Point de vue de la psychologie du travail
Approche théorique pour appréhender les notions-clés de la recherche
L’épuisement professionnel, et surtout le terme de la traduction anglaise « burn-out », sont entrés dans le discours de sens commun sans que soient toujours spécifiées leurs définitions. Zawieja et Guarnieri, chercheurs français spécialistes de l’épuisement professionnel, nous disent qu’il est « généralement défini comme un syndrome tridimensionnel associant un état d’épuisement physique et psychologique intense, un ensemble d’attitudes relevant du cynisme, de la déshumanisation, et un effondrement du sentiment d’efficacité personnelle ». (Zawieja & Guarnieri, 2015, p. 5). Un détour par l’histoire proposé par Zawieja et Guarnieri (2015) permet de prendre conscience que le phénomène n’est pas nouveau. Entre deux guerres, on parlait de « fatigue industrielle ». Un psychanalyste américain, Freudenberger, décrivait la démotivation physique et psychologique d’employés pourtant très impliqués d’un centre de désintoxication. C’est les travaux de Christina Maslach, psychologue américaine, dans les années 70-80, qui ont donné une assise universitaire aux recherches sur le burn-out. A la lecture de ces auteurs, ce phénomène, qu’on a longtemps limité à la relation d’aide, serait difficile à définir. Correspond-il à la phase finale d’un processus ou est-il un processus en lui-même ? Doit-on considérer une étiologie professionnelle uniquement ou une étiologie mixte entre les aspects privés et professionnels ? De plus, i l y a souvent une confusion entre ses causes et ses symptômes. La dimension psychologique est donc importante dans la définition de Zawieja. C’est d’ailleurs une psychologue, Catherine Vasey, qui fait figure de référence dans le canton de Vaud et qui a beaucoup publié. Elle le définit comme un processus à comprendre comme « un épuisement dû au stress chronique du travail » (Vasey, 2017, p. 37). Elle insiste sur le fait que les traitements sont spécifiques et différents de ceux d’une dépression. En effet, ce processus a un impact sur l’équilibre psychologique de l’organisme mais ne doit pas être confondu avec cette dernière, ce qui serait souvent le cas. C’est le fait que l’épuisement professionnel s’exprime principalement dans la sphère professionnelle qui le différencie de la dépression. Enfin, comme Zawieja et Guarnieri, Vasey pointe le risque de confondre les symptômes avec les causes. Pour cette thérapeute, le stress n’est pas mauvais en soi, mais il s’agit d’équilibrer la balance entre les facteurs d’usure et les ressources. C’est lorsqu’il y a trop de stress sur des longues périodes et un manque de récupération que le risque de burn-out émerge. Sa prise en charge repose largement sur un accompagnement individuel qui est, pour elle, le plus efficace. Il est certain que depuis son cabinet, elle a peu de prise sur les environnements de travail. Du point de vue médical, le burn-out est aussi un thème de discussion. Il est défini dans la CIM-10 (classification internationale des maladies, publiée par l’Organisation Mondiale de la Santé) sous le code Z73.10 comme « difficultés liées à l’orientation de son mode de vie ». Il 13 n’est donc pas reconnu comme diagnostic à part entière, ni d’ailleurs dans le DSM-V, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Les médecins disposent tout de même de tests pour tenter de dépister le burn-out. Zawieja et Guarnieri, après revue des différents outils existants, soulignent « combien l’utilisation de ce type d’instrument est liée au modèle théorique sous-jacent » (Zawieja et Guarnieri 2013, p. 27). Le risque de circularité met alors en doute la validité de ces questionnaires. Deux psychologues spécialistes du burn-out mettent d’ailleurs également en garde contre une auto-administration de ces tests qui sont disponibles sur Internet. Ils peuvent constituer une expérience trop confrontante sans accompagnement. De plus, elles relèvent le peu de corrélation existant entre « les mesures physiologiques de l’épuisement et sa mesure par questionnaire auto-administré » (Droz & Wahlen, 2018, p. 134). Apparemment, de nouvelles voies émergent au niveau du dépistage autour des mesures du taux de cortisol et de variations de fréquence cardiaque. Les débats autour de la définition médicale du burn-out et de sa différenciation avec d’autres troubles psychiques sont donc toujours à l’œuvre. Cette tentative de mieux cerner ce qu’est le burn-out montre donc à quel point sa définition est mouvante. Or, il est intéressant de retenir et reconnaître les dimensions spécifiques du burn-out quand il s’agit d’appréhender la démarche thérapeutique. Par contre, dans la perspective de cette recherche, axée sur la prévention, il est moins utile de savoir précisément et objectivement ce qu’est ou n’est pas un burn-out. En effet, il est plutôt pertinent de comprendre ce que les personnes mettent derrière ce terme, ainsi que les expériences et représentations qu’elles ont plus largement de l’épuisement professionnel. Un détour par la sociologie paraît alors nécessaire.
