Système des IGFs
La croissance fœtale est sous la dépendance de deux effecteurs essentiels que sont IGF-I et IGF-II (Fowden 1995; Gicquel & Le Bouc 2006). Leur activité est principalement modulée par leurs récepteurs et leurs protéines de liaison. Les expériences d’invalidation des différents éléments de ce système dans des modèles murins, ainsi que les pathologies humaines altérant certains acteurs du système des IGFs, sont { l’origine d’une restriction de croissance fœtale (Liu et al. 1993; David et al. 2011).
Physiologie du système des IGFs
IGF-I
La sécrétion hépatocytaire de l’)GF-) est soumise { l’action de l’hormone de croissance (growth hormone, GH) hypophysaire via son récepteur membranaire GHR, elle-même sous la dépendance de la sécrétion hypothalamique de la GH releasing hormone (GHRH, qui stimule la sécrétion de GH) et de la somatostatine (qui inhibe la sécrétion de GH) ȋWilkins & D’Ercole ͳͻͺͷ; Le Bouc et al. 2003; Ranke & Wit 2018). Le gène IGF1 est situé sur le chromosome 12 (q23.2), il est constitué de 6 exons (Ullrich et al. 1984; Le Bouc et al. 1986). Les expériences d’invalidation d’invalidation knock-out (KO) murins pour Igf1 ont mis en évidence un poids de naissance diminué d’environ Ͳ% par rapport aux contrôles, tandis que les souris KO pour Igf1r avaient une croissance fœtale restreinte d’environ 45%. Les double KO de ces deux gènes entraînaient une restriction de croissance fœtale de 45% (Liu et al. 1993). L’)GF-I est un peptide composé de Ͳ acides aminés et qui possède ͷͲ% d’homologie dans cette séquence d’acides aminés avec la pro-insuline (Clemmons 1989). Il se compose de quatre domaines, les domaines A et B qui partagent environ Ͳ% d’homologie de séquence d’acides aminés entre eux, le domaine C de liaison entre les domaines A et B, et un domaine D, C-terminal, composé de huit acides aminés (figure 1) (Denley et al. 2005). La région critique pour la fixation d’)GF-I (et IGF-II) aux protéines de liaison correspond aux 16 premiers acides aminés du domaine B et est, de ce fait, non conservée dans la structure de l’insuline (Bayne et al. 1988).
L’)GF-I sécrété a une action autocrine, paracrine et endocrine, en circulant soit sous forme libre, soit sous forme de complexe secondaire (avec les IGF binding protein, IGFBPȌ d’environ Ͷ0 kDa, soit sous forme de complexe ternaire (avec les IGFBP-3 ou -5 et l’acid-labile subunit (ALS)) d’environ ͳͶ0 kDa (figure 2) (Le Roith 2003). Ces complexes confèrent une stabilité { l’)GF-I lié et ainsi une augmentation de la durée de sa demi-vie plasmatique. Cependant, ainsi lié, l’)GF-I ne peut se fixer à son récepteur, le récepteur de type 1 des IGF (IGF1R). IGF-I agit via son récepteur tyrosine kinase )GFͳR au niveau de très nombreux tissus de l’organisme ȋvoir ͳ.ͳ.͵.Ȍ (Nissley et al. 1985). De plus, )GFͳR est exprimé au niveau de l’hypothalamus et de l’hypophyse, et son activation induit une régulation négative des sécrétions de GHRH et de GH respectivement. Il existe une influence importante de l’état nutritionnel et des processus inflammatoires sur les taux circulants d’)GF-I (Thissen et al. 1994; Bergad et al. 2000). Ainsi, en cas de carence nutritionnelle ou d’inflammation active, les taux d’)GF-I sont diminués. Les mécanismes en jeu sont ceux d’une résistance { la G(, que ce soit par diminution du nombre de récepteurs hépatiques de la G( ou par diminution de l’activité post-récepteur de la voie JAK2/STAT5b (carence protidique, cytokines pro-inflammatoires) (Woelfle & Rotwein 2004). Lors de l’interprétation du dosage d’)GF-) sérique, il est donc essentiel de prendre en compte l’état nutritionnel et inflammatoire du sujet. Les concentrations sériques d’)GF-) augmentent progressivement dans l’enfance, avec un pic important lors de la période pubertaire sous l’influence des stéroïdes sexuels pour diminuer progressivement { l’âge adulte et sont différentes selon le sexe de l’individu (figure 3) (Brabant et al. 2003).
IGF-II
La sécrétion d’)GF-)) n’est pas sous la dépendance de l’hormone de croissance. Elle est relativement stable dans la vie et selon l’environnement de l’organisme (Yu et al. 1999). Son action biologique principale se fait par activation d’)GFͳR, mais il peut également se lier au récepteur de type ʹ des )GFs ȋ)GFʹRȌ ainsi qu’au récepteur de l’insuline (IR).
IGF2 est situé dans la région ͳͳpͳͷ chez l’humain et est composé de neuf exons (Rotwein 2018). )l s’agit d’un gène soumis { empreinte parentale qui s’exprime uniquement { partir de l’allèle paternel pendant la vie fœtale et qui reste soumis { empreinte parentale dans certains tissus en période postnatale (voir section 1.2.1) (DeChiara et al. 1990, 1991). Chez l’humain, l’expression d’IGF2 est dépendante de cinq promoteurs (P0-P4) dont la répartition tissulaire et temporelle varie. Dans le cerveau, IGF2 n’est pas soumis { empreinte parentale en dehors de quelques régions ȋhypothalamus, protubérance, globus pallidus et noyau raphéȌ chez l’adulte (Pham et al. 1998). Dans la majorité des autres tissus de l’organisme, IGF2 est exprimé à partir des promoteurs ͵ et Ͷ et { partir de l’allèle paternel (Rotwein 2018). Le promoteur P0 est majoritairement actif dans le placenta et de nombreux tissus fœtaux (Monk et al. 2006b). Le promoteur Pͳ n’est pas soumis { empreinte parentale ȋexpression biallélique d’IGF2) et est présent uniquement dans le foie (Vu & Hoffman 1994). Le gène IGF2R est situé sur le chromosome 6q25.3 chez l’humain, son expression est très majoritairement biallélique, à l’exception de rares zones placentaires (Monk et al. 2006a). Chez la souris Igf2r est soumis à empreinte paternelle dans la majorité des tissus (Moore et al. 2015). Les KO murins de ces deux gènes ont été développés (figure 4) (Baker et al. 1993). Les souris KO pour Igf2 ȋsur l’allèle paternel) avaient un poids de naissance diminué d’environ Ͳ% par rapport aux contrôles, tandis que les souris KO pour Igf2r sur l’allèle maternel avaient une croissance fœtale excessive (130% des contrôles). Les double KO de ces deux gènes entraînaient une restriction de croissance fœtale d’environ ͷ%. Chez la souris, l’expression d’Igf2 est extrêmement faible en période postnatale ȋet les taux circulants d’)GF-II sont indosables au bout de quelques jours) et le promoteur équivalent au P1 hépatique humain est absent (Vu & Hoffman 1994; Shmela & Gicquel 2013). IGF-II est ainsi considéré comme le facteur de croissance principal au cours de la vie fœtale, comme le suggèrent les concentrations d’)GF-II dans le sang de cordon humain qui sont environ 6 fois supérieures aux concentrations retrouvées en postnatal (Verhaeghe et al. 1993; Constância et al. 2002).
De même, IGF2 est exprimé dans la grande majorité des tissus du fœtus humain ȋexception faite de l’hypothalamus et d’une grande partie du cortex), et son expression est bien supérieure à celle d’IGF1 (Han et al. 1987). De plus, son rôle dans le placenta est probablement essentiel à cette action. En effet, il intervient de façon centrale dans l’allocation des ressources maternelles vers le fœtus au niveau placentaire (Sferruzzi-Perri 2018). Ainsi, des modifications environnementales chez la mère, telles que l’hypoxie sévère, la malnutrition ou l’hypovascularisation induisent une baisse d’expression d’Igf2 dans le placenta murin et ainsi participent au retard de croissance (Coan et al. 2010; Habli et al. 2013; Cuffe et al. 2014). Les travaux dans les modèles murins ont montré également que c’était sous l’effet de l’)GF-II que le placenta s’adaptait (en termes de structure et de fonction) pour équilibrer les échanges de nutriments entre le fœtus et sa mère. Bien que la structure placentaire humaine diffère de celle des modèles murins (présence de villosités placentaires et absence de zone labyrinthique), le rôle de cette surface d’échange est central de par ses interactions avec le métabolisme maternel, l’environnement et le fœtus (Sferruzzi-Perri et al. 2017).
IGF-)) se lie { l’)GFͳR mais peut aussi se lier au récepteur du mannose -phosphate cation dépendant (M6PCI ou IGF2R) ainsi qu’{ l’isotype A du récepteur de l’insuline ȋ)RȌ (Clemmons 1989; Frasca et al. 1999). L’affinité d’)GFͳR pour )GF-II est moindre que pour IGF-I (Henderson et al. 2015). L’activation d’)GFʹR après fixation d’)GF-)) entraîne une clairance d’)GF-II, bien que les mécanismes exacts sous-tendant ce rôle soient imparfaitement connus (Clemmons 1989). L’affinité d’)GFʹR est très largement supérieure ȋKi = 0,2 nM) pour IGF-II devant celle, négligeable, pour IGF-I (Ki = 400 nM) et nulle pour l’insuline (Tong et al. 1988). IGF-II se compose de 67 acides aminés et possède une structure en 4 domaines B-C-A et D (dans le sens N à C-terminal) (de Pagter-Holthuizen et al. 1987).
