Physiopathologie des trypanosomoses

Immunité et trypanosomes

Physiopathologie des trypanosomoses

La physiopathologie de la trypanosomose est complexe et il existe encore actuellement des mécanismes inconnus. Selon le concept traditionnel, les événements pathologiques résultent de facteurs parasitaires directs ou libérés suite à chaque vague de parasitémie et des immuns complexes se déposant sur différents tissus. Selon un concept plus récent, ces mêmes phénomènes résultent de l’interaction initiale entre le parasite et le système immunitaire qui bouleverse l’équilibre du réseau des cytokines (activité pléïotrope en cascade : fièvre, fonte musculaire,…) (12, 40). Les deux concepts ne sont pas exclusifs. L’anémie est un des principaux signes de la trypanosomose et elle semble être corrélée au degré de chute de productivité. De nombreuses recherches ont donc été menées pour en comprendre le mécanisme. L’anémie apparaît deux à trois semaines après la piqûre infectante et atteint des degrés de gravité variable. L’hématocrite chute, se stabilise et fluctue autour de valeurs basses (15-20 %).

Une large érythrophagocytose par le système phagocytaire a été observée mais on n’en connaît actuellement pas la cause exacte. Des macrophages activés phagocytent les hématies matures ou pas, les neutrophiles et les plaquettes. L’attaque phagocytaire semble être sélective, les lymphocytes ne semblent pas touchés. La phagocytose pourrait être favorisée par la présence sur certains types cellulaires d’altérations membranaires provoquées par des facteurs parasitaires, des immuns complexes ou des lésions secondaires. Ainsi, le dépôt à la surface des globules rouges de molécules produites par l’hôte ou le parasite pourrait être une cause d’élimination des cellules sanguines. Puis en cas de chronicité, intervient un défaut d’érythropoïèse qui aggrave considérablement le degré de l’anémie. Un déséquilibre dans le réseau des cytokines jouerait un rôle déterminant dans cette dysérythropoïèse. La physiopathologie de la trypanosomose est loin d’être totalement connue, sa compréhension permettrait de lutter non seulement contre les actions parasitaires directes mais aussi contre le bouleversement de l’équilibre des systèmes internes de l’hôte.

Méthodes de lutte contre les trypanosomoses

Dès 1920, la lutte contre la trypanosomose s’est organisée en Afrique de l’Est par des débroussaillages extensifs et par destruction du gibier. Plus tard, la lutte anti-vectorielle s’est considérablement développée par la découverte des insecticides organochlorés, d’abord à longue (DDT) puis à courte (endosulfan) rémanence. Les pulvérisations manuelles ont été les plus largement répandues mais ne permettent pas de traiter des zones de façon exhaustive et ne couvrent qu’un territoire limité. Les pulvérisations aériennes (avion, hélicoptère) ont permis une couverture géographique plus importante des zones à traiter mais leur coût a nettement restreint l’utilisation de telles méthodes. D’une façon générale, l’impact sur l’environnement, le coût et le non contrôle des réinfestations des zones traitées ont rapidement limité l’usage des produits chimiques anti-vectoriels. Dans les années 70, l’utilisation des pièges et écrans imprégnés de pyréthroïdes de synthèse a largement amélioré la lutte anti-vectorielle.

Le rapport coût/ bénéfice intéressant ainsi que le respect de l’environnement ont fait des pièges biconiques puis pyramidaux (figure 3), une méthode de lutte contre les vecteurs encore actuellement très utilisée (2, 10, 11, 13). Des essais de lâchers de glossines mâles stériles ont certes permis une réduction des populations de glossines mais demeurent, par leur coût, inapplicables à grande échelle. Enfin, des chimioprophylaxies basées sur l’administration d’insecticides en bain ou en « pour-on » existent mais demeurent économiquement inabordables pour la majorité des éleveurs. Des traitements trypanocides permettent un certain contrôle de la pathologie chez les bovins : l’acéturate de diminazène curatif (Bérénil), le chlorure d’isométamidium préventif et curatif (Trypamidium), etc. Cependant, l’usage excessif et inapproprié de ces deux spécialités ainsi que des phénomènes génétiques spontanés sont à l’origine de l’apparition de résistances trypanosomiennes.

Antigénicité des trypanosomes

Au moins deux types d’antigènes provoquent chez l’hôte définitif une réponse immunitaire conséquente : les antigènes variables de surface ou VSG (Variant Surface Glycoprotein) et les antigènes invariants. Tout d’abord, les VSG sont des glycoprotéines de surface qui présentent une grande variabilité des structures primaires protéiques, notamment au niveau des parties externes. La structure tridimensionnelle montrerait que seule une petite partie de la protéine est exposée à la surface du parasite, la portion amine terminale (4). Les deux tiers de cette portion N-terminale sont très variants, contrairement au tiers de la zone C-terminale, qui, enchâssée dans la membrane cytoplasmique, représente la zone constante. Le rôle de ce manteau pourrait donc être en partie de masquer les antigènes membranaires invariants du trypanosome en présentant des antigènes variables immunodominants aux défenses immunitaires de l’hôte (29). L’infection est ainsi caractérisée par une succession de populations croissantes puis décroissantes, avec des poussées tous les 7 à 10 jours (15). L’hôte produit effectivement des anticorps contre la première population rencontrée mais le temps que la réponse immunitaire de l’hôte soit effective, de nouveaux variants sont apparus et échappent à la lyse.

Ainsi, par ce mécanisme d’échappement à la réponse immunitaire de l’hôte, la parasitémie de l’animal infecté est constituée de successions de vagues séparées par des rémissions où la détection du parasite est difficile. Une population donnée de trypanosomes ayant les mêmes domaines antigéniques forme un sérodème ou VAT (variant antigenic type). Ces composants de l’enveloppe externe du trypanosome ne sont présents que chez les formes infectieuses au niveau de l’hôte définitif (formes métacycliques après piqûre de la mouche puis formes sanguines). Ces glycoprotéines de surface étant la cible principale de l’immunité humorale et les anticorps émis étant protecteurs, des immunisations ont été tentées mais la protection obtenue n’est que très partielle. Des essais de vaccination classique ont échoué face à une infection hétérologue et il est impossible de vacciner contre tous les sérodèmes existants d’une région donnée (4). Ainsi, il n’y a guère de chance pour qu’un vaccin conventionnel, anti-infectieux, puisse être mis au point dans un proche avenir. Par ailleurs, d’autres composants du parasite induisent naturellement une réponse immune au cours d’une infection. Des protéines du cytosquelette ainsi que certaines molécules du métabolisme parasitaire (enzymes, récepteurs,…) ont été identifiées comme participant à la réponse immune.

Certains constituants protéiques localisés au niveau de la poche flagellaire du protozoaire semblent ainsi être impliqués dans les phénomènes immunologiques et constituent une voie de recherche actuelle (31). Enfin, une autre catégorie d’antigènes invariants suscite un intérêt récent par leur implication dans les phénomènes pathologiques observés. Les trypanosomes africains relâchent effectivement dans le milieu vasculaire certains de leurs composants (protéines de structure, produits du métabolisme) de leur vivant ou lors des accès trypanolytiques. Certains d’entre eux ont des effets toxiques sur l’organisme animal et contribuent à la gravité du tableau clinique. Ces facteurs invariants des trypanosomes ayant un contact répété et fréquent avec le système immunitaire de l’hôte, il est apparu intéressant d’essayer de protéger les individus en améliorant le blocage de l’activité de ces toxines par une réponse immunitaire adaptée. Un nouveau concept est alors apparu : celui du vaccin « anti-maladie » par opposition aux vaccins traditionnels « anti-agents pathogènes ». Les difficultés de la lutte anti-vectorielle, l’apparition et la progression rapide des résistances aux médicaments et l’échec des essais de vaccination conventionnelle ont réorienté les recherches vers l’étude de la capacité relative de certains animaux à limiter le développement de parasites et leurs effets pathologiques : la trypanotolérance (14).

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Table des matières

Introduction
I.Quelques généralités sur les trypanosomoses et la trypanotolérance associée
1.1 Généralités sur les trypanosomoses
1.1.1 Trypanosomes et leurs pathologies associées
1.1.2 Cycle parasitaire des trypanosomes
1.1.3 Trypanosomoses et tableaux cliniques et lésionnels associés
1.1.4 Physiopathologie des trypanosomoses
1.1.5 Méthodes de lutte contre les trypanosomoses
1.2 Antigénicité des trypanosomes
1.3 A propos de la trypanotolérance
1.3.1 Races concernées
1.3.2 Caractérisation du bétail trypanotolérant
1.3.3 Recherche de marqueurs de la trypanotolérance
1.4 Mécanismes non immunologiques de la trypanotolérance
1.4.1 Etat physiologique et adaptation
1.4.2 Le contact hôte-parasite
1.4.3 Implication possible de facteurs sériques trypanolytiques
1.4.4 Intervention hypothétique de facteurs agissant sur le pléomorphisme des formes parasitaire
II..Immunité et trypanosomes
2.1 La réaction cutanée
2.2 Immunité humorale
2.2.1 L’hypergammaglobulinémie
2.2.2 Immunité humorale comparée des bovins trypanosensibles et trypanotolérants
2.3 Immunité cellulaire
2.4 Hypocomplémentémie
2.4.1 Rôle du complément dans la trypanosomose
2.4.2 Hypocomplémentémie et ses causes possibles
2.4.3 Hypocomplémentémie et trypanotolérance
2.5 Immunosuppression
III. Quelques orientations de recherche axées sur la lutte anti-maladie
3.1 Réponse humorale d’animaux trypanotolérants et trypanosensibles face aux antigènes invariants des trypanosomes
3.2 Identification des antigènes invariants majeurs des trypanosomes
3.2.1 Antigène 23 kD
3.2.2 Antigène 69 kD
3.2.3 Antigène 33 kD
3.3 Identification de la congopaïne et essais d’immunisation
3.3.1 Identification de la congopaïne
3.3.2 Essais d’immunisation avec deux formes de cystéines protéase
Conclusion
Bibliographie

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