Depuis plusieurs années, l’industrie pharmaceutique s’inquiète de l’augmentation importante des coûts en recherche et en développement associés à la découverte, l’évaluation, l’approbation et la mise en marché d’un médicament. Cette tendance est baptisée loi d’Eroom, par opposition à la loi de Moore qui traduit l’augmentation exponentielle de la capacité des circuits électroniques pour un même coût. Concrètement, tous les neuf ans depuis 1950, le nombre de médicaments obtenus par dollar investi en recherche a diminué de moitié environ (Scannell et al., 2012). Cette diminution du rendement sur l’investissement n’encourage pas les administrateurs des grandes entreprises pharmaceutiques à maintenir leurs activités de recherche (Carter, 2011). Cette réaction risque d’aggraver le problème, en réduisant davantage le nombre de nouveaux médicaments disponibles ou en augmentant fortement le prix de ceux-ci (Scannell et al., 2012) .
Si plusieurs autres facteurs peuvent expliquer cette tendance, des critiques ont été formulées quant à l’approche de recherche utilisée depuis les années 1990. Celle-ci, baptisée criblage à haut débit, repose sur la chimie combinatoire, qui consiste à construire des librairies moléculaires par synthèse rapide et idéalement automatisée, puis à tester celles-ci sur des cibles biologiques très spécifiques en série. Cette méthode est très rapide et coûte moins cher par produit testé que d’autres approches, mais ses résultats sont mitigés (Carter, 2011). Elle tend à limiter le nombre de structures chimiques testées en fonction des possibilités d’automatisation et de la disponibilité des réactifs et réactions, d’autant qu’il existe une pression pour optimiser à l’avance les paramètres pharmacocinétiques des composés. De plus, la transposition de résultats semblant prometteurs sur une cible biologique unique à un milieu in vivo est souvent un échec (Scannell et al., 2012). En conséquence, malgré la concentration des efforts de recherche vers le criblage à haut débit, près de la moitié des médicaments approuvés entre 1994 et 2008 étaient plutôt inspirés des produits naturels et de leurs dérivés (Harvey, 2008). Pourtant, les produits naturels sont négligés depuis près de 30 ans par l’industrie pharmaceutique (Carter, 2011).
Les chercheurs recommencent donc à se tourner vers la nature pour trouver des molécules susceptibles de fournir les médicaments de demain (Harvey, 2008). Les produits naturels offrent une diversité structurale beaucoup plus vaste qu’une approche purement synthétique (Fabricant and Farnsworth, 2001; Harvey, 2008). En outre, le potentiel de découverte y est très étendu. Dans le seul domaine végétal, des 250 000 espèces de plantes vasculaires pouvant être présentes sur Terre, pas plus de 15 % n’ont fait l’objet d’études phytochimiques (Fabricant and Farnsworth, 2001).
Phytochimie et bioactivité des dirca
Un seul groupe de recherche (Bioactive Natural Products and Phytoceuticals du Michigan State University) s’est précédemment intéressé à la phytochimie du dirca des marais. L’étude des graines a permis d’isoler trois triglycérides ainsi que les acides oléiques et linoléiques. Ces deux acides montraient une activité insecticide sur plusieurs espèces (Ramsewak et al., 2001).
Approches de couplage carbone-carbone
Plusieurs procédures courantes permettent de créer un lien carbone-carbone. Dans le cas présent, deux approches générales seraient possibles. Une première stratégie consisterait à greffer une chaîne alkyle en position 2 d’une chromone adéquate. Il faut alors maximiser l’obtention de l’isomère trans.
À cet égard, une première possibilité impliquerait d’effectuer un couplage de Heck à partir d’une 2-halogénochromone (21) et du méthylsulfinyléthène (22) . De nombreuses conditions pour obtenir ce couplage ont été rapportées (Beletskaya and Cheprakov, 2000). Elles permettent entre autres d’obtenir une bonne sélectivité envers l’isomère trans.
Les fleurs jaunes du dirca sont parfaites et tétramères (Gleason and Cronquist, 1993). Elles apparaissent 7 à 10 jours avant les feuilles (et plusieurs semaines avant le feuillage forestier) par racèmes axillaires subsessiles de 2 à 4 (Gleason and Cronquist, 1993; Williams, 2004). C, qui forme également un involucre d’où sort la branche de la nouvelle année (Bigelow, 1818; Gray and Fernald, 1970). Le périanthe tubulaire resserré à la base et légèrement élargi à la marge est muni de quatre petites pointes(Bigelow, 1818; Gleason and Cronquist, 1993; Gray and Fernald, 1970). La distinction entre sépales et pétales ou corolle et calice est variable selon les auteurs
Les fleurs mesurent de 7 à 10 mm de long et sont dotées de 8 étamines exsertes dépassant la marge du périanthe de 3 mm environ (Gleason and Cronquist, 1993; Marie-Victorin, 2002; Williams, 2004). L’anthère est ronde (Bigelow, 1818). Les étamines sont insérées au-dessus du milieu du périanthe en deux verticilles alternes (Bigelow, 1818; Gray and Fernald, 1970; MarieVictorin, 2002; Williams, 2004). Le style filiforme courbé est plus long encore que les étamines (Bigelow, 1818; Gleason and Cronquist, 1993; Gray and Fernald, 1970). L’ovaire, subsessile, porte un ovule simple, anatrope (Marie-Victorin, 2002; Williams, 2004).
Le fruit est une drupe ellipsoïde ou ovoïde-oblongue acuminée de 8 à 15 mm de long (Bigelow, 1818; Gray and Fernald, 1970; Marie-Victorin, 2002; Ramsewak et al., 2001; Williams, 2004) . Il est de vert, jaune ou rouge (Erichsen-Brown, 1979; Gray and Fernald, 1970; Williams, 2004). Il porte une seule graine noirâtre (Bigelow, 1818; Williams, 2004).
La reproduction du dirca semble essentiellement sexuelle. La propagation clonale, bien que rapportée, n’est pas dominante (Peterson and Graves, 2011). La plante est probablement autogame facultative puisque la fécondation a lieu malgré la faible présence d’insectes pollinisateurs au moment de la floraison très hâtive (Williams, 2004). Les graines tombent au pied du plant parent et pourraient être dispersées par des rongeurs frugivores, mais demeurent le plus souvent sur place (Peterson and Graves, 2011; Williams, 2004). Cela pourrait expliquer la tendance de l’espèce à pousser en groupes denses nettement séparés.
Au sein des Thymelaeaceae, le dirca des marais appartient à la sous-famille des Thymelaeoideae (van der Bank et al., 2002).
CONCLUSION
L’objectif principal du projet d’étude de la cytotoxicité de Dirca palustris, qui consistait à identifier des composés responsables de l’activité, a été atteint en bonne partie. En effet, le fractionnement bioguidé a permis d’identifier deux orthoesters de daphnanes, la huratoxine et la wikstrotoxine A, en plus de daphnanes n’ayant pas pu être caractérisés faute de quantité. La huratoxine est un composé à la cytotoxicité et aux effets irritants déjà connus. Sa présence peut en partie expliquer l’activité biologique importante des extraits de dirca des marais observée in vitro, ainsi que la toxicité rapportée dans la littérature pour cette plante. L’identification de diterpènes de la famille des daphnanes chez Dirca palustris n’est pas surprenante, puisqu’on en trouve également chez Dirca occidentalis et chez les Thymelaeaceae en général. L’activité biologique exacte de l’ensemble des diterpènes isolés aura à être évaluée dans un avenir rapproché, notamment en ce qui concerne une possible activité cytostatique plutôt que cytotoxique. Néanmoins, l’intérêt de ces résultats est essentiellement théorique. Les très faibles quantités de daphnanes présents ne permettent pas d’envisager une extraction à grande échelle dans la perspective de développer un médicament. Avec les connaissances actuelles, la complexité des structures ne permet pas davantage de développer une méthode de production synthétique efficace pour les daphnanes.
|
Table des matières
CHAPITRE I – INTRODUCTION
Mise en contexte
Objectif général
Objectifs spécifiques
Division du mémoire
CHAPITRE II – REVUE DE LA LITTÉRATURE
A. Le dirca des marais
Les Thymelaeaceae
Le genre Dirca
L’espèce Dirca palustris Linné
Phytochimie et bioactivité des dirca
B. Synthèse
Approches de couplage carbone-carbone
Génération de la chromone
Chaîne soufrée
Substitution de l’aromatique
Bilan des voies de synthèse proposées
CHAPITRE III – ARTICLE SCIENTIFIQUE
New Cytotoxic Organic Sulfur Compounds Isolated from Dirca palustris L. (Thymelaeaceae)
Présentation
Résumé
Article
CHAPITRE IV – ISOLATION ET CARACTÉRISATION DES COMPOSÉS
Fractionnement bioguidé à partir de la récolte de Repentigny (travaux de maîtrise)
Choix de la méthode d’extraction
Schéma de fractionnement
Composés isolés à partir de la récolte de Repentigny (travaux de maîtrise)
Série AS02101
Série AS02095
Série AS02107
Série AS02109
Série AS02111
Série AS02114
Série AS02116
Série AS02134
Série AS02136
Fractionnement et composés isolés à partir de la récolte de Québec (travaux du baccalauréat)
Activités biologiques des composés isolés
Cytotoxicité des composés phénoliques et des dirchromones
Activités biologiques des daphnanes
Activités antibactériennes
CHAPITRE V – AVANCEMENT DES TRAVAUX DE SYNTHÈSE DES DIRCHROMONES
Couplage de Heck
Chaîne soufrée
2-Halogénochromone
Couplage de Heck
Réaction de Wittig
CHAPITRE VI – CONCLUSION
Télécharger le rapport complet