Physiopathologie de l’atteinte pulmonaire au cours du SDRA
À la suite d’une agression pulmonaire telle qu’une pneumonie infectieuse, le parenchyme va développer une réponse en trois phases. La première phase, appelée phase exsudative, est constituée d’une réponse immunitaire cellulaire de l’endothélium alvéolaire et de la barrière alvéolo-capillaire, entrainant une augmentation de la perméabilité capillaire. En conséquence, un œdème lésionnel riche en protéine remplit l’espace alvéolaire et l’interstitium, limitant ou empêchant les échanges gazeux. Les macrophages alvéolaires vont sécrétés différents types de molécules pro-inflammatoires, pérennisant ce mécanisme. La seconde phase, dite proliférative, débute par la réparation de l’épithélium et permet la réabsorption de l’œdème lésionnel. Enfin, la 3ème phase, inconstante et associée à une durée de ventilation mécanique prolongée, est pro-fibrotique et entraine une réépitélialisation inadéquate et une fibrose alvéolaire et interstitielle (19,20).
Les conséquences macroscopiques de cette réponse inflammatoire sont l’association de régions pulmonaires relativement aérées avec des zones non ventilées et collabées, préférentiellement dans les régions déclives, dites « dépendantes » (21). Ainsi, les patients présentant un SDRA disposent d’un parenchyme pulmonaire particulièrement hétérogène dont la part fonctionnelle est restreinte comparativement à des sujets sains. Cette quantité de poumon fonctionnel varie de 200g à 500g (parfois moins), ce qui est comparable au parenchyme pulmonaire d’un enfant de 5 ans (cette description est appelée « baby lung ») (22). Le collapsus pulmonaire des régions dorsales induit une redistribution du VT dans les régions ventrales, tandis que la perfusion pulmonaire reste préférentielle dans les régions déclives. Cette discordance a pour conséquence une diminution du rapport ventilation/perfusion et l’apparition d’un shunt.
A ces lésions vont se surajoutées les conséquences de la ventilation mécanique à l’origine du VILI. Il s’explique par plusieurs mécanismes (7,23). En premier lieu, l’inhomogénéité pulmonaire entraine une répartition du VT dans les zones non dépendantes. Cette augmentation de volume est responsable d’une surdistension alvéolaire conduisant au « volotrauma ». Il se caractérise par des lésions épithéliales, une déplétion en surfactant, une fibroprolifération et l’apparition œdème alvéolaire. Associée à ce mécanisme, la diminution de la compliance pulmonaire engendrée par le SDRA conduit à une augmentation de la pression alvéolaire, potentiellement responsable de « barotrauma » (8,24). Celle-ci peut être responsable de pneumothorax, pneumomediastin et/ou emphysème sous-cutané. A contrario, les zones dépendantes sont le siège d’un collapsus pulmonaire lui-même délétère : ces zones collabées entretiennent une réponse inflammatoire locale avec œdème alvéolaire, déplétion en surfactant et dysfonction épithéliale, favorisés par l’hypoxie régionale (25,26). Entre les zones dépendantes et les zones non-dépendantes se trouvent des régions pulmonaires collabées à l’expiration car la pression alvéolaire est inférieure à la pression nécessaire à leur ouverture, et qui vont s’ouvrir au fil de l’inspiration, avec l’augmentation de la pression alvéolaire. Ce phénomène, appelé ouverture/fermeture cyclique, participe lui aussi au développement de processus inflammatoires. Ainsi, ces différents mécanismes vont être à l’origine de relargage de médiateurs pro-inflammatoires (27), soit directement par les lésions cellulaires, soit indirectement par activation de cellules inflammatoires (28). Ces médiateurs sont eux-mêmes pathogènes par la pérennisation des lésions inflammatoires et/ou le processus pro-fibrotique qu’ils déclenchent (29). Ils ont en parallèle une diffusion générale favorisant la défaillance multi-viscérale parfois observée (30). Enfin, la ventilation mécanique présente aussi un effet délétère sur les muscles respiratoires, en particulier le diaphragme. Schématiquement, cet effet peut passer par trois mécanismes distincts. Une sur-assistance ventilatoire sera à l’origine d’une atrophie musculaire et de lésions myofribrillaires, une sous-assistance entrainera des perturbations sarcomériques, enfin une dysharmonie patient-ventilateur causera une contraction excentrique du diaphragme néfaste (31). Ces lésions sont d’autant plus marquées que le SDRA est sévère, en particulier pour les formes nécessitant une ECMO-VV où la taille du poumon fonctionnel est extrêmement réduite. En d’autres termes plus le volume du baby-lung est réduit, plus le risque d’une ventilation mécanique délétère est important.
