Exemple d’application des thérapies « ciblées » en oncologie : IPK et LMC
Physiopathologie de la leucémie myéloïde chronique
La leucémie myéloïde chronique (LMC) est un syndrome myéloprolifératif caractérisé par l’échange de matériel génétique de deux chromosomes (translocation 9-22) aboutissant à la juxtaposition de deux gènes : B-cell receptor (BCR) et protéine ABL, donnant une protéine chimérique de fusion. La synthèse de cette protéine hybride à activité tyrosine-kinase constitutive (BCR-ABL) confère aux cellules atteintes des propriétés de prolifération excessive et un certain degré d’instabilité génétique. Elle se traduit par une production excessive de globules blancs, dont certains restent immatures. Leur accumulation dans la moelle osseuse et le sang perturbe le bon fonctionnement des autres cellules sanguines et entraîne les symptômes de la leucémie myéloïde chronique.
La maladie évolue en trois phases :
● Une phase chronique (PC) durant laquelle les globules blancs sains et les plaquettes conservent leurs fonctions. Le passage dans le sang de globules blancs en excès (parfois immatures) ne donne pas lieu pour l’instant à des symptômes gênants. En l’absence de traitement, l’espérance de vie sans traitement est de 3 à 5 ans ;
● Une phase accélérée (PA) durant laquelle le nombre de globules blancs et de cellules immatures augmentent dans le sang. Les symptômes apparaissent et la maladie devient plus difficile à contrôler. En l’absence de traitement, l’espérance de vie est alors de 6 à 9 mois ;
● Une phase de transformation aiguë blastique (PB) durant laquelle plus d’un tiers des cellules sanguines et de la moelle sont immatures (blastes). La maladie est à un stade avancé et les cellules cancéreuses peuvent former des tumeurs sur les os ou les ganglions lymphatiques. En l’absence de traitement, l’espérance de vie est de 3 à 6 mois [44].
Heureusement, plus de 90% des patients sont diagnostiqués pendant la phase chronique (LMC-PC). La maladie est généralement découverte de façon fortuite, à l’occasion d’un bilan sanguin qui montre une élévation du nombre de globules blancs. Le diagnostic est alors établi à partir de plusieurs examens :
● Une numération formule sanguine.
● Un prélèvement de moelle osseuse (myélogramme).
● Des examens sanguins de biologie moléculaire qui visent à détecter le gène BCRABL, à mesurer la quantité de cellules qui le porte (ce que l’on appelle la «charge BCRABL ») [45].
En dehors d’une exposition aux radiations ionisantes, aucune cause n’a été retrouvée. Il n’existe ainsi pas de facteur héréditaire. C’est la première maladie à avoir été associée à une anomalie chromosomique, le chromosome de Philadelphie. Ce chromosome anormal résulte d’un échange d’un petit morceau de matériel génétique entre les chromosomes 9 et 22, échange donnant naissance à un gène anormal, BCR-ABL, à l’origine de la protéine Bcr-Abl . Cette protéine a une activité tyrosine kinase constitutivement régulée à la hausse et par phosphorylation des substrats, provoque l’activation en aval de diverses voies moléculaires telles que les kinases JAK/STAT, PI3K/AKT, RAS/MEK, mTOR et Src. Celles-ci à leur tour dysrégulent l’adhésion, la prolifération, la transformation et le comportement apoptotique des cellules hématopoïétiques [46]. La protéine BCR-ABL a été décrite comme une structure moléculaire complexe en spirale avec des domaines spatiaux : Src-homologie-2 (SH2) et SH3 qui lient les protéines adaptateurs ; et le domaine kinase qui possède les poches de liaison ATP, substrat et myristate allostérique. Ces différents sites de liaison ainsi que les voies en aval sont des cibles thérapeutiques potentielles pour le développement de médicaments contre la LMC [47,48].
