Place du langage oral et de l’écrit à l’école : des apprentissages
fondamentaux
Quels sont les liens cognitifs entre la musique et la conscience phonologique ?
Dans leur article, Bolduc et Fleuret (2009) nous font part d’un recensement des différentes recherches menées sur ce thème. En effet, les premières recherches visant à observer un lien entre la musique et la littératie datent de 1950. Mais c’est dès les années 1980 que ces dernières prennent une plus grande ampleur. Les résultats de deux études corrélatives tendent à montrer un lien entre la capacité à discriminer la hauteur des sons et la maîtrise de la conscience phonologique.
Effectivement, les enfants parvenant à discriminer la hauteur des sons ne rencontrent pas de difficulté quant à la segmentation des mots en phonème et en syllabes ainsi qu’au niveau de l’identification des rimes. De plus, l’étude d’Anvari, Trainor, Woodside et Lévy (2002) indique que la capacité de perception de la durée musicale et la catégorisation des phonèmes sont liées.
Moussard, Rochette et Bigand (2012) expliquent dans leur article que plusieurs études ont tenté d’établir des liens cognitifs entre le traitement de la musique et celui du langage. Voici certaines des conclusions qui ont pu en être tirées : « Plusieurs cas de double dissociation ont été observés lors d’atteintes du langage (aphasie) et des habiletés musicales (amusie), suggérant un niveau d’indépendance entre ces deux compétences » (p.514). Tous les chercheurs ne s’accordent donc pas à dire que les enfants ayant des troubles du langage présentent également des difficultés en musique. Néanmoins, d’autres recherches démontrent qu’au niveau neurologique, certaines régions du cerveau activées par le langage, l’étaient également lors de la pratique de la musique : « Ces liens expliqueraient qu’un entraînement effectué sur un stimulus musical puisse avoir un effet facilitateur sur le traitement d’un stimulus linguistique » (Moussard et al., 2012, p.514).
En ce qui concerne la conscience phonologique plus précisément, Moussard et al. (2012) font référence à l’étude d’Anvari et al. (2002), qui a prouvé des corrélations entre les habiletés en musique de leur population d’enfants âgés de 4 à 5 ans et les résultats obtenus lors de tests de conscience phonologique. Ces épreuves consistent à segmenter la parole en unités plus petites, par exemple en syllabes ou en phonèmes. Nous pouvons donc constater que la recherche et la didactique s’accordent sur cette méthode, notamment grâce au moyen d’enseignement précédemment présenté, Phono de Goigoux, Cèbe et Paour. Ces derniers, pour mesurer la portée de leur moyen d’enseignement ont procédé à des tests de conscience phonologique basés sur la reconnaissance de rimes, du comptage syllabique et de la segmentation syllabique. Il est intéressant de constater qu’en musique, il est également possible de segmenter des mélodies chantées. Schön, Boyer, Moreno, Besson, Peretz & Kolinski (2008), cités par Moussard et al. (2012), déclarent à ce sujet : « Or, un flux chanté est plus facile à segmenter qu’un flux parlé, si la mélodie utilisée est cohérente avec l’organisation des unités qui le composent » (p.514).
Au-delà du processus de segmentation, la musique et le langage possèdent un autre point commun non négligeable. Ces derniers sont décrits comme deux « systèmes syntaxiques » puisqu’ils obéissent à des règles structurales et sont organisés hiérarchiquement, comme nous l’expliquent Moussard et al. (2012). Ils indiquent également dans leur étude que des recherches menées notamment par Patel, Gibson, Ratner, Besson, & Holcomb, en 1998, montrent que les réactions face à des incongruités structurales langagières et musicales étaient liées : « Les localisations cérébrales de ces patterns de réponses correspondent aux spécialisations hémisphériques du traitement des signaux auditifs […] mais la similarité de la réponse observée suggère un même mécanisme pour le traitement des incongruités de syntaxe dans les deux domaines » (p.515).
