Place du généraliste dans la prise en charge du mésusage d’alcool et des autres addictions
L’organisation du réseau de soins addictologiques
L’organisation du réseau de soins addictologiques s’articule autour des professionnels libéraux, des centres médicosociaux spécialisés et des centres hospitaliers (7,8). Cette organisation permet une coordination en réseau de soin avec une première, seconde et troisième ligne. Cependant, le patient peut entrer dans ce réseau auprès de chacune des différentes structures. Le secteur libéral est constitué de médecins généralistes, addictologues, psychiatres et paramédicaux offrant principalement des consultations spécialisées. Ces praticiens peuvent aussi s’organiser localement, collaborer avec les structures médico-sociales et hospitalières, ou se regrouper en microstructures médicales d’addictologie.
Les centres médico-sociaux regroupent les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), les consultations jeunes consommateurs (CJC) et les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues (CAARUD). Leur mission est de fournir aux patients un accès gratuit – et possiblement anonyme – à une équipe pluridisciplinaire spécialisée dans la prise en charge des conduites addictives. Les patients peuvent s’y présenter spontanément ou être adressés par un médecin. Le secteur hospitalier regroupe des consultations spécialisées, mais aussi des hospitalisations complètes, des hospitalisations de jour ou encore des séjours en soin de suite et de réadaptation. Enfin, les équipes de liaison et de soin en addictologie (ELSA) ont pour mission de sensibiliser les équipes hospitalières à l’addictologie, et de les aider à la prise en charge addictologique des patients le nécessitant et dont le motif de recours à l’hôpital est initialement autre.
Médecins généralistes : un rôle faisant consensus
Au sein de ce réseau addictologique, la place des médecins généralistes (MG) est considérée comme incontournable par plusieurs organismes et sociétés savantes. En effet, compte tenu de la prévalence des consommations de SPA et de l’organisation de notre système de santé autour des soins de premier recours, le médecin généraliste est souvent considéré comme un des mieux placés pour prévenir, repérer et initier la prise en charge des usagers de SPA. De plus, le suivi au long cours de ses patients lui permet d’aborder régulièrement la question des conduites addictives avec eux. Ainsi, le collège de la médecine générale (CMG) considère que « les médecins généralistes (…) sont en première ligne pour repérer les consommations de produits (…) et autres conduites à risques » (9). Ce collège collabore d’ailleurs au travers d’une convention bisannuelle avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Le groupe de travail européen, composé de médecins généralistes, appelé Primary Health Care European Project on Alcohol (PHEPA), leur attribue également « la responsabilité de repérer et de prendre en charge les patients dont la consommation d’alcool est à risque ou nocive » (5). Pour la société française d’alcoologie (SFA), il apparaît « évident que l’implication des médecins généralistes est cruciale pour faciliter l’accès aux soins des personnes souffrant d’un mésusage de l’alcool ». Elle considère également que « tout médecin généraliste devrait avoir reçu une formation lui permettant de repérer un mésusage de l’alcool, et de faire une intervention brève » (10). De son coté, le plan gouvernemental de lutte contre les conduites addictives (PGLCA) de 2013-2017, déclarait « essentiel que les médecins généralistes (…) puissent intervenir dans le cadre de leur consultation avant l’apparition de dommages sanitaires et sociaux chez leur patient. » (11). Le PGLCA 2018-2022 ajoute que « la priorité au cours des prochaines années sera de faire des professionnels de premier recours – en premier lieu, les médecins généralistes – les acteurs pivot du repérage et la porte d’entrée des parcours de santé » .
Un renforcement de la formation souhaitée
La place des MG dans le réseau de soins addictologiques étant reconnue et consensuelle, les organismes publics et sociétés savantes invitent au renforcement de leur formation et de leur participation dans le repérage et la prise en charge des pathologies addictives. Selon le PGLCA 2018-2022, les MG sont « encore insuffisamment engagés dans les logiques de repérage précoce et, le cas échéant, de soins pour les personnes [consommatrices]. » Une des explications avancées par ce plan est la non acquisition des compétences nécessaires pour remplir ce rôle. Il considère qu’il existe « manifestement une insuffisance de formation initiale sur le sujet. » Selon lui, la majorité des MG en fin de formation « ne semble pas en mesure de repérer et de prendre en charge de manière adéquate un fumeur et/ou un patient ayant des consommations à risque ou problématiques d’alcool » (1). Ce constat rejoint celui que faisait la cour des comptes en juin 2016 en annonçant que « deux tiers des médecins généralistes interrogés ne connaissent pas le dispositif du repérage précoce avec intervention brève (RPIB) et que seulement 2 % d’entre eux le pratiquent de manière formalisée. » Selon elle, « l’enseignement (…) varie en fonction des régions mais est globalement très insuffisant. » Elle préconisait dans son rapport « de fixer un objectif de formation (…), avec validation obligatoire des connaissances » .
