLUSION
CHAPITRE 2
2.1 INTRODUCTION
2.2 EFFETS NON LINÉAIRES
2.2.1 Autofocalisation
2.2.2 Automodulation de phase
2.2.3 Absorbants saturables
2.3 VERROUILLAGE DE MODES PASSIF
2.3.1 Les deux catégories de verrouillage des modes
2.3.2 Mécanisme de formation d’impulsions par verrouillage des modes en phase passif
2.3.3 Verrouillage de modes à l’aide de dispositifs de type absorbant saturable rapide
2.3.4 Absorbants saturables semi-conducteurs
2.3.5 Régime soliton
2.3.6 Limite de stabilité du verrouillage des modes passif
2.4 RÉSULTATS D’EXPÉRIENCES
2.4.1 Point de comparaison
2.4.2 Oscillateur femtoseconde Yb: BOYS
2.4.3 Oscillateur femtoseconde Yb: SYS
2.5 CONCLUSION
CHAPITRE 3
3.1 INTRODUCTION
3.2 AMPLIFICATION RÉGÉNÉRATIVE
3.2.1 Régime libre
3.2.2 Régime injecté
3.3 MODÉLISATION D’UN AMPLIFICATEUR RÉGÉNÉRATIF YTTERBIUM
3.3.1 Gain et inversion de population saturés
3.3.2 Formalisme de Frantz-Nodvik appliqué à un laser quasi-trois niveaux
3.3.3 Rétrécissement spectral par le gain
3.4 SIMULATION DES PHÉNOMÈNES DE RELAXATION DANS UN LASER YTTERBIUM
3.4.1 Modèle, algorithme et résultats de la simulation
3.4.2 Origine des oscillations de relaxation
3.4.3 Influence du temps de vie du matériau laser
3.5 MISE EN ŒUVRE EXPÉRIMENTALE DE L’AMPLIFICATION À DÉRIVE DE FRÉQUENCE
3.5.1 Vue globale de l’amplification à dérive de fréquence
3.5.2 Étireur d’impulsions
3.5.3 Compresseur d’impulsions
3.5.4 Caractérisation de l’étireur et du compresseur
3.6 RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX DE L’AMPLIFICATEUR RÉGÉNÉRATIF YB: SYS
3.6.1 Matériaux laser envisagés pour l’amplificateur régénératif
3.6.2 Seuil de dommage en régime impulsionnel
3.6.3 Cavité de base de l’amplificateur régénératif Yb :SYS en régime continu
3.6.4 Amplificateur régénératif Yb: SYS en régime libre
3.6.5 Caractérisation de l’amplificateur régénératif Yb: SYS en régime injecté
3.6.6 Amplificateur régénératif Yb: SYS en régime injecté par un oscillateur Yb: BOYS
3.6.7 Amplificateur régénératif Yb: SYS en régime injecté par un oscillateur Yb: SYS
3.6.8 Conclusion : comparaison avec d’autres amplificateurs régénératifs ytterbium
3.7 ATTÉNUATION ET SIMULATION DU RÉTRÉCISSEMENT SPECTRAL PAR LE GAIN
3.7.1 Amplificateur régénératif Yb: SYS║YAG en régime injecté
3.7.2 Modulation de l’amplitude spectrale injectée avec un filtre acousto-optique programmable
3.7.3 Résultats de simulations numériques de l’amplificateur Yb: SYS║YAG : perspectives
3.8 CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
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