Ces résultats laissent donc à penser que la pratique d’exercices musicaux du type segmentation ou encore de la simple écoute de sons musicaux aurait des influences sur le développement de la conscience phonologique. C’est exactement ce que développe Danielle Quilan (2008) dans son ouvrage intitulé : L’écoute de bruits et de sons pour l’éveil à la conscience phonologique à l’école maternelle et en ASH. Cette dernière établit un lien entre l’écoute de sons et de bruits et le développement de la conscience phonologique. En effet, son étude révèle que la capacité précoce à créer des liens entre les différents éléments oraux et écrits, aura des influences sur les futures compétences en lecture. Elle propose divers exercices en rapport avec l’écoute de bruits environnants, les cris d’animaux, la voix, la localisation des sons dans l’espace. Mais le plus intéressant pour ce travail réside dans les exercices du type musical. Ceux-ci proposent la discrimination et l’identification d’un son, le dénombrement des sons dans une structure sonore composée de 1 à 4 sons, la comparaison des sons, la discrimination et l’identification d’un son dans une suite de 2 à 4 sons, la mémorisation et l’ordonnance d’une suite de 2 à 4 sons, la suppression d’un son à une suite de sons, et pour finir, l’ajout d’un son à un autre son.
A ce stade du travail, il est important de mettre en avant le fait que les exercices de Danielle Quilan ainsi que la méthode Borel-Maisonny possèdent de nombreux points communs avec les exercices proposés par la HEP-BEJUNE lors des cours de musique. Effectivement, l’aspect gestuel de la méthode Borel-Maisonny est également travaillé par la pratique de la mimorythmie et de la mimomélodie. Ces techniques ont été inventées par François Joliat et permettent d’accompagner les sons par le geste. Pour la mimorythmie, chaque valeur possède un signe gestuel précis. Ceci facilite par conséquent l’appropriation du rythme. En ce qui concerne la mimomélodie, l’enfant exécute, par le chant, une suite de sons en indiquant la hauteur de chaque son avec sa main. Plus la main monte, plus le son sera aigu ; plus elle descend, plus le son sera grave. Cet exercice implique la capacité à discriminer la hauteur des sons, mais également la capacité à différencier chaque unité sonore, comme dans les exercices de Danielle Quillan. Une autre technique composée de deux exercices appelés frapper et parler syllabés, toujours développée par François Joliat, permet de segmenter une mélodie chantée, par la parole, avec ou sans accompagnement gestuel (frapper dans ses mains). Des exercices musicaux plus ou moins similaires ont été expérimentés pendant une semaine, dans une classe, par Chopard (2009). Son étude révèle que : « Les résultats clairs des tests me laissent supposer que le traitement musical a eu une influence sur les sujets de cette étude, notamment dans la facilité à segmenter les phonèmes. Le groupe expérimental a clairement démontré une amélioration dans ses résultats » (p.26). L’amélioration de ces résultats a notamment pu être mesurée grâce à une adaptation du test de conscience phonologique DIBELS (Dynamic Indicators of Basic Early Literacy Skills). L’équivalant français, récemment développé, est appelé IDAPEL, (Indicateurs dynamiques d’habiletés précoces en lecture). Il constitue une série d’épreuves standardisées, visant à évaluer les compétences précoces d’alphabétisation des élèves qui apprennent à lire en français, de la maternelle à la 5e année. Il permet d’évaluer les composantes fondamentales de la compétence en lecture, principalement la sensibilité phonologique, le principe de l’alphabet, la précision et la fluidité de lecture et la compréhension de texte.
La batterie d’épreuves IDAPEL constitue l’objet d’une recherche qui sera menée dans le courant de l’année 2018-2019 par différents partenaires de recherche au Canada. Cette série de tests est particulièrement intéressante, car elle s’adresse directement aux enseignants et est tout de même très similaire aux tests de conscience phonologique effectués en orthophonie. C’est donc sur la base de ces différents exercices musicaux (mimorythmie, mimomélodie, frappé et parlé syllabés) ainsi que sur les tests de conscience phonologique inspirés d’IDAPEL, que ma méthodologie repose.
Au-delà des processus cognitifs
Au-delà des aspects neurologiques et cognitifs, il existe d’autres corrélations possibles entre la musique et le langage. Dans son ouvrage, Philonenko (2007) explique le lien existant entre le langage et la musique. En effet, le rythme, les allitérations, les décompositions syllabiques font partie du champ lexical de la poésie, mais pas uniquement :
Il faut donc considérer qu’il y a une musique intérieure au langage, qui se manifeste aussi par des procédés tels que l’allitération, dont la sonorité évoque ce que les mots sont censés signifier. Rythme, sonorité, autant de termes qui appartiennent indéniablement au vocabulaire musical. (p. 206) Les visées du langage et de la musique peuvent également être similaires, notamment pour l’aspect de la communication. En effet : « Si la musique parle, elle parle la seule langue universelle qui soit – mis à part les mathématiques –, celle du sentiment, du vécu, en un mot de l’existence humaine » (Philonenko, 2007, p. 211). Cette recherche de sens, de communication, est le but même de la musique, mais il est également le moteur et la visée des élèves durant leur apprentissage de la lecture.