Enseignement de l’addictologie
Organisation actuelle
La formation initiale en addictologie débute durant le 2e cycle des études médicales correspondant au Diplôme de Formation Approfondie en Sciences Médicales (DFASM), avec un programme commun à l’échelle nationale lié aux exigences des épreuves classantes nationales (ECN). Les objectifs pédagogiques pour chaque substance et addictions comportementales sont alors « de repérer, diagnostiquer, évaluer le retentissement d’une addiction » ; de connaître les principales « indications et principes du sevrage thérapeutique » ; « argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient » (13). Il est plus difficile de décrire de manière unique ou exhaustive la façon dont est enseigné l’addictologie durant le 3e cycle de médecine générale car il existe des disparités d’enseignement en fonction des régions (12). Certaines facultés prévoient d’aborder la question des addictions de manière spécifique durant le 3e cycle, et peuvent le rendre obligatoire ou optionnelle (14,15). D’autres facultés ne prévoient pas de l’aborder de manière systématique et choisissent de laisser l’interne de médecine générale (IMG) y venir selon le paradigme de la pédagogie centrée sur les apprentissages (PCA). En effet, le collège national des généralistes enseignants (CNGE) incite à développer pour le 3e cycle de médecine générale « une pédagogie centrée sur les apprentissages, avec une approche par compétences s’inscrivant dans une perspective constructiviste » (16). Durant les premières années des études médicales, l’enseignement délivré est essentiellement orienté vers l’acquisition des savoirs fondamentaux. La méthode pédagogique traditionnellement adoptée est alors celle du cours magistral, c’est-à dire l’exposé hiérarchisé des connaissances avec prise de notes. La validation des acquisitions s’appuie sur la mémorisation des connaissances qui est contrôlée à la fin d’une série de cours magistraux et vaut certification. Pour l’enseignement à délivrer auprès des IMG, plusieurs auteurs considèrent que ces méthodes « ne suffisent plus dès lors que les étudiants sont engagés dans une filière professionnalisante » (17) et incitent « à basculer vers le paradigme d’apprentissage » (18,19). La PCA s’écarte dans ses principes de la pédagogie centrée sur l’enseignement (PCE) auxquelles le cours magistral est habituellement attaché. Dans le paradigme de la PCA, l’interne est considéré comme « l’acteur principal du processus [d’apprentissage] et le propre constructeur de ses savoirs » (17). Dans cette configuration, le rôle de l’enseignant est vu comme un « facilitateur d’apprentissage et non un dispensateur de connaissances » (19). Le statut des connaissances y est également vu différemment puisque « le savoir est conçu comme une construction individuelle de l’apprenant dont le développement est guidé par l’enseignant. Ce dernier laisse l’apprenant créer ses représentations du monde à partir de ses propres expériences » (17). Dès lors, au cours du 3e cycle, l’IMG doit « identifier ses besoins de formation, planifier ses activités d’apprentissage à partir des tâches professionnelles authentiques auxquelles il est exposé et à s’auto-évaluer, dans une démarche de pratique réflexive » (20). Avec l’adoption d’une PCA les méthodes de transmission changent et « nécessite[nt] l’utilisation d’outils pédagogiques spécifiques » (19). Deux grandes familles de méthodes sont donc recommandées à l’heure actuelle par le CNGE. Il s’agit de travaux d’écriture clinique, qui regroupent les traces écrites d’apprentissages et les récits de situations complexes et authentiques (RSCA), ainsi que les groupes d’échanges et d’analyse de pratique (GEP). Ces travaux sont généralement regroupés sur un portfolio électronique et soumis à une supervision. Que ces travaux soient réalisés de manière individuelle ou lors d’un échange de groupe, il est demandé à l’interne de rapporter de manière objective une expérience clinique « signifiante » pour son apprentissage. L’IMG expose l’histoire clinique, son rôle dans la situation et son vécu de l’expérience. Il lui est alors demandé d’analyser son niveau actuel de compétence au vu de cette situation et d’identifier les savoirs, savoir-faire et savoir-être manquants à sa pratique, ou insuffisamment maîtrisés. Il planifie alors ses activités d’apprentissage (20). L’IMG est généralement invité à effectuer une recherche documentaire sur une question clairement identifiée, notamment en fin de séance de GEP, pour compléter sa réflexion et son apprentissage. Afin de guider l’étudiant dans cet apprentissage, il doit se référer à 11 familles de situations cliniques considérées comme représentatives pour la médecine générale (21) et 6 compétences génériques (22). L’IMG doit rapporter un nombre minimum de travaux, recoupant un maximum de situations et de compétences. La thématique addictologique dans ce paradigme de la PCA est rattachée à une famille de situation plus large, intitulée « Situations autour de patients souffrant de pathologies chroniques, poly-morbidité à forte prévalence » (21). L’interne peut aborder cette famille de situation sous l’angle qu’il souhaite. S’il choisit de ne pas traiter un sujet se rapportant aux addictions, sa formation reposera sur la pratique acquise auprès de ses maîtres de stages universitaires (MSU) lors des stages ambulatoires ou hospitaliers.