Epidémiologie de la LMC
L’incidence annuelle de la LMC en Europe (calculée à partir des registres de LMC) est estimée aux alentours de 0,7-1,2 pour 100 000 habitants, ce qui représente 15 à 20% des leucémies de l’adulte. L’âge médian au diagnostic est de 57-60 ans et les hommes sont plus touchés que les femmes avec un ratio homme/femme de 1,2-1,7 [2,3,45]. Sa prévalence n’est pas bien connue mais a été estimée aux alentours de 10-12 pour 100 000 habitants avec une augmentation régulière due à l’amélioration de la survie de ces patients [49]. Dans les études récentes basées sur la population, les patients atteints de LMC ont une survie globale comparable à celle de la population générale, bien que la survie relative des patients âgés de plus de 70 ans soit encore réduite [50,51].
En France, une étude menée par Foulon et al (sur les données de registre de Cancer de 6 départements français) a estimé la prévalence de la LMC à 2,5 pour 100 000 habitants avant les années 1980, avec une progression jusqu’à 6 pour 100 000 en 2002. Depuis 2002, cette tendance s’est encore accentuée, pour atteindre des niveaux prévus d’environ 18 et 24 pour 100 000 habitants en 2018 et 2030 respectivement. Elle serait alors de 30 pour 100 000 d’ici 2050 lorsque la progression ralentit. Cette distribution de la prévalence de la LMC est attribuable au vieillissement de la population et à l’amélioration de la survie relative. Le taux d’incidence brut de la LMC y est estimé à 0,95 (IC 95% : 0,90-1) pour 100 000 habitants, et le ratio sexe homme/femme à 1,22 (IC 95% : 1,09-1,35) [52]. Une seconde étude française de Penot et al a étudié la distribution de l’incidence de la LMC en France en se basant sur les données de cinq registres de cancer couvrant la période 1980-2009. L’incidence moyenne de patients de LMC enregistrés en France Métropolitaine était de 751 nouveaux cas par an (92). Ces données correspondant à un taux d’incidence brut de 1,14 pour 100 000 personnesannées. Les taux d’incidence ajustés sur l’âge et standardisés à l’Europe puis au monde étaient respectivement de 1,02 (IC 95% : 0,93-1,11) et 0,81 (0,72-0,90) .
Prise en charge de la leucémie myéloïde chronique : la révolution des thérapies ciblées
Jusqu’aux années 2000, le pronostic de la LMC était défavorable du fait de l’évolution spontanée en 5 à 10 ans, en leucémie aiguë fatale à court terme et particulièrement réfractaire aux traitements. Le seul traitement efficace était l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, mais très peu de patients étaient éligibles et peu d’entre eux avaient un donneur compatible ; enfin, cette procédure était et reste associée à une mortalité importante quelle que soit son indication en hématologie maligne. Les autres traitements n’avaient des effets que transitoires (irradiation splénique, splénectomie) ou uniquement cytoréducteurs (hydroxyurée, busulfan), ou bien présentaient une efficacité modérée et associée à une survenue fréquente d’effets indésirables (interféron alpha, cytarabine, arsenic). A partir des années 2000 ont été mis sur le marché des médicaments ciblant spécifiquement l’activité tyrosine-kinase de la protéine BCR-ABL, les « inhibiteurs de tyrosine-kinase (ITK) ».
● L’imatinib
Le premier apparu sur le marché, le mésylate d’imatinib (code ATC L01XE01) a transformé la LMC d’une maladie constamment mortelle à moyenne échéance en une maladie chronique. L’imatinib se lie à la poche de liaison ATP et stabilise la forme inactive de l’Abl kinase. Il agit comme inhibiteur compétitif de la tyrosine kinase Bcr-Abl qui inhibe la prolifération, rétablit le contrôle du cycle cellulaire, induit l’apoptose et inverse l’instabilité génétique dans les cellules dépendantes de Bcr-Abl in vitro [55]. Grâce aux résultats d’IRIS (International Randomized Study of Interferon and STI571), l’imatinib a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) aux Etats-Unis par la Food and Drug Administration (FDA) en mai 2001 et dans l’Union européenne par l’EMA (European Medicines Agency) en novembre 2001 sous le nom commercial de Glivec® [56]. Selon les recommandations de l’European Society for Medical Oncology (ESMO) publiées en 2005, l’imatinib est devenu le traitement de première ligne standard pour les nouveaux patients atteints de LMC, avec une réponse cytogénétique et moléculaire à surveiller tous les six mois [57]. L’étude IRIS a montré une survie globale (SG) de 89 % à 5 ans dès le début du traitement. Des études européennes et américaines en population ont montré que la survie relative à 5 ans est passée de 20 à 30 % (1989-2001) pendant la période préimatinib à 50 à 90% (2001-2013) pendant la période post-imatinib. Cette amélioration s’est produite dans tous les groupes d’âge, bien que le taux de survie des patients plus âgés ait été moins élevé [51]. En plus de la protéine de fusion BCR-ABL, deux autres cibles de l’imatinib ont été mises en évidence et suivies par d’autres indications : les récepteurs à activité tyrosine kinase Kit et PDGFR[1]. L’imatinib est ainsi indiqué dans plusieurs pathologies dont : le dermatofibrosarcome protuberans (DFS), la tumeur stromale gastro-intestinale (GIST), les syndromes hyperéosinophiles (SHE) avec réarrangement génétique récurrent (PDGFRA ou PDGFRB) et comme tous les autres IPK de la LMC, la leucémie aiguë lymphoblastique primitive à chromosome de Philadelphie (LAL Ph+) [58].
