Physique du climat tropical
Les tropiques (30°S-30°N) reçoivent une part importante de l’énergie solaire, soit environ 60% de l’énergie incidente au sommet de l’atmosphère. Le système Terre réémet une partie de cette énergie sous forme de rayonnement infrarouge et une circulation globale de l’océan et de l’atmosphère réduit le déséquilibre énergétique entre les tropiques et les plus hautes latitudes. Hadley, au XVIIIe siècle, imagina une circulation méridienne redistribuant l’énergie des zones tropicales excédentaires vers les plus hautes latitudes. Une telle circulation existe effectivement en moyenne (Figure 1.1), l’énergie thermodynamique des basses couches atmosphériques proche de l’équateur est convertie en énergie potentielle de gravité (ascendance) puis distribuée sous forme d’énergie thermique aux plus hautes latitudes après compression adiabatique. Du fait de la rotation de la Terre, les alizés (Figure 1.1) sont déviés par la force de Coriolis et ont une composante zonale importante.
La convection atmosphérique, et en particulier la convection humide joue un grand rôle dans ces circulations moyennes. L’effet de la convection consiste à redistribuer verticalement la chaleur en induisant un transport vertical d’air sous l’effet de la force d’Archimède. Dans le cas de l’air sec, l’air chaud étant moins dense que l’air froid, une masse d’air chaud (chauffée par la surface) sous une masse d’air froide sera instable et induira des mouvements convectifs faisant monter l’air chaud et descendre l’air froid. Cette advection verticale de chaleur est renforcée dans le cas de la convection humide par le dégagement de chaleur latente. Ce dégagement de chaleur latente est occasionné par la condensation de la vapeur d’eau contenue dans la parcelle d’air chaud ascendante lors de son refroidissement par décompression adiabatique. Ainsi, l’énergie nécessaire aux mouvements ascendants moyens (figures 1.1 et 1.2) est principalement fournie par la convection humide. En retour, les alizés, chargés d’humidité au-dessus des océans, convergent et apportent l’humidité nécessaire dans les régions de forte activité convective appelée Zone de Convergence Inter-Tropicale (ITCZ en anglais). Cette zone est une bande longitudinale d’extension méridienne limitée à proximité de l’équateur où les nuages convectifs peuvent s’élever jusqu’à la tropopause (environ 18 km d’altitude). En dehors de cette zone, les régions tropicales sont subsidentes. L’air y est chauffé par compression adiabatique et se refroidit alors par rayonnement infrarouge. La compétition entre la descente d’air sec et de la turbulence dans la couche limite atmosphérique dans ces régions de subsidence résulte en une activité convective principalement limitée à la partie supérieure de la couche limite (stratocumulus). Plus on se rapproche de l’ITCZ, plus la turbulence de couche limite s’organise et induit une activité convective qui de peu profonde (cumulus) devient profonde (cumulonimbus) dans l’ITCZ.
Variabilité du climat tropical
Le climat tropical est caractérisé par une intense activité convective avec une forte variabilité de son organisation à diverses échelles en relation avec la dynamique atmosphérique et océanique. Nous allons maintenant présenter les modes principaux de variabilité qui mettent en jeu la convection atmosphérique dont les échelles de temps s’étendent de l’interannuel à l’échelle diurne.
El Niño (El Niño Southern Oscillation, ENSO)
Principal mode de variabilité interannuel du climat tropical découvert Walker (1923,1924), El Niño consiste en une perturbation zonale de la cellule de Walker de périodicité 2-5 ans. La branche ascendante de la cellule de Walker (Pacifique) est associée au maximum à grande échelle de température de surface océanique qui se situe, en moyenne, dans la région du continent maritime (la « Warm-Pool », le continent maritime désigne l’ensemble des îles situées entre Océans Indien et Pacifique à l’Est et à l’Ouest, le continent asiatique et l’Australie au Nord et au Sud). Bjerknes (1969) est le premier à faire l’hypothèse qu’une interaction entre l’atmosphère et l’océan soit responsable du phénomène : Une anomalie de température chaude dans le Pacifique central diminue le gradient Est-Ouest de température de surface et donc l’intensité de la cellule de Walker. Les alizés au dessus de l’Océan Pacifique central diminuent donc avec l’intensité de la cellule de Walker. La diminution des vents de surface diminue le forçage par l’atmosphère du mélange océanique. La couche de mélange devient moins profonde et se réchauffe dans l’Océan Pacifique central, ce qui conduit à un renforcement de l’anomalie positive (Bjerknes, 1969). Cette phase chaude d’ENSO s’accompagne de la migration de l’activité convective liée à l’ascendance grande échelle vers l’Est (figure 1.2). La perturbation inverse conduisant à un déplacement de la branche ascendante de la cellule de Walker au-dessus de l’Océan Indien est appelée La Niña (Philander, 1990). Wang et Picaut (2004) synthétisent les principales théories sur cette oscillation couplée (océan-atmosphère) et discutent son interaction avec la variabilité à plus courte échelle de temps.
La variabilité saisonnière et les moussons
Les régions recevant le plus de rayonnement solaire sont naturellement celles qui tendent à avoir la température de surface la plus élevée. En moyenne annuelle, il s’agit des régions équatoriales. Les températures de surface élevées réchauffent par le flux de chaleur sensible les basses couches de l’atmosphère au-dessus. La flottabilité de l’air de basse couche augmente et mène à un mouvement ascendant au-dessus des régions équatoriales. Lors de son élévation depuis la surface, l’air humide tend à se refroidir adiabatiquement, ce qui mène à la condensation de la vapeur d’eau qu’il contient accompagné d’un dégagement de chaleur latente et de précipitations (formation de nuages convectifs). La chaleur latente ainsi dégagée chauffe la parcelle d’air ascendant et permet à celle-ci de continuer à s’élever. Ainsi, l’ITCZ caractérisée par le maximum d’activité convective, correspond-t-elle aux régions de températures de surface les plus élevées et au maximum de réchauffement de l’atmosphère de basses couches par la surface (Waliser, 2003). Au cours de l’année, le pic d’insolation à la surface migre vers le Nord (de l’hiver de l’hémisphère nord à l’été) et le Sud (de l’été à l’hiver) et l’ITCZ suit cette migration (quasiment en phase au-dessus des continents et avec un retard d’un mois environ au-dessus des océans). L’évolution saisonnière du climat tropical ne se limite toutefois pas à la migration méridienne de l’ITCZ.
Une mousson est caractérisée par un régime de vent stable, soutenu par l’évolution saisonnière de conditions aux limites (pour l’atmosphère) telles que la température de surface continentale ou océanique (Slingo, 2003). Pour illustrer la discussion nous considérerons en particulier la mousson indienne d’été qui est, de toutes, la plus importante. La mousson est établie par un contraste méridien important entre les surfaces continentales de faible capacité calorifique se réchauffant rapidement du fait de cycle saisonnier de l’insolation et les surfaces océaniques dont la température augmente plus lentement. Ce contraste thermique induit un gradient de pression se traduisant par un mouvement ascendant au-dessus du continent et une circulation de grande échelle (Gill, 1980 ; voir plus bas) caractérisée par un jet de basses couches trans-équatorial de l’océan vers le continent (figure 1.3 en juillet par exemple). L’ascendance au-dessus de continent Sud-Asiatique s’accompagne de convection profonde et d’un refroidissement important de la surface par la diminution de l’insolation et par évaporation des précipitations. La convection est alors maintenue au-dessus du continent par le dégagement de chaleur latente associée et à la convergence dans les basses couches d’humidité de la circulation de mousson. En retour, la circulation de mousson est maintenue par l’entretien de la convection. Dans le cas particulier de la mousson indienne, la disposition des reliefs joue de plus un rôle important : la chaîne des Ghâts sur la péninsule indienne induit localement une ascendance (mécanique) d’air et provoque de fortes précipitations le long de la côte ouest de la péninsule, dans la Mer d’Arabie (figure 1.3) ; le plateau tibétain chauffé par insolation joue un rôle important dans le déclenchement et l’entretien en induisant un chauffage en altitude de la troposphère (Yanai et al, 1992).
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Table des matières
Introduction
1 Physique du climat tropical
1.1 Variabilité du climat tropical
1.1.1 El Niño (El Niño Southern Oscillation, ENSO)
1.1.2 La variabilité saisonnière et les moussons
1.1.3 La variabilité haute fréquence
1.2 Interaction de la convection et de la circulation de grande échelle
1.2.1 Principe de la convection humide atmosphérique
1.2.2 Les théories de l’interaction de la convection et de la dynamique de grande échelle
1.2.3 Modélisation de la convection atmosphérique
1.3 Importance de l’interaction océan-atmosphère sur la variabilité intrasaisonnière
1.3.1 Variabilité des flux de surface à l’échelle intrasaisonnière
1.3.2 Les mécanismes de la variabilité intrasaisonnière de la température de surface
océanique
1.3.3 Impact de la variabilité intrasaisonnière de la température de surface sur
l’atmosphère
1.3.4 Le paramètre « Température de Surface de l’Océan » dans les modèles
2 Données, Méthodes et outils
2.1 Les données utilisées
2.1.1 Les Températures de Surface de l’Océan (TSO)
2.1.2 Climatologie de la profondeur de la couche de mélange océanique
2.1.3 Le rayonnement infrarouge sortant au sommet de l’atmosphère (Outgoing
Longwave Radiation, OLR)
2.1.4 Les réanalyses
2.1.5 Récapitulatif des données utilisées
2.2 Méthodes d’analyses
2.2.1 L’Indice régional Moyen de Déclenchement des Précipitations (IMDP)
2.2.2 Analyse spectrale
2.2.3 Analyse en Mode Locaux (AML)
2.3 Le Modèle de Circulation Générale (MCG) LMDZ
2.3.1 Présentation générale
2.3.2 Conditions initiales et conditions aux limites
2.3.3 Le zoom et le guidage
3 Évolution saisonnière de la variabilité intrasaisonnière
3.1 Motivations de l’étude
3.2 Perturbations convectives intrasaisonnières liées à l’évolution saisonnière des moussons Indo-Pacifique
3.2.1 Evolution saisonnière de la variabilité intrasaisonnière dans la région IndoPacifique
3.2.2 Lien entre variabilité intrasaisonnière et profondeur de la couche de mélange dans la région Indo-Pacifique
3.2.3 Les régions de moussons Indo-Pacifique
3.3 Evolutions régionales et lien avec la Date Moyenne de Déclenchement des
Précipitations (DMDP)
3.3.1 Cycles saisonniers de l’océan de surface
3.3.2 Cycles saisonniers de la variabilité intrasaisonnière
3.3.3 Définition et distribution saisonnière des forts évènements intrasaisonniers
3.3.4 Déclenchement des précipitations et forts évènements intrasaisonniers
3.3.5 Structures des forts évènements intrasaisonniers associés aux déclenchements des précipitations
3.4 Conclusion et Discussion
4 La variabilité intrasaisonnière dans LMDZ, impact des perturbations de la TSO
4.1 Motivations de l’étude et présentation des expériences
4.1.1 Rôle de la variabilité intrasaisonnière de la température de surface de l’océan dans la variabilité intrasaisonnière de la convection tropicale
4.1.2 Présentation des expériences LMDZ
4.2 Evolution saisonnière de LMDZ dans l’Indo-Pacifique
4.2.1 Les états atmosphériques moyens simulés
4.2.2 Evolution saisonnière de la variabilité intrasaisonnière simulée
4.3 L’organisation de la variabilité intrasaisonnière dans LMDZ
4.3.1 Capacité du modèle à organiser la variabilité intrasaisonnière
4.3.2 Organisation de la variabilité intrasaisonnière en hiver
4.3.3 Organisation de la variabilité intrasaisonnière en été
4.4 Réponse de LMDZ aux perturbations intrasaisonnières de TSO (cas de l’hiver 2002)
4.5 Conclusion
Conclusion
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