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Coquille, traits d’histoire de vie et reproduction
La coquille de P. acuta, comme celle de tous les Physidae, présente un enroulement sénestre (Figure 3). La taille de la coquille à l’éclosion est d’environ 1 mm ; elle atteint environ 6 à 8 mm de longueur à la maturité sexuelle (i.e., vers 40 jours à 25°C en laboratoire; Jarne et al. 2000, Tsitrone et al. 2003b), et jusqu’à près de 15 mm à la mort (Henry 2002). La largeur est environ la moitié de la longueur. La coquille peut être mesurée relativement aisément à l’aide d’un micromètre inséré dans une loupe binoculaire. La répétabilité de cette mesure a été estimée au-delà de 98% sur la longueur et de 95% sur la largeur.
La morphologie de la coquille est éminemment plastique chez les gastéropodes (voir par ex. Dillon 2000), et la forme, l’épaisseur ou la croissance peuvent répondre à différents stimulus tel que la prédation (Auld & Relyea 2010) ou la présence de partenaires (Tsitrone et al. 2003b). Elle présente cependant une base génétique dont nous avons tiré parti dans cette thèse. Nous avons en effet pu montrer lors d’une expérience préliminaire que l’héritabilité du rapport largeur / longueur (l/L) était de 0,17 estimée sur 400 individus issus de 40 familles de pleins frères. Le protocole permettait de prendre en compte les effets maternels, et ceux-ci n’étaient pas significatifs pour ce trait. Compte-tenu d’une répétabilité élevée et d’une héritabilité « honorable », le ratio l/L est apparu comme un caractère de pertinent pour mener une expérience de sélection sur plusieurs générations.
D’autres aspects importants dans le cadre de ce travail sont les traits de vie et la reproduction. Les individus pondent des masses gélatineuses (pontes) entourées d’une membrane translucide, permettant l’adhésion à un support solide (par ex., morceau de bois en milieu naturel, parois des boîtes en laboratoire) et contenant en moyenne 10 à 20 œufs (Jarne et al. 2000, Escobar et al. 2007, 2009). Les œufs mesurent environ 0,5 mm et peuvent être comptés à l’aide d’une loupe binoculaire. L’incubation dure de 6 à 8 jours en conditions de laboratoire. Le taux d’éclosion dépend du système de reproduction, et peut atteindre 90-95% en fécondation croisée.
La vie sexuelle débute par une phase de protandrie durant quelques jours (Wethington & Dillon 1993), suite à laquelle les individus deviennent sexuellement mûrs pour les deux fonctions. Le mode de reproduction chez P. acuta est la reproduction croisée ou allofécondation, même si l’autofécondation est tout à fait possible (Henry et al. 2005, David et al. 2007, Bousset et al. 2014) – en cela, P. acuta est similaire à de nombreux autres gastéropodes d’eau douce (Escobar et al. 2011). L’autofécondation est utilisée dans les situations où les partenaires sexuels sont rares. Dans ce cas, un individu s’autoféconderait après avoir attendu un éventuel partenaire sexuel – le temps correspondant à cette attente est appelé temps d’attente (« waiting time » ; Tsitrone et al. 2003a, 2003b), comme exposé en Introduction, et l’autofécondation peut être considérée comme « retardée » (« delayed selfing »). Le temps d’attente est héritable, associé à une réallocation des ressources vers la croissance et la reproduction future, et dépend de la dépression de consanguinité (Tsitrone et al. 2003b). A cette stratégie d’allofécondation préférentielle est associée une dépression de consanguinité forte, comme l’ont montré diverses études depuis une vingtaine d’années (Jarne et al. 2000, Tsitrone et al. 2003b, Escobar et al. 2007, 2009, 2011). On notera une composante marquée sur la fonction mâle (Jänicke et al. 2013), celle-ci étant d’autant plus forte que la compétition mâle est importante.
Les individus sont matures et sexuellement actif durant à peu près toute leur existence, même si une sénescence de reproduction a été mise en évidence (Auld et al. 2014). Ils peuvent survivre plus de six mois en conditions de laboratoire (Auld et al. 2014), mais aussi en populations naturelles (Henry 2002).
