Le cancer désigne un ensemble de tumeurs malignes constituées de tissus néoformés caractérisés par une prolifération cellulaire incontrôlée. Ils peuvent apparaitre dans différentes parties de l’organisme comme les tissus, organes ou cellules associées à ces tissus [69]. La transformation d’une cellule normale en cellule tumorale est un processus passant par plusieurs étapes et dépend de facteurs génétiques propres au sujet mais aussi d’agents extérieurs physiques, chimiques et biologiques [114]. Les cancers figurent parmi les principales causes de morbidité et de mortalité dans le monde. En 2014, on comptait approximativement 14 millions de nouveaux cas et 8,2 millions de décès liés à ces maladies [54]. Et selon certaines estimations, le nombre de nouveaux cas devrait augmenter de 70% environ au cours des deux prochaines décennies [73]. Selon l’OMS, les 5 types de cancers les plus couramment diagnostiqués chez l’homme sont les cancers du poumon, de la prostate, du côlon et du rectum, de l’estomac et du foie ; et chez la femme, ce sont les cancers du sein, du côlon et du rectum, du col de l’utérus et de l’estomac sont les plus fréquents [84]. Le contrôle physiologique des cancers obéit au concept dit d’immunosurveillance qui correspond à une surveillance continue par le système immunitaire des différentes modifications cellulaires de notre organisme [107]. Certains patients atteints de cancer développent spontanément une réponse immunitaire anti-tumorale robuste contre des antigènes tumoraux ; cependant, elle ne parvient pas toujours à contrôler la maladie. Cette réponse est, dans certains cas, mise au profit pour produire des médicaments contre les cancers. L’immunothérapie est donc une approche visant à améliorer ou à détourner la réponse du système immunitaire dont les actions effectrices sont insuffisantes pour éliminer la tumeur. Ainsi, en plus de l’arsenal thérapeutique classique, les avancées déjà réalisées et les nouvelles investigations permettront d’élargir les possibilités de prise en charges des cancers [107]. Nous nous proposons dans ce travail de faire le point sur les traitements immunothérapeutiques contre les cancers décrits dans la littérature, en mettant l’accent sur les nouvelles avancées qui ont conduit à des formulations plus efficaces et plus adaptées, mais aussi sur les contraintes et défis liés à l’immunothérapie contre les cancers. Pour ce faire, nous procèderons à un rappel sur les cancers et les réponses immunitaires effectrices qui les caractérisent, ce qui nous permettra de décrire les différentes approches utilisées pour le développement des thérapies contre les cancers. Cette revue des approches d’immunothérapies a tout son sens du fait des problèmes de sécurité et d’efficacité des traitements classiques rencontrés dans la pratique quotidienne. Les avantages liés à l’immunothérapie pourraient inciter les autorités sanitaires à explorer les possibilités d’introduire ce type de traitement pour une meilleure prise en charge des cancers.
Généralités sur les cancers
Définition
Le cancer désigne un ensemble de maladies caractérisées par une prolifération illimitée de cellules capables d’échapper à une mort cellulaire programmée (appelée apoptose), entrainant ainsi la formation d’une population de cellules anormales pouvant se disperser dans l’ensemble de l’organisme [69]. Ces maladies apparaissent dans différentes parties du corps humain: tissus, organes ou cellules associées à ces tissus. Il existe donc différents types de cancer avec des évolutions distinctes et diverses.
Historique du cancer
Les cancers sont des maladies connues depuis très longtemps. En effet, des tumeurs osseuses sur les squelettes d’animaux préhistoriques ont été mises en évidence chez un guerrier du moyen âge (Münsingen en suisse). Hippocrate, le père de la médecine moderne, fut le créateur du terme carcinoma mais c’est au 18e siècle, grâce à la convergence des recherches, des pratiques et de différents savoirs que s’est structurée peu à peu l’idée que le cancer est une maladie locale. Ainsi en 1775, le chirurgien anglais Percival Pott énonça la relation entre le travail des ramoneurs et le cancer du scrotum [41]. Au 19e siècle, les travaux de Laennec, Cruveilhier et Claude-Anthelme Recamier introduisirent la notion de métastase. L’emploi du microscope constitue un tournant décisif dans la recherche sur le cancer. En effet, il permit, à partir des données de plus en plus précises de l’anatomie pathologique, de construire la théorie cellulaire. Après avoir été décrit comme une maladie de l’organisme puis du tissu, le cancer, maladie de la cellule et du noyau cellulaire est finalement retenue. C’est enfin grâce à la découverte des rayons X en 1895 et de la radioactivité en 1898 que l’image moderne du cancer fut décrite [51].
Physiopathologie des cancers
Rappel du cycle cellulaire normal
Le cycle cellulaire se déroule en plusieurs phases. Durant la première phase dite G1, les protéines sont synthétisées et la cellule croit et devient plus large. Cependant, la durée de cette phase peut varier en fonction de la nature de la cellule car elle englobe une phase de repos dite phase G0 [69]. Lorsque la cellule atteint une certaine taille, elle entre dans la deuxième phase (phase S), dans laquelle débute la synthèse de l’ADN. La cellule duplique son matériel héréditaire (réplication de l’ADN) et une copie de chacun de ses chromosomes est effectuée [57]. Durant la phase suivante (phase G2), la cellule contrôle la réplication de l’ADN (réparation post réplicative) et prépare la division cellulaire. Les chromosomes sont séparés (phase M pour mitose) et la cellule se divise en deux cellules filles. A travers ce mécanisme, les deux cellules sont dotées des mêmes chromosomes que ceux de la cellule mère. Après division, les cellules retournent en phase G1 et le cycle cellulaire est bouclé .
Formation des cellules cancéreuses
Les cellules normales fonctionnent entre elles de manière synchrone et se rassemblent pour former des tissus bien différenciés qui formeront eux-mêmes les organes du corps. La maladie cancéreuse apparait lorsqu’une partie des cellules normales commence à se transformer et à se diviser de façon anarchique pour devenir maligne ou bénigne .
Si les mécanismes de défense de l’organisme ne sont pas capables de détruire ces cellules défectueuses, leur nombre continue d’augmenter pour former tout d’abord une tumeur bien délimitée. Avec le temps, la tumeur va envahir les tissus voisins et les détruire progressivement. Les cellules cancéreuses peuvent également utiliser la voie lymphatique ou sanguine pour atteindre des régions du corps très éloignées de leur point de départ, ou elles formeront de nouvelles tumeurs appelées métastases [36].
Lors de la survenue d’un cancer, il existe trois étapes essentielles indépendantes : l’initiation, la promotion et la progression tumorale. La cancérogenèse s’accompagne de la mise en place d’autres processus biologiques tels que l’angiogenèse, l’échappement tumoral et la diffusion de cellules malignes, expliquant souvent le processus de la genèse d’un cancer .
L’initiation tumorale
L’initiation est l’étape au cours de laquelle une cellule donnée acquiert une anomalie génétique définitive. Parmi les agents initiateurs, on peut citer les virus, les substances chimiques et les rayonnements. Une cellule « initiée » n’a pas acquis d’autonomie de croissance mais transmet à sa descendance la mutation génétique irréversible résultant de l’initiation. Les dommages créés au sein d’une cellule «initiée» peuvent passer inaperçus si d’autres évènements génétiques n’ont pas lieu pour stimuler la progression tumorale. A ce stade les cellules en prolifération gardent les caractères de spécificité des tissus dont elles sont originaires [114].
La promotion tumorale
Elle correspond à la prolifération clonale des cellules « initiées » aboutissant à des amas cellulaires ou tumeurs bénignes. Suite à la stimulation par des promoteurs tumoraux n’ayant en général pas d’action directe sur l’ADN (hormones, inflammation chronique, facteurs de croissance …..), ces cellules prolifèrent activement dans le tissu d’origine mais perdent leurs caractéristiques de cellules différenciées .
Progression tumorale
❖ Anomalie à l’origine des cancers
La cellule cancéreuse met en œuvre des mécanismes qui s’organisent de manière apparemment séquentielle et précise pour pouvoir réussir son implantation, son développement et sa progression. Pour que se développe un cancer, il est désormais admis qu’il faut que des modifications surviennent au niveau de l’ADN d’une seule et même cellule que ce soit par mutations ou par réarrangements chromosomiques inadéquats. Ces modifications génétiques peuvent être spontanées ou induites par des déclencheurs d’origine externe ; elles peuvent dans la plupart des cas, faire l’objet de réparation.
Les altérations géniques responsables du développement d’un cancer affectent principalement les gènes impliqués dans la progression du cycle cellulaire, les phénomènes d’adhérence cellulaire, ainsi que les processus de réparation des lésions de l’ADN. La cellule cancéreuse acquiert alors certaines propriétés lui conférant sa malignité. Si elles ne sont pas détectées ou réparées par le système de surveillance et de réparation de l’organisme, ces altérations génétiques seront responsables de la prolifération anarchique des cellules cancéreuses.
❖ Implantation de la maladie
La progression tumorale résulte d’une ou de plusieurs mutations supplémentaires qui transforment les tumeurs bénignes en tumeurs malignes. Une tumeur peut croitre au sein de l’hôte jusqu’à un certain seuil (au-delà de 1mm3 ) sans être menacée d’asphyxie et de nécrose. Pour exécuter leur programme invasif, les tumeurs développent des stratégies complexes et efficaces pour modifier, à leur profit, les tissus sains de l’hôte dans lesquels elles se nichent. Il se forme ainsi autour d’elles un cocon interactif et protecteur appelé stroma, contenant principalement des cellules endothéliales, fibrocytaires et inflammatoires. Le stroma fait partie de la masse tumorale et concourt à donner à la tumeur sa forme macroscopique et microscopique. La mini-tumeur produit des substances susceptibles de diffuser à travers le stroma jusqu’à la rencontre d’un vaisseau sanguin de tissu adjacent ; il se produit alors une néo-angiogenèse [104].
La néo-angiogenèse tumorale correspond à la formation de nouveaux vaisseaux destinés à la vascularisation de la tumeur à partir de vaisseau préexistants; ces nouveaux vaisseaux vont permettre l’apport nécessaire en nutriments et en oxygène pour le développement de la tumeur, mais également le passage de cellules malignes dans la circulation sanguine (métastases).
L’angiogenèse est un processus clef de la croissance, de la survie et de la dissémination tumorale. Les cellules tumorales deviennent alors capables d’envahir les tissus environnants et d’établir des métastases dans les organes éloignés de la tumeur primaire (Figure 5). Les métastases étant des foyers cancéreux secondaires développés à distance de la tumeur primitive et dont la croissance est autonome (indépendante de celle de la tumeur primitive). Ce dernier stade d’évolution est dit stade de « cancer invasif » [106].
Épidémiologie des cancers
Les cancers figurent parmi les principales causes de morbidité et de mortalité dans le monde; en 2012, on comptait approximativement 14 millions de nouveaux cas et 8,2 millions de décès liés à la maladie. Selon certaines estimations, le nombre de nouveaux cas devrait augmenter de 70% environ au cours des deux prochaines décennies [54]. Chez l’homme, les 5 types de cancer les plus couramment diagnostiqués sont le cancer du poumon, de la prostate, du côlon et du rectum, de l’estomac et du foie. Et chez la femme, les 5 types de cancer les plus couramment diagnostiqués en 2012 étaient le cancer du sein, du côlon et du rectum, du col de l’utérus et de l’estomac [55].
Environ 30% des décès par cancer sont dus aux cinq principaux facteurs de risque comportementaux et alimentaires [74]:
❖un indice élevé de masse corporelle ;
❖une faible consommation de fruits et légumes ;
❖le manque d’exercice physique ;
❖le tabagisme ;
❖la consommation d’alcool.
Le tabagisme est le facteur de risque le plus important, entraînant environ 20% de la mortalité par cancer dans le monde et près de 70% des décès par cancer du poumon. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, on impute jusqu’à 20% des décès par cancer à des infections virales, notamment par le virus de l’hépatite B, C ou le papillomavirus humain (HPV) [55].
Plus de 60% des nouveaux cas de cancer surviennent en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et Amérique latine. Ces régions représentent 70% des décès par cancer dans le monde. On estime que le nombre de cas de cancer par an devrait augmenter de 14 millions en 2012 à 22 millions au cours des deux prochaines décennies [55].
Les principaux types de cancer sont les suivants:
➨cancer du poumon : 1,59 million de décès ;
➨cancer du foie : 745 000 décès ;
➨cancer de l’estomac : 723 000 décès ;
➨cancer colorectal : 694 000 décès ;
➨cancer du sein : 521 000 décès ;
➨cancer de l’œsophage : 400 000 décès.
Causes et facteurs de risques des cancers
Causes des cancers
Dans la survenue des cancers, il y a classiquement une évolution vers une lésion précancéreuse puis vers une tumeur maligne. Ces modifications proviennent des interactions entre les facteurs génétiques propres au sujet et des agents extérieurs pouvant être classés en trois catégories [85]:
➨les cancérogènes physiques : généralement causés par les rayonnements ultraviolets et les radiations ionisantes;
➨les cancérogènes chimiques : induits par l’amiante, les composants de la fumée du tabac, l’aflatoxine (contaminant des denrées alimentaires) ou l’arsenic (polluant de l’eau de boisson);
➨les cancérogènes biologiques : ils sont associés à des infections dues à certains virus, bactéries ou parasites.
Le vieillissement est un autre facteur fondamental dans l’apparition des cancers. On note en effet une augmentation spectaculaire de l’incidence avec l’âge, très vraisemblablement due à l’accumulation des risques de cancers spécifiques tout au long de la vie, conjuguée au fait que les mécanismes de réparation tendant généralement à perdre de leur efficacité avec l’âge [74].
|
Table des matières
Introduction
I. Généralités sur les cancers
I.1. Définition
I.2. Historique du cancer
I.3. Physiopathologie des cancers
I.3.1. Rappel du cycle cellulaire normal
I.3.2. Formation des cellules cancéreuses
I.3.3. Evolution du cancer
I.3.3.1. L’initiation tumorale
I.3.3.2. La promotion tumorale
I.3.3.3. Progression tumorale
I.4. Épidémiologie des cancers
I.5. Causes et facteurs de risque des cancers
I.5.1. Causes des cancers
I.5.2. Facteurs de risque des cancers
I.6. Stratégies de lutte contre les cancers
I.6.1. Stratégies de réduction de la charge des cancers
I.6.2. Lutte contre les facteurs de risque
I.6.3. Diagnostic précoce
I.7. Dépistage des cancers
I.8. Traitement des cancers
I.8.1. La chirurgie
I.8.2. La radiothérapie ou curiethérapie
I.8.3. La chimiothérapie
I.8.4. L’hormonothérapie
I.8.5. L’immunothérapie
I.9. Potentiel de guérison pour certains cancers
II. Généralités sur l’immunité anti-tumorale
II.1. Antigènes et marqueurs des tumeurs
II.1.1. Détection d’antigènes tumoraux
II.1.1.1. Approche génomique
II.1.1.2. Approche biochimique
II.1.1.3. Approche par immunologie inverse
II.1.2 Nature des antigènes des tumeurs
II.1.2.1. Les antigènes «spécifiques» de tumeurs
II.1.2.2. Les antigènes de différenciation
II.1.2.3. Les antigènes exprimés par les cellules tumorales
II.1.2.4. Les antigènes tumoraux résultant d’une surexpression génique
II.1.2.5. Les antigènes dérivés d’agents pathogènes
II.2. Concept de l’immunosurveillance antitumorale
II.2.1. Concept de l’immunosurveillance chez le modèle animal
I.2.1.1. Phase d’élimination
II.2.1.2. Phase d’équilibre
II.2.1.3. Phase d’échappement
II.2.2. Concept de l’immunosurveillance chez l’homme
II.3. Effecteurs de la réponse immunitaire antitumorale
II.3.1. Les effecteurs non spécifiques de la réponse anti-tumorale
II.3.1.1. Les cellules Natural Killer
II.3.1.2. Lymphocytes NKT
II.3.1.3. Polynucléaires et monocytes/macrophages
II.3.1.4. Le complément
II.3.2. Les effecteurs spécifiques de la réponse antitumorale
II.3.2.1. Réponse immunitaire à médiation cellulaire
II.3.2.1.1. Les cellules T auxiliaires
II.3.2.1.2. Rôle des lymphocytes T cytotoxiques
II.3.2.2. Réponse immunitaire adaptative humorale
II.4. Échappement des tumeurs à la réponse immunitaire
III. Immunothérapie contre les cancers
III.1. Définition
III.2. Historique
III.3. Bases immunologiques de l’immunothérapie des cancers
III.4. Stratégies de traitement des cancers
III.4.1. Les cytokines (ou immunostimulants)
III.4.1.1. Les interférons-alpha- (IFN-α)
III.4.1.2. L’interleukine-2 (IL-2)
III.4.2. Anticorps monoclonaux
III.4.2.1. Mécanismes d’action des anticorps monoclonaux
III.4.2.2. La radio-immunothérapie
III.4.2.3. La chimio-immunothérapie
III.4.2.4. La toxi-immunothérapie
III.4.2.5. Enzymo-immunothérapie (ADEPT)
III.4.3. Les immunomodulateurs ou Checkpoints immunologiques
III.4.3.1. Les anticorps anti CTLA-4
III.4.3.2. Blocage de la voie PD-1/PD-L1
III.4.4. Les vaccins anticancéreux
III.4.4.1 Les vaccins préventifs
III.4.4.2 Vaccins thérapeutiques
III.4.4.2.1. Les vaccins peptidiques
III.4.4.2.2. Vaccins analogues de la cellule tumorale
III.4.4.2.3. Vaccins thérapie-géniques
III.2.4.2.4. Vaccins à anticorps idiotypiques
III.2.4.2.5. Vaccins à base de cellules dendritiques
III.2.4.2.5.1 le DCVax prostatique
III.2.4.2.5.2 le DCVax-Brain
III.2.4.2.5.3 Sipuleucel-T
III.2.4.2.6. Thérapie cellulaire adoptive
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Références bibliographiques