La polyradiculoneuropathie (PRN) aiguë est une affection du système nerveux périphérique touchant les racines, les troncs nerveux et parfois les nerfs crâniens. Elle est le plus souvent démyélinisante, s’exprimant cliniquement par un déficit proximo-distal des 4 membres. Elle est d’évolution ascendante et le plus souvent d’étiologie inconnue occasionnée par des désordres immunitaires. Les PRN aiguës constituent un groupe hétérogène de maladie neurologique périphérique dont le syndrome de Guillain Barré (SGB) représente la forme la plus fréquente [37]. Le diagnostic du syndrome de Guillain-Barré repose principalement sur trois éléments : un tableau clinique évocateur, une anomalie du liquide cérébro-spinal (LCS) et un profil évolutif bien déterminé [37, 44]. Bien que décrit historiquement comme bénigne, il reste une urgence médicale dont la gravité peut justifier une hospitalisation en réanimation. Le pronostic de la pathologie a été largement amélioré par une meilleure prise en charge respiratoire avec l’avènement de la ventilation mécanique, mais aussi par l’apparition de l’immunothérapie et des échanges plasmatiques. Malgré tout, les formes graves peuvent engendrer des séquelles, motrices ou sensitives, avec notamment des douleurs neuropathiques résiduelles. Nous rapportons notre expérience à travers une série de patients recrutés à la clinique de neuroscience Ibrahima Pierre Ndiaye du centre hospitalier national universitaire (CHNU) de Fann pour tenter de mettre en évidence les aspects épidémiologiques, cliniques, paracliniques étiologiques et thérapeutiques des PRN aiguës.
Généralités
Définition et cadre nosologique
Les PRN aiguës sont des affections inflammatoires diffuses des nerfs périphériques et des racines nerveuses d’installation rapide en moins de 4 semaines. Il en existe plusieurs variantes. La forme la plus fréquente en Occident (90% des cas) est nommée syndrome de Guillain-Barré (SGB) ou polyradiculonévrite inflammatoire démyélinisante aiguë (AIDP, acute inflammatory demyelinating polyradiculoneuropathy) et correspond au syndrome «classique». Il existe deux autres formes caractérisées par une atteinte axonale : une forme motrice pure (AMAN, acute motor axonal neuropathy) et une sensitivo-motrice (AMSAN, acute motor sensitive axonal neuropathy). Enfin, le syndrome de Miller-Fisher est une forme variante impliquant surtout une atteinte des paires crâniennes avec une ataxie et une aréflexie.
Epidémiologie
Le SGB constitue actuellement la principale cause de paralysie aiguë généralisée [42]. Son incidence annuelle est estimée entre 0,6 à 4/100000 [3, 8, 23]. Il est présent dans toutes les régions du monde, durant toutes les saisons et touche aussi bien l’enfant que l’adulte à tout âge avec une discrète prédilection pour les hommes (1,5 homme pour 1 femme) [8, 26]. Son incidence augmente de façon linéaire avec l’âge [8, 26]. Le caractère épidémique avec augmentation temporaire de l’incidence n’a été que très rarement rapporté [3, 14].
Physiopathologie
Les lésions des nerfs périphériques dans le SGB sont causées par un mécanisme dysimmunitaire. Il s’agit primairement d’une réponse cellulaire et humorale induite par un mimétisme moléculaire d’antigènes bactériens ou viraux. Les cibles de cette réaction immune sont les gangliosides des gaines de myéline ou juxtaaxonales. Il s’ensuit une infiltration inflammatoire des nerfs et des racines nerveuses. Il existe une activation des macrophages avec phagocytose des gaines myéliniques ou des axones. Dans la forme classique (AIDP), aucun anticorps spécifique n’a pu être isolé. Dans le syndrome de Miller-Fisher, des anticorps antigangliosides GQ1b sont positifs dans 90% des cas. Les formes axonales (AMAN, AMSAN) sont associées à l’apparition d’anticorps anti-GM1 et GD1a [26, 40]. Cette réponse immunitaire conduit à une rupture de la barrière sang-nerf des racines nerveuses et aboutit à une hyperprotéinorachie du LCS, classiquement sans pléocytose. Plusieurs virus du groupe Herpès ont été impliqués dans la pathogenèse du SGB. Il s’agit de cytomégalovirus (CMV), Epstein Barr virus (EBV) et varicella zona virus (VZV). Le CMV est le plus susceptible de provoquer ce type de réactions. L’hypothèse d’une relation causale entre l’infection par SARS-CoV2 et SGB a émergé dès les premiers cas rapportés, renforcée par de études montrant une augmentation d’incidence du SGB dans les régions du nord de l’Italie au cours de la première vague [19]. Sur le plan bactérien, il s’agit essentiellement de Campylobacter jejuni, Mycoplasma pneumoniae et Haemophilus influenzae. Campylobacter jejuni est fortement associé avec la forme AMAN et le syndrome de Miller-Fisher. Le rôle des vaccins a aussi été discuté, mais plusieurs études n’ont pas montré d’association significative, en dehors du vaccin antirabique [12].
