Le sang dans le corps humain, comme la sève des arbres, circule dans des artères, des veines, des capillaires dont les diamètres sont micrométriques alors que leurs longueurs atteignent plusieurs centimètres voire mètres. Ce sont les dimensions caractéristiques de la microfluidique, science de la miniaturisation des écoulements [12]. Confiner à l’échelle micrométrique supprime les effets de la gravité sans atteindre les forces moléculaires, qui dominent sur des distances nanométriques. Maîtriser ces écoulements permet d’appréhender des comportements rhéologiques, de reproduire des fonctions élémentaires d’organes humains, de manipuler des particules micrométriques (colloïdes ou cellules) et d’envisager des réactions chimiques dans de très petits volumes. Les applications de la microfluidique touchent donc des domaines aussi variés que la biologie, la cosmétique ou le pétrole. Cependant l’utilisation de ces dispositifs est grandement restreinte à l’environnement des laboratoires et s’exporte peu au delà. La miniaturisation extrême des puces microfluidiques n’est pas toujours synonyme de portabilité car une dépendance lourde des équipements perdure.
A l’inverse, le papier est omniprésent dans la vie quotidienne. Son coût et sa disponibilité en font un support qui répond à tous les critères pour un diagnostic médical de terrain accessible à tous. Les forces capillaires dans le papier génèrent des écoulements autonomes qui peuvent être utilisés dans les sciences analytiques. Sous la dénomination « papier » sont regroupés aussi bien les supports traditionnels à base de cellulose que les membranes artificielles. Cette grande diversité de substrats offre des propriétés très variées en termes de chimie de surface, de porosité, de structure, de géométrie … En 2007, l’équipe de G.M. Whitesides décrit le concept de microfluidique papier et ses dispositifs analytiques (micro-Paper Analytical Devices – μPAD) [13]. Des solutions de fabrication innovantes assurent un contrôle des écoulements dans le papier, suivant des motifs personnalisables. Dans ce nouveau champ de recherche, c’est l’application – orientée diagnostic médical de terrain – et ses contraintes opérationnelles qui guident le développement des puces papier depuis la fonction microfluidique jusqu’au laboratoire sur papier.
Etude des écoulements pour un laboratoire sur puce
Principes physiques de la microfluidique
La maitrise des écoulements au sein des microsystèmes relève d’équipements spécifiques. D’une part, la miniaturisation est responsable d’une augmentation importante de la résistance hydrodynamique qui n’est pas favorable au passage de liquide. D’autre part, la visualisation des écoulements ou des résultats d’analyses repose sur des systèmes externes de détection.
Forces capillaires dans les microcanaux
Afin de rendre les puces microfluidiques plus autonomes vis à vis des équipements, il est possible d’exploiter les forces capillaires. En compétition avec les forces gravitaires et la dissipation visqueuse, la capillarité peut être mise à profit en augmentant le confinement et en contrôlant la mouillabilité des surfaces.
Nombres sans dimension
Le calcul des nombres sans dimension permet de mettre en évidence la prédominance d’une force par rapport à une autre dans une situation particulière. Dans les dispositifs capillaires, les trois grandeurs d’intérêt sont la capillarité, la viscosité et la gravité. Le nombre capillaire Ca définit le rapport entre la viscosité et la capillarité . Le nombre de Bond Bo compare la gravité et la capillarité .
Puces microfluidiques capillaires
Si la miniaturisation n’est pas favorable aux écoulements stationnaires, il est possible d’exploiter les forces capillaires et les régimes transitoires pour générer des écoulements autonomes.
Milieux poreux artificiels
Si un écoulement autonome est possible dans un microcanal selon la loi de Lucas-Washburn, le défi est de dépasser le régime initial. En effet, une fois le microcanal rempli, il n’y a plus de force capillaire et l’écoulement s’arrête. Une solution proposée dans la littérature [16,17] est de remplacer la sortie du microcanal par un milieu poreux artificiel .
Il peut s’agir d’un milieu poreux à seulement deux dimensions comme un ensemble de piliers. Dans cette configuration, il n’est pas possible de faire sortir le liquide de la puce. L’objectif réside plutôt dans le fait de faire passer l’écoulement au travers d’une fonction d’intérêt dans le microcanal : un outil de détection ou d’analyse par exemple. Comme discuté précédemment, la loi de Lucas-Washburn suit une loi de diffusion donc l’écoulement ralentit au cours du temps. En variant certains paramètres, la force capillaire peut être augmentée pour contrebalancer la dissipation visqueuse. Par exemple, si le milieu poreux présente un gradient de taille de pores (i.e. un gradient d’espacement entre les piliers), la force capillaire augmente au cours du temps et il est possible d’obtenir une vitesse d’écoulement constante.
L’évaporation comme moteur d’écoulement
La structure capillaire arborescente peut être simplifiée et suppléée dans un second temps par une pompe évaporative [18]. Il peut s’agir d’une pompe passive en laissant les canaux ouverts à l’air libre ou d’une pompe active générée par un flux d’air qui évacue la vapeur de solvant. Dans une géométrie très simple de microcanal, les effets de réservoirs peuvent aussi suffire à obtenir un écoulement capillaire autonome. Le réservoir d’entrée contient une large quantité de liquide alors que la sortie est laissée libre à l’évaporation. Le taux d’évaporation agit sur le ménisque du réservoir liquide en sortie mais reste négligeable sur le large volume en entrée [19]. Le couplage transport et évaporation provoque l’accumulation des analytes [20]. Le Poly DiMéthyl Siloxane (PDMS), polymère utilisé pour la fabrication des microcanaux, est un matériau perméable aux gaz et à certains solvants.
Limites de la loi de Lucas-Washburn Pourtant ce modèle capillaire ne prend pas en compte de nombreux paramètres. Le papier est un milieu hétérogène dont la taille de pores est loin d’être monodisperse. Le réseau de capillaires parallèles, rigides, doit être comparé à un milieu fibreux désordonné, interconnecté dont les propriétés mécaniques changent selon l’état sec ou humide [15]. Les fibres de cellulose sont susceptibles d’absorber une partie du liquide et de gonfler, ce qui modifie la taille de pores au cours du temps. Enfin, l’évaporation via les grandes interfaces libres n’est pas prise en compte dans ce modèle [24]. Un bon historique des principaux modèles proposés dans la littérature est disponible dans la référence [25]. Le modèle de Price et al. (1953) tient compte de l’absorption dans les fibres comme un régime plus lent, suivant l’imbibition capillaire. La distribution de la taille de pores et le gonflement des fibres sont discutés par Bristow (1971). Van den Akker et Wink (1969) ont montré l’importance de la définition même de l’angle de contact suivant les pores et rugosités en surface des fibres. Oliver et Mason (1976) ont confirmé l’impact de la morphologie des fibres sur l’étalement liquide. Selon Nguyen et Durso (1983), la persistance d’écoulements de redistribution après le retrait du réservoir liquide démontre le caractère diffusif et non capillaire de l’écoulement. Cette diffusion pourrait consister en des interactions entre la vapeur d’eau et les fibres en amont du front capillaire (Salminen, 1988). Trois phénomènes semblent régir l’écoulement (Lyne, 1993) : le mouillage et l’étalement, la pénétration capillaire, la diffusion dans les fibres.
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Table des matières
Introduction
1 Physique des écoulements dans la microfluidique papier
1.1 Etude des écoulements pour un laboratoire sur puce
1.1.1 Principes physiques de la microfluidique
1.1.2 Forces capillaires dans les microcanaux
1.1.3 Puces microfluidiques capillaires
1.2 Le support papier
1.2.1 Les forces capillaires dans le papier
1.2.2 Propriétés physico-chimiques du papier
1.3 La microfluidique papier
1.3.1 Techniques de fabrication
1.3.2 Illustration de fonctions microfluidiques
1.4 Limites du support papier
1.4.1 Seuil de détection
1.4.2 Description de la physique des écoulements
1.5 Ce qu’il faut retenir
2 Applications de diagnostic médical sur papier
2.1 Le papier dans les sciences analytiques
2.1.1 Exemples de dispositifs papiers
2.1.2 Les tests bandelettes
2.1.3 Prélèvements séchés sur papier
2.2 Préparation d’échantillons biologiques
2.2.1 Protocoles standard en laboratoire
2.2.2 Exemples de préparations sur papier
2.2.3 Purification d’acides nucléiques sur papier
2.3 Détection de pathogènes directe/indirecte
2.3.1 Microscopie et culture cellulaire
2.3.2 Tests de biologie moléculaire
2.3.3 Immunoessais
2.3.4 Comparaison des trois méthodes
2.4 Tests de biologie moléculaire sur papier
2.4.1 Détection d’acides nucléiques sur papier
2.4.2 Amplification d’acides nucléiques sur papier
2.5 Enjeux de cette thèse
2.5.1 Utiliser la physique des écoulements pour améliorer la limite de détection
2.5.2 Développer les performances des systèmes standard
2.5.3 De nouvelles solutions de diagnostic pour le virus Ebola
2.6 Ce qu’il faut retenir
3 Concentration d’échantillons par des écoulements capillaires confinés
3.1 Conditions expérimentales
3.1.1 Dispositifs papier
3.1.2 Visualisation des écoulements
3.1.3 Conditions extérieures
3.2 Analyse des effets du confinement sur les écoulements capillaires
3.2.1 Etude de la diffusion de la cire
3.2.2 Mise en évidence des contributions de l’imbibition capillaire et de l’étalement de goutte aux écoulements dans le papier
3.3 Exploitation des propriétés du papier pour concentrer des échantillons
3.3.1 Démonstration d’un concentrateur par rétention spatiale
3.3.2 Concentration par focalisation hydrodynamique
3.3.3 Optimisation de la focalisation hydrodynamique par rétention chromatographique
3.4 Ce qu’il faut retenir
4 Microsystèmes pour l’élution d’échantillons séchés sur papier
4.1 Conditions expérimentales .
4.1.1 Fabrication des microsystèmes hybrides
4.1.2 Nature des échantillons séchés sur papier
4.1.3 Dispositifs de mesures de l’élution
4.2 Etude des écoulements dans les microsystèmes hybrides avec bandelette de papier
4.2.1 Configuration d’écoulements monophasiques
4.2.2 Influence du papier sur les écoulements diphasiques
4.2.3 Limites du dispositif
4.3 Analyse quantitative de l’élution en microcanaux à partir de disques de papier
4.3.1 Mesures de fluorescence
4.3.2 Analyse de composés élémentaires
4.3.3 Application à l’élution de la β-hCG
4.4 Ce qu’il faut retenir
Conclusion
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