PLACE DES PARENTS DANS LA PRISE EN SOIN ORTHOPHONIQUE

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Les acquisitions du langage à 4 ans

Les 3 premières années de vie de l’enfant sont une période essentielle pour le développement du langage (Mazeau, 2020) car l’enfant développe des habiletés motrices, cognitives et sociales nécessaires à la maîtrise du langage. A 4 ans, il entre dans la grammaticalisation du discours. L’enfant acquiert la syntaxe en analysant la régularité des structures et non plus par imitation. Sur le versant productif (expression), sa parole est intelligible par tout le monde, même par les personnes qu’il ne connaît pas. L’enfant prononce correctement tous les sons, à l’exception peut-être des sons constrictifs /ch/, /j/, /s/ et /z/, ainsi que des groupes consonantiques tels que /tr/, /cr/, /dr/ (Kremer et Denni-Krichel, 2010). L’enfant utilise le « je » et s’affirme en tant que personne. Il utilise aussi d’autres pronoms tels que « tu », « lui », « eux » … pour désigner d’autres personnes, il produit des phrases complexes, grammaticalement correctes, qui comportent plus de 6 mots avec la présence de propositions relatives. Son discours se détache de l’immédiateté du présent, l’enfant sait employer le temps du passé mais aussi du futur et peut ainsi évoquer des événements (Kremer et Denni-Krichel, 2010).
En réception, l’enfant de 4 ans comprend les phrases longues et peut suivre le récit d’une histoire. Il obéit aux consignes qui lui sont données. Il maîtrise les notions de temps et d’espace (ex : aujourd’hui, demain, dessus, dessous, à côté…) ainsi que les relations de cause à effet. Il sait ce que signifie pareil/différent et comprend que les choses appartiennent à des catégories (ex : la pomme est un fruit).
Concernant ses interactions, l’enfant de 4 ans a plaisir à communiquer. Il pose des questions, notamment le « pourquoi » et est curieux de ce qui l’entoure. Il peut raconter ce qu’il a vu ou fait et invente même des histoires. Il adapte son langage en fonction des personnes à qui il s’adresse, joue avec d’autres enfants et accepte les règles du jeu.
Chaque enfant se développe à son rythme ce qui amène des différences interindividuelles. Cependant, lorsque des enfants se développent en décalage ou ne suivent pas l’évolution des autres enfants, certains signes d’alerte sont à surveiller car ils peuvent être prédicteurs d’un trouble du langage (Maillart, 2019; Touzin, 2010). Autour de 3-4 ans, une attention particulière doit être portée si :
– L’enfant est peu compréhensible par un interlocuteur qu’il ne connaît pas,
– Il n’utilise pas les pronoms « je » ni « moi »,
– Il ne pose pas de question,
– Il ne joue pas avec les autres enfants,
– Il déforme tous les mots, ses phrases sont mal construites,
– Il a des difficultés à comprendre les phrases simples et plus complexes.

