Le travail de thèse rapporté dans ce mémoire a été effectué dans le cadre du projet Sherpam (Sensors for HEalth Recording and Physical Activities Monitoring). Ce projet a été financé de 2014 à 2019 par le laboratoire d’excellence CominLabs , rassemblant des membres des laboratoires IRISA (Université Bretagne Sud), LTSI (Université Rennes 1), M2S (ENS Rennes), CIC-IT (CHU de Rennes) et LP3C (Université Rennes 2), afin de constituer un consortium de recherche pluridisciplinaire capable d’appréhender aussi bien des aspects techniques que des questions sociétales. Le projet Sherpam visait à développer un dispositif permettant d’assurer une surveillance médicale de la santé de patients dans leur vie quotidienne. Deux cas d’application ont été considérés plus particulièrement dans ce projet : le suivi de patients souffrant d’insuffisance cardiaque, et le suivi de patients souffrant de difficulté à se déplacer à cause d’une Artériopathie Oblitérante des Membres Inférieurs (AOMI). Plus spécifiquement, les objectifs du projet se déclinaient autour de trois axes :
1. développer un dispositif de surveillance en continu de l’état de santé de patients à domicile, mais aussi dans leurs déplacements hors du domicile,
2. améliorer la reconnaissance et la quantification de l’activité physique (AP), ainsi que l’estimation de la dépense énergétique des patients,
3. réaliser une campagne d’expérimentation clinique afin d’évaluer l’acceptation du dispositif par les patients et le personnel médical.
Contributions et problématiques de recherche
Les contributions présentées dans ce mémoire sont développées sous la forme de deux volets : la modularité du dispositif de collecte de données porté par les patients d’une part, et le support de stratégies d’adaptation contextuelle d’autre part.
Modularité du dispositif
Le développement des technologies de l’information et de la communication a favorisé l’émergence de nouvelles formes de suivi de l’état de santé des patients, que ce soit par le traitement numérique des données patient, ou par la surveillance de l’état de santé d’un patient ambulatoire. De plus, la miniaturisation des composants électroniques a permis la conception d’équipements médicaux portables, qui permettent de collecter des données biophysiques en dehors de l’hôpital. Ces équipements assurent une continuité du suivi de l’état de santé des patients en dehors de l’hôpital. Les patients équipés sont rassurés, et les données collectées permettent de compléter le diagnostic les concernant. Le nombre d’équipements médicaux portables augmente, mais les données produites sont très hétérogènes, tant au niveau de la fréquence de production, que du format utilisé pour représenter les données, ou que de la qualité des données produites. Ainsi, pour un même type d’équipement, il est possible d’observer des disparités importantes. Les équipements portables disposent généralement d’une interface de transmission qui peut être utilisée pour communiquer les données à un serveur distant. Néanmoins, la technologie de transmission utilisée et le protocole de communication varient selon les équipements. Plusieurs initiatives, comme le Health Device Profile de Bluetooth, tentent d’imposer un standard, mais aucune n’est encore parvenue à s’imposer.
Support de stratégies d’adaptation contextuelle
Les technologies de transmission mises à la disposition des utilisateurs mobiles se sont beaucoup améliorées au cours des deux dernières décennies. Ces technologies offrent des perspectives intéressantes pour suivre l’état de santé de personnes à tout moment et en tout lieu. Une seconde contribution de ce travail de thèse est de proposer une méthode permettant d’exploiter simultanément et de manière agile plusieurs types de réseaux sans fil afin d’assurer la transmission des données biométriques. La prise de décision pour choisir telle ou telle technologie de transmission peut s’appuyer sur des paramètres techniques comme la puissance du signal ou les performances des technologies disponibles. Dans ce travail de thèse, nous réalisons la prise de décision sur la base d’informations contextuelles plus globales. Ainsi, aux paramètres techniques déjà pris en compte, il s’agit d’ajouter des informations concernant l’état des ressources des équipements portables, les besoins propres à la pathologie du patient suivi, et la gestion des aléas de transmission (en partie due à la mobilité). Les réseaux de téléphonie mobile (GSM/GPRS, UMTS/3G, LTE/4G) couvrent aujourd’hui les zones les plus densément peuplées, mais, malgré les efforts consentis par les opérateurs de télécommunication pour étendre la couverture de leurs réseaux, il reste de nombreuses zones blanches où la connectivité n’est pas garantie aux utilisateurs mobiles. En outre, les réseaux de téléphonie mobile sont conçus pour privilégier le trafic descendant (du réseau vers l’abonné), alors que seuls des débits de transmission plus modestes sont possibles sur la liaison montante. C’est un inconvénient majeur pour la surveillance de la santé de patients mobiles, qui nécessite d’utiliser principalement la liaison montante pour la collecte des données. Les points d’accès Wi-Fi privés, d’entreprise, et communautaires (i.e. disponibles dans les lieux publics, ou accessibles pour tous les abonnés d’un même fournisseur d’accès à l’Internet) ont également proliféré dans notre environnement quotidien. Contrairement à la plupart des technologies de réseaux de téléphonie mobile, la technologie Wi-Fi offre des liaisons symétriques à haut débit. La couverture des réseaux Wi-Fi est quelque peu limitée, mais la densité des points d’accès Wi-Fi – et en particulier celle des points d’accès de réseaux communautaires – dans les zones urbaines et périurbaines est désormais telle qu’un appareil mobile peut souvent accéder à plusieurs points d’accès à tout moment.
COLLECTE DE DONNÉES POUR LE SUIVI DE L’ÉTAT DE SANTÉ DE PATIENTS
Définitions et enjeux de la santé connectée
Un rapport de l’INSEE datant de 2018 indique que la France comptera 21.9 millions de seniors (personnes âgées de 65 ans et plus) en 2070, contre 13.7 millions aujourd’hui [1]. Pour faire face à cette augmentation, il est nécessaire de préparer le système de santé pour continuer à garantir une qualité de soin satisfaisante à tout le monde. Pour cela, l’innovation technologique apparaît comme un moyen de faire évoluer notre système de santé en apportant de nouveaux outils, aussi bien pour les patients que pour le personnel médical. C’est la direction choisie par le gouvernement français avec le lancement en septembre 2018 d’un nouveau chantier nommé « Ma santé 2022 », qui marque la volonté du gouvernement de développer la santé connectée, sur les bases d’un rapport de Dominique Pon et Anne-Laure Coury publié quelques semaines plus tôt [2].
Définitions
La santé connectée, ou la e-Santé (e-Health), est définie comme « l’ensemble des services du numérique au service du bien-être de la personne », c’est-à-dire comme l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) au service de la santé et du bien-être [3]. La Haute Autorité de Santé (HAS) présente trois cas d’applications : la numérisation de la santé, la télémédecine, et la santé mobile [4].
Numérisation de la santé
Aujourd’hui, la numérisation de la santé consiste à : (i) numériser les dossiers médicaux des patients afin de les rendre accessibles plus facilement et plus rapidement (e.g., le Dossier Médical Partagé – DMP) ; (ii) développer des outils de gestion pour les cabinets médicaux et les hôpitaux afin de faciliter la prise de rendez-vous et les démarches de remboursement (i.e., les systèmes d’information de santé – SIS, ou hospitaliers – SIH) ; et (iii) concevoir des outils d’aide à la décision afin de conseiller le médecin lors des prescriptions [2]. Pour accompagner la transformation de l’hôpital vers l’utilisation des outils numériques, l’organisation et le traitement des données médicales sont deux enjeux importants à prendre en compte. Sans cela, les médecins risquent d’être rapidement submergés par la quantité de données collectées. Dans ce sens, la mise en place d’indexation sémantique pour faciliter la fouille et la visualisation de données sont des pistes intéressantes, comme dans le projet ravel avec les dossiers électroniques des données patients [5]. Dans un pays comme la France, qui dispose d’un système de sécurité sociale depuis 1945, la numérisation de la santé représente une évolution naturelle pour améliorer la qualité des services de soins tout en diminuant les coûts de traitement de dossier, de prise en charge et de suivi des patients. La première initiative de numérisation de la santé à grande échelle est la mise en place de la Carte Vitale en 1998 [6], afin de simplifier le remboursement des soins par la Sécurité Sociale aux citoyens français. En 2018, une nouvelle initiative, nommée Health Data Hub [7], prépare la mise en place d’un centre de stockage des données de santé pour mieux partager les données et les résultats entre les hôpitaux français.