Comportements copulatoires
Ces comportements ont été largement décrits chez P. acuta par Wethington & Dillon (1996), Facon et al. (2006) et Pélissié et al. (2012, 2014), et sont assez stéréotypés chez les Hygrophila (Jarne et al. 2010). Deux individus vierges, ou n’ayant pas copulé depuis longtemps, mis en présence copulent à la fois en tant que mâle et en tant que femelle au bout de quelques minutes à dizaines de minutes. La copulation est unilatérale, i.e. qu’un individu ne joue qu’un seul rôle sexuel à la fois avec un partenaire donné (l’un jouant mâle, l’autre femelle), ce qui permet d’identifier formellement les rôles sexuels de deux partenaires (Fig. 5).
L’inversion des rôles est possible après une première copulation. L’individu jouant le rôle de mâle transmet du sperme qu’on désigne comme allosperme – le sperme utilisé en autofécondation est appelé autosperme. La plupart des copulations durent entre quelques dizaines de secondes et quelques minutes, et se déroulent selon une séquence comportementale caractéristique (Jarne et al. 2010 ; Pélissié et al. 2012, 2014) – chaque phase peut être quantifiée, par exemple par sa durée. Deux partenaires potentiels entrent en contact. L’un va jouer le rôle mâle en se hissant sur la coquille de son partenaire dans un mouvement circulaire. Un comportement de rejet par l’individu jouant femelle peut avoir lieu. L’individu jouant le rôle mâle dévagine alors son prépuce afin de l’insérer dans le gonopore de son partenaire. Le transfert de sperme n’est pas détectable par simple observation (comme d’ailleurs chez la plupart des espèces pratiquant la copulation). De l’allosperme fécondant peut être stocké par le récepteur (femelle) pendant plusieurs semaines (Jarne et al. 1993, Dillon et al. 2005). Des copulations multiples peuvent conduire à des paternités multiples (Pélissié et al. 2012, 2014 en laboratoire ; Henry et al. 2005 en conditions naturelles).
Méthodes d’élevage
Les individus de P. acuta ont été manipulés selon un protocole commun, mis au point lors de travaux menés au cours des 20 dernières années (Jarne et al. 2000, Escobar et al. 2007, 2008, Pélissié et al. 2012, 2014), adapté aux besoins des expériences conduites. La figure 6 fournit un exemple de conditions de manipulation.
Les points importants de ce protocole sont, au-delà des mesures propres à chaque expérience, des conditions expérimentales stables (photopériode artificielle de 12 h jour / 12 h nuit et température de 25°C). L’identification des individus lorsqu’elle est nécessaire, est basée sur un marquage individuel à l’aide de peinture qui n’affecte pas les traits d’histoire de vie des individus (Henry & Jarne 2007). Les individus sont nourris avec de la salade préalablement bouillie, broyée (plus ou moins finement selon l’âge des individus) et conservée au congélateur. L’eau provient d’un pompage situé sur le campus du CNRS à Montpellier.
Evolution expérimentale, revue rapide des points clés de notre protocole
Historique des populations et des expériences
Quatre lignées expérimentales de Physa acuta élevées en laboratoire depuis 2008 et issues d’un échantillon de populations naturelles d’origine montpelliéraine ont été utilisées : les lignées S (S1, S2) exposées une génération sur deux à l’autofécondation (une autofécondation permanente conduirait à un effondrement des effectifs), et les lignées C (C1, C2) allofécondées à chaque génération (le protocole complet est relaté dans le Chapitre II). Des individus ont été extraits de ces lignées au bout d’une vingtaine de générations environ (G17, G18, G20 et G21 respectivement pour S1, S2, C1 et C2) pour la première expérience (Chapitre II) et d’une trentaine de générations (A1 : G29, A2 : G31, T1 : G35 et T2 : G34) à la fois pour la seconde expérience (Chapitre III), pour l’analyse de marqueurs neutres et pour une mesure de dépression de consanguinité complétant celle faite lors de la première expérience.
Polymorphisme génétique neutre et dépression de consanguinité
En parallèle aux études de traits d’histoire de vie, il nous a paru important de caractériser le polymorphisme génétique neutre des lignées que nous avons utilisées dans cette thèse. Pour ce faire, nous avons tiré parti de locus microsatellites caractérisés antérieurement (Sourrouille et al. 2003, Escobar et al. 2008). Nous avons utilisé sept loci polymorphes et présentant des patrons réplicables (AF108762, AF10874, Pac1, Pac2, Pasu1-2, Pasu1-9, Pasu1-11) selon un protocole utilisé plusieurs fois (Sourrouille et al. 2003, Escobar et al. 2008, Bousset et al. 2014). Les travaux de génotypages ont été menés par A. McKenzie (stage de M1 que j’ai co-encadré) et par A. Segard. La diversité génétique (“gene diversity”) a été estimée dans les lignées C et S (Figure 7) à l’aide de Genepop 4.2.2 (Raymond and Rousset 1995) pour les générations indiquées ci-dessus.
Conséquences évolutives de l’autofécondation
Notre première expérience a consisté à mesurer la dépression de consanguinité sur des composantes précoces et tardives, le temps d’attente avant autofécondation et l’allocation aux fonctions mâle et fonction femelle, puis à comparer ces traits entre type de lignées (C et S). Les résultats de cette expérience sont entièrement relatés dans le Chapitre II. Nous avons trouvé une purge significative de la dépression de consanguinité sur la survie juvénile des descendants (figure 9). Celle-ci a été confirmée lors d’une nouvelle mesure en 2014 lors d’un stage de Master ; un résultat curieux est un fort effet réplicat, le réplicat S1 indiquant une dépression fortement négative (Figure 9) pour laquelle nous n’avons pas d’explication convaincante mais qui offre des perspectives intéressantes du point de vue de l’architecture de la dépression de consanguinité.
Les valeurs des réplicats n’étant pas significativement différentes, le graphique a été réalisé les moyennes pour chaque lignée, les lignes pointillées indiquent ces moyennes sur l’axe des ordonnées. En bas, les résultats sont reportés pour chaque réplicat, les traits pointillés indiquant la moyenne des deux réplicats pour chaque lignée. La dépression est négative pour le réplicat S1 en 2014, ce qui indique que la valeur sélective des descendants d’allofécondation est inférieure à celle des descendants d’autofécondation (i.e. dépression d’allofécondation).
A propos de dépression, de temps d’attente et de taux d’autofécondation
Tirant partie de lignées expérimentales de P. acuta mise en place depuis une vingtaine de générations, l’expérience exposée dans le chapitre II montre qu’une partie de la dépression de consanguinité peut être purgée facilement et en peu de générations via un régime de reproduction dans lequel l’autofécondation est pratiquée une génération sur deux. Il est notable qu’une partie ne l’est pas, mais cela est en phase avec le fait que les espèces fortement autofécondantes maintiennent une dépression de consanguinité (Husband & Schemske 1996, Escobar et al. 2011). Cette purge se déroule conjointement à une diminution du temps d’attente, donc un recours plus rapide à l’autofécondation. Une telle relation entre dépression et temps d’attente a déjà été observé chez P. acuta entre familles et entre populations (Tsitrone et al. 2003b, Escobar et al. 2007, 2009), mais aussi dans le groupe des Hygrophila (Escobar et al. 2011). Cette coévolution pose le problème de « l’œuf et de la poule » : on ne sait pas si c’est la diminution du temps d’attente qui facilite l’autofécondation et qui entraîne donc la purge des mutations délétères, ou si c’est cette purge qui rend l’autofécondation moins coûteuse et qui fait donc diminuer le temps d’attente (on peut imaginer que les deux processus fonctionnent conjointement).
Dans notre expérience, l’autofécondation ne peut pas, au moins initialement, être considérée comme une conséquence de la purge, puisqu’elle est imposée par l’expérimentateur à tous les individus indépendamment de leur fardeau de mutations délétères et de leur temps d’attente. On peut simplement noter que cela mime des conditions de densité de population très faible contraignant le recours à l’autofécondation – on se place dans les conditions où l’autofécondation est utilisée comme assurance de reproduction (Baker 1955, Jarne & Charlesworth 1993). Nous avons montré que cette autofécondation imposée suffit à enclencher la purge et l’évolution du temps d’attente, établissant ainsi une « preuve de possibilité » d’un scénario d’évolution dont le départ est précisément lié à des conditions adverses requérant une telle assurance. Cependant, nos conditions expérimentales diffèrent d’un scénario naturel dans le sens où nous avons, par un régime extrême d’alternance entre 100% forcée et 100% de reproduction en couples, supprimé toute possibilité de mise en place d’une corrélation génétique entre temps d’attente et dépression de consanguinité au sein des populations telle que celle observée entre populations naturelles, voire entre familles, de P. acuta (Escobar et al. 2009). Les différences de temps d’attente sont alors sans effet exprimé sur le taux d’autofécondation puisque celui-ci ne dépend que de l’expérimentateur. Nous montrons donc que le temps d’attente et la purge peuvent évoluer conjointement en réponse à la même situation (un manque périodique de partenaires) même s’ils n’ont pas l’opportunité d’agir l’un sur l’autre. Dans la nature, la réduction de la disponibilité en partenaires se produit régulièrement chez P. acuta (Henry et al. 2005), et plus largement chez les Hygrophila (voir Brown 1994, Dillon 2000). Elle est cependant probablement moins forte, et en tous cas plus imprévisible, que dans notre protocole.