Les troubles du langage oral

Définitions et classifications

En France, 6 à 8% des enfants d’âge pré-scolaire et scolaire sont concernés par les troubles neuro-développementaux du langage oral et 1% parmi eux présentent une forme sévère. Suivant la dernière version du DSM, ces difficultés de langage sont référencées dans les troubles du langage appartenant à la catégorie des troubles de la communication (Launay, 2018). Le développement se fait avec un retard ou de manière inhabituelle ce qui entraîne un écart significatif des compétences langagières de l’enfant par rapport aux enfants du même âge (Normandys Réseau de Santé Pédiatrique, 2015). Ces troubles peuvent réduire la communication, la participation sociale de l’enfant et impacter sa réussite scolaire.
En 2013, Boutard décrivait différents troubles du langage oral :
Trouble d’articulation : erreur permanente et systématique de l’articulation d’un phonème. Cela relève d’un trouble phonétique. Il peut s’agir d’une omission, d’une substitution ou d’une distorsion lors du mouvement articulatoire d’un phonème.
Retard de parole : il comprend des troubles d’articulation (comme cité ci-dessus) ainsi que des troubles phonologiques qui sont une altération de la chaîne parlée. Cela affecte l’organisation des sons dans la syllabe et le mot avec des ajouts, suppressions, substitutions ou inversions des sons. Ce trouble est caractérisé par des processus simplificateurs et une variabilité des productions. Retard de langage : le déficit peut être d’ordre phonologique, lexical et syntaxique. L’enfant manque d’étendue et de précision du lexique et a des difficultés à articuler les mots en phrases et à manipuler les composantes grammaticales.
Ces troubles du langage étaient dits « fonctionnels » en référence à un retard de maturation : l’enfant présentait des difficultés langagières homogènes qui correspondaient au langage d’un enfant plus jeune. Chevrie-Muller, 2007; Delahaie, 2009 et Touzin, 2010 précisaient que ces troubles étaient transitoires et disparaissaient entre 3 et 5 ans. Par ailleurs, les troubles sévères et durables de l’évolution du langage oral étaient appelés « dysphasies développementales » : les troubles persistaient malgré une rééducation adaptée.
En 2004, Bishop présentait une classification des dysphasies (Bishop, 2004a) :
Dysphasie linguistique : forme la plus fréquente. Elle est caractérisée par des difficultés phonologiques, lexicales, sémantiques, syntaxiques et discursives en expression comme en compréhension. Les tableaux sont variables et peuvent aller de la dyssyntaxie à l’agrammatisme avec des troubles phonologiques qui altère la précision articulatoire et la programmation des phonèmes.
Dyspraxie verbale : il s’agit d’un trouble de la programmation et de la planification motrice de la parole en l’absence de troubles musculaires ou sensoriels. La production de syllabes complexes est difficile et l’enchaînement de syllabes, laborieux, ce qui impacte l’intelligibilité de l’enfant. Dysphasie pragmatique : la communication est perturbée. L’enfant a des difficultés à s’adapter à l’interlocuteur, respecter les tours de parole, maintenir une conversation, interpréter des signes non-verbaux (postures, expressions faciales, gestes…), décoder les intentions des autres…Le langage non littéral comme l’humour, les expressions imagées est difficilement compris.
Agnosie verbale : forme la plus rare. Le versant réceptif est sévèrement atteint. Il y a une difficulté massive à discriminer les sons et identifier les mots de la chaîne parlée ce qui impacte la compréhension. Cela se répercute sur l’expression qui présente un caractère « plaqué » avec des « pseudos-phrases mémorisées ».

Etude Catalise, nouvelle terminologie

Comme nous venons de le voir ci-dessus, les terminologies désignant les troubles du langage oral sont nombreuses et ont évolué au fur et à mesure des recherches. Dans la réalité de la pratique clinique, le diagnostic différentiel entre retard de parole et de langage et dysphasie sévère n’est pas si aisé.
Afin de trouver une terminologie commune dans les pays anglophones et francophones, le projet Catalise a vu le jour. Ce groupement multidisciplinaire et international rassemble 59 professionnels (orthophonistes, psychologues, médecins, enseignants spécialisés…) menés par Dorothy Bishop (Bishop et al, 2017; Maillart, 2018). L’objectif de cette étude est de rendre les termes utilisés dans les travaux scientifiques homogènes et permettre aux orthophonistes, médecins, patients, familles et instances administratives d’avoir un terme consensuel.
Le terme « trouble du langage » a été proposé pour faire référence aux enfants présentant « des risques d’avoir des difficultés langagières qui influenceraient significativement leur vie quotidienne et leurs apprentissages après 5 ans ». Lors du bilan il est donc important de déterminer l’impact fonctionnel du trouble sur la vie quotidienne et scolaire de l’enfant. Emettre un pronostic est alors important pour savoir si les difficultés vont perdurer (Maillart, 2018; Hebting, 2021). Si une récupération spontanée est possible sans intervention, les pronostics sont moins élevés lors que l’expression et la compréhension sont tous les deux atteints (Maillart, 2019). Des auteurs ont donc mis en avant des indicateurs plus ou moins favorables à une récupération des compétences langagières en fonction de l’âge (tableau 1). Entre 4 et 5 ans, le pronostic serait faible si plusieurs domaines langagiers sont impactés. En revanche, le pronostic serait favorable si seulement la phonologie en expression est atteinte (Breault, 2019; Hebting, 2021).
Tableau 1 : indicateurs de persistance des difficultés langagières selon l’âge (Breault et al, 2019) A ces troubles ont été ajoutés les termes de conditions biomédicales, troubles co-occurents ainsi que facteurs de risques car, comme le soulignent Schelstraete et Collette reprises par Hebting en 2021, beaucoup des personnes atteintes d’aphasie, de déficience auditive, de trouble du spectre autistique, de déficience intellectuelle… peuvent également présenter des troubles du langage qu’il faut prendre en soin. Les experts ont donc fait consensus autour du terme : « besoin de parole, langage et communication » repris dans la figure 2 pour désigner les enfants qui nécessitent toute prise en soin langagière. Les termes de « retard de langage » ou de « dysphasie » ne sont donc plus utilisés mais remplacés par le terme de trouble développemental du langage qui les place sur un continuum de sévérité.

PREVENTION EN ORTHOPHONIE

Santé et prévention

La prévention fait partie intégrante du travail d’orthophoniste, comme le mentionne le décret n°2002-721 du 2 Mai 2002 relatif à l’exercice professionnel orthophonique, et plus récemment avec la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (Garcia, 2019; Corallini et Dussourd-Deparis, 2019). Celle-ci s’exerce au quotidien en orthophonie à travers la diffusion d’affiches d’informations, conseils, explications…et participe à la promotion de la santé, mise en avant depuis une vingtaine d’années (Denni-Krichel, 2001).
Il existe trois niveaux de prévention qui s’appliquent en orthophonie :
La prévention primaire passe avant tout par une meilleure information des professionnels de santé, des professionnels de l’éducation et de la petite enfance, mais aussi des parents (Antheunis et al, 2007; Corallini et Dussourd-Deparis, 2019; Denni-Krichel, 2004; Kremer, 2016). Ces derniers ne sont pas suffisamment informés sur le développement du langage et n’ont pas toujours conscience de toutes les compétences mises en œuvre pour l’acquérir. Or ils sont aussi les partenaires privilégiés pour faire émerger le langage de leur enfant, il est donc important qu’ils connaissent le développement du langage et de la communication et qu’ils comprennent leur fonctionnement. Ils doivent également être informés du développement pathologique de leur enfant et prévenus de l’impact du trouble du langage afin de pouvoir anticiper les difficultés futures notamment sur l’apprentissage de l’écrit et des problèmes d’ordre comportemental, relationnel, affectif et social (Kremer, 2016; Landrin et Blanc, 2009; Touzin, 2010). Cette prévention peut se faire avec la diffusion d’affiches à l’école, chez le médecin…de films, de conférences, d’articles, de conseils disponibles sur des sites internet orthophoniques mais aussi avec la création de groupes de parents sur le thème de la communication et du langage.
Voici quelques exemples d’actions de prévention développées par des orthophonistes (Corallini et Dussourd-Deparis, 2019) :
– Le livret « Objectif Langage » informe sur les étapes d’acquisition du langage et apporte des conseils, pistes sur lesquels les parents peuvent s’inspirer pour favoriser l’émergence du langage chez leur enfant. En cas d’inquiétudes, il les oriente vers les professionnels à consulter.
– L’action « 1Bébé, 1Livre » a pour objectif la lutte contre l’illettrisme et sensibilise dès la maternité aux bienfaits de la lecture d’histoires, tant sur le développement du langage oral mais aussi sur l’apprentissage du langage écrit.
– Le site fno-prévention-orthophonie, anciennement info-langage, est destiné au grand public pour prévenir des troubles du langage et lutter contre l’illettrisme. A travers des vidéos et de petits textes écrits de façon à être familier et accessible à tous, le site détaille les étapes du développement du langage et souligne la place du parent dans l’acquisition du langage de son enfant.
La prévention secondaire comprend le dépistage des troubles du langage et de la communication. Des outils tels que Dialogoris 0/4 ans (guide de dépistage et d’intervention précoce à travers un dialogue spécifique) ont donc été créés afin d’aider les orthophonistes mais aussi les médecins, les infirmiers scolaires, les enseignants…à repérer ces troubles le plus tôt possible et permettre un suivi adapté à l’enfant (Antheunis et al, 2007; Denni-Krichel, 2004).
La prévention tertiaire, chez l’enfant qui présente un langage déficitaire, consiste au travail de la prise en soin. L’orthophoniste intervient dans la rééducation, la remédiation ou la réhabilitation des domaines langagiers atteints (Coquet, 2013).

Enjeux d’un dépistage et d’une prise en soin précoce

Le dépistage précoce présente tout d’abord l’intérêt de limiter les retentissements du trouble du langage et de la communication sur le développement de l’enfant (Denni-Krichel, 2001; Fabrique Territoires Santé, 2019). Lorsque le diagnostic orthophonique révèle que l’enfant est porteur d’un handicap ou présente des difficultés langagières, les parents se retrouvent souvent démunis. Cette annonce est un choc pour eux. La parentalité est mise à mal, blessée narcissiquement. La relation parents-enfant s’en trouve perturbée ce qui impacte la communication et entraîne une détérioration de leurs interactions (Antheunis et al, 2007, Denni-Krichel, 2003). Cette perturbation est due à la fois par le comportement de l’enfant et de l’adulte. Le manque d’initiative de l’enfant, son peu d’intérêt pour l’environnement, ses productions laborieuses et ses difficultés de compréhension vont souvent amener les parents à parler à sa place au lieu de laisser le temps à l’enfant. Sans s’en rendre compte, leurs demandes vont être plus injonctives et mettent l’enfant dans une situation fréquente de test et d’échec. Cela a une influence négative sur le langage de l’enfant car ce manque majeur de plaisir va le pousser à se taire. De ce fait, les parents réduisent involontairement leurs sollicitations et les compétences qu’ils avaient spontanément ne sont plus utilisées (Antheunis et al, 2007; Denni-Krichel, 2003). Le bain de langage se trouve souvent réduit car les parents s’adressent moins à l’enfant et utilisent un langage moins riche qui manque d’adaptation et peut aggraver ses difficultés.
Ces comportements négatifs doivent absolument être évités car l’enfant en difficulté de développement a besoin de stimulations, d’où l’importance d’une intervention précoce pour briser ce cercle vicieux (Crunelle, 2010; Denni-Krichel, 2003). Il est essentiel dans un premier temps de déculpabiliser les parents et de les rassurer en valorisant leurs compétences parentales. Ils doivent être renarcissisés dans leur parentalité. L’objectif principal est de rétablir les interactions et la relation parents-enfant.
Il faut restaurer leurs compétences naturelles et mettre en avant les capacités de l’enfant. L’orthophoniste doit aider les parents à instaurer des conduites langagières favorables à la communication plaisir avec l’enfant, à adapter leur posture et leurs exigences.
Ensuite, plusieurs études ont démontré qu’un enfant ayant un trouble du langage oral est plus susceptible d’avoir des difficultés ultérieures d’apprentissages du langage écrit. Selon Bishop (2004b), un trouble du langage oral augmente significativement le risque d’être diagnostiqué dyslexique dans le futur, et d’après Mc Arthur (2000), 55% des personnes dyslexiques ont présenté un retard de parole ou de langage. Une étude de Boutreux en 2002, reprise par Bernard (2005), a démontré la corrélation entre les erreurs de parole en début de CP et les capacités de lecture en fin de CP car, lorsque les phonèmes et/ou syllabes ne sont pas correctement agencés dans un mot à l’oral, ils ne le sont pas non plus en lecture. De même, Boutreux a démontré qu’avoir un stock lexical déficitaire à l’oral impacte l’apprentissage du langage écrit car la voie d’adressage n’est pas efficace, ce qui affecte la vitesse de lecture. Face à ce constat, il est indéniable d’avancer que les troubles du langage oral doivent être pris en soin précocement afin de ne pas trop impacter l’apprentissage du langage écrit.

PLACE DES PARENTS DANS LA PRISE EN SOIN ORTHOPHONIQUE

Accompagnement parental

La prise en soin orthophonique n’est pas seulement un travail centré directement sur le patient, elle concerne aussi son environnement social c’est-à-dire sa famille, l’école…Ces deux types d’interventions sont complémentaires et permettent une meilleure efficacité du soin lorsqu’elles sont conjointes (Coquet, 2013). L’intervention indirecte auprès de la famille du patient peut se décliner sous forme de prévention primaire autour d’une meilleure information aux parents sur le langage, les troubles du langage, le rôle de l’orthophonie et la prise en soin, ou d’accompagnement parental.
L’accompagnement parental passe avant tout par une écoute bienveillante de l’orthophoniste envers les parents afin qu’ils puissent exprimer librement leurs attentes, ressentis, inquiétudes, difficultés. Cette étape est primordiale pour la bonne mise en marche de l’alliance thérapeutique car « plus le parent se sent entendu et compris, plus la relation de confiance réciproque est forte et plus il sera en mesure de s’engager dans la prise en soin de son enfant » (de Place, 2018).
Il existe plusieurs formes d’accompagnement parental selon Agnès Bo, reprise par Bera et Coquelle, 2015 et de Place, 2018 :
Accompagnement de type 1 : cet accompagnement parental est de type vertical. La relation entre les parents et l’orthophoniste est hiérarchique asymétrique. L’orthophoniste tient le rôle d’expert qui conseille et informe tandis que les parents restent passifs à la rééducation. Ils sont tenus à l’écart et ne participent pas aux séances. Les échanges sont plutôt informels, ce qui rend les chances d’alliance thérapeutique peu élevées.
Accompagnement de type 2 : l’accompagnement reste asymétrique mais les parents sont davantage impliqués dans la prise en soin. Cette intervention nécessite leur présence en séance. L’orthophoniste montre des exemples de comportements, activités favorables à la communication mais les parents ne sont pas simples spectateurs. Ils sont considérés comme des partenaires de soin qui sont à même de reprendre les modèles d’interactions proposés par l’orthophoniste et de les reproduire au quotidien avec l’enfant. Ces conseils implicites font appel à la fonction écho, développée par Antheunis. En parlant à l’enfant, l’orthophoniste s’adresse en fait aux parents et leur donne des idées d’activités sur lesquelles ils peuvent s’inspirer à la maison. L’orthophoniste leur permet ainsi d’agir dans une démarche écologique, naturelle pour l’enfant, qui optimiserait le développement de son langage.
Accompagnement de type 3 : cet accompagnement est moins fréquent en libéral car il est réalisé sans la présence du patient et donc ne possède pas d’AMO dans la nomenclature des actes orthophoniques et ne peut être facturé auprès de la Caisse d’assurance maladie. Dans cet accompagnement, l’orthophoniste et les parents sont sur même un pied d’égalité, dans une relation horizontale, autour d’un partage mutuel de ressources et de connaissances. Cela nécessite une alliance thérapeutique forte. L’orthophoniste forme les parents qui deviennent véritablement acteurs dans le développement de leur enfant. Ils sont impliqués dans la prise de décision pour définir les objectifs de la rééducation et pour une maîtrise plus autonome de la santé de leur enfant. Cet accompagnement s’inscrit dans les objectifs de la promotion de la santé sur la notion d’« empowerment » qui prône un meilleur contrôle de sa santé en donnant aux personnes les moyens de l’améliorer (Charte d’Ottawa, 1986).
Les parents tiennent donc une place centrale dans la prise en soin orthophonique, tant pour être accompagnés qu’informés et formés. L’accompagnement parental, notamment de type 2, a l’avantage d’étendre ce qui est vu en séance. Dans le cadre de troubles du langage, parfois sévères, les stimulations réalisées par l’orthophoniste sont limitées dans le temps et dans la complexité des situations fonctionnelles proposées. Les séances hebdomadaires ne suffisent pas à compenser en elles seules les difficultés de l’enfant qui doit être confronté à de nombreuses situations de communication pour favoriser l’acquisition naturelle du langage. Les parents étant des acteurs naturels dans le développement du langage de leur enfant et ses partenaires privilégiés de communication, leur implication est nécessaire afin de généraliser les acquis d’une intervention directe.

Questionnaire langage à destination des parents

Il existe de nombreux questionnaires à destination des parents. Certains questionnaires peuvent être utilisés dans le cadre de dépistage d’éventuelles difficultés de développement du langage ; ils permettent le repérage et l’adressage vers un bilan orthophonique :
– Les inventaires français du développement communicatif (IFDC), issus des MacArthur-Bates communicative development inventories et adaptés par le laboratoire Dynamique du langage du CNRS et les pédiatres de l’Association française de pédiatrie ambulatoire et de la Société européenne de pédiatrie ambulatoire, évaluent le développement communicatif de l’enfant en reprenant un à un les gestes symboliques qu’il fait ainsi que les mots qu’il produit et/ou comprend et la longueur de ses énoncés à 12, 18 et 24 mois.
– Le Modified Checklist for Autism in Toddlers (M-CHAT), développé par une équipe de chercheurs dont Simon Baron-Cohen, repère les premiers signes d’alerte de l’autisme chez les enfants âgés de 16 à 30 mois.
– Les questionnaires du Comité Permanent de Liaison des Orthophonistes et
Logopèdes de l’Union Européenne (CPLOL), adaptés pour les enfants de 18-20 mois, 30 mois et 4 ans et demi et accompagnés de livrets langage pour chaque âge.
Le questionnaire utilisé dans ce projet mémoire correspond au questionnaire 4 ans et demi du CPLOL, actuellement Association Européenne des Orthophonistes (ESLA). Il se base sur l’observation par les parents des compétences langagières de leur enfant dans leur milieu de vie. Cela les amène à porter une attention particulière aux capacités de l’enfant. Il leur confère une responsabilité et un savoir-faire qui les valorisent. En amont d’un bilan orthophonique, ils sont d’ores et déjà des partenaires d’évaluation.
Les questions concernent les compétences attendues pour un enfant âgé de 4 ans et demi. Trois domaines sont explorés :
Interaction et attention : sa réaction à la voix chuchotée dans le dos donne des indices sur son audition. Cette section s’intéresse également à la communication de l’enfant, sa participation sociale et sa gestion des échanges, notamment s’il sait rester dans le sujet d’une conversation et y participer.
Compréhension : ces questions permettent d’avoir une idée sur différents éléments de compréhension : sa compréhension en contexte avec la réalisation de consignes, sa représentation dans le temps et l’espace, sa conscience de la catégorisation. Ces capacités à faire des catégories, par exemple, lexicales, sont également impliquées dans les capacités à faire des catégories grammaticales (noms, verbes, adjectifs…).
Expression : ce dernier domaine évalue l’intelligibilité de l’enfant, l’acquisition de tous les phonèmes dans la parole, la présence ou non d’un bégaiement, l’utilisation du « je » pour se désigner en tant que personne et les autres pronoms pour référer aux autres personnes, l’agencement de ses phrases et de son discours, si celui-ci se détache du présent et de l’environnement immédiat et enfin s’il peut jouer avec les sons et mots, les manipuler et entendre que certains mots riment ou commencent de la même façon.
D’autres questionnaires sont utilisés lors des bilans orthophoniques, notamment la grille d’observation dans Evalo 2-6 de Françoise Coquet, Jaques Roustit et Pierre Ferrand. Cette grille est donnée aux parents afin qu’ils observent, en contexte naturel, les capacités de leur enfant. Leurs observations viennent compléter celles de l’orthophoniste pour qui il n’est pas toujours évident de relever les compétences d’un enfant en phase test.
D’après nos connaissances, l’utilisation de questionnaire lorsqu’il y a une demande de bilan n’est pas une démarche courante. Nous souhaitons alors évaluer la plus-value de cette utilisation.

PROBLEMATIQUES/ OBJECTIFS/ HYPOTHESES

Lorsque des parents viennent ou appellent pour une demande de bilan de langage pour leur enfant, les orthophonistes recueillent leur plainte en prenant note des difficultés de l’enfant. Ce premier contact peut être accompagné de conseils aux parents, d’orientation vers des sites de prévention tels que le site fno-prévention-orthophonie ou allo-ortho…Parfois, plusieurs semaines, voire plusieurs mois peuvent s’écouler entre le premier contact et le rendez-vous de bilan.
Afin de proposer aux parents une réponse complémentaire à leur demande de bilan, nous souhaitons utiliser le questionnaire de l’Association Européenne des Orthophonistes (ESLA) en tant qu’outil de pré-dialogue entre l’orthophoniste et les parents. En remplissant cette grille de questions, les parents mesureront les points forts et les points faibles de leur enfant en langage et pourront les transmettre à l’orthophoniste. A l’image de ce qui est proposé dans Dialogoris 0/4 ans (Antheunis et al, 2013), cet outil pourrait servir également de support d’information aux parents, voire d’accompagnement parental.
L’hypothèse principale de ce projet est que l’utilisation de cet outil représente une plus-value dans le parcours de santé de l’enfant pour lequel une demande de bilan est effectuée.
Le déroulement de cette expérimentation permettra de poser les hypothèses suivantes :
– Hypothèse 1 : Les orthophonistes trouvent un bénéfice à l’utilisation de ce support,
– Hypothèse 2 : Les réponses transmises par les parents apportent un éclairage complémentaire aux orthophonistes sur la demande de bilan,
– Hypothèse 3 : Proposer aux parents un questionnaire en amont du temps de bilan leur permet d’être acteurs de santé.

METHODOLOGIE

Population

Critères d’inclusion et d’exclusion

Les familles concernées par l’étude devaient répondre à ces critères :
– Les enfants devaient être âgés entre 3 ans et 9 mois à 4 ans et 9 mois,
– Les enfants devaient faire l’objet d’une demande de bilan en langage oral,
– Les enfants ne devaient suivre aucune autre prise en soin.

Profils de la population

Afin de répondre aux hypothèses de notre études, deux groupes ont été constitués : l’un se compose des orthophonistes ayant accepté de participer à l’étude et l’autre des parents d’enfants qui ont répondu au questionnaire.
– 32 orthophonistes libérales partout en France ont répondu favorablement à la diffusion du questionnaire aux parents d’enfants pour qui une demande de bilan en langage oral est réalisée. Parmi elles, 29 ont eu l’occasion de transmettre le questionnaire aux familles. Les autres orthophonistes n’ont pas eu de demandes de bilan entrant dans les critères d’inclusion ou ont oublié de proposer le questionnaire.
– 52 familles ont reçu le questionnaire. Parmi elles, 40 parents d’enfants âgés de 3 ans 9 mois à 4 ans 9 mois y ont répondu. Les autres familles n’ont pas rendu le questionnaire à l’orthophoniste ou ne l’ont pas rempli. 17 familles ont eu un rendez-vous de bilan orthophonique.

Matériels

Questionnaire

Malgré la part de subjectivité qu’impliquait l’utilisation d’un questionnaire, celui-ci présentait l’avantage de permettre aux parents de pouvoir observer en continu les points forts et points faibles de l’enfant en prenant en compte son environnement naturel ce qui, selon Chevrie-Muller reprise par Coquet (2007), rendrait les résultats plus fiables qu’une unique situation de test dans un milieu qui lui est non familier.
Le questionnaire que nous avons utilisé est issu du questionnaire 4 ans et demi de l’Association Européenne des Orthophonistes (ESLA), anciennement CPOL. Il se compose de trois parties : interaction, compréhension et expression. Certains items ont été ajoutés, notamment ce qui concerne l’interaction de l’enfant d’environ 4 ans, pour compléter son profil et donner un meilleur aperçu de sa relation avec autrui, sa posture dans une conversation, sa curiosité pour son environnement et son désir de communiquer. Des conseils ont été joints à titre indicatif afin de proposer aux parents de petites actions qu’ils peuvent mettre en place afin d’aider leur enfant dans son langage en attendant d’avoir un rendez-vous orthophonique.
Questions ajoutées et exemples de conseils :
– Pose-t-il des questions sur ce qui l’entoure ? oui/non
Non ? Incitez sa curiosité. Faites-lui découvrir ce qui l’entoure, lisez-lui des histoires…
– Raconte-t-il des histoires sur ce qu’il fait ou voit ? oui/non
Non ? Communiquez avec lui, posez des questions sur ce qu’il a fait de sa journée, ce qu’il a vu, entendu, appris…
– Communique-t-il avec d’autres enfants de son âge ? oui/non
Non ? Donnez-lui l’occasion de jouer avec des enfants de son âge.
– Vous regarde-t-il dans les yeux lorsque vous vous adressez à lui ? oui/non
Non ? Cherchez à capter son regard, attirez son attention sur votre visage. Mettez-vous à sa hauteur lorsque vous lui parlez.
Dans un premier temps, le questionnaire a été envoyé à des parents d’enfants d’environ 4 ans et demi sans demande d’orthophonie et qui ne présentent pas de difficultés particulières afin de vérifier que la grille de questions soit facilement comprise.
Une fois sa compréhension validée, le questionnaire a été diffusé par mail à des orthophonistes partout en France qui l’ont transmis aux parents d’enfants âgés entre 3 ans et 9 mois et 4 ans et 9 mois en demande de bilan de langage oral. Celui-ci était accompagné d’un message expliquant l’objectif de cette étude ainsi que d’un protocole développant la démarche à suivre ; les parents devaient répondre par oui ou par non en fonction des compétences qu’ils observent chez leur enfant en milieu naturel et retourner le questionnaire à l’orthophoniste.

Entretiens avec les orthophonistes

Une fois le délai de diffusion du questionnaire fini, nous avons analysé l’effet de l’utilisation du questionnaire « langage » grâce à un entretien individuel avec chaque orthophoniste participant. Cet entretien a permis d’évaluer l’intérêt d’une telle approche, les freins et les leviers rencontrés dans la mise en œuvre de cette démarche qui correspond au référentiel d’activités des orthophonistes, « recueil d’informations sur les motifs de l’indication du bilan orthophonique ». Ces entretiens téléphoniques semi-dirigés se composent de 11 questions qui recueillent l’avis des orthophonistes sur l’utilisation du questionnaire.
La majorité des questions consistent en une réponse oui/non. 2 items contiennent des réponses hiérarchisées telles que beaucoup/certaines/très peu/aucune concernant les difficultés rencontrées à la diffusion du questionnaire et non/très peu/assez/beaucoup à savoir si le questionnaire a permis d’avoir une vision plus « éclairée » des demandes de bilan. Nous avons coté ces réponses sur une échelle allant respectivement de 1 à 4 points. Les autres items sont des questions ouvertes qui permettent de recueillir les avis de manière plus large afin de ne pas induire de réponses aux orthophonistes.
Exemples de questions :
– Quels intérêts avez-vous trouvés à la diffusion de ce questionnaire ?
– Ce questionnaire vous a-t-il permis d’avoir une vision plus « éclairée » des demandes de bilan en langage oral chez les enfants d’environ 4 ans ? oui/non
– Pensez-vous que ce questionnaire pourrait-être utile s’il était adapté et généralisé à d’autres demandes de bilan ? oui/non

Entretiens avec les parents

Avec l’accord des orthophonistes ayant participé à l’étude, nous avons également pu recueillir l’avis des parents sur l’utilisation du questionnaire. 24 parents ont accepté de participer aux entretiens téléphoniques. Nous cherchions à connaître les intérêts qu’ils ont trouvés au questionnaire, leurs ressentis par rapport à leur niveau d’information sur les troubles du langage et s’ils ont pu appliquer un ou plusieurs conseils joints aux questions.
La majorité des questions consistent en une réponse oui/non. Un item concernant le niveau d’information que ressentent les parents par rapport au développement du langage oral et des troubles du langage oral suite au remplissage de la grille est coté de 1 à 4 points. Les autres items sont des questions ouvertes qui permettent de recueillir les avis de manière plus large afin de ne pas induire de réponses aux parents.
Exemples de questions :
– Quel intérêt avez-vous trouvé à ce questionnaire ?
– Avant votre demande de bilan orthophonique, vous sentiez-vous informé sur le développement du langage et les troubles du langage oral ? oui/non
– Avez-vous réussi à mettre en place un ou plusieurs des conseils joints ? oui/non Si oui, le ou lesquels ?

Tests statistiques utilisés

Dans un premier temps, nous avons réalisé des statistiques descriptives.
L’ensemble des données ont été traitées avec le logiciel Excel.
Concernant l’analyse inférentielle, nous avons utilisé le site BiostaTGV. Nous souhaitions déterminer s’il existait une éventuelle liaison entre les profils des orthophonistes et les difficultés rencontrées durant la diffusion des questionnaires ainsi que la vision plus éclairée des plaintes. Nos variables n’étant pas binaires, nous n’avons pu utiliser le test de Fisher, et comme plusieurs des groupes se composaient d’un effectif inférieur à 5 orthophonistes, nous n’avons pas non plus utilisé le test du Chi 2. C’est pourquoi nous avons décidé de transformer les réponses hiérarchisées en scores allant de 1 à 4 points.
Nous avons ensuite divisé notre population d’orthophonistes en deux ; la première fois en séparant les orthophonistes installées en ville et celles installées en campagne, la seconde fois en séparant les orthophonistes seules en cabinet libéral et celles à plusieurs. Les résultats correspondant à des distributions et notre effectif étant inférieur à 30 orthophonistes, nous avons utilisé le test de Mann-Whitney pour croiser ces variables :
– Lieu d’exercice des orthophonistes et difficultés rencontrées,
– Lieu d’exercice des orthophonistes et vision plus éclairée des plaintes,
– Nombre d’orthophonistes au sein du cabinet et difficultés rencontrées,
– Nombre d’orthophonistes au sein du cabinet et vision plus éclairée des plaintes.
Nous avons considéré qu’une différence significative était observée entre ces groupes lorsque p était inférieur à 0.05.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
1. LANGAGE ORAL
1.1. Développement du langage oral
1.1.1. Compétences pré-verbales et interactions précoces
1.1.2. Les acquisitions du langage à 4 ans
1.2. Les troubles du langage oral
1.2.1. Définitions et classifications
1.2.2. Etude Catalise, nouvelle terminologie
2. PREVENTION EN ORTHOPHONIE
2.1. Santé et prévention
2.2. Enjeux d’un dépistage et d’une prise en soin précoce
3. PLACE DES PARENTS DANS LA PRISE EN SOIN ORTHOPHONIQUE
3.1. Accompagnement parental
3.2. Questionnaire langage à destination des parents
PARTIE EXPERIMENTALE
4. PROBLEMATIQUES/ OBJECTIFS/ HYPOTHESES
5. METHODOLOGIE
5.1. Population
5.1.1. Critères d’inclusion et d’exclusion
5.1.2. Profils de la population
5.2. Matériels
5.2.1. Questionnaire
5.2.2. Entretiens avec les orthophonistes
5.2.3. Entretiens avec les parents
5.2.4. Tests statistiques utilisés
5.3. Critères de validation des hypothèses
6. RESULTATS
6.1. Analyses descriptives
6.1.1. Entretiens avec les orthophonistes
6.1.2. Entretiens avec les parents
6.2. Analyses inférentielles
7. DISCUSSION
7.1. Interprétation des résultats
7.2. Points forts de l’étude
7.3. Limites et perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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