Perspective sociologique
La perspective sociologique peut permettre une compréhension fine des mécanismes en jeu dans le processus d’épuisement et notamment dans la manière dont la plainte de fatigue s’exprime. Loriol parle d’ailleurs d’un « processus de construction collective et de mise en forme de cette plainte ». L’auteur qui a réalisé une étude comparative auprès d’infirmières et d’ouvriers, précise que « cela ne revient pas à nier ou à relativiser les difficultés ressenties et exprimées, mais à montrer en quoi la capacité à parler de sa fatigue participe de tout un ensemble de représentations sociales, d’enjeux spécifiques, de considérations morales, de catégories pathologiques préconstruites » (Loriol, 2003, p. 461). Droz et Walhen (2018) vont un peu dans le même sens quand elles soulignent que le burn-out peut être vu comme une maladie de civilisation. C’est alors la relation entre l’individu et la société qui est génératrice de souffrances. Elles citent Chabot, un philosophe, qui parle « d’atteintes en miroir » (Droz & Walhen, 2018, p.46) en lien avec les aspects sombres de la société et notamment une pression de la perfection. Au-delà des ces enjeux sociétaux, un autre sociologue souligne qu’il conviendrait de repenser la question de l’usure professionnelle. Il propose de partir de l’analyse de la dynamique complexe à l’ œuvre dans l’identification et le traitement des situations de travail les plus problématiques. Il considère le travail relationnel comme un « enchaînement d’épreuves professionnelles et d’atteintes à l’exercice régulier du métier » (Ravon, 2009, p. 60). Ravon pointe deux axes de compréhension : l’épuisement dans la relation d’aide et l’épuisement lié 14 au ressentiment face aux prescriptions contradictoires. Le premier conduit à un phénomène de reprise de soi, alors que le second entraîne une demande de reconnaissance. Le domaine de l’accueil de jour de l’enfance est à la fois relationnel et touché par un déficit de reconnaissance et ces deux axes sont donc certainement pertinents pour l’appréhender. Ces deux dimensions donnent en fait du sens aux plaintes exprimées par les travailleurs sociaux qui doivent utiliser leurs ressources personnelles en « payant » de leur personne. Le travail relationnel n’est pas seulement la relation d’aide mais un enchaînement d’épreuves face auxquelles les professionnels construisent des stratégies collectives de défense, notamment pour faire face aux tensions qui touchent à leurs valeurs. Osty parle d’ailleurs de doute éthique pour les professionnels confrontés à l’écart entre l’idéal de métier et la réalité. Pour elle, « les messages institutionnels et la réalité du travail les plongent dans un vertige solitaire quant à la conduite à adopter » (Osty dans Clot & Lhuilier, 2010, p. 269). Maslach, chercheuse en psychologie sociale, avait aussi initialement étudié le burn-out dans le cadre de la relation d’aide. Elle a ensuite élargi aux autres champs professionnels et l’a alors défini comme « une crise dans sa relation avec le travail et pas nécessairement dans sa relation avec les individus au travail » (Maslach, 1996, citée dans Truchot, 2016, p. 128). L’épuisement professionnel peut alors être pensé comme un processus de dégradation du rapport subjectif au travail qui doit être analysé dans son contexte. Pour terminer sur les aspects sociologiques, il faut évidemment tenir compte des enjeux économiques. En effet, si l’épuisement professionnel constitue une problématique pour la société, c’est aussi par les impacts financiers qu’il engendre. Selon le Job Stress Index 2016, « un actif sur quatre est épuisé et le stress coûte 5,7 milliards par an aux employeurs » (Promotion Santé Suisse, 2016).
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Contexte
1.2 Problématique
1.3 Objectifs
2. Approche théorique pour appréhender les notions-clés de la recherche
2.1 L’épuisement professionnel
2.1.1 Définitions
2.1.2 Perspective sociologique
2.1.3 Facteurs en jeu
2.1.4 Qualité de vie au travail
2.2 La reconnaissance au travail
2.2.1 Enjeux de la reconnaissance
2.2.2 Point de vue de la psychologie du travail
2.2.3 Reconnaissance et management
2.3 La prévention de l’épuisement professionnel
2.3.1 Cadre légal et prévention
2.3.2 Exemples de démarches de prévention
2.3.3 Critiques et limites des démarches de prévention
2.3.4 Perspectives des approches globales
2.4 Conclusion
3. Méthodologie de la recherche de terrain
3.1 Hypothèses de recherche
3.2 Entretiens compréhensifs
3.3 Constitution des groupes
3.4 Trame de question
4. Restitution des points de vue des personnes concernées à différents niveaux
4.1 Remarques préalables sur le déroulement général des entretiens
4.2 Épuisement des EDE
4.2.1 Vrai ou faux burn out
4.2.2 La question des limites
4.2.3 Pénibilité métier EDE
4.2.4 Attentes de reconnaissance des EDE
4.2.5 Synthèse épuisement des EDE
4.3 Épuisement des directeurs
4.3.1 Pénibilités et empêchements
4.3.2 Attentes de reconnaissance des directeurs
4.3.3 Impacts de l’épuisement des directeurs
4.3.4 Synthèse épuisement des directeurs
4.4 Regards croisés sur la prévention
4.4.1 Créer des espaces pour mettre en mots
4.4.2 Modifier l’environnement de travail
4.4.3 Rôle de la direction
4.4.4 La gestion des absences : un outil de prévention ?
4.4.5 Synthèse prévention de l’épuisement
4.5 Conclusion
5. Analyse des résultats
5.1 Définitions multiples de l’épuisement
5.2 Analyse des facteurs de l’épuisement évoqués par les EDE
5.3 Analyse des facteurs d’épuisement évoqués par les directeurs
5.4 Mise en lien des discours sur la prévention avec les 4 pôles de Clot
5.5 Des outils aux effets pervers
5.6 Conclusion
6. Mise en perspective : les enjeux de la prévention dans mon institution
6.1 Objectifs
6.2 Analyse du contexte
6.3 Mesures prévues
6.4 Points d’attention en lien avec les résultats de la recherche
7. Conclusion
7.1 Apports, limites et paradoxes des démarches de prévention
7.2 Perspectives et pistes d’action pour les directeurs
8. Bibliographie
9. Annexes
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