L’évolution conjointe de la dépression et du temps d’attente peut alors être renforcée par une boucle de rétroaction positive entre ces caractères (conformément aux corrélations génétiques observées en populations naturelles ; Escobar et al. 2009).
Il est important de noter que nous n’avons pas vérifié si le taux d’autofécondation « naturel » avait commencé à augmenter dans nos lignées expérimentales, en d’autres termes si on tendait à évoluer d’une autofécondation retardée vers une autofécondation prioritaire.
L’utilisation de la méthode de « progeny-arrays », obtenus en croisements libres, et de marqueurs moléculaires (Jarne & David 2008) permettrait de quantifier le taux d’autofécondation. La valeur mesurée du temps d’attente (7 jours) entre pour le moment dans la variation observée dans 26 populations de P. acuta (Escobar et al. 2009). Il est probable qu’il soit nécessaire de mener l’expérimentation pendant encore de nombreuses générations avant de voir apparaître une autofécondation prioritaire (les lignées expérimentales sont actuellement en G50 environ). Le temps d’attente peut se réduire à zéro, mais ce n’est pas encore suffisant pour arriver à cette autofécondation préférentielle, donc on n’a fait que la moitié du chemin donné dans notre scénario initial et il faut continuer l’évolution expérimentale. On peut aussi envisager d’extraire une partie des individus des lignées S afin de les replacer en situation d’allofécondation. Cela permettrait de tester si le temps d’attente ré-augmente, ce qui indiquerait la possibilité d’une évolution à rebours, et aussi de mesurer le temps requis pour ré-accumuler de la dépression. Ce temps est probablement très long si on ne compte que sur l’apparition de mutations fortement délétères, mais qui peut significativement se réduire si on considère que des effets épigénétiques participent à cette dépression (voir ci-dessous).
Consanguins …. et pas très répondants à la sélection
La partie la plus conséquente de mon travail de thèse a porté sur l’évaluation de la relation entre ampleur de la réponse à la sélection et système de reproduction. Il s’agit d’un champ qui a été peu travaillé d’un point de vue à la fois expérimental (voir la revue de Charlesworth & Charlesworth 1995 – peu de travaux ont été produit depuis) et théorique (Charlesworth & Charlesworth 1995, Lande & Porcher 2015), si on compare à la montagne d’études portant sur la dépression de consanguinité. Mon expérimentation, qui a duré 21 mois, a permis de montrer qu’un régime autofécondant affectait négativement la réponse à la sélection par rapport à un régime allofécondant. Par ailleurs, cette réponse est aussi largement affectée par le régime de reproduction pratiqué antérieurement. L’autofécondation passée diminue, comme attendu (Charlesworth & Charlesworth 1995, Lande & Porcher 2015), la variabilité disponible sur laquelle la sélection peut agir, et par conséquent la réponse à la sélection. On a donc bien un moindre potentiel adaptatif dans les populations qui ont pratiqué régulièrement l’autofécondation. Quel que soit l’historique de reproduction, autofécondant ou allofécondant, notre travail indique aussi qu’une population répond tout d’abord mieux à la sélection en autofécondation qu’en autofécondation, comme attendu sous l’hypothèse d’augmentation de variance phénotypique et le placement d’allèles à l’état homozygote (Wright 1921, Charlesworth & Charlesworth 1995, Lande & Porcher 2015). Cependant, cet avantage s’estompe dans notre expérience après seulement trois générations de sélection. Cela est probablement dû à des interférences sélectives.