Acquisition des compétences addictologiques en fin d’internat
Nous avons identifié 2 études observationnelles évaluant l’efficacité de l’enseignement actuel dans l’acquisition des compétences nécessaires à la prise en charge du mésusage d’alcool et des autres addictions en fin de 3e cycle. La première étude, réalisée en 2015 (15), évaluait les connaissances et pratiques addictologiques des IMG en fin de cursus grâce à un questionnaire électronique envoyé aux départements de médecine générale. Un lien entre le niveau de connaissance et les modalités de formation à l’addictologie était recherché. L’étude des 622 questionnaires retournés (20,2 %), montrait que 482 étudiants (77,5 %) n’obtenaient pas la moyenne au test proposé. Par ailleurs, cette étude mettait en évidence une relation entre la présence d’une formation à l’addictologie durant le 3e cycle (6 heures en moyenne) et l’observation d’un meilleur niveau de connaissance en fin de cursus. De même, il y avait significativement plus de poste ouvert en stage d’addictologie dans les facultés (en moyenne 3 fois plus) lorsque les internes obtenaient la moyenne au test. Dans une étude similaire de 2017 (23), réalisée dans le cadre d’une thèse d’exercice, une différence de performance addictologique était recherchée chez les IMG en fin d’internat, selon qu’il y ait présence d’un enseignement spécifique ou non dans leur faculté d’origine. Parmi les 284 répondeurs (13,3 %), cette étude mettait également en évidence que le taux d’étudiants ayant des connaissances ou des raisonnements satisfaisants était significativement lié à l’existence d’une formation spécifique en 3e cycle et à son statut obligatoire (69 % contre 50 % ; p<0,01). Un autre paramètre lié à la réussite des étudiants était le nombre de représentations « limitantes » sur l’addiction qui était significativement différentes. Ces différents résultats suggèrent, sans toutefois le prouver, que les connaissances et compétences en addictologie seraient améliorées par la présence d’un enseignement spécifique au cours du 3e cycle de médecine générale.
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Table des matières
INTRODUCTION
EPIDEMIOLOGIE
PLACE DU GENERALISTE DANS LA PRISE EN CHARGE DU MESUSAGE D’ALCOOL ET DES AUTRES ADDICTIONS
L’organisation du réseau de soins addictologiques
Médecins généralistes : un rôle faisant consensus
Un renforcement de la formation souhaitée
ENSEIGNEMENT DE L’ADDICTOLOGIE
Organisation actuelle
Acquisition des compétences addictologiques en fin d’internat
HYPOTHESE DE RECHERCHE
OBJECTIFS DE L’ETUDE
MATERIEL ET METHODE
SCHEMA DE L’ETUDE
POPULATION ET RECRUTEMENT
INTERVENTION
RECUEIL ET TRAITEMENT DES DONNEES
MESURES DE L’OBJECTIF PRINCIPAL
Critère de jugement principal
Autres critères de jugements
ANALYSES STATISTIQUES
Comparabilité initiale des groupes
Analyse du critère de jugement principal
Analyse des autres critères de jugements de l’objectif principal
Analyse des objectifs secondaires
Analyses complémentaires exploratoires
Logiciel
REGLEMENTATION
FINANCEMENT
RESULTATS
DEROULEMENT DE L’ETUDE
IDENTIFICATION DES GROUPES ET COMPARABILITE
REPONSE A L’OBJECTIF PRINCIPAL
Critère de jugement principal
Autres critères de jugement
REPONSE AUX OBJECTIFS SECONDAIRES
Evaluation des compétences et du ressenti en fin d’internat
Description des travaux universitaires traités en 3e cycle
Repérage de facteurs liés à un meilleur niveau en fin d’internat
ANALYSES COMPLEMENTAIRES EXPLORATOIRES
DISCUSSION
PRINCIPAUX RESULTATS
VALIDITE INTERNE
VALIDITE EXTERNE
Niveau de compétence en fin d’internat
Efficacité de la méthode pédagogique testée
PERTINENCE CLINIQUE DES DONNEES
PERSPECTIVES ET OUVERTURES
Vérifier les résultats obtenus
Améliorer la qualité des recherches pédagogiques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES