Les théories de base
Comme nous l’avons précisé antérieurement l’analyse du discours est une discipline qui s’inscrit dans les sciences du langage vers les années 60-70. Elle peut s’appliquer sur différentes bases théoriques parmi lesquelles on trouve: la théorie communicationnelle, la théorie conversationnelle, la théorie sociolinguistique, la théorie sémiotique, la théorie énonciative et la théorie pragmatique. Toutes ces théories servent d’outils d’étude très efficace et efficience aux réflexions sur tout discours politique, religieux, philosophique ou littéraire. Cette partie nous sert d’en passer revue un certain nombre pour éclairer notre démarche. Pour le besoin de notre recherche, nous nous intéressons en premier lieu à la théorie de l’énonciation et après à celle de la pragmatique puisqu’elles ont un lien étroit. La théorie de l’énonciation est le fondement de notre réflexion car elle s’intéresse à tous les phénomènes qui caractérisent les conditions de production d’un discours mais aussi nous permet d’articuler principes de linguistique générale et théorisation de la spécificité linguistique d’une langue donnée. Elle autorise le rapprochement que fait Ducrot (1984) avec les thèses narratologiques de G. Genette (1972): l’écrivain hors du récit, dans la position du sujet parlant hors du sens de l’énoncé; le narrateur dans la position du sujet communicant: ce qui illustre le caractère parfois homodiégétique du narrateur dont les écrivains africains en font usage dans leurs créations romanesques. L’intérêt que gouverne l’analyse du discours serait d’appréhender le discours comme intrication d’un texte et d’un lieu social, c’est-à-dire un objet n’est ni l’analyse textuelle ni la situation de communication mais ce qu’il noue à travers un dispositif d’énonciation spécifique. Ce dispositif relève à la fois verbal et de l’institution: penser les lieux indépendants des paroles qu’ils autorisent, ou penser les paroles indépendantes des lieux dont elles sont parties prenantes, ce serait rester en deçà des exigences qui fondent l’analyse du discours. Charles Bally lui aussi a emprunté cette théorie de l’énonciation en dépit des ambiguïtés constamment récurrentes en dégageant explicitement sa « stylistique » de toute préoccupation rhétorique ou littéraire. Cette théorie ouvrait une voix vers la conceptualisation des discours littéraires spécifiques sans jamais rester impassible à la question polyphonique. Ce qui pourrait susciter de confusion est en réalité l’indice d’une séparation de fait dans l’après coup du structuralisme entre linguistique et littérature. Ce qu’illustre cette réflexion de Georges Mounin selon lequel Bally « est à l’origine de la théorie de l’énonciation qui règne aujourd’hui, surtout d’ailleurs chez les chercheurs en littérature. Ce sera un beau problème historique par exemple, d’essayer d’établir les rapports, sur ce point, qui passe entre Bally, l’Ecole de Prague, Jakobson et Benveniste » (1984 :13) Comme la théorie de l’énonciation a un lien étroit avec la pragmatique donc notre étude ne serait exhaustive sans pour autant explorer cette théorie. La théorie de l’énonciation dans son approche prend en compte l’énoncé non seulement du point de vue du locuteur mais aussi de la relation de cet énoncé avec l’allocutaire. La pragmatique est la partie de la linguistique qui étudie les rapports entre la langue et son usage concret en situation de communication réelle, prenant à la fois la réalité sociale et ses rapports avec la langue, mais aussi le fonctionnement de la langue dans la cognition humaine. La pragmatique c’est d’abord dans la lignée de Charles Morris et d’un certain nombre de logiciens, l’étude des relations existant entre les signes et leurs utilisations. Point n’est besoin d’insister davantage sur les objectifs de la pragmatique ainsi connus: toutes nos considérations précédentes pourraient en effet y être réservées, dont la fonction était précisément de dégager les procédés permettant à l’énoncé de s’enraciner dans son « cadre énonciatif » que constituent triplement l’émetteur, le récepteur et la situation de communication de ce dernier élément du triplet, qui a été jusqu’ici quelque peu négligé, nous avons sous peu l’occasion de quelques mots car il constitue l’une des charnières où s’articulent peut être les deux problématiques l’on peut très approximativement appeler « énonciation » et « illocutoire ». A la suite de cet éclairage sur les différentes théories qui administrent notre champ d’investigation, la pragmatique illumine davantage cette étude en s’appuyant cette fois-ci dans la lignée «des philosophes d’Oxford », l’étude des actes de langage. La bibliothèque étant très abondante sur ces questions de pragmatique illocutoire, notre intention n’est nullement de rendre ici compte de l’ensemble de ces travaux, qui reprennent et approfondissent les idées développées par Austin et Searle et dont l’hypothèse fondatrice est la suivante : « parler, c’est sans doute échanger des informations, mais c’est aussi effectuer un acte, régi par des règles précises, qui prétend transformer la situation du récepteur et modifie son système de croyance et /ou son attitude comportementale; corrélative, comprendre un énoncé c’est identifier, en outre son contenu informationnel, sa visée pragmatique, c’est-à-dire sa valeur et sa forme illocutoire ». Selon Catherine Kerbrat Orecchioni pages 205 206. Compte tenu de son utilité et son importance dans l’énonciation, la pragmatique est en particulier développée à partir des recherches en philosophie du langage d’Austin sur les actes du langage et de Grice sur l’implicite. L’approche pragmatique nous permettra de prendre en compte quelques caractéristiques de la situation de communication en nous appuyant sur les notions d’explicite et d’implicite. Les sources de la pragmatique nous servent aussi de rendre compte des moyens d’influence des titres sur les lecteurs. A la suite de ceci et pour rendre accessible notre langage à notre lectorat; il devient nécessaire de définir brièvement certaines expressions considérées comme des mots clés.