Télémédecine
La télémédecine est la pratique de la médecine à distance. La télémédecine améliore l’accès aux soins pour les patients dans des zones reculées, loin des centres médicaux (e.g., téléconsultation). Elle permet aussi une prise en charge rapide en cas d’urgence (e.g., téléassistance). Enfin, il s’agit d’un moyen pour réduire les coûts en limitant les déplacements des médecins, pour des consultations ou des actes médicaux (e.g., téléchirurgie). En 2020, lors de la rédaction de ce mémoire de thèse, la téléconsultation s’est avérée particulièrement efficace lors de la pandémie COVID-19 pour lutter contre la propagation du virus. Les soins à distances ont permis d’éviter une propagation du virus entre les patients qui se côtoient dans les salles d’attente des cabinets médicaux, et aussi de réduire l’exposition des médecins lors des consultations.
Santé mobile
La santé mobile, ou m-Santé (m-Health), est la pratique de la médecine à distance avec des patients mobiles. Il s’agit de suivre l’état de santé d’un patient en dehors de l’hôpital, chez lui ou dans la rue, dans sa vie de tous les jours. Le terme est cité pour la première fois en 2006 par Robert Istepanian, qui définit la m-Santé comme l’utilisation des nouveaux réseaux de télécommunications par les services de santé [8]. Avec l’arrivée du premier iPhone d’Apple en 2007, cette pratique va se développer en plaçant le smartphone comme le composant principal de la plupart des applications de m-Santé. La santé mobile correspond particulièrement bien aux patients souffrant d’une maladie chronique qui nécessitent un contrôle régulier de l’évolution de leur état de santé. Surveiller attentivement l’état de santé d’un patient peut également servir à affiner un diagnostic, notamment lorsque la surveillance se poursuit sur une longue durée hors de l’hôpital. Enfin, un patient peut se sentir rassurer grâce au dispositif de surveillance qu’il porte, et ainsi l’encourager à pratiquer une activité physique au quotidien. L’activité physique peut être encadrée par une détection de l’activité pratiquée et la quantification de l’effort réalisé.
Données biophysiques
Les données biophysiques représentent un ensemble de données qui permettent de caractériser l’état de santé d’un patient. On peut notamment citer la fréquence cardiaque, la température corporelle, la tension artérielle, ou le poids. La miniaturisation des appareils électroniques et le développement des TIC ont permis de concevoir de nouveaux types de capteurs dédiés à la collecte de données biophysiques. L’augmentation du nombre de capteurs disponibles et la diminution des prix de ces capteurs permettent d’explorer de nouveaux usages, par exemple la santé mobile ou l’auto-mesure. Une partie de ces capteurs dispose d’une interface de communication afin qu’ils puissent communiquer avec un autre appareil (e.g., un smartphone). Ces capteurs sont également appelés des objets connectés que l’on rattache à un concept plus large, l’Internet des objets (Internet of Things – IoT) [9] ou plus spécifiquement à l’Internet des objets médicaux (Internet of Medical Things – IoMT) [10]. L’IoT, et sa déclinaison appliquée au domaine médical, correspondent à une vision d’un monde dans lequel les objets connectés sont omniprésents au quotidien. La mise en réseau de ces objets connectés permet de démultiplier les services qu’ils sont capables de fournir, aussi bien pour l’Homme que pour des machines.
