Politiques et pratiques linguistiques familiales

PROBLEMATIQUE

Définition du sujet 

Une langue est un système d’expression orale ou écrite utilisé par un groupe de personnes précisément par une communauté linguistique pour communiquer. Ce qui fait que dans un pays comme le Sénégal où on a une diversité culturelle et ethnique d’une prime importance, plusieurs langues s’y cohabitent telles que le wolof, le sérère, le diola, le pulaar, le malinké, le soninké entre autres.

En effet le wolof est au Sénégal une langue nationale et véhiculaire entre ethnies (80% de la population comprennent et parlent wolof). En plus l’arrivée du français, langue du colonisateur et de la réussite sociale auparavant, favorise un phénomène de bilinguisme avec la langue wolof (langue dominante du pays). De la même manière le wolof, d’un autre côté est entrain de montrer sa domination sur les autres langues locales du pays. Ceci le met en situation diglossique avec ces langues. En outre ce contact de langue ou plurilinguisme dans une ville comme Dakar ne laisse pas indifférent les habitants notamment immigrés qui y vivent.

Avec la pluralité de langues, force est de constater des modifications dans les pratiques de la langue en situation familiale. De ce fait le chef de famille conscient de l’importance de la langue pour l’avenir de ses enfants, doit faire un choix de ces multiples langues en présences. Cela favorise la naissance du concept de « politique linguistique familiale » c’est-à-dire les choix, les orientations, les objectifs de ce chef de famille pour que ses enfants maîtrisent sa langue ou ses langues de préférence. Le chef de famille impose parfois cette langue à sa famille ou établit des règles de sanctions pour les membres de famille qui ne respectent pas. Cette forme de politique linguistique, nous fait penser à la définition de Calvet (1987, p.154- 155) où il dit : « nous considérons la politique linguistique comme l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale et plus particulièrement entre langue vie nationale ». Le choix de notre sujet nous permet de s’appesantir sur des familles appartenant à une même ethnie c’est-à-dire à une même communauté dont les membres partagent une même origine géographique et culturelle. Ces familles choisies sont des familles sérères. La grande importance de l’étude linguistique dans une telle situation urbaine nous amènera à mieux expliquer notre choix du sujet.

Revue de littérature

Etant donné que la science se nourrit de la science et qu’une recherche scientifique si originale soit- elle, doit s’appuyer sur les recherches qui l’ont précédées. Ce qui fait dire à Bacon que « nous sommes des nains perchés sur des épaules de géants». En effet tout travail scientifique doit s’enraciner dans la tradition de sa discipline. L’originalité d’une recherche d’ailleurs se définit par rapport au traitement effectué jusque-là de la question de recherche.

Partant de cette logique, il devient crucial de rappeler différents travaux d’auteurs à l’endroit de notre sujet de recherche. Ainsi l’étude sur les contacts de langues remonte selon Caroline Juillard depuis Martinet. Celui-ci enseignant à Colomba University à New York, il y fut chef de département de linguistique générale et comparée de 1947 à 1955 et y donna un cours intitulé « languages in contact ». Dans la préface de son livre publié par Weinreich en 1953, Martinet proclama « contact breeds imitation and mitation breeds linguistic convergence, linguistic divergence results from recession, estrangement loosing of contact ». Martinet se situait alors dans le cadre du bilinguisme plutôt que du plurilinguisme et dans une perspective résolument structuraliste.

Caroline Juillard, dans son ouvrage Sociolinguistique urbaine : la vie des langues à Ziguinchor(Sénégal), souligne de nombreux aspects sur la question de contact des langues au Sénégal. Il montre d’abord que l’urbanisation galopante des pays du tiers monde « crée des situations dans lesquelles la gestion du plurilinguisme est une obligation quotidienne, un défis quotidien, gestion dont les modèles les plus souvent utilisés (diglossie, véhicularisation) ». Dans cet ouvrage le principal objectif de Juillard était de d’écrire un multilinguisme urbain en action, tel qu’il s’actualise quotidiennement dans un éventail de rencontre en ville. Ce dernier avait le souhait de mettre en relief la pluralité des modèles et des pôles d’attractions que rencontre aux différentes stades de la vie, une population cosmopolitique. Le brassage des populations en ville est le résultat du bilinguisme. C’est ce que souligne Juillard (1995 : 156) en ces termes « le contact étroit des populations réunies en ville a dans certain cas, comme préalable leur contact antérieur dans les villages ou à l’échelle régionale. Cela a entrainé des pratiques bilingues, transmises en famille, ou à des phénomènes collectifs d’adoptions linguistiques antérieures à la migration, à la ville et qui s’y sont perpétués, voire accentués ».

Juillard (1995 :226) évoque aussi l’importance de cerner la représentation des parents et des enfants de la situation linguistique familiale et de son évolution. Dans cet ouvrage, Juillard montre aussi le besoin assuré des Soninkés pour le maintien de leur langue maternelle. Le président de leur association l’illustre en ses paroles « Il n’y a rien à craindre pour le moment en ce qui concerne l’identité du groupe et sa langue. Traditionnellement, l’homme Soninké prend toujours sa première femme dans son milieu».