IGF1R
L’)GFͳR qui lie les )GFs est un récepteur tyrosine kinase composé de deux sous-unités : alpha, extra-cellulaire avec deux sites de liaison au ligand, et bêta, trans-membranaire (SteelePerkins et al. 1988; Werner et al. 1989). Le récepteur est organisé en hétéro-tétramère (deux sous-unités alpha et deux sous-unités bêta), via des ponts disulfures (figure 5) (Abbott et al. 1992). )l est présent sur toutes les cellules de l’organisme, { l’exception des hépatocytes. Ce récepteur peut lier à la fois IGF-I, IGF-II et l’insuline. L’affinité pour )GF-I (Ki = 1,5 nM) est supérieure { celle d’)GF-II (Ki = 3 nMȌ et plus de ͷͲ fois plus élevée que celle de l’insuline ȋKi > 30 nM) (Steele-Perkins et al. 1988; Slaaby et al. 2006; Tian et al. 2016). Le gène IGF1R chez l’homme se situe sur le chromosome 15 en position q26.6, il est composé de 21 exons (figure 5) (LeRoith et al. 1995). Les données expérimentales issues des KO sélectifs de souris illustrent parfaitement l’action propre et combinée de ces différents facteurs (figure 4) (DeChiara et al. 1990, 1991; Baker et al. 1993; Liu et al. 1993). On en déduit une action majeure d’)gf-I et Igf-)) sur la croissance fœtale par le biais de leur récepteur commun Igf1r. Les expériences de double KO Igf2/Igf1r et Igf1/Igf1r mettaient en évidence que les souris KO Igf2/Igf1r étaient plus petites qu’en cas d’invalidation d’Igf1/Igf1r ou Igf1r seul (Baker et al. 1993; Liu et al. 1993). Ainsi, Igf-II semble agir via une autre voie, indépendante d’)gfͳr, bien qu’aucune n’ait été caractérisée jusqu’{ présent (Frasca et al. 1999). La fixation du ligand au niveau du site de liaison de la sous-unité alpha induit des changements conformationnels de la sous-unité bêta qui permettent l’autophosphorylation du récepteur au niveau de ses domaines tyrosine kinase intra-cellulaires (Hanks et al. 1988). Lorsque les résidus tyrosine du domaine juxta-membranaire sont phosphorylés (tyr950), ils permettent à certaines protéines d’ancrage qui reconnaissent ces résidus tyrosine phosphorylés, comme les IRSs (insulin receptor substrate), d’être phosphorylées à leur tour par le récepteur (figure 6). Par la suite, d’autres protéines reconnaissent les domaines phosphorylés des IRSs – par leur domaine SH2 (SRC-homology-2) – et sont { l’origine des cascades de phosphorylations dans différentes voies de signalisation (Craparo et al. 1995; Tartare-Deckert et al. 1995; Dey et al. 1996; Saltiel & Kahn 2001).
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Table des matières
INTRODUCTION
1 ÉTAT DES CONNAISSANCES
1.1 Système des IGFs
1.1.1 Physiologie du système des IGFs
1.1.1.1 IGF-I
1.1.1.2 IGF-II
1.1.1.3 IGF1R
1.1.1.4 IGFBPs
1.1.1.5 ALS
1.1.2 Pathologies impliquant le système des IGFs
1.1.2.1 Anomalies d’)GF-I
1.1.2.2 Anomalies d’)GF-II
1.1.2.2.1 Syndrome de Silver-Russell
1.1.2.2.2 Syndrome de Beckwith-Wiedemann
1.1.2.2.3 Syndrome 3-M
1.1.2.3 Anomalies d’)GFͳR
1.1.2.4 Anomalies d’ALS
1.1.2.5 Anomalies de PAPP-A2
1.2 Empreinte parentale
1.2.1 Mécanismes de l’empreinte parentale
1.2.1.1 Méthylation des îlots CpG
1.2.1.2 Mise en place de la méthylation
1.2.1.3 Cycle de l’empreinte parentale
1.2.1.4 Empreinte parentale et évolution
1.2.2 Pathologies liées { l’empreinte parentale
1.2.2.1 Syndrome de Silver-Russell
1.2.2.2 Syndrome de Temple
1.2.2.3 Syndrome de Prader-Willi
1.2.2.4 Diabète néonatal transitoire
1.2.2.5 Anomalies inactivatrices de la signalisation PTH/PTHrp (iPPSD)
1.2.3 Défauts de méthylation multiloci
1.2.4 Réseau de gènes soumis à empreinte parentale
2 TRAVAIL EXPERIMENTAL
2.1 Résistance { l’)GF-) et restriction de croissance fœtale
2.1.1 Étude d’)GFͳR
2.1.1.1 Patients avec anomalies d’)GFͳR
2.1.1.2 Patients avec syndrome de Silver-Russell
2.1.1.2.1 Résultats
2.1.1.2.2 Discussion
2.1.2 Étude de la biodisponibilité d’)GF-I chez les patients avec SRS
2.1.2.1 Contexte
2.1.2.2 Méthodes
2.1.2.3 Résultats
2.1.2.4 Discussion
2.2 Chevauchement clinique et moléculaire dans deux syndromes de restriction de croissance fœtale
2.2.1 Syndrome de Temple et syndrome de Silver-Russell
2.2.1.1 Discussion
3 PERSPECTIVES
4 PUBLICATIONS
4.1 Publication n°1
4.2 Publication n°2
4.3 Publication n°3
4.4 Publication n°4
CONCLUSION
5 RÉFÉRENCES
6 ANNEXES
6.1 Résultats complémentaires