Plasmas Lasers et Champs Magnétiques

Description générale du transport électronique

   Nous avons vu dans l’introduction de cette section l’équation d’induction magnétique (1.4) décrivant la génération et l’évolution du champ magnétique au sein d’un plasma produit par l’irradiation d’une cible solide par un laser de forte puissance. Il est perceptible que les distributions de courant, de pression et de température jouent un rôle important dans le transport de chaleur. Il est donc nécessaire de décrire ces derniers correctement si on s’intéresse à la problématique complexe du transport de chaleur lors de l’irradiation d’une cible solide par un laser de forte puissance. La modélisation de l’interaction et donc du flux de chaleur utilise en règle générale le modèle classique [16] de Spitzer et Harm dans la limite de petits gradients de température. Il a une forme dite locale où il est décrit par la loi de Fourier où la conductivité thermique électronique dépend uniquement des propriétés locales du plasma [ 17 ]. Malheureusement, cette théorie devient inadéquate pour des températures électroniques importantes et des longueurs de gradients de température faibles telles qu’observées dans les plasmas de fusion inertielle. Le libre parcours moyen des électrons est alors grand devant la longueur caractéristique des gradients de température au sein du plasma, impliquant l’inadéquation d’une description locale du transport électronique [18] car dans ce cas, les effets non locaux deviennent prépondérants et modifient fortement le flux de chaleur. Dans ces conditions de gradients très raides, un transport non local et une théorie non linéaire sont plus à même de reproduire le comportement du plasma [19]. Lorsque cette limite est atteinte, cette forme du flux de chaleur utilisant une théorie linéaire n’est plus valide et le flux de chaleur observé expérimentalement [21] près de la surface critique est souvent bien plus faible que ce qui est prédit par la théorie de Spitzer et Harm. Afin de résoudre ce problème, un limiteur de flux [22] a été introduit empiriquement afin de prendre en compte ce phénomène d’inhibition de flux, mais est restrictif dans le sens où il ne décrit pas suffisamment le préchauffage par les électrons chauds transportant la chaleur en dehors de la zone d’interaction. Différents modèles non locaux ont alors vu le jour [17, 19, 23], modélisant par exemple l’évolution de la fonction de distribution des électrons par une équation cinétique Fokker-Planck (avec prise en compte des collisions par différents opérateurs) et prenant plus ou moins en compte le préchauffage par les électrons chauds.

Plaque de réflectivité : Spectralon

   Comme nous pouvons le voir sur la Fig. 1.8.b, une plaque de réflectance lambertienne (Spectralon) a été utilisée afin d’évaluer l’énergie absorbée par la cible en mesurant l’énergie réfléchie par celle-ci et illuminant le Spectralon. La plaque de 30*30 cm2 est un polymère fluoré (polytetrafluoroethylene), possédant une très haute réflectance, dans notre cas 99 % pour des longueurs d’onde comprises entre 400 et 1900 nm [30]. Elle présente un comportement lambertien, c’est-à-dire une surface idéale, homogène sur 2  stéradians, de réflexion diffusive et une propriété primordiale qui est que la brillance apparente de la surface est la même quel que soit l’angle de vue avec laquelle on la regarde. Le seuil de dommage maximal du matériau (4 J.cm-2) contraint la distance entre la plaque et la cible. Néanmoins, les grandes dimensions de la plaque (30*30 cm2) nous permettent de la placer relativement loin de la cible sans perdre d’informations. Elle a ainsi été placée à ~ 97 cm du centre chambre. Un système d’imagerie a ensuite été utilisé afin de réduire spatialement le signal, de l’ordre de 15 fois, et a été enregistré par une CCD.

Le code de simulation FCI2

   Le code hydrodynamique radiatif FCI2 [17, 37, 38] est un code lagrangien 2D, deux températures. Il résout les équations standards de conservation de masse, d’impulsion et d’énergie pour un fluide et prend en compte le transport radiatif. En outre, FCI2 utilise les équations d’état, d’opacité et d’ionisation sous forme tabulée en supposant soit un équilibre thermodynamique local (ETL) soit un équilibre non local (non-ETL). Afin de modéliser le transport électronique, différentes méthodes peuvent être utilisées (limiteur de flux Spitzer-Harm ou modèle de transport de Braginskii mais également un modèle 2D cinétique pour le transport non local prenant en compte les effets de champs magnétiques par MHD résistive) [39]. Il a été développé par le CEA depuis de nombreuses années afin de simuler les futures expériences qui auront lieu sur le Laser Mega Joule (LMJ) et notamment dans le cadre de l’attaque indirecte. Le faisceau laser est décrit par une méthode de tracé de rayon [37], ce qui permet un gain de temps de calcul non négligeable. Le mécanisme d’absorption de l’énergie laser par la cible est le rayonnement par freinage inverse [40].

Discussion sur la dynamique du champ magnétique

   La simulation, contrainte par les paramètres de l’expérience, reflète remarquablement la dynamique spatio-temporelle du champ magnétique (cf. Fig. 1.29). Les vitesses d’advection de simulation du champ magnétique sont en excellent accord avec les vitesses observées en expérience. Cependant, comme nous l’avons évoqué en section III.C, cette vitesse est plus importante que la vitesse acoustique ionique (Vn/cs~ 5), ce qui associe le champ magnétique à des électrons rapides [25] se propageant le long de la surface de la cible, lui permettant d’être transporté loin de la zone d’interaction. Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit vraiment d’une vitesse radiale du champ magnétique, car dl, c’est-à-dire l’étalement longitudinal de B, est constant. Cette vitesse associée à la vitesse de Nernst est linéaire au cours de l’irradiation laser, ce qui implique que le champ magnétique advecté radialement n’est que très peu affecté par l’interaction se produisant au centre de la cible. Ce point est très important, car il permet d’affirmer qu’il existe une dissociation entre la zone d’interaction et la zone de fort champ magnétique. En effet, si on s’intéresse à la topologie du champ, on se rend compte qu’il est plaqué dans les zones de fortes densités ( > 1 nc) (cf. Fig. 1.27) et s’étend dans la direction radiale sur des zones de l’ordre de 300-500 µm. De plus, la croissance progressive du champ B, relativement loin de la zone d’interaction (200-300 µm) de 1 MG à 821 ps jusqu’à 3 MG à 1651 ps nous incite à penser qu’il s’agit d’une amplification du champ. Les lignes de champs magnétiques sont ainsi comprimées et cela permet d’augmenter progressivement le champ magnétique. L’effet Nernst est donc un ingrédient essentiel à la modélisation de l’interaction d’un laser de forte puissance avec une cible solide. Intéressons-nous à ses conséquences sur la non localité du flux de chaleur. En considérant une zone de densité 1.1022 cm-3, une température de l’ordre de 1 keV (en accord avec les simulations FCI2) et un champ magnétique de 1 MG (situation valide pour t = 821 ps), le paramètre de Hall ( ) est d’environ 6. Le champ est d’ailleurs très bien plaqué dans les zones de fortes densités (cf. Fig. 1.27.a) car l’effet Nernst détermine sa dynamique. Le cas à 1651 ps est légèrement différent. Le champ magnétique, d’amplitude plus élevée que le cas à 821 ps, de l’ordre de 3 MG, entraîne un paramètre de Hall de ~ 19 (en prenant les mêmes paramètres de densités et de températures que précédemment). Le terme de Nernst devient plus petit et le transport de chaleur redevient progressivement local. Cela est illustré sur la Fig. 1.27.d, où on remarque que le champ commence à s’étaler longitudinalement au lieu de rester bien plaqué dans la zone de fortes densités. De plus, son amplification nous montre alors qu’il existe un très fort couplage entre le flux de chaleur non linéaire et le champ magnétique B [41]. La dynamique du champ magnétique est donc fortement influencée par l’effet Nernst et influence à son tour le flux de chaleur.

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Table des matières

Introduction Générale
Chapitre 1 : Dynamique expérimentale de champs magnétiques autogénérés en régime nanoseconde
Introduction
I. Génération de champ magnétique au cours de l’interaction d’un laser d’intensité I <1016 W.cm-2 avec une cible solide
A. L’effet Nernst : convection et amplification du champ magnétique dans les zones sur denses du plasma
B. Couplage entre flux de chaleur non local et champ magnétique
1. Description générale du transport électronique
2. Couplage entre champ magnétique et transport électronique
3. Effet Righi-Leduc : influence du champ magnétique sur le flux de chaleur
C. Influence de la force de friction
D. Le terme source du champ magnétique : l’effet thermoélectrique
E. Conclusion : l’équation d’induction magnétique
II. Mesure expérimentale de la dynamique des champs magnétiques au cours de l’interaction d’un laser de forte puissance avec un solide
A. Paramètres lasers
B. Les différents diagnostics
1. Plaque de réflectivité : Spectralon
2. Sténopé X
3. Interférométrie de Nomarski et Polarimétrie
4. La radiographie par protons
III. Présentation des résultats expérimentaux
A. Mesure du diamètre d’émission X pour le cas d’une cible Au
B. Dynamique temporelle des champs magnétiques dans le cas du Mylar
C. Dynamique temporelle des champs magnétiques dans le cas de Au
D. Incertitudes sur les mesures de radiographie par protons
E. Discussion préliminaire sur les vitesses mesurées expérimentalement
F. Influence de l’absorption de l’énergie laser sur la zone de déflexion :
G. Influence de l’épaisseur de cible sur le diamètre de la zone de déplétion
IV. Comparaisons entre les résultats expérimentaux et les simulations issues de FCI2
A. Le code de simulation FCI2
B. Résultats et comparaisons entre le code FCI2 et les mesures d’expansion hydrodynamique du plasma pour une cible de Mylar de 23 µm
1. Dynamique temporelle de l’expansion hydrodynamique de la plume plasma issue de FCI2
2. Comparaisons entre l’expansion hydrodynamique du plasma expérimentale et celle issue de FCI2
C. Résultats et comparaisons entre le code FCI2 et l’expérience de la dynamique temporelle des champs magnétiques autogénérés pour une cible de Mylar de 23 µm
1. Dynamique temporelle des champs magnétiques issus de FCI2
2. Méthode de comparaison : le code particulaire de déflectométrie (CPD)
3. Comparaisons des zones de déflexions observées expérimentalement et en simulations FCI2 à t= 821 ps
4. Comparaisons des zones de déflexions observées expérimentalement et en simulations FCI2 à t > 821 ps
D. Discussion sur la dynamique du champ magnétique
V. Conclusion et perspective
Références
Chapitre 2 : Dynamique expérimentale et Numérique des Champs Magnétiques Autogénérés en Régime Picoseconde
Introduction
I. Une multitude de mécanismes permettant de générer un champ magnétique au cours de l’interaction d’un laser UHI-matière
A. Champs magnétiques créés par les électrons chauds
1. Mécanisme de génération des électrons chauds
2. Caractéristiques et amplitudes des champs magnétiques
B. Autre mécanisme de génération de champs magnétiques : l’inhomogénéité de faisceau laser
C. Les champs magnétiques à petite échelle
1. Champ magnétique dû aux instabilités de Weibel
2. Champ magnétique dû à l’absorption résonante
3. Champ magnétique dû aux instabilités thermiques
D. Analyse fine de l’influence des différentes configurations de champs magnétiques sur la déflexion de faisceaux de protons
1. Influence du champ en face arrière de la cible
2. Influence du champ en face avant de la cible
II. Dynamique des champs magnétiques autogénérés aux temps courts étudiée au moyen d’un code particulaire : PICLS
A. Description du code particulaire PICLS
B. Paramètres de simulations PICLS
C. Evolution des champs magnétiques en face avant et arrière d’une cible solide irradiée par un laser ayant un angle d’incidence nul
D. Champ magnétique autogénéré à l’intérieur de la cible
III. Dynamique des champs magnétiques à temps longs : phase d’expansion hydrodynamique
A. Temps de transition entre la phase dominée par les électrons chauds et la phase hydrodynamique
1. Présentation du code
2. Principaux résultats
3. Conclusion sur les temps de transition