Présentation clinique classique
Circonstance de survenue
Dans toutes les séries, environ 2/3 des patients présentaient un épisode infectieux dans les 1 à 3 semaines précédant les 1er symptômes avec une moyenne de 11 jours [14, 23, 42]. Il s’agit habituellement d’un syndrome grippal ou gastrointestinal guéri lors de la survenue du déficit moteur. Les symptômes les plus fréquents sont : la fièvre (52 %), la toux 48 %, le mal de gorge (39 %), la rhinorrhée (30 %), la diarrhée (27 %) [31].
Phases cliniques
Dans sa forme typique, la PRN aiguë correspond au SGB, se traduisant classiquement par un déficit sensitivo-moteur d’évolution ascendante, bilatéral et symétrique, associé à une aréflexie ostéotendineuse généralisée. Les symptômes atteignent leur paroxysme en moins de quatre semaines. Le SGB évolue en 3 phases : la phase d’extension, la phase de plateau et la phase de récupération.
Phase d’extension
Elle correspond à l’extension du déficit neurologique. Elle doit par définition durer moins de 4 semaines. Les premiers symptômes sont généralement des paresthésies ou des dysesthésies des extrémités. Puis s’installe le déficit moteur, généralement bilatéral et symétrique, associé à une perte ou diminution des réflexes ostéotendineux (ROT). L’évolution du déficit se déroule de manière ascendante, prédomine en proximal et peut être de gravité variable. Il évolue potentiellement vers une tétraplégie flasque avec diplégie faciale associée à une insuffisance respiratoire aiguë restrictive liée à l’atteinte des nerfs phréniques [26].
Phase de plateau
Cette phase a une durée variable. A ce stade, des paresthésies ou des douleurs neuropathiques sont présentes dans 80% des cas. L’aréflexie est généralisée chez 80% des patients, 75% présentent des troubles de la marche et 20% évoluent vers une atteinte respiratoire [26].
Phase de récupération
La récupération motrice est variable et peut être longue en fonction du type d’atteinte. Environ 15% des patients ne recouvrent pas la marche à 6 mois et près de 10% des patients présentent encore des symptômes résiduels à 3 ans de l’épisode [6]. De plus, des fluctuations cliniques peuvent être observées après le début du traitement avec une possibilité de réaggravation. En effet des rechutes des SGB sont assez rares mais peuvent être observées dans 2 à 5% des cas [14].
Signes associés
Dysautonomie
La dysautonomie qui accompagne le SGB est une complication présente chez les deux tiers des patients. Elle intervient généralement dans la phase d’extension, mais parfois dans celle de récupération. Ces symptômes peuvent se manifester par des troubles cardiovasculaires comme une labilité tensionnelle entrainant des hypotensions orthostatiques sévères et une dysrythmie cardiaque pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardio-circulatoire. Il peut également y avoir une réponse hémodynamique aberrante ou excessive à des médicaments, des anomalies pupillaires, une dysfonction sphinctérienne avec notamment une rétention d’urine. Ces manifestations sont généralement mineures et interfèrent peu sur l’évolution et la prise en charge du patient. Parfois, les complications cardiovasculaires mettent en jeu le pronostic vital. Les dysautonomies représenteraient une des principales causes de décès dans la maladie.
Douleur
La douleur est un des symptômes les plus présents au cours du syndrome de SGB. Elle est présente dans toutes les phases. Elle se présente sous différentes formes : douleur de type neuropathique avec paresthésies ou dysesthésies, douleur musculaire ou articulaire, douleur viscérale, douleur de décubitus, etc… Elle ne semble pas être plus importante dans une forme clinique que dans une autre. Son origine est multifactorielle et varie en fonction du stade de la maladie. Elle est plutôt nociceptive dans la phase d’inflammation où les fibres nerveuses de l’épiderme sont plus sensibles. Il existe également des douleurs viscérales secondaires à la dysautonomie. Par la suite les douleurs sont plutôt neuropathiques, dues à la dégénérescence puis à la régénération des fibres nerveuses.
