Les interactions entre polysaccharides et lipides forment un champ de recherche aujourd’hui extrêmement vaste. En son sein, nous pouvons notamment recenser de très nombreuses études concernant les polysaccharides issus de l’amidon que sont l’amylose et l’amylopectine. Ces deux molécules présentent des intérêts particuliers pour les industries pharmaceutiques et alimentaires en raison de leurs propriétés structurales particulières. En effet, elles sont connues pour adopter des formes hélicoïdales , permettant l’encapsulation de divers molécules hydrophobes, telles que des lipides , des composés aromatiques ou des molécules bioactives, telles que des médicaments.
Ces molécules sont aussi présentes au sein d’autres systèmes biologiques, tels que la capsule de Mycobacterium tuberculosis6 . Cette partie de l’enveloppe mycobactérienne est composée principalement d’un polysaccharide appelé αglucane7,8, analogue de l’amylose et l’amylopectine. On retrouve aussi certains lipides de la mycobactérie connus pour en être des facteurs de virulence, tels que les dimycocérosates de phtiocérol et les monomycolates et dimycolates de trehalose9 . Cependant, les interactions entre ces molécules ainsi que la structure intrinsèque de la capsule restent aujourd’hui méconnues.
L’étude de ces interactions au sein de ces deux environnements est donc fondamentale et pourrait amener des avancées dans des domaines divers, allant de la formulation d’aliments présentant des propriétés de biodisponibilité particulières à la création de nouveaux adjuvants vaccinaux. Afin de contextualiser le travail réalisé lors de cette thèse, l’état de l’art concernant les interactions entre ces molécules va maintenant être décrit. Nous commencerons par rappeler les travaux réalisés sur les composants de l’amidon, avant de présenter les connaissances actuelles concernant la capsule de Mycobacterium tuberculosis.
Polysaccharides issus de l’amidon et lipides végétaux
Amidon
Provenance et utilisation
L’amidon est un mélange de polysaccharides intégré dans le régime alimentaire humain et servant de réserve d’énergie à la plupart des plantes. Les sources principales d’amidon consommées par les humains sont les céréales, telles que le blé, le riz ou le maïs et les tubercules, telles que les pommes de terre, les patates douces ou le tapioca10,11. Ce matériau est donc largement étudié dans le cadre de l’industrie agro-alimentaire, mais nous allons voir qu’il présente aussi un intérêt particulier dans l’industrie pharmaceutique actuelle.
Dans le cadre de l’industrie alimentaire, des études sont intensément menées sur les amidons résistants à la digestion enzymatique. Tout d’abord, il a été prouvé que l’amylose pouvait encapsuler divers types de composants, dont des arômes3,4 ou des lipides12–18, permettant ainsi de mieux appréhender l’impact de la cuisson sur certains aliments. De plus, les amidons comprenant ce type de complexes sont actuellement étudiés pour des applications pharmaceutiques, afin de formuler des aliments à index glycémique réduit19, utiles dans le cadre du traitement du diabète, ou pour prévenir des maladies digestives telles que les cancer colorectaux20–22. En outre, des études menées récemment semblent indiquer que les granules d’amidon pourraient servir d’adjuvant dans le cadre du vaccin BCG 23,24, actuellement standard dans la prévention de la tuberculose.
Composition et structure
Comme cité ci-dessus, l’amidon est un mélange de deux polysaccharides : l’amylopectine et l’amylose. Ces deux molécules sont principalement composées de résidus glycosyl branchés en [α-1→4], et présentent des ramifications en [α-1→6] (Figure 1). L’amylopectine contient 5-6% de résidus branchés25, et il est connu que l’amylose présente un très faible pourcentage de résidus branchés26,27. La plupart des amidons connus sont majoritairement composés d’amylopectine, à hauteur de 65- 85%28. Il est cependant aujourd’hui possible de trouver des amidons composés en majorité d’amylose, que l’on appelle « high-amylose starches »29, amidon à haut taux d’amylose, et des amidons composés d’un pourcentage encore supérieur d’amylopectine, pouvant atteindre 100%, appelés « waxy starches »30,31, ou amidon cireux.
Ainsi, d’après Gallant et co-auteurs34, les phases semi-cristallines seraient composées de blocklets plus petits en taille ceux des phases cristallines. Plus récemment, Tang et co-auteurs proposèrent un modèle dans lequel les blocklets présents en phase semi-cristalline seraient en fait imparfaits (« defective »), résultant en une cristallinité amoindrie36. Selon ces derniers, les blocklets seraient eux-mêmes composés de structures lamellaires établies par l’amylopectine, qui alternent entre des phases cristallines et amorphes.
Le lien entre blocklets et phases lamellaires reste cependant non-établi, malgré la caractérisation des phases lamellaires depuis 196237 par diffraction aux petits angles. Les lamelles cristallines d’amylopectine sont ainsi formées par les parties linéaires du polysaccharide38–41. Celles-ci forment des doubles hélices, qui selon leurs caractéristiques intrinsèques seront attribuées au polymorphe de type A ou B, dont nous discuterons dans une prochaine partie. Les points de branchements forment alors les parties amorphes et leur taux d’hydratation est connu pour influer l’arrangement des phases cristallines42 . Le rôle et la structure de l’amylose et des lipides présents dans l’amidon sont encore flous à ce jour. Il a été postulé que l’amylose pourrait se situer principalement dans les phases amorphes des structures lamellaires, où elle pourrait notamment former des complexes d’inclusion amylose lipides. Ces complexes pourraient cependant être aussi situés au sein des phases cristallines et ainsi former des défauts. Ces derniers viendraient s’ajouter à ceux déjà présents et dus à l’inhomogénéité des chaines terminales de l’amylopectine43,44. Les structures de l’amylose en dehors de l’amidon seront discutées dans la partie II de cette introduction.