Enonciation
Selon E. Benveniste : « L’énonciation est la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ».(1970 :12) Il y a donc, d’une part, la langue que nous avons vue et définie comme biplane c’est-à-dire qu’elle comporte deux niveaux : un niveau manifeste et un niveau non manifeste, définis par leur relation réciproque et d’autre part l’utilisation particulière qu’en fait un locuteur. Citant TODOROV, Kerbrat Orecchioni affirme que : « L’énonciation est l’archétype de l’inconnaissable ». (2002 :52) Selon Anscombre et Ducrot cités par Kerbrat Orecchioni : « L’énonciation est l’activité langagière exercée par celui qui parle au moment où il parle ». (2002 :32) Selon M. Arrivé F. Gadet et M. Galmiche : « L’énonciation est l’acte individuel de création par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue : un échange linguistique met en jeu des individus (locuteur et allocutaire), dans une situation particulière. Pour individuel et particulier que soit cet acte, il n’en obéit pas moins à certains schémas inscrits dans le système de la langue ». (2010 :254) Toutes les quatre définitions se retrouvent dans un sens unique cependant, il semble vrai que la dernière définition est la plus exhaustive pourvu qu’elle va plus loin en précisant la deixis et en informant mieux le lectorat sur les éléments communicants. Comme toute œuvre humaine cette définition exhibe ses limites pour ne pas faire l’unanimité en présentant ses insuffisances. Ainsi, nous remarquons la différence entre énonciation et énoncé que les locuteurs confondent souvent. Si l’énonciation est l’acte, l’énoncé est le résultat de cet acte. L’énonciation s’oppose à l’énoncé comme la fabrication s’oppose à l’objet fabriqué.
Polyphonie
Selon Guillaume Dufay et Gilles Binchois : « En musique, on entend par polyphonie la combinaison de plusieurs voix indépendantes et pourtant liées les unes aux autres par les lois de l’harmonie. Par extension c’est la capacité de jouer plusieurs notes à la fois et on parle d’instruments polyphoniques. De manière très générale, les mots polyphonie et harmonie peuvent être considérées comme des synonymes désignant un procédé musical utilisant des simultanéités sonores délibérées. Dans cette acception, la polyphonie ou de façon, équivalente, l’harmonie, s’oppose à la monodie. De manière plus précise et concernant la seule musique occidentale savante. La polyphonie désigne le système musical utilisé du XIIème siècle à la Renaissance. Elle s’oppose cette fois ci à l’harmonie système qui lui succédera au cours de la deuxième moitié du XVIème siècle. Selon M. Mihailovic Bakhtine : « La polyphonie est une notion empruntée à la musique, et Bakhtine emploie tantôt ce terme, tantôt celui de « dialogique », qui lui est synonyme, pour caractériser la particularité de l’œuvre de Dostoïevski. La multitude de points de vue présents dans le très court texte « Bobok » (où se répondent les voix de personnes jeunes, âgées, riches, pauvres, belles, hideuses, vivantes, et décédées) témoigne de cet aspect de l’œuvre » (1997 :61) Le commentaire de ces deux acceptions balise le terrain aux autres chercheurs en leur offrant à l’entame de leur recherche des théories qui leur permettront d’appui pour bien mener leurs travaux. La définition proposée par Bakhtine nous parait la moins subtile puisqu’il la rapproche d’un autre lexème et qu’elle est empruntée à ce mot familier (musique) donc sa compréhension et son applicabilité dans les textes romanesques ne souffrent d’aucune ignorance.