Prise en charge ventilatoire protectrice des malades présentant un SDRA
Les réglages de la ventilation mécanique chez ces patients ont pour but d’offrir le meilleur compromis entre le collapsus généré par l’œdème pulmonaire lésionnel et la surdistension du poumon fonctionnel résiduel. En l’absence d’ECMO-VV, la ventilation mécanique doit assurer en premier lieu les échanges gazeux. La présence d’une ECMO-VV associée à un gros débit permet de s’affranchir de cette contrainte en octroyant à la ventilation mécanique uniquement la responsabilité de limiter l’extension des lésions inflammatoires.
Sélection du volume courant
L’amélioration des connaissances sur la physiopathologie du SDRA et du VILI des deux dernières décennies a permis d’améliorer la prise en charge ventilatoire de ces patients. Ainsi, l’utilisation de VT élevé a clairement été associée à une surmortalité, conduisant à la réduction de celui-ci à 6ml/Kg (32). L’essai randomisé XTRAVENT suggère qu’une réduction du VT à environ 3 ml/Kg serait associée à plus de jours vivant sans ventilation mécanique à J28 et J60 chez les patients les plus graves. Ce critère de jugement principal était en effet non significatif dans la population totale de patients ayant un SDRA de diverse gravité et était significativement différent dans une analyse secondaire chez les patients ayant un PaO2/FiO2 <150 (33). Atteindre ces objectifs n’est réalisable qu’avec la mise en place d’un épurateur de CO2 ou par la présence d’une ECMO-VV afin de limiter l’hypercapnie générée par l’hypoventilation alvéolaire de cette stratégie ventilatoire.
Contrôle des pressions intra-thoraciques
Associé à cette diminution du VT, le contrôle de la pression de plateau (PP) est un des principaux objectifs de la ventilation protectrice. Les études cliniques suggèrent en effet que l’augmentation de la PP est corrélée avec la mortalité (34). Il n’existe pas de « seuil » de sécurité pour la PP, mais les recommandations actuelles sont en faveur d’une limite supérieure à 30cmH2O (4).
La gestion de la PEEP est quant à elle plus controversée et délicate. Elle doit offrir le meilleur compromis entre l’atelectrauma secondaire au collapsus télé expiratoire induit par une PEEP trop faible, et la surdistension secondaire à l’utilisation d’une PEEP trop élevée. Bien qu’une meta-analyse suggère une amélioration de la survie en cas d’utilisation de PEEP plus élevée pour les SDRA sévères (35), la gestion de la PEEP au quotidien reste sujet à controverses. Cette question reste une thématique importante dans la recherche en ventilation mécanique. Les principaux essais randomisés comparant différentes stratégies de sélection de la PEEP n’ont pu mettre en évidence de bénéfice clinique, malgré parfois l’utilisation de stratégies d’individualisation de celle-ci à chaque patient (36–40). Bien que l’hétérogénéité des lésions pulmonaires entre chaque patient plaide en faveur de cette individualisation, les outils manquent encore pour démontrer un bénéfice clinique au cours d’essais randomisés.
Impact du décubitus ventral
En parallèle de ces procédures dont l’objectif premier est de limiter le VILI, le décubitus ventral fait partie des traitements de premières lignes du SDRA sévère (4). Bien que la réponse gazométrique des patients soit très variable, cette procédure est associée à une diminution de la mortalité (41,42). Le bénéfice associé au décubitus ventral peut être expliqué par l’homogénéisation de la ventilation associant un recrutement des régions dorsales et une diminution de la surdistension des régions ventrales (43,44), ainsi qu’une diminution du phénomène d’ouverture/fermeture cyclique, permettant d’apporter une protection supplémentaire au patient contre le VILI (45).
Spécificités des patients assistés par ECMO-VV
Une faible proportion de patients présentant un SDRA sévère va nécessiter une ECMOVV, en raison de lésions pulmonaires inflammatoires étendues et d’un échec des stratégies dites « conventionnelles » de prise en charge du SDRA sévère. Les échanges gazeux étant pris en charge par l’ECMO-VV, les objectifs de la ventilation mécanique chez ces patients diffèrent de ceux n’ayant pas recours à ce type d’assistance En conséquence, leur prise en charge ventilatoire a des spécificités propres.