L’aspect communicationnel est au cœur de l’apprentissage de la lecture. Plus précisément encore, l’interaction adulte-enfant constitue un passage nécessaire et bénéfique. En nous plongeant dans l’article de Chauveau (2001), nous en apprenons plus au sujet de la conception interactionniste de la lecture. La dyade adulte-enfant ou enseignant-élèves est décrite comme une des relations primordiales pour l’apprentissage de la lecture. Un réseau d’apprentissage se crée autour de l’apprenti lecteur. Ce dernier a besoin de modèles, l’enfant agit donc en partie par mimétisme, il a besoin également d’incitateurs qui le poussent à lire, de supporters qui l’encouragent, etc. Si nous nous intéressons au rôle de l’enseignant nous pouvons lire .
Le savoir-lire est une co-construction, une entreprise collective : « L’enfant n’apprend pas à lire tout seul ». Les interactions sociales jouent un rôle déterminant dans cet apprentissage quand elles permettent la coopération, la confrontation, l’échange et le « partage » des savoirs. Cette « dynamique sociale et intellectuelle » favorise la manifestation de savoirs déjà acquis et la construction de nouveaux savoirs. (p.27)
Ces notions de co-construction, d’interaction, de manifestations de savoirs, représentent la base de la théorie de l’action conjointe en didactique visant à observer les interactions enseignant-élèves, élèves-élèves, selon différents descripteurs. Cette théorie constitue l’outil d’analyse de cette présente recherche.
Question de recherche et objectifs de recherche
Schéma d’analyse
En reprenant ma question de départ : « Quand, pourquoi et comment la pratique de certaines activités musicales se montre bénéfique pour l’acquisition de la conscience phonologique ? », le schéma d’analyse pourrait prendre les orientations suivantes :
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE
1.1. Définition et importance de l’objet de recherche
1.1.1. Place du langage oral et de l’écrit à l’école : des apprentissages
fondamentaux
1.1.2. L’historique des méthodes de lecture : quand méthodes riment
avec discordes
1.1.3. La conscience phonologique, un prérequis nécessaire aux
apprentis lecteurs
1.2. Etat de la question
1.2.1.Musique et apprentissages, l’un au service de l’autre ?
1.2.2. Quels sont les liens cognitifs entre la musique et la conscience phonologique ?
1.2.3. Au-delà des processus cognitifs
1.3. Question de recherche et objectifs ou hypothèses de recherche
1.3.1. Schéma d’analyse
1.3.2. Questions de recherche
1.3.3. Objectif général et objectifs spécifiques
CHAPITRE 2: MÉTHODOLOGIE
2.1. Fondements méthodologiques
2.1.1. Type de recherche
2.1.2. Objectif
2.1.3. Type de démarche
2.1.4. Processus d’analyse
2.1.5. Enjeu
2.2. Nature du corpus
2.2.1. Récolte des données
2.2.2. Procédure et protocole de recherche
2.2.3. Outils
2.3. Méthodes et/ou techniques d’analyse des données
2.3.1. Traitement des données
2.3.2. Echantillonnage, méthodes et analyse
2.3.2.1.Tableaux récapitulatifs des événements significatifs 1,2,3,4,6,7,10
2.3.2.2.Présentation des niveaux d’analyse
CHAPITRE 3: ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
3.1. Jeanne et la mimomélodie spontanée
3.1.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.2. Anne, Pierre et leur signification pour la mimomélodie
3.2.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.3. Françoise, Alphonse et leurs différentes références
3.3.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.4. Anne et sa pratique du frapper syllabé
3.4.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.5. Arthur, l’initiateur de l’enjouement rythmique
3.5.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.6. Françoise et ses multiples variations rythmiques
3.6.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
3.7. Jeanne et la conscientisation des transferts
3.7.1. Mise en lien avec les tests de conscience phonologique
CHAPITRE 4: CONCLUSION
4.1. Hypothèses et liens avec les exercices musicaux
4.2. Le rôle des élèves et les apprentissages visés
4.3. Retour réflexif sur la recherche
BIBLIOGRAPHIE / WEB
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