La polyphonie convergente
S’inspirant des réflexions de Ducrot pour illustrer la polyphonie convergente représentée dans le discours comme étant un accord avec aucune occurrence de dissension de l’ensemble des sujets parlants dans l’interaction verbale dont le but est d’arrivé à un consensus fort et unanime. Autrement dit, la polyphonie convergente n’est rien d’autre qu’une rencontre d’idées communes des différents interactionnistes dans l’interaction. Cette acception a été de propager la connaissance de la polyphonie dans un sens plus large dans un contexte non francophone seulement afin de développer et de faire répandre la théorie polyphonique convergente par l’exploration de ses possibilités combinatoires avec les domaines de l’argumentation, de la linguistique textuelle, des analyses conversationnelles et c. On reconnait là les pensées de Oswald qui ont été appliquées dans maintes études littéraires mais dont les idées ont également inspiré des travaux linguistiques, sémantiques ou pragmatiques. Pour rendre compte d’une interaction, un locuteur utilise des mots qui ne sont pas de sa langue première. Ces mots ou lexèmes peuvent appartenir à d’autres ou par exemple à une ethnie quelconque sont intégrés et immiscés dans le discours, des expressions, des sagesses populaires de roman peuvent faire surface. Ces mots ne sont pas souvent mentionnés avec des guillemets. La polyphonie convergente et le discours indirect nourrissent les objectifs de ce mémoire dans la mesure où ils déclenchent des interrogations, des réflexions sur le recours du locuteur. Les différentes voix employées par les locuteurs varient entre celles des écoliers, d’un corps de métier à un autre. Tout texte fait parler plusieurs voix. Le locuteur se positionne par rapport à d’autres énonciateurs réels ou imaginés par lui mais comment ces voix se manifestent, s’accordent-elles sur le locutoire. La polyphonie convergente est un fait d’interprétation car comme disait le professeur Modou NDIAYE de l’UCAD dans son cours de master 2 intitulé : Structuration des relations lexicales, l’analyse sémantique n’est possible que si le linguiste est présent du contexte d’après Greenfield dit-il. Elle fait partie du sens que l’allocutaire attribue au texte qu’il lit. Il arrive dés fois qu’un texte puisse ?̂tre polyphonique convergente pour un interlocuteur et ne le soit pas pour un autre car à supposer que ce dernier est absent de la scène d’énonciation. Contrairement à l’analyse en phonème ou en morphème qui est toujours possible. La forme linguistique semble jouer un r?̂le important dans la génèse de la polyphonie selon le père fondateur de la polyphonie Oswald Durot « Les énonciateurs sont des ?̂tres virtuels et leurs points de vue sont des paroles virtuelles ». Certes, en écrivant l’auteur a su essayer de retracer la vie du mandingue pour servir les besoins et les objectifs de son discours mais a fait recours tant soit peu à la fiction romanesque en créant certain de ses personnages.
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE 1 : CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL
1-1 Problématique
1-1-1 Contexte et justification
1-1-2 Questions de recherche
1-1-2-1 Question principale
1-1-2-2 Questions secondaires
1-1-3 Les objectifs
1-1-4 Les hypothèses
1-1-5 Revue de littérature
1-2 Méthodologie de la recherche
1-3 Méthodologie du traitement des données
1-4 Décharge documentaire
1-4-1 Les théories de base
1-4-2 Les concepts clés
CHAPITRE 2 : LES DIFFERENTS ASPECTS DE LA REPRESENTATION DE LA PAROLE D’AUTRUI DANS L’INTERACTION VERBALE : LA POLYPHONIE
2-1 La polyphonie convergente
2-1-1 Le discours direct
2-1-2 La sagesse populaire comme moyen de communication authentique
2-1-3 Le dialogisme interlocutif
2-2 La polyphonie divergente
2-2-1 Le discours indirect
2-2-2 Le dialogisme inter discursif
2-2-3 L’hétérolinguisme
CHAPITRE 3 : APPROCHE ENONCIATIVE ET FONCTIONNEMENT DES PROCEDES DISCURSIFS DANS SOUNDJATA OU L’EPOPEE MANDINGUE
3-1 De l’énoncé à l’énonciation
3-1-1 La situation d’énonciation
3-1-2 Le « je de l’énoncé » et le « je de l’énonciation »
3-1-3 L’énonciateur
3-1-4 Le locuteur
3-2 L’emploi de la deixis et des embrayeurs en tant que moyens de décrochage ou de débrayage
3-2-1 Les déictiques temporels
3-2-2 Les déictiques spatiaux
3-2-3 Les embrayeurs
3-3 Le jeu des voix narratives
3-3-1 Le métalepse
3-3-2 Le narrateur hétérodiégétique
3-3-3 Le « je » impersonnel et le « nous » en tant que représentant d’une collectivité
Conclusion
Bibliographie
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