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I – CONTEXTE
I. Définition des protéines kinases
1. Dans le monde du vivant
2. Chez l’homme
II. Les inhibiteurs de protéines kinases
3. Thérapies ciblées : le marché des IPK
4. Familles chimiques des IPK
5. Structure générale des IPK et mécanisme d’action
6. Modalités d’inhibition et sélectivité des IPK
7. Principaux effets indésirables des IPK
III. Exemple d’application des thérapies « ciblées » en oncologie : IPK et LMC
1. Physiopathologie de la leucémie myéloïde chronique
2. Epidémiologie de la LMC
3. Prise en charge de la leucémie myéloïde chronique : la révolution des thérapies ciblées
4. Propriétés pharmacocinétique et pharmacodynamique des IPK « LMC »
5. Définition des Interactions médicamenteuses
PARTIE II – Evaluation des médicaments en vie réelle : Exemples de bases de données
I. Importance des études en vie réelle
II. Les sources de données en vie réelle
1. Exemple de base médico-administrative française
2. Les bases de données de pharmacovigilance
PARTIE III – Travaux réalisés
PREMIERE PARTIE : Epidémiologie de la LMC en France à partir d’une cohorte de patients incidents
1. Rationnel et contexte
2. Article
3. Apport et discussion
4. Valorisation
DEUXIEME PARTIE : Interaction médicamenteuse potentielle avec les IPK chez les patients LMC en France
1. Rationnel et contexte
2. Article
3. Discussion
4. Valorisation
TROISIEME PARTIE : Analyse des interactions médicamenteuses impliquant un inhibiteur de protéine kinase identifiées dans la base mondiale de pharmacovigilance de l’OMS, Vigibase®
1. Rationnel et contexte
2. Matériel et Méthode
3. Résultats
4. Discussion
5. Valorisation
QUATRIEME PARTIE : Profil d’effets indésirables des médicaments inhibiteurs de protéines kinases indiqués dans la leucémie myéloïde chronique à partir des données de pharmacovigilance française
1. Rationnel et contexte
2. Matériel et méthode
3. Résultats
4. Discussion
PARTIE IV – DISCUSSION GENERALE
SYNTHESE DES PRINCIPAUX RESULTATS
1. Données épidémiologiques de la LMC en France à partir d’une cohorte de patients incidents
2. Interactions médicamenteuses potentielles avec les IPK chez les patients LMC en France
3. Profil d’effets indésirables liés aux interactions médicamenteuses impliquant un inhibiteur de protéine kinase indiqué dans la LMC à partir des données de la base mondiale de pharmacovigilance de l’OMS, Vigibase®
4. Profil d’effets indésirables liés aux interactions médicamenteuses impliquant un inhibiteur de protéine kinase indiqué dans la LMC à partir des données de la base française de pharmacovigilance (BNPV)
Apports et mise en perspective des résultats
1. Confirmation des données existantes
2. Apport de nouvelles connaissances
3. Aspects méthodologiques
4. Questions émergentes
PARTIE V – CONCLUSION GENERALE