RAPPELS SUR LA DREPANOCYTOSE
GENERALITES
Définitions
La drépanocytose est une anémie hémolytique corpusculaire constitutionnelle de transmission autosomique récessive, due à une anomalie qualitative de l’hémoglobine. Elle est secondaire à une mutation au niveau du gène codant pour la β-globine sur le chromosome 11 [94]. Cette mutation modifie le sixième codon [GAA] qui devient [GTA], entrainant la formation de l’hémoglobine S dont la polymérisation lors des situations d’hypoxie est responsable des manifestations vaso-occlusives et de l’anémie. Les syndromes drépanocytaires majeurs constituent l’ensemble des formes sévères responsables des manifestations cliniques de la maladie. Il en existe plusieurs types dont la drépanocytose homozygote SS et les hétérozygoties composites qui se définissent par l’association de l’HbS à l’état hétérozygote avec une seconde hémoglobinopathie [64]. Cette dernière peut être une anomalie qualitative ou quantitative de l’hémoglobine. Dans le premier cas, la seconde hémoglobinopathie est une substitution de l’acide glutamique (Glu) en position 6 de la chaine β-globine par la lysine (Lys) donnant la forme SC, une substitution de l’acide glutamique (Glu) en position 121 de la chaine β-globine par la glutamine (Gln) à l’origine de la forme SD-Punjab ou une substitution de l’acide glutamique (Glu) en position 121 de la chaine β-globine par la lysine (Lys) constituant la forme S/O-arab. Dans le second cas, l’anomalie associée est soit un déficit partiel en chaine alpha de la globine donnant la forme S-alpha thalassémie, soit un déficit partiel ou total en chaine béta de la globine donnant respectivement les formes S-béta+thalassémie ou S-béta 0 thalassémie [10]. Les sujets hétérozygotes simples sont en règle asymptomatiques. Ils sont dits porteurs sains de la drépanocytose ou porteurs du trait drépanocytaire.
Historique de la drépanocytose
Depuis sa description pour la première fois en 1910 par le Dr Herrick, les nombreuses découvertes et avancées techniques ont permis de poser le diagnostic de la drépanocytose avec précision et d’améliorer la prise en charge. En 1917, Emmel mit en évidence la falciformation in vitro des GR chez un parent de patient drépanocytaire et évoque le caractère familial. En 1924, Sydenstricker VP démontra que l’hémolyse, au cours de la drépanocytose, est responsable de l’anémie, l’ictère et de la lithiase biliaire ; de même, Graham expliquait que les phénomènes vaso-occlusifs étaient à la base de l’ischémie tissulaire. En 1927, Hahn et Gillespie puis Harris (en 1956) montrèrent le rôle de la désoxygénation dans la pathologie des globules rouges. En 1948, Watson J et al identifièrent les effets bénéfiques des fortes concentrations d’hémoglobine fœtale chez les enfants drépanocytaires. En 1949, Pauling et Itano constatèrent une différence de migration électrophorétique entre l’Hb normale (HbA) et l’Hb drépanocytaire. En 1951, Perutz MF et al identifièrent le mécanisme moléculaire primaire à savoir la polymérisation de l’HbS désoxygénée. En 1957, Ingram analysa la lésion moléculaire au niveau de l’Hb, conclu que comparé à son homologue normal, l’HbS comportait une anomalie dans l’ordre d’enchaînement des acides aminés constitutifs : à la place attendue d’un acide glutamique était retrouvé un résidu valine. En 1960, il fut démontré que cette substitution résulte de la mutation au niveau du triplet ADN codant guanine-adénine guanine (G-A-G) en guaninethymine-guanine (G-T-G).
Dans les années 1980, John AB et al ainsi que Gaston MH et al mirent en évidence l’importance de la pénicilline dans la prévention des infections chez les drépanocytaires de même que le rôle du dépistage néonatal. En 1984, Johnson FL et al identifièrent un traitement potentiel à travers la réalisation d’une transplantation de moelle osseuse chez un enfant atteint de drépanocytose et de leucémie. En 1995, Charache S et al démontrèrent l’efficacité de l’hydroxycarbamide ou hydroxyurée comme traitement spécifique réduisant significativement la fréquence des crises vaso-occlusives. En 1998, Adams RJ et al identifièrent la transfusion sanguine comme moyen de prévention primaire des AVC chez les enfants drépanocytaires avec un doppler transcranien anormal [93]. Le résultat majeur de ces avancées a été l’augmentation de l’espérance de vie des patients avec une proportion de plus en plus importante de femmes pouvant atteinte l’âge de la procréation. Les premiers cas de grossesses chez la drépanocytaire furent rapportés en 1924 par Sydenstricker. Deux décennies plutard, précisément en 1941, Kobak et al rapportèrent à leur tour d’autres cas puis décrivirent les complications survenant au cours de cette association. Jusqu’en 1951, seulement 24 grossesses chez la drépanocytaire avaient été rapportées [2]. Face au problème que constitue cette association, de nombreuses recommandations, dédiées à sa prise en charge, ont été publiées depuis les années 1960 [44, 66].
Epidémiologie
Longtemps la drépanocytose est restée confinée au sein des populations d’Afrique subsaharienne, des Antilles, d’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen. En raison des flux migratoires des populations mais également des brassages culturels, elle est devenue une maladie cosmopolite [91] faisant d’elle, la maladie génétique la plus répandue dans le monde. Sur les 5,2 % de la population mondiale porteur d’une variante d’hémoglobine anormal, 40% sont porteurs de gène βs [28] avec 20 à 25 millions de personnes porteuses de la forme homozygote SS. Selon l’OMS, 12 à 15 millions de ces personnes vivent en Afrique sub-saharienne, faisant d’elle la principale maladie génétique de l’Afrique intertropicale. Et chaque année, 236000 naissances porteuses de la forme homozygote SS y sont enregistrées [100]. La fréquence du portage du gène βs en Afrique est la plus élevée du globe (Figure 1). Au sein de la « ceinture sicklémique », zone qui s’étend entre la 15e parallèle de latitude nord et la 20e parallèle de latitude sud, le portage du trait drépanocytaire est très élevée avec une fréquence variant de 5-20% en Afrique de l’Ouest, à 40% et plus dans certaines ethnies de l’Afrique Centrale. Cette répartition grossièrement superposable aux zones d’endémies à Plasmodium falciparum semble la résultante d’une sélection naturelle consécutive aux difficultés de développement que rencontre le plasmodium en présence d’HbS [19].
Au Sénégal, la prévalence de l’hémoglobine S est estimée à environ 11,1% [39]. Parmi les formes majeures, 95,7% sont homozygotes SS, 3,6% sont hétérozygotes composites SC, enfin 0,7% des Sβ Thalassémies [100].
PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DREPANOCYTOSE
La drépanocytose est une pathologie rhéologique. Son mécanisme de base, centré sur la polymérisation de l’HbS et sur les conséquences au niveau cellulaire, a permis de mieux cerner sa physiopathologie [69].
Mode de transmission et expression du gène βS
La drépanocytose est transmise selon le model autosomique récessif mendélien [115]. Le mode de transmission définit le génotype (Figure 2). Pour exemple, lorsque l’individu hérite du gène βs des 2 parents, celui-ci est dit homozygote. Par contre lorsque celui-ci hérite du gène βs de l’un des parents uniquement, celui-ci est dit porteur asymptomatique du trait. Par ailleurs, dans certaines situations, l’individu hérite du gène βs de l’un de ses parents puis du second, il hérite une autre anomalie génétique responsable de la synthèse d’une hémoglobine anormale, ce dernier est dit hétérozygote composite. La drépanocytose en règle s’exprime cliniquement qu’à l’état homozygote et hétérozygote composite. Par contre la symptomatologie exceptionnellement rencontrée chez le porteur du trait pourrait être due à la présence chez ce dernier d’une 2e mutation sur le gène βs [11].
Polymérisation de l’Hb S
La synthèse de l’hémoglobine S résulte d’une mutation, sur le gène βglobine du chromosome 11. Au cours de celle-ci le 17e nucléotide (la thymine) est remplacé par l’adénine aboutissant au remplacement du gène β normal par le gène βs . Ce dernier est à l’origine de la substitution de l’acide glutamique en position 6 de la chaine β globine par la valine aboutissant au remplacement de l’hémoglobine normale par l’hémoglobine S [93]. Lors des situations d’hypoxie, l’HbS désoxygénée subit un changement de conformation (Figure 3). Celui-ci permet à la valine d’établir des liaisons hydrophobes avec la chaîne β d’une autre molécule d’Hb, en particulier avec la phénylalanine en position 85 et la leucine en position 88. Une seule des deux valines opère ce contact de sorte qu’en se liant les uns aux autres, l’interaction ββ entraîne la formation d’un polymère dont la croissance donnera des fibres hélicoïdales à l’origine de la déformation, la rigidification et la fragilisation des globules rouges [94]. Ce processus nécessite par ailleurs un temps de latence «delay time » qui est inversement proportionnel à la concentration intracellulaire en hémoglobine [69]. Les principaux facteurs déclenchant de cette hypoxie du globule rouge sont le séjour en atmosphère désoxygénée, la déshydratation, le stress physique ou psychologique, les variations brutales de la température ambiante, les infections mais aussi la grossesse [7].