Examens paracliniques
Ponction lombaire
La ponction lombaire (PL) retrouve classiquement une dissociation albuminocytologique (DAC), se traduisant par une hyperproteinorachie sans réaction cellulaire. Sa normalité n’exclut pas le diagnostic car l’apparition de celle-ci peut être retardée de 3 à 15 jours. En effet, on retrouve une DAC dans 50% des cas chez les patients atteints de SGB lors de la 1ère semaine des symptômes et ce pourcentage augmente à 75% au cours de la 2ème semaine.
Electroneuromyographie
Etude de la conduction nerveuse
A la phase précoce d’un SGB, l’examen électrophysiologique peut ne pas montrer d’anomalies pour 2 raisons : un retard à l’apparition du ralentissement de conduction et la localisation très proximale des blocs de conduction. A la phase d’état, l’ENMG met en évidence des anomalies démyélinisantes avec :
– un allongement de la latence des ondes F qui survient précocement, témoignant d’une démyélinisation proximale
– un allongement de la latence distale motrice
– un ralentissement des vitesses de conduction
– la présence de blocs de conduction sur les troncs nerveux, en dehors des zones de compression habituelles Une perte axonale secondaire, parfois majeure, est possible. Elle est caractérisée par une diminution de la taille des réponses motrices distales. Cette destruction axonale est parfois très précoce, avec des nerfs d’emblée inexcitables.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. Généralités
I.1 Définition et cadre nosologique
I.2 Epidémiologie
I.3 Physiopathologie
II. Présentation clinique classique
II.1 Circonstance de survenue
II.2 Phases cliniques
II.2.1 Phase d’extension
II.2.2 Phase de plateau
II.2.3 Phase de récupération
II.3 Signes associés
II.3.1 Dysautonomie
II.3.2 Douleur
III. Examens paracliniques
III.1 Ponction lombaire
III.2 Electroneuromyographie
III.2.1 Etude de la conduction nerveuse
III.2.2 Détection à l’aiguille
III.2.3 Critères électrophysiologiques
IV. Variantes électro-cliniques
IV.1 Neuropathie motrice aiguë axonale
IV.2 Neuropathie axonale aiguë motrice et sensitive
IV.3 Syndrome de Miller-Fischer
V. Diagnostic
V.1 Critères diagnostiques
V.2 Diagnostic différentiel
V.3 Diagnostic étiologique
V.3.1 Bilan étiologique
V.3.2 Etiologies
V.3.2.1 PRN infectieuses
V.3.2.2 PRN carentielles et toxiques
V.3.2.3 PRN aiguës associées à un cancer
V.3.2.4 PRN aiguës associées à une hémopathie
V.3.2.5 PRN aiguës et dysglobulinémies
V.3.2.6 PRN aiguës et pathologies inflammatoires
VI. Prise en charge
VI.1 Prise en charge en urgence
V.2 Traitement symptomatique
V.3 Traitement spécifique
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL PERSONNEL
I. Patients et méthode
I.1 Type d’étude
I.2 Cadre d’étude
I.3 Population d’étude
I.3.1 Critères d’inclusion
I.3.2 Critères de non inclusion
I.4 Protocole
I.5 Analyse des données
I.6 Considérations éthiques
II. Résultats
II.1 Taille de la population
II.2 Caractéristiques socio-démographiques
II.2.1 Âge
II.2.2 Genre
II.2.3 Âge et genre
II.2.4 Origine géographique
II.3 Données cliniques
II.3.1 Motif(s) d’hospitalisation
II.3.2 Délai début des symptômes-hospitalisation
II.3.3 Circonstances de survenue
II.3.4 Signes cliniques
II.3.4.1 Phase de la maladie à l’admission
II.3.4.2 Etat hémodynamique
II.3.4.3 Etat respiratoire
II.3.4.4 Déficit moteur
II.3.4.5 Réflexes ostéotendineux
II.3.4.6 Troubles sensitifs
II.3.4.7 Nerfs crâniens
II.3.4.8 Troubles sphinctériens
II.4 Données paracliniques
II.4.1 Electroneuromyographie
II.4.2 Ponction lombaire
II.4.3 Autres examens paracliniques
II.4.3.1 Bilan inflammatoire
II.4.3.2 Sérologies
II.4.3.3 Bilan immunologique
II.4.3.4 Bilan radiologique
II.5 Prise en charge
II.5.1 Non spécifique
II.5.2 Spécifique
II.6. Evolution
III. Discussion
III.1 Profil épidémiologique
III.2 Profil clinique
III.3 Profil paraclinique
III.3.1 Electroneuromyographie
III.3.2 Etude du LCS
III.4 Profil étiologique
III.4 Profil thérapeutique
III.5 Limites de notre étude
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE