Définitions et contexte historique
Les dérives sectaires : organisation et généralités
Histoire de la secte
D’un point de vue étymologique le mot «secte» vient du latin «secta» qui veut dire «voie que l’on suit, partie, cause, doctrine». Historiquement la secte fait référence à un ensemble d’individus partageant une même règle de conduite, une même doctrine philosophique ou religieuse. Il s’agit donc d’un groupe ayant créé sa propre doctrine qui s’oppose à la pensée dominante. Le mot secte désigne également une branche d’une religion, une école particulière. Initialement le terme secte ne possède aucune connotation péjorative.
Jusqu’au début du vingtième siècle, les sectes sont très fréquemment associées aux mouvements religieux, et désignent d’un point de vue sociologique un groupe minoritaire opposé à la religion dominante. C’est au fil du temps que le mot «secte» va prendre une tournure plus péjorative.
La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 provoque une séparation nette des sphères politiques et religieuses. Emergent alors « des nouveaux mouvements sectaires » dont l’objectif principal est la prise d’un pouvoir qu’il soit mental, financier, politique, voire sexuel, par des techniques modernes d’emprise sur les in dividus. Ces nouveaux mouvements sectaires ne font pas nécessairement référence à des courants de pensées philosophiques ou à des mouvements religieux mais ils entretiennent la confusion à ce propos pour conserver une liberté de mouvement et d’action plus grande. Dans ces nouveaux mouvements et contrairement aux religions, le leader de la secte, le gourou, est un être vénéré qui a un pouvoir total au sein de la secte qu’il utilise pour s’enrichir et asservir les autres pour son bien-être.
La définition de secte dans notre ère moderne est complexe. En effet, la religion n’ayant pas de statut juridique, il s’avère impossible de prouver qu’un mouvement d’appartenance spirituel, religieux ou philosophique n’est pas une religion à part entière. Au regard du Droit des Libertés Publiques, rien ne permet de différencier une secte d’une religion. Par ailleurs sur le plan individuel, l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen énonce que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public institué par la loi » (Gest et Guyard, 1995).
L’Etat français est basé sur des notions de laïcité et de neutralité édictées dans les articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905 qui stipulent que « la République assure la liberté de conscience (et) garantit le libre exercice des cultes » , et que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (Briand, 1905).
Ces notions sont renforcées par l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les cit oyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » (Debre et De Gaulle, 1958).
Ces notions de laïcité et de neutralité sont retrouvées au niveau européen dans l’article 9 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques etl’accomplissement des rites. » (« Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Protocole n°11 et n°14. Article 9 », 1950).
Définitions de la secte
En Belgique une commission d’enquête a proposé comme définition de la secte en 1996 : « Tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine. » (Duquesne et Willems, 1997). Toutefois, cette définition utilise le mot « groupement » qui ne rend pas suffisamment compte de l’existence de groupuscules, voire de « gourous » isolés. Une définition française, proposée par M. Jean -Pierre Jougla fondateur de l’Association de Défense des Familles et de l’Individu (ADFI) à Montpellier et coresponsable du diplôme universitaire « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » enseigné à la faculté de médecine de l’université Paris V, souligne l’importance de la notion d’abus de faiblesse introduit dans le code pénal (article 223-15-2) par la loi dite « About-Picard » de 2001, et précise que la secte est un : « Mouvement portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, qui abuse de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique, créé, maintenu ou exploité, résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniqu es propres à altérer son jugement pour conduire à un acte ou une abstention gravement préjudiciable » (About et Picard, 2001).
Aux Etats-Unis, Steve Eichel, spécialiste des dérives sectaires et directeur de International Cultic Studies Association, définit comme secte : «Un groupe ou un mouvement présentant un dévouement important voir excessif à une personne, une idée ou une chose. Ce dévouement s’associe à un isolement de ses anciens amis et de sa famille. Les leaders de ces mouvements utilisent des méthodes spéciales pour accroître la suggestibilité et l’asservissement, en appliquant de fortes pressions au groupe, en gérant l’information. L’ind ividualité et le jugement critique sont suspendus.
Le leader exerce une dépendance totale sur le groupe de telle manière que ses membres ont peur de le quitter. Les sectes sont conçues pour le profit des dirigeants du groupe, au détriment réel ou possible des membres, de leurs familles ou de la communauté.» (Eichel, 1986).
Cette définition est différente des définitions européennes, ce qui s’explique par une évolution historique spécifique. En effet dans la foulée de la Révolution américaine à la fin du XVIII e siècle, plusieurs textes établissent la liberté religieuse en même temps qu’ils affirment le caractère laïque de la nouvelle République. Le statut pour la liberté religieuse de Virginie rédigé par Thomas Jefferson est le premier texte américain qui instaure la liberté de conscience. En 1791, le Premier Amendement de la Déclaration des Droits proclame «Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’un e religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre.». Ce texte, en interdisant l’exi stence d’une religion officielle, instaure une stricte séparation entre les Églises et l’État fédéral. De même, les autorités n’ont pas à intervenir dans la vie religieuse, s’interdisant par exemple de définir ce qui relève de la religion ou non. Dans la constitution et dans la Déclaration des Droits, il n’est jamais fait référence à Dieu, le premier amendement garantit la non -ingérence de l’État dans les religions et la liberté de culte. Aujourd’hui encore, cette tradition de tolérance subsiste dans le droit et le système des valeurs américaines, si bien que des organisations comme la scientologie qui seraient considérées comme des sectes en France, ne sont pas illégales aux Etats-Unis(« International Cultic Studies Association (ICSA) », 2018).
Les sectes présentent donc une très grande diversité. En effet, coexistent des mouvements sectaires comptant plusieurs centaines de milliers de membres, et des groupuscules limités à quelques individus. Au sein de mouvements sectaires, il peut y avoir des adeptes très impliqués dans la vie du mouvement et très asservis au gourou, alors que dans certains mouvements les adeptes sont de simples « consommateurs » de prestations. Certains groupes appartiennent à un réseau mondialisé tel que Daech, d’autres demeurent dans un périmètre local. L’impact économique, la dangerosité et la capacité à gérer les médias divisent également les sectes en fonction de leur pouvoir et de leur visibilité. L’histoire retient les secte s qui ont fait courir un risque élevé aux leurs comme par exemple l’Ordre du Temple Solaire dont les adeptes ont subi l’esclavagisme notamment sexuel, l’escroquerie, la séquestration et dont 74 membres sont décédés dans un suicide collectif (Hoffner, 2008; Milon et al., 2013).
La secte ne pouvant pas être définie de manière consensuelle, les experts préfèrent donc parler de dérive sectaire, le terme « dérive » désignant une atteinte sur l’individu, plutôt que de secte, qui renvoie à une entité aux contours multiples, variés, hétérogènes.
Les dérives sectaires
Pour l’anthropologue Nathalie Luca, «Les dérives sectaires se définissent comme des atteintes pouvant être portées, par tout groupe ou tout individu, à l’ordre public, aux lois et aux règlements, aux libertés fondamentales et à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, par la mise en œuvre de techniques de sujétion, de pressions ou de menaces, ou par des pratiques favorisant l’emprise mentale et privant les personnes d’une partie de leur libre arbitre pour les amener à commettre des actes dommageables pour elles-mêmes ou pour la société» (Luca, 2016).Cette définition est également mentionnée sur le site de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte Contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES).
Les jihadistes français
La France figure parmi les premiers pays occidentaux frappés par la violence jihadiste, et cela dès 1994 lorsqu’à l’aéroport d’Alger des pirates algériens armés du groupe islamique ambitionnent d’écraser un avion sur la Tour Eiffel. Il s’ensuit en 1995 un attentat à l’explosif à la station RER Saint-Michel perpétué par Khaled Kelkal. En 1996 le «gang de Roubaix» mène une série de braquages, dirigé par Lionel «Abou Hamza» Dumont et Christophe Kaze, deux Français convertis à l’Islam de retour du jihad en Bosnie.
Le phénomène de départs de jeunes Français radicalisés vers les théâtres du jihad en 2014 ne constitue pas un fait nouveau. Des Français étai ent déjà présents dans les rangs des jihadistes en Bosnie (1992 -1995), et encore davantage dans les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan.
L’ampleur du phénomène devient de plus en plus inquiétante depuis fin 2014, avec pas moins de 1100 citoyens français, dont un nombre croissant de femmes, et plusieurs milliers d’européens concernés par le jihad en Syrie et en Irak.
Les jihadistes français qui ont commis des attentats sur le sol européen comme Mohammed Merah (Toulouse, 2012), Mehdi Nemmouche (Bruxelles, 2014), les frères Kouachi et Ahmedy Coulibaly sont aujourd’hui des modèles et font figure d’icône pour les recruteurs de l’Etat islamique. Le discours est très présent sur les médias notamment Internet et se caractérise par :
– Une haine à l’égard de l’Occident, des autres religions et des musulmans qui ne suivent pas leurs préceptes religieux. L’islam institutionnel en France est considéré comme un ennemi à abattre. Les imams des mosquées sontdiabolisés. Les Frères musulmans et les salafistes quiétistes sont également une cible.
– La fin du monde est proche. Les comportements blâmables se sont répandus.
Les jihadistes considèrent que le combat armé est le seul remède à la corruption de ce monde.
– Oussama ben Laden est considéré comme une figure messianique. C’est le héros qui délaisse sa fortune pour faire le jihad.
Ils encouragent leurs frères à une logique de dissimulation pour se soustraire à la surveillance des services de renseignement, avec la suppression de tout signe extérieur de religiosité, des itinéraires de sécurité, l’utilisation de plusieurs téléphones portables ou de comptes Facebook (Filiu, 2010; Ministère de l’intérieur, 2017) .
Le salafisme est-il une porte d’entrée obligatoire dans la radicalisation ? Les jihadistes français sont-ils tous jihadistes et salafistes ? Après avoir décliné différentes perceptions et pratiques de la religion musulmane, nous allons nous intéresser au processus de radicalisation islamiste et aux facteurs qui jouent un rôle dans ce phénomène.
De la radicalisation au terrorisme : facteurs et processus
La radicalisation : un endoctrinement dans le jihadisme
Malgré sa défaite en 2006, l’organisation Al-Qaïda a créé les bases d’une véritable sous-culture du jihad sur le sol européen. Le développement du jihadisme en Europe va bénéficier de la montée du salafisme au sein des communautés musulmanes européennes. Si la grande majorité des salafistes ne sont pas des jihadistes et sont non violents, la quasi-totalité des jihadistes sont eux, des salafistes.
En France, la montée salafiste s’explique en partie par l’échec de la tentative de socialisation de l’Islam traditionnel qui n’a pas réussi à se montrer suffisamment attractif auprès des jeunes. Le rôle d’internet semble également déterminant. Les forums jihadistes sur internet et les vidéos partagées en ligne deviennent le vecteur principal de la propagande.
Les propagandistes du jihad ont détourné avec grand succès l’imagerie collective et le symbolisme de l’islam sunnite. Ils usurpent les noms de guerre des compagnons du prophète, son épée ou son sceau, qu’ils utilisent, en tant que logo. Depuis le début de la décennie 2010, le jihadisme et sa propagande vont aussi progressivement s’enrichir d’éléments propres à la culture de la jeunesse européenne. Les codes et les concepts issus du Monde musulman sont adaptés et enrichis de nouveaux symboles, au point de former une sous-culture du jihad.
La montée du jihadisme en France se produit avec les révoltes arabes de 2011, parties de Tunisie et qui conduisent au Moyen Orient et à la guerre civile en Syrie et en Irak. La propagande jihadiste va saisir cette opportunité pour révolutionner sa communication. Aux vidéos d’Al-Qaïda se sont substitués les commentaires sur Facebook des jeunes jihadistes vantant les mérites du combat, faisant l’éloge du quotidien du jihad et des jeunes «loups solitaires» prêts à frapper, se faisant ainsi la voix d’une violence décuplée hyper-visuelle de Daech. L’Etat islamique veut communiquer auprès des jeunes Européens : «Regardez : nos recrues parlent comme vous, s’expriment avec les mêmes gestes ; elles sont comme vous et ce qu’elles font est à votre portée» (Ministère de l’intérieur, 2016).
Au centre de toute la propagande des organisations jihadistes se trouve la création d’un mythe sectaire pour lequel toute la symbolique de l’islam est mobilisée, un mythe qui possède ses propres héros (les combattants), des saints (les martyrs) et des princes du jihad (les émirs). Ce mythe prétend que les péchés des jeunes quirejoignent les terres du jihad seront pardonnés et que ceux qui trouveront la mort au combat – de préférence dans des attentats-suicides – auront accès directement au paradis, devançant les autres musulmans, obligés d’attendre le jour du Jugement dernier. Le jihadisme ne peut être résumé à une anti-culture ou à un phénomène sectaire. De nombreux jeunes issus du monde musulman ont rejoint des mouvements jihadistes pour pouvoir remédier à des griefs légitimes comme la répression de la di ctature d’Assad en Syrie, l’exclusion des sunnites du système politique en Irak. Cependant, les concepts d’«anti-culture» et de «secte» offrent des clés de compréhension très utiles pour saisir la dimension européenne de ce phénomène préoccupant (Filiu, 2010; Ministère de l’Intérieur, 2017).