En quoi cela est-il intéressant pour comprendre la dynamique de transition entre autofécondation et allofécondation ? Si l’on considère une population allofécondante qui doit répondre à une pression de sélection sur une courte durée (par ex, une à deux générations pour atteindre le nouvel optimum), une reproduction par autofécondation donnera un avantage immédiat en termes de variance disponible, mais le faible nombre de générations pendant lequel ceci reste valable ne permet pas une totale transition de l’allofécondation vers l’autofécondation. Il serait pourtant optimal de pouvoir commuter de l’autofécondation (sur une courte période pour une adaptation rapide à un optimum proche) vers l’allofécondation (une fois le nouvel optimum atteint). On s’attendrait donc à un avantage aux régimes plastiques, c’est-à-dire que la sélection agirait sur la pente de la norme de réaction du système de reproduction (i.e. la meilleure amplitude de variation du taux d’autofécondation en fonction des conditions environnementales) et sélectionnerait les individus les plus plastiques. Une telle plasticité aboutirait à des taux d’autofécondation variables et non systématiquement extrêmes dans la nature, et seraient classifiés comme « régimes mixtes ». Cependant les systèmes mixtes habituellement considérés dans la théorie des systèmes de reproduction sont des stratégies où l’on autoféconde systématiquement une part des ovules et non des stratégies plastiques où cette part dépend des conditions. Certains modèles prédisent effectivement qu’un régime mixte (non plastique) est avantageux en raison d’une augmentation de la variance phénotypique avec le placement des allèles à l’état homozygote (Glémin & Ronfort 2013, Hartfield & Glémin 2014), mais cet avantage à long terme pour la population ne garantit pas un avantage individuel immédiat permettant à une stratégie mixte d’envahir la population dans laquelle elle réside. Il en résulte que les conditions environnementales devraient être bien spécifiques pour permettre à une telle stratégie d’envahir. Chez les animaux, les régimes mixtes semblent assez rares (voir Jarne & Auld 2006, Escobar et al. 2011). On ne sait pas si ces régimes de reproduction tranchés entre espèces sont liés à des conditions de vie très différentes, ou s’il existe de réelles contraintes comme peut l’être la géitonogamie chez les plantes (voir plus bas). Il est à noter que si la pression de sélection mentionnée plus haut perdure et/ou si le nouvel optimum est assez éloigné du point de départ, l’adaptation d’une population autofécondante sera difficile, voire impossible, pour des raisons démographiques : si la population passe en dessous d’un seuil démographique fatidique, elle est dans tous les cas vouée à l’extinction (Lande, 1987). Dans ce cas, l’allofécondation reste avantagée.
Et des résultats à approfondir
Notre travail a mis à jour quelques résultats surprenants qui mériteraient d’être analysés plus avant, et de nouvelles pistes à explorer. J’en citerai trois.
L’architecture de la dépression de consanguinité ne semble pas être simplement constituée d’allèles à hérédité mendélienne et. Il est possible qu’elle dépende aussi d’interactions « génétique x environnement » ou d’effets épigénétiques comme les méthylations (Vergeer et al. 2012). La curieuse dépression négative mesurée dans un des réplicats de la lignée S semble aller dans ce sens. Une nouvelle mesure de cette dépression est tout d’abord prévue afin de confirmer cette tendance. L’évaluation de l’influence d’effets maternels sur la valeur sélective moyenne est envisageable, par exemple en utilisant des croisements plein-frères d’autofécondation (puisqu’on ne peut pas mesurer d’effets maternels sur des descendants d’autofécondation). Une autre piste est l’analyse de mutations chromosomiques chez des individus consanguins, généralement sous-dominantes (Templeton 1981) et pouvant générer une dépression négative. L’occurrence de telles mutations est très mal connue chez les gastéropodes en général.
Un deuxième résultat qui mérite plus d’attention est l’évolution de la diversité neutre dans les lignées expérimentales, mais aussi pendant l’expérience de sélection sur la forme de la coquille. En particulier, les lignées ont perdu beaucoup moins d’hétérozygotie observée lors de cette expérience que ce qui est prévu après plusieurs générations d’autofécondation. Une explication pourrait être que le fardeau est réparti en de nombreux points du génome, ce qui rend difficile le placement des génomes à l’état homozygote, une forme de superdominance associative à cause de la liaison sur l’ensemble du génome. Si c’est le cas, un approfondissement, serait nécessaire pour estimer avec un protocole adapté la perte réelle d’hétérozygotie sur les marqueurs neutres. La perspective d’utiliser les méthodes récentes basées sur les NGS (de type Rad-Seq, Baird et al. 2008) pour avoir rapidement de nombreux marqueurs densément répartis dans le génome est probablement prometteuse de ce point de vue. Une modélisation du processus expérimental permettrait aussi de mieux comprendre l’évolution attendue de la diversité.