Juillard (1995 : 226) démontre aussi que « le choix que la mère fait de ne pas suivre la politique linguistique familiale proposée par le père est de plus en plus fréquent, pour les jeunes générations. De nombreuses mères parlent wolof avec leurs enfants derrière le dos du chef de famille contribuant à la wolofisation dans la famille, aux dépends de la langue ethnique : ainsi le wolof entre dans le monde du dedans ».

Il parle aussi des migrants sérères qui proviennent de régions déjà wolofisées. Pour ces derniers il souligne qu’il est difficile de maintenir la langue maternelle. Dans ce même ouvrage Juillard (1995 :277) évoque aussi la politique linguistique de certains chefs de familles en affirmant « les efforts de certains chefs de familles pour envoyer leurs enfants au village, afin qu’ils gardent le lien avec la tradition linguistique entre autres, sont la preuve de la résistance qu’ils tentent d’opposer à la pression du milieu».

Koia Jean-Martial Kouamé (2014) dans un article ayant comme titre « les défis de la gestion du plurilinguisme en Côte d’Ivoire », soulignent les énormes défis linguistiques à relever notamment le problème de la multiplicité des langues, de la réticence des décideurs à conduire des politiques linguistiques en faveur des langues locales, de l’absence de mobilisation sociale autour de la vulgarisation des langues nationales et des tensions ethnolinguistiques latentes. A l’issu d’enquête sur les élèves ivoiriens, l’auteur proclama que « le français jouit chez les élèves interrogés d’un statut privilégié, en ce sens qu’il est perçu comme la langue de la promotion sociale ».On constate en Côte d’Ivoire un sorte de minimise de la langue maternelle où les élèves éprouvent un gène à parler cette langue en publique. L’auteur signale que selon certains parents les langues locales n’ouvrent aucune perspective de réussite professionnelle. Ceci engendre une vision contraire des enfants qui souhaitaient vraiment maîtriser leurs langues locales ou identitaires.

Un auteur du nom d’Alexandre Filhon (2010) dans un article intitulé « Transmission familiale des langues en France : évolution historiques et concurrences. », vise à nous faire comprendre la place qu’occupe actuellement la langue française dans le contexte familiale, les nombreuses langues présentes en métropole par rapport au français langue de la République, mais aussi les unes par rapport aux autres. Selon l’auteur « la situation linguistique d’ici se caractérise par le foisonnement des langues» (Héran, Filhon et Deprez (2000)). En plus l’auteur tente de décrire le comportement linguistique des adultes ayant reçu dans leur enfance une langue régionale (alsacien, breton) ou une langue issue de l’immigration (polonais, portugais, arabe) dans un contexte d’hégémonisme accru du français langue nationale.

L’auteur dit toutefois que « si les identifications régionalistes s’intensifient, la pratique des langues régionales en famille continue de décliner malgré tout ». Comme l’explique les personnes interrogées, il est en effet difficile de réintroduire l’usage de la langue natale dans la sphère familiale lorsque le français a progressivement était adopté. Comme politique linguistique, de nombreux parents inscrivent leurs enfants à des cours pour favoriser l’usage de leur parler. D’un autre côté pour une stabilité scolaire de leurs enfants certains parents font le choix de ne pas transmettre leur langue maternelle aux enfants.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE :CADRE DE L’ETUDE
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE
1.Définition du sujet
2.Choix du sujet
3.Contexte et justification
4.Définition des concepts
5.Revue de littérature
6.Objectifs
7.Hypothèses
CHAPITRE 2 : METHODOLOGIE
1.La méthode de recueil du corpus
1.1 Le questionnaire
1.2 Les réalités du terrain
2.La méthode d’analyse du corpus
DEUXIEME PARTIE :ETUDE SOCIOLINGUISTIQUE DES FAMILLES SERERES
CHAPITRE 1: DONNEES HISTORIQUES ET SOCIOLINGUISTIQUES
1.L’histoire des familles sérères
1.1 Le mode de vie des sérères
1.2 La situation sociolinguistique des sérères
2. Le français
2.1- La situation sociolinguistique du français au Sénégal
3-La position des autres langues vis-à-vis du sérère
CHAPITRE 2 : LES PRATIQUES LINGUISTIQUES
1-Le mélange de codes
2-La diglossie
3-L’emprunt
4-L’interférence
TROISIEME PARTIE :ANALYSE DES PRATIQUES ET POLITIQUES LINGUISTIQUESS
CHAPITRE 1 : L’ANALYSE DES PRATIQUES LINGUISTIQUES DANS LES TROIS FAMILLES DE NOTRE CORPUS
1-Les pratiques linguistiques dans la famille riche
2-Les pratiques linguistiques dans la famille moyenne
3-Les pratiques linguistiques dans la famille pauvre
CHAPITRE 2 : LES POLITIQUES LINGUISTIQUES DANS LES TROIS FAMILLES ET LEURS LIMITES
1- La politique linguistique dans la famille riche
2-La politique linguistique dans la famille moyenne
3- La politique linguistique dans la famille pauvre
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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