B. La phase d’expansion hydrodynamique du plasma
1. Précédents travaux
2. Estimation du champ magnétique généré par effet thermoélectrique.
3. Simulation hydrodynamique CHIC des champs magnétiques autogénérés
IV. L’expérience TITAN : deux faisceaux ultra-courts et un miroir plasma
A. Réalisation de l’expérience : montage et contrainte
B. Miroir plasma (MP) : un outil permettant d’observer une dynamique de champ plus claire
V. Résultats expérimentaux et analyse
A. Structure de champs à grandes échelles
1. Présentation des résultats
2. Comparaisons entre les résultats expérimentaux et les simulations PICLS à temps courts
3. Estimation de l’amplitude de champ magnétique pour une cible Al 3 µm
4. Discussion sur le phénomène de collimation de protons observé au cours du temps
B. Structures de champs magnétiques à petite échelle reliées à l’instabilité de Weibel ou de filamentation de courant
1. Analyse des structures dans le cas d’un métal Al : filamentation du faisceau d’électrons
2. Observations du phénomène de coalescence : dynamique de l’instabilité de Weibel
3. Discussion sur l’impact de l’instabilité de Weibel dans le transport électronique
4. Analyse des structures dans le cas d’un isolant : le PET
5. Observations de l’évolution des structures dans le cas d’un isolant : PET
VI. Application concrète : la lentille magnétique
A. Etat de l’art
B. Caractéristiques du faisceau de protons
1. Augmentation du flux de protons
2. Propagation du faisceau de particules chargées (protons) après la lentille magnétique
C. Optimisation du dispositif
VII. Conclusion et Perspective
Références
Chapitre 3 : Les jets Astrophysiques Simulés en Laboratoire : Influence d’une Composante Poloidale de Champ sur la Collimation et la Morphologie de Plasma produit par laser : Expérience et Simulation
Introduction générale
Partie I : Génération d’un Fort Champ magnétique (40 T) en Environnement Laser
I. Générateur de courant
II. Conception de la bobine
A. Un exemple de conception problématique pour un environnement laser
B. La bobine conçue par le LNCMI : un compromis entre encombrement et fiabilité
III. Génération et caractéristique du champ magnétique
A. Schéma électrique et limiteur de courant
B. Caractéristiques du champ magnétique généré
IV. Implantation dans un environnement laser : ELFIE
A. Le laser ELFIE
B. Implantation dans la chambre d’expérience ELFIE de l’Ecole Polytechnique
Partie II : Collimation et Morphologie de Jets Astrophysiques Simulés en Laboratoire
I. Pertinence des paramètres expérimentaux
A. Choix du champ magnétique
B. Les lois d’échelles
C. Paramètre cin (Pression cinétique/Pression magnétique)
II. Montage expérimental et diagnostic utilisé
A. Montage expérimental
B. Diagnostic : principe de mesure de densité électronique dans un plasma par interférométrie Mach Zehnder
III. Présentation des résultats expérimentaux
A. Influence du champ B sur la collimation du plasma près de la source
B. Reproductibilité des données expérimentales
C. Dynamique de l’évolution du plasma à la base de l’écoulement à I~1012W.cm-2
1. Le cas du CH
2. Le cas Cu
D. Morphologie de l’écoulement de plasma
1. Reconstruction expérimentale de l’écoulement plasma à longue distance
2. Influence du paramètre sur la morphologie du jet
IV. Comparaisons entre simulations MHD GORGON et expérience
A. La plateforme de simulations DUED + GORGON
B. Comparaisons entre l’expérience et la simulation
C. Discussion sur la morphologie du jet au moyen des simulations GORGON
1. Formation de la cavité et d’une enveloppe
2. Recollimation du plasma vers l’axe et formation d’une zone de choc stationnaire
3. Possibilité d’avoir plusieurs chocs de recollimation
V. Simulations astrophysiques RAMSES
A. Le code RAMSES
B. Simulations RAMSES : Zone d’émissivité stationnaire
VI. Observations astronomiques
A. Observations de L1551 IRS5 HH154
B. Zone d’émission X stationnaire dans L1551 IRS 5
C. Interprétation des observations de L1551 IRS 5
D. Conclusion
VII. Conclusion et Perspective
Références
Conclusion et Perspective générale
Annexe I : Mesure de Densité par Inversion d’Abel : Limitations et Incertitudes de la Mesure
Rôle de l’Auteur
Liste de Publications et Brevets

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