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Table des matières
INTRODUCTION
1. GENERALITES
1.1. Définitions
1.2. Historique de la drépanocytose
1.3. Epidémiologie
2. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DREPANOCYTOSE
2.1. Mode de transmission et expression du gène βS
2.2. Polymérisation de l’Hb S
2.3. Déshydratation des globules rouges
2.4. Mécanismes rhéologiques et conséquences
2.4.1. Adhérence cellulaire dans la drépanocytose
2.4.2. Anomalie du tonus vasculaire dans la drépanocytose
2.5. Hémolyse et conséquences
2.6. Facteurs d’une meilleure tolérance de la drépanocytose
2.6.1. L’hémoglobine F
2.6.2. L’α-thalassémie
2.7. Conséquences cellulaires
3. SIGNES
3.1. Type de description : la forme homozygote ou drépanocytose SS
3.1.1. Circonstances de découverte
3.1.2. Signes cliniques
3.1.3. Signes paracliniques
3.1.3.1. L’hémogramme
3.1.3.2. L’étude de l’hémoglobine
3.1.3.3. Les techniques de biologie moléculaire
3.1.3.4. Les autres signes biologiques
3.1.4. Evolution
3.1.4.1. Paramètres de surveillance
3.1.4.2. Modalités évolutives
3.1.5. Complications
3.1.5.1. Les complications aiguës
3.1.5.2. Les complications chroniques
3.2. Formes cliniques
3.2.1. Le trait drépanocytaire ou forme AS
3.2.2. La forme hétérozygote composite SC
3.2.3. Les formes hétérozygotes composites Sβ thalassémie
4. DIAGNOCTIC
4.1. Diagnostic positif
4.1.1. Les arguments cliniques
4.1.2. Les arguments paracliniques
4.2. Diagnostic différentiel
4.2.1. Rhumatisme articulaire aigu
4.2.2. Anomalies de la membrane du globule rouge
4.2.3. Autres pathologies de l’hémoglobine
4.2.3.1. Béta-thalassémie majeure
4.2.3.2. Hémoglobinose C
4.3. Diagnostic étiologique
4.4. Diagnostic de retentissement
4.4.1. Retentissement somatique
4.4.2. Retentissement psychologique
4.4.3. Retentissement socio-professionnel
5. TRAITEMENT
5.1. Buts
5.2. Principes de la prise en charge
5.3. Moyens
5.3.1. Mesures hygiéno-diététiques
5.3.2. L’analgésie
5.3.3. La transfusion sanguine
5.3.4. L’allogreffe
5.3.5. L’hydroxycarbamide ou hydroxyurée
5.3.6. Les autres moyens
5.3.6.1. La supplémentation en oligo-éléments
5.3.6.2. Les chélateurs du fer
5.3.7. Les perspectives thérapeutiques
5.3.7.1. La thérapie génique
5.3.7.2. La pharmacothérapie
5.4. Indications
5.4.1. Traitement de fond
5.4.2. Prise en charge des complications aiguës
5.4.2.1. La crise vaso-occlusive osseuse
5.4.2.2. Le syndrome thoracique aigu
5.4.2.3. Les complications infectieuses
5.4.2.4. L’aggravation de l’anémie
5.4.2.5. Les complications neurologiques
5.4.3. Prise en charge de complications chroniques
5.4.3.1. L’atteinte osseuse
5.4.3.2. L’atteinte rénale
5.4.3.3. L’atteinte hépatique
5.4.3.4. L’atteinte cardiaque
5.4.3.5. L’atteinte pulmonaire
5.4.3.6. La rétinopathie drépanocytaire
5.4.3.7. Les ulcères cutanés
5.4.3.8. Les complications endocriniennes
CONCLUSION