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Table des matières
Introduction
1 Introduction
1.1 Contexte de la thèse
1.2 Thèse soutenue dans ce mémoire
1.3 Contributions et problématiques de recherche
1.3.1 Modularité du dispositif
1.3.2 Support de stratégies d’adaptation contextuelle
1.4 Organisation du manuscrit
I État de l’art
2 Collecte de données pour le suivi de l’état de santé de patients
2.1 Définitions et enjeux de la santé connectée
2.1.1 Définitions
2.1.2 Enjeux et objectifs de la santé connectée
2.2 Composition d’une plateforme de collecte de données biophysiques
2.2.1 Partie Dispositif du Patient
2.2.2 Partie Système d’Information de Santé
2.3 Plateformes de collecte de données de santé existantes
2.3.1 Plateformes d’automesure connectée
2.3.2 Plateformes d’assistance à l’autonomie à domicile
2.3.3 Plateformes de collecte de données biophysiques provenant de patients mobiles
2.4 Discussion
3 Équipements et technologies pour la collecte de données biophysiques de patients mobiles
3.1 Équipements portables pour la collecte de données biophysiques
3.1.1 Capteurs
3.1.2 Utilisation d’une passerelle pour relayer les informations collectées
3.2 Technologies de communication sans fil
3.2.1 Communications au niveau BAN
3.2.2 Communications au délà du BAN
3.2.3 Synthèse des caractéristiques des technologies de communication sans fil
3.3 Discussion
4 Méthodes d’adaptation automatique du moyen de transmission pour les équipements mobiles
4.1 Stratégies d’économie d’énergie
4.1.1 Énergie consommée par les technologies sans fil
4.1.2 Mécanismes de réduction de la consommation d’énergie des technologies de téléphonie mobile et de IEEE 802.11
4.1.3 Stratégies mises en œuvres dans le système Android
4.1.4 Stratégies recommandées pour réduire la consommation d’énergie lors de la transmission des données
4.2 Stratégies de gestion de la mobilité
4.2.1 Méthodes de handover
4.2.2 Transmissions multi-standard
4.2.3 Communication de pair à pair
4.3 Discussion
II Contributions
5 Un mécanisme de plugins extensible et polyvalent pour l’intégration de capteurs hétérogènes à une plateforme de collecte de données médicales
5.1 Besoins d’une plateforme de collecte de données médicales
5.1.1 Validité des données collectées
5.1.2 Protection des données personnelles
5.1.3 Amélioration de la relation patient-médecin
5.1.4 Personnalisation des outils et des soins
5.1.5 Mobilité des patients
5.2 Vue d’ensemble de la plateforme Sherpam
5.2.1 Description des composants du dispositif porté
5.2.2 Description des composants du « nuage médical »
5.3 Présentation du mécanisme de plugins
5.3.1 Problématique d’intégration d’un mécanisme de plugins pour Android
5.3.2 Vue d’ensemble
5.3.3 Gestion des spécificités de chaque capteur
5.4 Utilisation de la plateforme Sherpam dans le cadre d’une expérimentation clinique
5.4.1 Présentation de l’expérimentation clinique
5.4.2 Statistiques de fonctionnement
5.5 Bilan
6 Un framework pour faciliter l’intégration de stratégies adaptatives pour la transmission de données
6.1 Justification du besoin d’adaptation
6.1.1 Comparaison de la consommation d’énergie entre les technologies de transmissions sans fil
6.1.2 Présentation de la problématique à traiter
6.2 Présentation du framework Regas
6.2.1 Vue d’ensemble
6.2.2 Présentation des composants logiciels de Regas
6.3 Description des grammaires
6.3.1 Descripteur du Registre d’État
6.3.2 Descripteur de la base de règles
6.3.3 Descripteur de la base d’actions
6.3.4 Outils de vérification automatique
6.4 Évaluation du framework Regas
6.4.1 Présentation de la méthode d’évaluation
6.4.2 Présentation des stratégies adaptatives mise en œuvre avec Regas
6.4.3 Scénario n°1 : plusieurs technologies de transmission avec des déconnexions
6.4.4 Scenario n°2 : forte concentration de points d’accès Wi-Fi communautaires
6.4.5 Synthèse des résultats
6.5 Bilan
Conclusion