Transformations de l’amidon
On retrouve deux termes fréquemment utilisés dans la littérature concernant les transformations de l’amidon : La gélatinisation et la rétrogradation (Figure 3). La gélatinisation décrit tous les changements de textures et de structures qui apparaissent lorsque l’amidon est chauffé en présence d’eau45,46 (Figure 3, phase (II)). Ce processus était à l’origine considéré comme le passage de l’état solide à l’état liquide de l’amidon, dû au pic endotherme observé en calorimétrie à balayage différentiel (DSC). C’est en 1988 que Zobel et Co-auteurs ont pu montrer par une étude de diffraction aux rayons X qu’il s’agissait de 2 processus différents46. Lors de la gélatinisation, les différents réseaux de liaisons hydrogène présents dans les doubles hélices se cassent. Ceci engendre la perte de structure cristalline locale et la disruption des granules d’amidon47–50. Les effets des différents composants de l’amidon sur la gélatinisation ainsi que ceux de ce processus sont étudiés encore aujourd’hui .
Suivant la gélatinisation, qui intervient donc à haute température, la rétrogradation décrit les différents changements de textures et de structures lors du refroidissement subséquent ainsi que ceux se déroulant lors du stockage de l’amidon54,55 (Figure 3, phase (III)). En résulte une réorganisation moléculaire plus structurée notamment grâce à la formation de structures cristallines de type polymorphe B56. Cependant, en présence de lipides, on peut observer la formation de complexes d’inclusion, de type polymorphe V. Il a d’abord été postulé que la formation de ces complexes se déroulait soit pendant la phase à haute température, soit pendant la gélatinisation. Cependant les études les plus récentes semblent indiquer que c’est pendant la redescente en température que ce type de complexes cristallisent, laissant apparaitre un pic de viscosité lors de cette dernière57–59. Enfin, il est connu que le taux d’hydratation et la température forment deux facteurs influant sur cette étape .
L’amylose et ses structures
Historique et production d’amylose
Bien que le terme d’amylose fut connu avant, c’est seulement à partir de 194061 qu’il a commencé à être utilisé par Meyer et co-auteurs afin de caractériser la partie linéaire, soluble dans l’eau à haute température, de l’amidon. Suite à cela, il a été démontré en 194362 que l’amylose était responsable de la complexation de l’iode, lorsque l’on en ajoute dans de l’amidon. Ceci engendra par ailleurs le développement d’un test colorimétrique qui encore aujourd’hui permet de caractériser la quantité d’amylose présente dans un amidon considéré63. Cette quantité est d’importance car connue pour influencer certaines propriétés de l’amidon, telle que sa rétrogradation55,64 ou sa capacité à être digérée par voie enzymatique. Il existe principalement deux façons d’obtenir de l’amylose : la purification d’amylose à partir d’un amidon donné et sa synthèse enzymatique. La méthode utilisée par Meyer et co-auteurs afin de séparer l’amylose de l’amylopectine fait partie des méthodes dites de fractionnement de l’amidon. Isao Hanachiro divise cette catégorie en 4 sous catégories que sont l’extraction aqueuse61 , la précipitation de l’amylose à l’aide d’un agent complexant, la chromatographie de perméation de gel et la formation d’un complexe insoluble entre l’amylopectine et une lectin A appelée concanavalin A. Les avantages et inconvénients de chaque méthode sont résumés dans le chapitre 2 du livre Starch : Metabolism and Structure de Yasunori Nakamura et ne forment pas le propos de ce manuscrit. En parallèle de ces méthodes, il est possible d’effectuer des synthèses enzymatiques en utilisant différentes enzymes à l’instar de celles listées dans le Tableau . L’avantage principal de ces méthodes réside dans l’homogénéité plus grande de l’amylose obtenue et dans le fait qu’elles évitent la contamination par des molécules d’amylopectine. Parmi ces enzymes nous retiendrons la glucane phosphorylase et l’amylosucrase, car ce sont les deux qui seront rencontrées directement ou indirectement lors de ce travail.
|
Table des matières
Introduction
1. Polysaccharides issus de l’amidon et lipides végétaux
2. Polysaccharides et lipides bactériens
3. Objectifs de la thèse
Références
Méthodes
Chapitre 1. La Résonance Magnétique Nucléaire
1. Historique
2. Principe et fonctionnement
3. Formalisme mathématique
4. Techniques expérimentales utilisées
Chapitre 2. Outils théoriques utilisés
1. Calculs d’écrantage chimique
2. Génération des structures moléculaires utilisées
Références
Travaux réalisés
Chapitre 1. Etudes théoriques de complexes d’amylose
1. Contexte et objectifs du chapitre
2. Article n°1
3. Article n°2
4. Conclusion : Validité et limites de notre approche
Chapitre 2. Etude théorique et expérimentale de complexes d’amylose en présence de lipides divers
1. Avant-propos : méthodes d’études et matières premières
2. Complexation de lipides « classiques »
3. Utilisation de lipides extraits de mycobactéries et corynébactéries
4. Conclusion
Références
Chapitre 3. Etude théorique et expérimentale préliminaire des interactions entre polysaccharides branchés en présence de lipides divers
1. Résultats expérimentaux
2. Résultats théoriques
3. Conclusion, expériences futures
Références
Conclusion et perspectives
Résumé des travaux réalisés
Etablissement de la stratégie d’étude théorique
Etude de complexes d’amylose en présence de lipides contenant plusieurs chaines hydrophobes
Etude d’interactions entre polysaccharides ramifiés et lipides divers
Perspectives d’études
Références
Annexes