A travers l’histoire de l’islam et de la radicalisation, naissent deux constats. D’une part il est nécessaire de prendre en compte le concept de guerre de subjectivité qui traverse le Monde musulman aujourd’hui, guerre qui se caractérise par d es clivages profonds sur la façon d’être et de paraître, et qui font suite aux évènements du début du XIXe puis début du XXe siècle où une blessure a été infligée à l’idéal musulman.
D’autre part, le jihad est perçu comme une porte de secours, un idéal de société et de soi-même face au malaise de la jeunesse. Le jihad articule souffrance personnelle, souvent adolescente, à celle de l’idéal blessé pour reconquérir l’identité du musulman et pour lui redonner sa gloire volée (Benslama, 2014, 2015).
Définitions de la radicalisation
«Par radicalisation on désigne le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi» (Khosrokhavar, 2014b). «La radicalisation jihadiste est le résultat d’un processus psychique qui transforme le cadre cognitif de l’individu (sa manière de voir le monde, de penser et d’agir) en le faisant basculer d’une quête personnelle à une idéologie reliée à une identité collective musulmane et à un projet politique totalitaire qu’il veut mettre en action enutilisant la violence» (Bouzar, 2014a).
Le terme «radicalisation» est issu du latin «radix» qui signifie «racine, origine».
L’adjectif «radical» provient du latin tardif «radicalis» qui qualifie toute action visant un retour aux sources, en faisant table rase de l’existant. Ainsi, la radicalisation désigne un processus à la fois intellectuel et actionnel refusant le compromis et la conciliation, associé à une volonté de purification des individus et des sociétés, expurgeant tout ce qui est perçu comme « mauvais» ou «corrupteur».
Il existe une distinction entre la radicalisation qui est un «processus d’amont» dont les protagonistes sont acteurs, et le terrorisme qui est un «produit d’aval» dont les protagonistes sont des vecteurs de violence. Les vecteurs de violence sont des groupes armés et des organisations bien identifiées qui font les titres de l’actualité tels que l’État islamique, ou Al -Qaïda alors que les acteurs de la radicalisation sont plus flous et moins bien connus.
Il existe une différence majeure entre la définition théorique de la radicalisation et sa perception dans la population. Par exemple, le port du voile peut être une simple expression identitaire qui peut cependant être perçue comme la manifestation d’une radicalisation religieuse et susciter des réactions de rejet, de stigmatisation ou encore de discrimination, lesquelles nourrissent par ricochets toutes sortes d’extrémismes. A noter qu’à ce jour il est difficile de faire le tri entre les courants qui relèvent de l’intégrisme et du fondamentalisme, et ceux qui relèvent de la dérive sectaire ou encore de l’extrémisme violent. En effet tout comportement radical n’est pas forcément violent, et établir un lien d’automaticité entre conduite religieuse stricte (le salafisme) et activisme violent (le jihadisme), relève d’un dangereux raccourci qui ne tient pas compte de la multiplicité des formes de l’engagement salafiste. Enfin, toute radicalisation violente, lorsqu’elle s’exprime, n’est pas nécessairement terroriste. L’usage du terme radicalisation a pu servir également à disqualifier certaines formes radicales de contestations politiques opérées par des mouvementssociaux mais sans ambition terrorisante (Crettiez, 2016; Guidère, 2016).
Qui sont les radicalisés ?
Il est ce jour difficile de donner des chiffres justes quant au nombre de radicalisés dans le monde ou en France. Le gouvernement français a mis au point un site internet http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/ et une ligne téléphonique (0 800 005 696) pour encourager la population à partager ses doutes et ses inquiétudes face à la radicalisation et ainsi participer à lutte contre ce phénomène. Tous les chiffres évoqués par les médias font référence aux personnes qui ont été signalées ou fichées «S». En juin 2015 le ministère de l’intérieur évoquait 4609 signalements pour radicalisation sur le sol français. Les accusations pour radicalisation ont explosé ces deux dernières années en France passant de 11 400 cas à 18 550 soit une augmentation de 60%. Le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) est donc en nette augmentation ces 24 derniers mois, les trois sources principales de ce dossier étant les préfectures via les états-majors départementaux de sécurité, les individus signalés par le public via le centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), gérant notamment le numéro vert de signalement, et le fichier, géré par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Plus de 34% des personnes fichées sont des converties souvent accusées faussement et sans preuve par leur famille opposée à la conversion à l’islam. A noter également qu’en fonction des rapports, 26% à 40% des cas sont des femmes, 16% à 25% des mineurs et 45% non convertis à l’islam. Dix pour cent des radicalisés présenteraient des troubles psychiatriques et 10 % des radicalisés français seraient déjà sur le sol syrien (Pietrasanta, 2015; Seelow, 2015; Bouzar, 2016; Islam Info, 2017)
Facteurs sociaux
Dans son ouvrage intitulé Understanding Terror Networks, Marc Sageman considère que le «jihad salafiste global» émerge dans l’exil et le déracinement. La très grande majorité des militants «ont rallié le jihad dans un pays différent du leur. C’étaient des expatriés, étudiants, travailleurs, réfugiés, combattants du jihad, loin de leur foyer et de leur famille». Travaillant à partir de la biographie de 172 terroristes tiré e à la fois de sources libres et de l’Agence Centrale de Renseignement Américaine (CIA), Sagemana établi un profil et conclu que ce «mouvement social» d’un type nouveau est résolument «cosmopolite» et qu’il recrute prioritairement dans la classe moyenne: «Les données relatives aux origines socio-économiques et au niveau d’instruction des jihadistes de cet échantillon réfutent empiriquement l’idée commune qui fait du terrorisme le fruit de la misère et de l’ignorance. Bien au contraire, les salafistes du jihad global sont issus de familles relativement aisées et ont reçu une éducation supérieure à la moyenne de leur pays d’origine, mais aussi de l’Occident» . Sageman met en lumière la contradiction entre ces engagements expatriés du jihad global et les mouvements enracinés dans les pays islamiques : «Au moment de l’invasion de l’Afghanistan en 2001, puis de l’Irak en 2003, on a assisté à la mobilisation massive et spontanée de jeunes en défense de l’Islam, mais pas à un ralliement formel et organisé au jihad glo bal. Une fois sur place, la virtualité de leurs motivations est apparue plus nettement. Isolés de la population locale, et naïvement tombés sous le charme d’un jihad virtuel idéal, ces nouveaux radicalisés sont devenus aveugles à la réalité de la situation. En Afghanistan comme en Irak, les autochtones ont systématiquement récusé leur sacrifice et se sont même parfois retournés contre eux».
Sageman évoque depuis la chute de Ben Laden un «leaderless jihad» ou jihad sans leader. Fort de l’analyse d’un échanti llon d’un demi -millier de jihadistes, il évoque la perte d’emprise d’un leader unique et l’émergence d’une nouvelle vague de terrorisme d’initiative locale, mais d’inspiration globale. Cette génération montante de terroristes « homegrown » serait moins instruite et moins favorisée socialement que ses prédécesseurs dont elle accentuerait le déjà faible niveau de culture religieuse. Internet favoriserait la dispersion et la décentralisation du salafisme jihadiste, dont la vocation globale serait de plus en plus animée par des groupes soudés localement, suivant le modèle du « bunch of guys ». Al-Qaida et sa structure pyramidale sont voués à disparaître complètement. Daech représente un mouvement social d’une tout autre ampleur, porteur du projet du jihad global (Sageman, 2004).
Plusieurs études se sont intéressées aux facteurs d’exclusion sociale, notamment une étude de Juliette Schaafsma sur l’exclusion et la radicalisation aux Pays-Bas qui propose d’examiner si l’exclusion sociale entraîne de l’hostilité et une orientation vers des croyances religieuses fondamentalistes voir extrémistes. Des adolescents hollandais de 15 à 18 ans de descendance marocaine, turque et hollandaise et de religion soit musulmane soit chrétienne ont été inclus dans cette étude. L’évaluation se basait sur une échelle auto-déclarative de radicalisation, la Radicalization Fundamentalism Scale de Johnson. Cette exclusion sociale des adolescents d’origine musulmane provoque une plus grande hostilité de leur part et la plupart ont attribué leur exclusion aux attitudes racistes de leurs camarades et de la société.
L’exclusion a conduit certains adolescents à se tourner vers des croyances religieuses plus fondamentalistes qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Cette étude est la première à démontrer que l’exclusion sociale peut être un précurseur du fondamentalisme et de la polarisation des groupes ethniques. Les résultats suggèrent que, pour contrer efficacement ces processus, les interventions devraient se concentrer non seulement sur l’intégration sociale des groupes dans la société en général, mais aussi sur leur intégration dans leur propre communauté (Schaafsma etWilliams, 2012).
L’économie
La ségrégation économique d’un groupe singulier peut conduire à la radicalisation. Si la majorité des chercheurs n’établit pas de lien direct entre le niveau socioéconomique d’une population et les phénomènes de radicalisation violente quelquesuns proposent un lien entre la discrimination socio économique subie par un groupe singulier et l’entrée dans la violence. Par exemple, une étude sur le lien entre les aspects socio-économiques et le terrorisme réalisée en 2011 montre que la situation économique globale d’un pays a un effet moindre sur le terrorisme que la situation économique des groupes minoritaires dudit pays, et que les pays où les communautés minoritaires souffrent de discrimination économique , se rendent plus vulnérables au terrorisme intérieur (Piazza, 2011).
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Table des matières
I/ Introduction
II/ Définitions et contexte historique
1/ Les dérives sectaires : organisation et généralités
1-1 Histoire de la secte
1-2 Définitions de la secte
1-3 Les dérives sectaires
2/ Le jihadisme : histoire de la création d’une dérive sectaire
2-1 Islam : de l’histoire au dogme
2-2 Le salafisme
2-3 Le jihadisme
a. Définition
b.Histoire du jihadisme
c. Les jihadistes français
III/De la radicalisation au terrorisme : facteurs et processus
1/La radicalisation : un endoctrinement dans le jihadisme
2/ Définitions de la radicalisation
3/ Qui sont les radicalisés ?
4/ Facteurs de la radicalisation
4-1 La religion
4-2 Le nihilisme
4-3 La politique
a.The Hofstadt groupe
b.Le jihadisme, une nouvelle forme de totalitarisme ?
4-4 Internet et les médias
4-5 Facteurs sociaux
4-6 L’économie
4-7 L’éducation
4-8 La famille
IV/Place de la psychiatrie dans la compréhension des comportements radicalisés ou en voie de radicalisation
1/Méthodologie
1-1 Critères d’inclusion et d’exclusion
1-2 Sources d’information et stratégies de recherche
1-3 Sélection des études
1-4 Recueil et analyse des données
2-Résultats
2-1 Procédure de Sélection
2-2 Caractéristiques générales des articles
2-3 Principaux résultats
a. Résultats globaux
b. Résultats en fonction des sous-populations
V/ Discussion
1/ Les limites de ce travail
2/ Radicalisation et troubles psychiques : une relation non démontrée
2-1 La population des radicalisés et des terroristes ne souffrent pas de trouble psychiatrique
2-2 Les terroristes solitaires : la population la plus concernée par les troubles psychiques
2-3 L’attentat suicide : un suicide différent ?
2-4 Les facteurs de risque de santé mentale ne semblent pas favoriser la radicalisation dans la population générale
3/ Radicalisation et trouble de la personnalité : une classification à revoir
3-1 Les limites des classifications actuelles
3-2 Emergences de nouvelles typologies compréhensives
a. La personnalité autoritaire
b. La typologie en 3 profils d’Hélène Bazex
c. La typologie du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI)
4/ Un exemple célèbre : Anders Breivik
5/ Vers une ouverture sociétale pour une compréhension pluridisciplinaire de la radicalisation
5-1Le processus de radicalisation
a. Les prérequis : le rôle de l’attachement et la marginalisation
b. Le rôle de l’emprise mentale
c. Le rôle des mécanismes cognitifs
d. Le rôle des mécanismes comportementaux
d-1. Le phénomène groupal
d-2. Le sentiment d’intégration et l’impact émotionnel
d-3 Le rôle des valeurs morales
e. Le rôle des émotions
f. L’entrée dans la violence
5-2 Les théories de la violence et du complot
a.La violence et la notion de traumatisme
b. La violence induite par la paranoïa
c. Les théories du complot
5.3 Les radicalisés et la théorie de «la banalité du mal»
VI/ Etats des lieux des outils de prise en charge et de prévention
1/ Organismes de lutte contre la radicalisation
1-1 Le Comité Interministérielle de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR)
a.Le kit formation
b.UCLAT
c.Place et rôle de la psychiatrie dans le PART
d.Les limites d’une structure de prise en charge de personnes radicalisées
1-2 La Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES)
1-3 L’Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (UNADFI)
1-4 Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM)
1-5 Le Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI)
1-6 Le Conseil de l’Ordre des médecins
1-7 La Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme (FECRIS)
2/ La lutte contre la radicalisation et les dérives sectaires : lois
2-1 Les lois contre les dérives sectaires
2-2 Les lois contre la radicalisation
VII/ Conclusion
VIII/Bibliographie
Annexes