La piste à explorer qui me parait la plus intéressante est celle d’intégrer des paramètres démographiques à la réflexion sur les avantages à court et moyen termes de l’autofécondation. En effet, dans notre expérience, on a fait en sorte que les lignées pratiquant l’autofécondation une génération sur deux (première expérience) ou systématiquement (deuxième expérience) soient maintenus à des effectifs fixes. Cependant, de telles populations ne manqueraient pas de subir des pertes de lignées en conditions naturelles, ce qui pourrait amener en dessous d’un seuil démographique et conduire à l’extinction de la population (Lande 1987). On associe souvent l’autofécondation majoritaire avec une stratégie de colonisation (Price & Jain 1981; Pannell et al. 2015), ce qui semble indiquer que la densité est un paramètre important. Cette dernière est impliquée dans l’assurance de reproduction et un régime de reproduction par autofécondation. On notera aussi que la dépression de consanguinité biparentale en faible densité peut déplacer la balance entre dépression de consanguinité et avantage génétique automatique de l’autofécondation (Uyenoyama 1986). Cependant, les données sur l’association entre régime de reproduction et mode de vie sont rares chez les animaux. Une revue de la littérature afin d’estimer la réelle corrélation entre système de reproduction et dynamique de colonisation est donc nécessaire. Cependant, P. acuta est une espèce invasive, mais présente pourtant un système de reproduction préférentiellement allogame. Elle a réussi à coloniser une large gamme d’habitats, de l’équateur aux cercles polaires ; par ailleurs, elle semble être une compétitrice efficace lorsqu’elle envahit des milieux occupés par la conspécifique Aplexa marmorata, une espèce de physe autofécondante proche phylogénétiquement de P. acuta. C’est le cas par exemple dans la métacommunauté d’eau douce de Guadeloupe (Chapuis et al. soumis). Il est possible que les avantages de l’autofécondation soient réservés aux situations de colonisation sans compétition interspécifique, et que cet avantage disparaisse si une espèce compétitive allofécondante arrive ensuite (comme c’est le cas en Guadeloupe).
De plus, les associations colonisation / autofécondation sont souvent formulées chez les plantes, dont le taux d’autofécondation « stratégique » est difficile à distinguer du taux d’autofécondation inévitable par géitonogamie, ce qui surestime finalement ce taux. Les plantes cléistogames sont pour cela un bon modèle puisqu’on peut considérer le taux d’autofécondation des fleurs ouvertes comme de la géitonogamie et celui des fleurs fermées comme une vraie stratégie de reproduction. (Culley & Klooster, 2007) On pourrait envisager une expérience de grande ampleur comparant des espèces animales et/ou végétales, en manipulant le système de reproduction et la compétition pour la ressource.
En conclusion, l’étude de l’évolution de l’autofécondation et de ses conséquences s’estrévélé être un champ de recherche fertile et stimulant. De nombreuses pistes doivent encore être explorées, faisant appel à un mélange d’approches expérimentales, théoriques, phylogénétiques ou comparatives, pour en parfaire notre compréhension ; beaucoup plus, probablement, que Darwin ne l’avait imaginé en lançant ce champ de travail il y a déjà 150 ans.
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Table des matières
Introduction
Les forces évolutives agissant sur les systèmes de reproduction. Facteurs génétiques
Facteurs environnementaux
Transitions évolutives de l’allofécondation vers l’autofécondation : rôle de l’autofécondation facultative
Attendus lors d’une transition vers l’autofécondation… et après la transition
Chapitre I. Une approche expérimentale
A Le modèle biologique : Physa acuta
1- Classification, distribution et habitat
2- Coquille, traits d’histoire de vie et reproduction
3- Comportements copulatoires
4- Méthodes d’élevag
B Evolution expérimentale, revue rapide des points clés de notre protocole
1. Historique des populations et des expériences
2. Polymorphisme génétique neutre et dépression de consanguinité
Chapitre II. Conséquences évolutives de l’autofécondation
Reduced mate availability leads to evolution of self -fertilization and purging of inbreeding depression in a hermaphrodite p28.
Chapitre III. Régime de reproduction et Potentiel Adaptatif
Experimental evidence for the negative effects of self -fertilization on the adaptive potential of populations
Conclusion générale de la thèse
A propos de dépression, de temps d’attente et de taux d’autofécondation
On attendait mieux de l’allocation des ressources
Consanguins …. et pas très répondants à la sélection
Et des résultats à approfondir
Bibliographie
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