Gestion du VT et de la pression motrice
En assurant la quasi-totalité des échanges gazeux, l’ECMO permet de limiter au maximum l’impact négatif de la ventilation mécanique. L’application d’une « ventilation ultraprotectrice », ayant pour objectif une réduction de la puissance mécanique délivrée par le ventilateur va être appliquée dans ce contexte. Les principaux déterminants de la puissance mécanique délivrée par la ventilation sont la fréquence respiratoire, le VT, le débit, la PEEP et la pression motrice (46–48). Le contrôle de la pression motrice est un des principaux objectifs sous ECMO. Il est en effet crucial car elle a été identifiée comme un facteur indépendant associé à la mortalité lorsque celle-ci dépasse 14cmH2O dans une meta-analyse sur 545 patients (49). La contrepartie d’une réduction de la pression motrice est la réduction du VT associée à celleci. La sévérité de l’atteinte pulmonaire, et donc la forte diminution de la compliance pulmonaire chez ces patients les plus graves, justifie cette diminution du VT car elle pourrait permettre de limiter les lésions pulmonaires engendrées par la ventilation (50). Une étude physiologique réalisée sur un modèle porcin de SDRA a mis en évidence une diminution des marqueurs anatomopathologiques d’inflammation et de fibrose pulmonaire en cas de ventilation proche de l’apnée (pression motrice réglée à 10cmH2O, fréquence respiratoire réglée à 5/min) (51). Les données animales se confirment par l’identification d’une diminution des marqueurs inflammatoires sanguins (52) ou alvéolaires (53) parallèlement à la réduction de la pression motrice chez ces patients sous ECMO. Cette réduction du VT sous ECMO est constante dans les essais randomisés EOLIA et CESAR ainsi que dans de larges cohortes internationales. Les VT ainsi réglés sont fréquemment <4ml/kg de poids idéal théorique (6,15,54,55). La diminution du VT associée au contrôle de la pression motrice s’associe avec une réduction de la PP. Ainsi, la ventilation ultra-protectrice des malades assistés par ECMO-VV passe par la diminution du VT, de la PP, et donc in fine de la pression motrice, ce qui s’associe avec une diminution des marqueurs biologiques alvéolaires et sanguins du VILI. En revanche, il n’existe pas actuellement d’étude randomisée ayant comparée plusieurs stratégies ventilatoires sous ECMOVV.
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Table des matières
Introduction
Synthèse des connaissances
Spécificités du SDRA
Épidémiologie
Physiopathologie de l’atteinte pulmonaire au cours du SDRA
Prise en charge ventilatoire protectrice des malades présentant un SDRA
Sélection du volume courant
Contrôle des pressions intra-thoraciques
Impact du décubitus ventral
Spécificités des patients assistés par ECMO-VV
Gestion du VT et de la pression motrice
Gestion de la PEEP
Le décubitus ventral sous ECMO-VV en cas de SDRA réfractaire
Outils de monitorage de la ventilation mécanique du SDRA en réanimation
Tomodensitométrie thoracique
L’échographie pulmonaire
Principes de la tomographie par impédance électrique
Principe physique
Validation des données recueillies
Evaluation de la variation du volume pulmonaire à partir de la variation d’impédance (∆z)
Outils de description de la ventilation régionale
Evaluation du volume pulmonaire de fin d’expiration
Estimation de la compliance régionale
Visualisation des zones d’ouverture/fermeture cyclique
Estimation de la surdistension et du collapsus
Distribution de la perfusion pulmonaire
Utilisation clinique
Visualisation directe de la ventilation
Contrôle de procédures thérapeutiques
Utilisation de l’EIT en péri-opératoire
Identification de la « PEEP optimale »
Impact sur la ventilation au cours de l’oxygénothérapie à haut débit
Apport de l’EIT dans le suivi des malades non critiques
Monitorage par EIT des patients présentant un SDRA
Limites de l’EIT pour le calcul des volumes pulmonaire de fin d’expiration
Limites de l’EIT induites par l’hétérogénéité cranio-caudale des lésions pulmonaires
Identification du recrutement alvéolaire
Réponse pathologique à la ventilation mécanique spécifique au SDRA
Sélection de la « PEEP optimale »
Résultats des études animales
Impact clinique et gazométrique sur les patients
Apport de l’EIT sur le choix des modes et stratégies ventilatoires
Monitorage du décubitus ventral
Dérecrutement induit par l’aspiration bronchique et le lavage broncho-alvéolaire
Intérêt de l’EIT durant la pandémie secondaire au SARS-Cov 2
Utilisation de l’EIT pour l’analyse ventilatoires du SDRA réfractaire
Position du problème
Hypothèses
Conclusion