Le 30 janvier 2020, pour la sixième fois de son histoire, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) (1). En cause, une infection par un nouveau virus à ARN, le SARS-CoV-2. Si celle-ci est asymptomatique chez environ 20% des sujets atteints (2), et si elle donne uniquement un syndrome grippal et des signes ORL bénins (rhinite, toux, odynophagie, conjonctivite, anosmie, agueusie) chez une large majorité des patients, elle conduit dans environ 15% des cas à des formes respiratoires graves (pneumopathie hypoxémiante, syndrome de détresse respiratoire aigüe) ; elle est mortelle chez 2 à 3% des patients (3). La transmission de ce virus est interhumaine et se produit lors d’un contact rapproché avec une personne atteinte, par projection de gouttelettes émises lors de la toux et des éternuements, et par contact des mains contaminées avec les muqueuses du visage. Cette infection est hautement transmissible, même chez les patients asymptomatiques. Elle a donc rapidement conduit à une situation épidémique, et même pandémique : la pandémie de Coronavirus 2019 (COVID 19). Pour mieux s’en rendre compte, un article publié en juillet 2020 dans la presse propose une analyse de l’arrivée de l’épidémie en France (4). Les premiers cas de COVID 19 sont recensés le 24 janvier 2020, puis la croissance est exponentielle. Le 5 mars, toutes les régions sont touchées. Des mesures d’endiguement de l’épidémie se mettent en place, mais la situation s’aggrave. Ainsi, le 15 mars, jusqu’à 22% des passages aux urgences concernent l’infection à COVID 19. Du 29 mars au 8 avril, les hôpitaux français décomptent 1000 victimes supplémentaires toutes les 48 heures. Les capacités en soins intensifs sont dépassées avant le 1er avril. Le pic est atteint le 14 avril, avec 31 779 patients hospitalisés, dont 7 148 en soins intensifs. La décroissance durera ensuite plusieurs semaines, avant une première reprise de l’épidémie en fin d’été (Figure 1). Cette pandémie aurait touché, selon les données de l’agence nationale de santé publique, plus de 200 millions de personnes dans le monde entre décembre 2019 et août 2021 et serait responsable de plus de 4 millions de décès (5).
Selon l’OMS, face à cette pandémie, « La communauté internationale doit […] faire preuve de solidarité et de coopération, conformément à l’article 44 du Règlement Sanitaire International (RSI), ses membres s’épaulant mutuellement pour identifier la source de ce nouveau virus et son plein potentiel de transmission interhumaine, […] et mener les travaux de recherche visant à mettre au point le traitement nécessaire » (1). De fait, les études et les publications se multiplient.
Dès janvier 2020, le diagnostic de l’infection à COVID 19 se fait officiellement par Reverse-Transcription Polymerase Chain Reaction (RT-PCR) sur un prélèvement nasopharyngé (6) (7). Cependant, afin de limiter la propagation de ce virus sans ressource thérapeutique ni vaccinale, le diagnostic doit être sûr et précoce. Compte tenu des contraintes au niveau des centres de prélèvement et du transport des échantillons, et de la trop faible sensibilité du test (56 à 83%) (8), d’autres méthodes diagnostiques sont recherchées. Ainsi, en février 2020, un article publié dans « Radiology » étudie la corrélation entre le scanner thoracique et la RT-PCR dans le diagnostic de l’infection à COVID 19 (9). En effet, cette infection est responsable d’anomalies scanographiques caractéristiques.
On retrouve typiquement des plages de verre dépoli, multifocales, bilatérales, asymétriques, avec une atteinte prédominant dans les régions périphériques, postérieures et basales (Figure 2). Il n’y a généralement pas de syndrome micronodulaire, d’excavation, de lignes septales, ni d’adénomégalies médiastinales. D’autres signes sont rapportés comme la présence de fines réticulations, d’épaississement péribronchovasculaire, de dilatations vasculaires péri ou intra-lésionnelles ou de signes de distorsion parenchymateuse (3) (10) (11). Selon cette étude, la sensibilité et la spécificité du scanner thoracique dans le diagnostic d’une infection à COVID 19 seraient respectivement de 97% et 25%.
Au-delà d’une aide au diagnostic de l’infection à COVID 19, le scanner thoracique apporte des informations sur le stade et la gravité de la maladie. Tout d’abord, le scanner permet d’évaluer le stade de la maladie, l’évolution habituelle des lésions étant bien décrite dans la littérature (3) (12) (13) (14). Les plages en verre dépoli ont tendance à progresser au cours du temps, à la fois en étendue et en densité, jusqu’à évoluer vers un aspect dit de « Crazy-Paving » (superposition de verre dépoli et de réticulations intra-lobulaires) et/ou de condensations parenchymateuses plus ou moins rétractiles. L’atteinte scanographique est maximale autour du dixième jour de la maladie, puis on observe le plus souvent une diminution progressive des opacités parenchymateuses, jusqu’à restitution d’une imagerie normale .
Par ailleurs, le scanner permet d’évaluer la gravité de l’atteinte pulmonaire dans l’infection à COVID 19. Le principal signe de gravité est l’étendue des lésions. La Société Française de Radiologie (SFR) propose ainsi une classification en cinq stades, basés sur le pourcentage de poumon lésé (Figure 3) : atteinte absente ou minime (< 10 %), modérée (10-25 %), importante (25-50 %), sévère (50-75 %) ou critique (> 75 %).
D’autres éléments comme les condensations parenchymateuses étendues, l’épanchement pleural, la distorsion architecturale seraient aussi des marqueurs de sévérité (Figure 4). Le scanner permet également de mettre en évidence d’éventuelles complications de l’infection comme une surinfection bactérienne ou une embolie pulmonaire (3) (15) (16) (Figure 5). Plusieurs études s’attachent à montrer la corrélation entre l’évolution clinique et l’évolution scanographique dans l’infection à COVID 19. Ainsi, lorsque le scanner thoracique montre une progression des lésions, une aggravation des symptômes est constatée. Et de même une amélioration des lésions scanographiques s’observe au fur et à mesure que les patients se rétablissent cliniquement (16) (17).
Dans le contexte de pandémie, de « guerre sanitaire », devant une évolution parfois rapidement défavorable de l’infection à COVID 19, et pour lutter contre la saturation du système de santé, on comprend l’importance d’identifier précocement les patients à risque de développer une forme grave de la maladie, puisque ceux-ci pourraient nécessiter une hospitalisation en réanimation. Ainsi, si l’évolution clinique et l’évolution scanographique sont corrélées, on peut s’interroger sur l’importance de la place du scanner thoracique comme une aide à l’évaluation du pronostic, afin d’orienter plus précocement les patients dans le service adapté et ainsi d’améliorer la prise en charge de la maladie.
Notre étude est réalisée dans cet objectif. Elle s’attache à évaluer si, en comparant le scanner des patients orientés par les urgences dans un service conventionnel pour une infection à COVID 19 avec celui des patients transférés secondairement en réanimation , on aurait pu prédire, dès les urgences, l’aggravation de ces derniers grâce au scanner thoracique « COVID ».
Comparaison des scanners thoraciques « COVID » : Analyse univariée
L’objectif principal de l’étude était de comparer les données d’imagerie du groupe « cas » et du groupe « témoin », pour déterminer si l’on aurait pu anticiper un transfert secondaire en réanimation dès les urgences grâce au scanner thoracique. Pour cela, une analyse comparative des scanners a été réalisée entre les deux groupes (Tableau 2). Plus de 90% des scanners étaient compatibles avec une infection à COVID 19. Parmi les 9 scanners qui ne l’étaient pas, 8 étaient normaux, et 1 était plutôt évocateur d’une pneumopathie bactérienne (patient du groupe « témoin »). Les opacités en verre dépoli étaient présentes sur environ 94% des scanners, sans différence statistiquement significative entre les deux groupes (p=0,06). Concernant l’analyse de l’étendue des lésions, environ 15% des patients avaient une atteinte dite absente ou minime, 29% des patients avaient une atteinte modérée, 33% avaient une atteinte importante, et 24% avaient une atteinte sévère à critique. Une atteinte sévère à critique était associée de manière significative à une admission secondaire en réanimation, si l’on comparait ce critère d’étendue à tous les autres rassemblés (p=0,019). L’analyse univariée a donc retenu ce paramètre comme facteur prédictif d’admission secondaire en réanimation. Quatre signes de gravité étaient recherchés dans l’analyse des scanners thoraciques « COVID » : le Crazy-Paving, la présence de condensations parenchymateuses étendues, les images de distorsion, et la présence d’un épanchement pleural. Dans notre cohorte, en moyenne, deux signes de gravité étaient retrouvés dans le groupe « cas » contre un seul dans le groupe « témoin », avec une différence statistiquement significative (p=0.003) entre les groupes. Avoir au moins deux signes de gravité était associé de manière significative à une admission secondaire en réanimation (p=0.001). En analyse univariée, ce critère a alors été retenu comme facteur pronostique d’admission secondaire en réanimation. Parmi les signes de gravité, le Crazy-Paving était décrit chez environ 48% des « cas », contre 28% des « témoins » (p=0,025). La distorsion était rapportée chez 62% des « cas » contre 34% des « témoins » (p=0.002). Les condensations parenchymateuses étendues concernaient environ 60% des scanners, et l’épanchement pleural était décrit dans moins de 2% des comptes rendus, sans différence significative entre les deux groupes.
Analyse multivariée
En analyse univariée, la comparaison des scanners entre les groupes « cas » et «témoins » a mis en évidence deux paramètres associés de manière significative à une admission secondaire en réanimation : une étendue des lésions sévère à critique d’une part (p=0,019), et la présence d’au moins deux signes de gravité d’autre part (p=0,001). Pour confirmer ces données, il était nécessaire de prendre en compte les facteurs de confusion potentiels par la réalisation d’une analyse multivariée (Tableau 3, Figure 8). Parmi les facteurs de confusion potentiels, on a pris en compte l’antécédent de diabète (p=0,147), la coronaropathie (p=0,05), l’oxygénorequérance supérieure ou égale à 6 litres aux urgences (p=0,032) et un score de NEWS 2 élevé, qui, bien que comparable dans les deux groupes, semblait cliniquement pertinent. L’analyse multivariée a montré une différence significative entre les deux groupes pour le critère d’imagerie relative aux signes de gravité, avec p=0,007. Ainsi, avoir au moins deux signes de gravité scanographique (parmi le Crazy-Paving, la présence de condensations parenchymateuses étendues, les images de distorsion et la présence d’un épanchement pleural) serait associé de manière significative à une admission secondaire en réanimation. Pour les autres paramètres, notamment l’étendue des lésions sévère à critique, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes. Par ailleurs, on note qu’un score de NEWS 2 élevé aux urgences (high score), semblait être un facteur protecteur.
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
1. Schéma et population de l’étude
1.1 Critères d’inclusion
1.2 Critères de non-inclusion et d’exclusion
2. Données collectées
3. Critères de jugement
4. Analyse statistique
5. Ethique
RESULTATS
1. Description de la population
2. Spécificités du groupe « cas » : admission secondaire en réanimation
3. Comparaison des scanners thoraciques « COVID » : Analyse univariée
4. Analyse multivariée
5. Critère de jugement secondaire
DISCUSSION
1. Résumé des résultats
2. Limites de l’étude
3. Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES