Physique des grains interstellaires

Physique des grains interstellaires

Cycle de vie des poussières

Tout comme le gaz, les grains interstellaires sont soumis à de nombreux changements lors de leur cycle de vie dans le MIS. Plusieurs processus sont à même de modifier les poussières tant en nombre que du point de vue de leur composition. On peut distinguer deux sortes de processus : ceux qui augmentent ou diminuent la masse globale des poussières dans le MIS et ceux qui ne modifient que leur répartition sans perte de matière au point de vue global .

Tout d’abord, à l’échelle galactique, le réservoir de poussière est enrichi par la formation de grains au sein des étoiles géantes (étoiles de la branche asymptotique des géantes, AGB) et de l’enveloppe évoluée des supernovae. Plus tard, à l’intérieur des nuages moléculaires, gaz et grains sont étroitement liés et notamment l’accrétion des atomes de la phase gazeuse sur les grains (comme N, H, O ou ceux plus lourds comme le fer) contribuent à augmenter la masse totale des poussières. La formation de manteaux de glaces au sein des nuages et leur évaporation proche de l’étoile naissante (hot cores ou hot corinos) participent également à cette fluctuation en terme de masse .

D’autre part, la coagulation qui consiste à coller les grains entre eux pour en former de plus gros et a contrario leur décomposition par collision à l’issue de chocs ne modifient que la taille des poussières et leur nombre sans changer la masse globale disponible. En moyenne, un grain passe autant de temps dans le milieu diffus que dans le milieu dense (McKee 1989). Les grains présentent donc une grande diversité suivant leur environnement et la phase du cycle dans laquelle ils se trouvent.

Les grains des nuages moléculaires denses sont constitués de noyaux non sphériques, mélange de grains carbonés et de silicates, sur lesquels peuvent venir s’accréter des atomes ou des molécules de la phase gazeuse. Ils sont des acteurs majeurs dans la formation des molécules, notamment du dihydrogène (H2, Gould et Salpeter 1963). Dans un nuage dense et froid, ces molécules accrétées et collées sur les grains forment un manteau, dominé par la glace d’eau (H2O) mais qui s’avère riche en molécules plus complexes . La glace, qui intervient très tôt dans les nuages . L’impact des rayons cosmiques et des photons UV sur la libération des molécules formées dans le manteau est également illustré sur cette figure. Les grains sont représentés sous forme allongée ici mais leur forme peut être bien plus irrégulière. Cette agglomération donne un aspect en général poreux à cet ensemble de glaces, silicates et grains carbonés. Le compactage de ces grains n’est pas attendu dans les premières étapes de leur intégration dans les disques protostellaires (Testi et al. 2014), bien avant la formation de planétésimaux. En effet, de larges grains sous forme d’aggrégats pourraient en effet permettre d’expliquer l’asymétrie de la brillance observée entre bord interne et externe des disques (Mulders et al. 2013). Les grains varient donc beaucoup suivant leur stade d’intégration dans les différents types de milieux et il s’agit alors de trouver un ou plusieurs moyens de les caractériser.

Extinction et émission par les grains de poussière

La présence de poussières sur la ligne de visée conduit à une extinction et à un rougissement des étoiles de fond (Wolf 1923, Bok 1937, Bok 1956). Cela permet entre autres d’étudier la structure en densité des nuages moléculaires en comptant le nombre d’étoiles apparentes (Bok 1956, Cambrésy et al. 2002) mais cela donne également la possibilité d’étudier les propriétés des poussières présentes entre l’observateur et l’étoile concernée. L’extinction est caractérisée par l’absorption d’une partie du champ de rayonnement incident, sa diffusion pour les longueurs d’onde les plus courtes (relativement à la taille du grain) et la transmission d’une partie du signal . Cette extinction étant plus importante à courte longueur d’onde, il en résulte un rougissement global du rayonnement incident .

La relation entre extinction dans l’UV, l’optique et le NIR a été étudiée en détail (Cardelli et al. 1989, Cambrésy et al. 2002). Le comportement de la courbe d’extinction dans l’UV lointain semble dominé par les grains de type carboné. La partie infrarouge est censée être universelle et suivre une loi de puissance dont la pente est directement liée à la valeur de RV et à la distribution en taille des poussières (Asano et al. 2013). En effet, la valeur de RV varie en fonction de la fraction de chaque population de grains et de leur distribution en tailles et dépend également de l’intensité du champ de rayonnement UV et de la densité du milieu. Cependant, la normalisation par E(B–V) de la courbe d’extinction a un impact non négligeable. Des alternatives de normalisation par la partie UV lointaine plutôt que la partie visible montrent qu’une combinaison de grains carbonés+silicates n’arrive pas à reproduire les observations (Greenberg et Chlewicki 1983, Jones et al. 2013, Jones 2014).

L’extinction obtenue recouvre à la fois, la diffusion de la lumière à laquelle nous nous intéresserons spécifiquement dans le sous–chapitre 2.2 et l’absorption d’une partie du rayonnement incident. Cette absorption contribue à chauffer le grain suivant sa taille et sa capacité calorifique. Ce dernier émet alors un rayonnement à plus grande longueur d’onde qui résulte de son chauffage.

Cette émission des poussières peut s’avérer polarisée à la fois dans les milieux diffus (AV<5 mag) et les milieux plus denses (AV>10 mag) (Planck Collaboration et al. 2014b). Une question importante est de savoir si cette polarisation trace le champ magnétique (Planck Collaboration et al. 2014b; 2015) mais si elle est également révélatrice de la nature intrinsèque des poussières, notamment de leur composition et de leur taille. Par exemple, la quantité de fer magnétique solide contenu dans les grains joue un rôle sur leur alignement (Voshchinnikov et al. 2012). La polarisation décroit également en allant vers les milieux plus denses (Planck Collaboration et al. 2014b, Tang et al. 2010 : 4% dans Orion OMC1). L’alignement des grains et par extension leur organisation peuvent être déduits à partir de la mesure de la polarisation. En effet les grains ne s’alignent que si ils sont exposés à un champ de rayonnement anisotrope dont la longueur d’onde (λ) est inférieure à deux fois le rayon du grain. Ceci explique pourquoi on ne peut pas voir des petits grains alignés car ce critère ne peut plus être respecté en dessous de la limite de Lyman α (912/2 = 456 Å). L’alignement des grains devient également moins efficace quand la température décroît (pour une revue complète voir Andersson 2012). De plus les longueurs d’onde les plus courtes ne pénètrent pas dans le cœur dense et cela explique surement pourquoi le degré de polarisation décroît pour les régions denses (Vaillancourt et Matthews 2012). Du fait du mélange des grains sur la ligne de visée (en température, en densité et en taille) et de la dépolarisation avec la densité, la polarisation n’est pas le meilleur outil pour tracer la composition en grains dans les cœurs denses .

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Milieu interstellaire et formation des cœurs denses
1.2 Gaz, grains et densité
1.3 Structure et stabilité des cœurs denses
1.4 Objectif de la thèse
2 Les grains et la diffusion comme sonde du milieu interstellaire
2.1 Physique des grains interstellaires
2.1.1 Cycle de vie des poussières
2.1.2 Extinction et émission par les grains de poussière
2.1.3 Composition et signatures spectroscopiques
2.2 L’apport de la diffusion
2.2.1 Champ de rayonnement incident
2.2.2 Capacité diffusante des grains
2.2.3 Preuves observationnelles du phénomène de diffusion
Conclusion
3 Modélisation : contraintes sur les propriétés des grains
3.1 Modélisation du transfert de rayonnement par simulation Monte–Carlo
3.1.1 Équation du transfert de rayonnement avec diffusion
3.1.2 Modélisation Monte–Carlo
3.2 Évaluation de l’intensité du fond
3.3 Propriétés des grains utilisés dans la modélisation
3.3.1 DustEM
3.4 Résultats
3.4.1 Résumé des principaux résultats en français
Article I
4 Modélisation d’un nuage en absorption et diffusion : L183
4.1 Présentation de L183
4.1.1 Description du nuage
4.1.2 Synthèse des données
4.2 Construction du modèle de nuage
4.2.1 Construction des catalogues d’étoiles
4.2.2 Construction d’une carte d’extinction à partir des catalogues d’étoiles
4.2.3 Comparaison avec l’inversion de la carte à 8 µm
4.3 Construction des agrégats
4.3.1 Théorie des Milieux Effectifs (EMT)
4.3.2 Approximation Dipolaire Discrète (DDA)
4.3.3 Propriétés optiques des agrégats
4.4 Résultats
4.4.1 Résumé des principaux résultats en français
Article II
5 Vers un modèle complet incluant l’émission
5.1 Émission des grains
5.1.1 Contexte
5.1.2 Observations et analyse de la SED
5.1.3 Résultats
Article III
5.2 Premiers tests de modélisation en émission
5.2.1 Modélisation sans ISRF
5.2.2 Limitations et perspectives
Conclusion générale

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