Physiologie des cornes et des glandes sébacées annexes
Nombre de cornes
Les chèvres domestiques (Capra hircus) sont pourvues de cornes frontales, permanentes et paires, dans les deux sexes, quelle que soit la race (contrairement aux moutons). La polykératie (définie par la présence de cornes surnuméraires) et l’absence de corne constituent des anomalies individuelles visibles chez certains sujets. Les animaux polycères (c’est-à-dire les animaux possédant des cornes surnuméraires) semblent bien plus fréquents chez les petits ruminants par rapport aux bovins. Les principaux cas décrits dans la littérature portent sur les tétracères : animaux à quatre cornes. Des crânes complets de boucs et chèvres tétracères sont visibles au laboratoire d’anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Un cas d’une chèvre à 8 cornes est décrit par Lush (1926). Néanmoins, de telles anomalies surviennent très rarement. La pluralité des cornes est due à une mutation génétique entraînant la division des chevilles osseuses (Putelat, 2005). Certains animaux peuvent présenter une « fausse » polykératie, une polykératie apparente faisant suite à un écornage mal réalisé. Dans ce cas, les chevilles osseuses atrophiées repoussent de façon désordonnée avec des déformations et des divisions mais il n’y a pas d’étui corné supplémentaire. Les chèvres sans corne (également appelées « mottes », « inermes » ou « acères » en français et « polled » en anglais) sont par contre bien plus fréquentes que les chèvres polycères. Cette anomalie génétique est actuellement bien connue et est même pris en compte dans les programmes de reproduction caprine
Découverte du gène PIS
Chez les caprins, un certain nombre de sujets mottes peuvent se révéler stériles. Un lien entre la présence ou l’absence de cornes et la fonction de reproduction (troubles de la différenciation sexuelle, prolificité, décalage du sexe-ratio …) a été émis en 1943, suite à une enquête auprès d’éleveurs (Paget, 1943). En effet, il est apparu à cette époque qu’il existait un déficit considérable des femelles dans les troupeaux sans cornes. De ce fait, Asdell (1944) émet l’hypothèse que le gène dominant pour l’absence de cornes est étroitement lié au gène récessif d’intersexualité et suppose que les intersexués (de phénotype mâle) sont en fait des femelles génétiques XX. En effet, on parle d’intersexualité ou d’ambiguïté sexuelle, lorsque les organes génitaux sont difficiles ou impossibles à définir comme mâles ou comme femelles selon les standards habituels. Le lien entre le syndrome intersexué et le caractère motte est alors démontré dans les races Alpine (Boyajean, 1969), Saanen (Soller et al., 1963) et Toggenburg (Eaton, 1944). Il faut attendre les progrès de la biologie moléculaire pour identifier la mutation du gène p, aujourd’hui nommée PIS (-), à la place de P. Grâce à l’utilisation de marqueurs microsatellites d’origine bovine, Vaiman et al. (1996) localisent le locus du gène PIS dans la région télomérique du chromosome 1 caprin. Par clonage positionnel, Pailhoux et al. (2001) démontrent par la suite que la mutation PIS repose sur une délétion d’un élément d’ADN de 11,7 kilobases. Or, le gène PIS intervient dans l’expression d’au moins deux autres gènes : PISRT1 (PIS-Regulated Transcript1) et FOXL2 (FOrkhead boX L2), qui agiraient de façon synergique pour déterminer le sexe femelle et promouvoir la différenciation ovarienne (Vaiman, 2005). Ceci explique donc l’impact de ce gène codant pour la présence ou l’absence de cornes, sur la fonction de reproduction des caprins. Toutefois, la transmission du syndrome d’intersexualité est récessive, tandis que la transmission du caractère motte est dominante. La mutation PIS touche à la fois les caprins mâles et femelles, mais seules les femelles subissent une inversion sexuelle (voir première partie A] 1.2.3.3.).
Cheville osseuse et sinus du cornillon
La cheville osseuse frontale, encore appelée « cornillon » ou « processus cornual » (processus cornalis) (figure 6) constitue une excroissance osseuse qui est en relation avec l’os frontal du crâne. D’aspect plutôt conique, sa courbure est semblable à celle de l’étui corné et sa taille est proportionnelle à la longueur de la corne. Elle détermine la forme et la direction des cornes (Montané et al., 1978 ; Barone, 1999). La cheville osseuse est creusée en son sein d’une cavité appelée sinus cornual ou sinus du cornillon (figure 6). Le sinus du cornillon communique avec le sinus frontal, dès quelques mois de vie (1 à 2 mois selon Hull (1995), 8 mois selon Skarda et Tranquilli (2007b)) chez le chevreau. Quatre à 6 cloisons, d’épaisseur inférieure ou égale à un millimètre, à l’intérieur de chaque corne, divisent le sinus du cornillon en chambres interconnectées (Farke, 2008). L’étendue du sinus cornual varie en fonction de l’âge du sujet et de l’état du cornage. Il est plus important chez la chèvre que chez mouton. Il s’arrête à 5 cm de l’extrémité de la corne (Montané et al., 1978). Le cornillon étant une continuité de l’os frontal, est un os plat. Il est donc constitué d’une couche externe de tissu osseux périostique entourant une masse de tissu spongieux. Le tissu périostique est formé de lamelles osseuses concentriques par rapport à l’axe de l’os, étroitement imbriquées, et de fibres conjonctives. Le tissu spongieux, richement vascularisé, est quant à lui constitué de lamelles minces entourant des cavités médullaires communicantes et remplies de moelle osseuse (Begin, 1990). Enfin, le sinus cornual central, résulte de la résorption du tissu osseux par un processus d’ostéoclasie.
Variabilités intrinsèques et extrinsèques
Il existe des variabilités intrinsèques liées notamment à l’espèce, la race, le sexe ou encore des variations génétiques individuelles. Les bourgeons cornuaux sont plus larges chez le chevreau que chez le veau de même âge (Matthews, 2009). Les mâles ont des cornes plus longues et plus épaisses que les femelles quel que soit l’âge (Côté et al., 1998). La taille des cornes est corrélée positivement au poids, à la circonférence de la poitrine et à la longueur des postérieurs quel que soit le sexe (Côté et al, 1998). Le stade de production ou la période sexuelle semble aussi avoir un effet sur la croissance des cornes. Par exemple, la croissance des cornes est moins importante en période de lactation (Côté et al., 1998). Enfin, Côté et al. (1998) ont démontré qu’un développement postural rapide avant l’âge de 3 ans est corrélé négativement avec la croissance cornuale tardive chez la chèvre des montagnes rocheuses (Oreamnos americanus). Concernant les variabilités extrinsèques, il est clairement établi que la croissance cornuale est dépendante de l’apport nutritionnel aux cellules épidermiques (de l’étui corné et de la membrane kératogène). König et Liebich (2004) évoquent l’influence du zinc et de la biotine. Ainsi, en période de carence, notamment en saison hivernale chez les ruminants sauvages ou durant la lactation et la gestation, la pousse cornuale ralentit. L’alternance des anneaux et enflures transverses à la surface de la corne signent ces périodes de productivité variable de la corne.
Interactions monospécifiques
Les comportements agonistes (c’est-à-dire vidant à résoudre un conflit) chez la chèvre surviennent lors d’accès aux ressources vitales (eau, nourriture, abri ou encore espace) ou de recherche d’un partenaire sexuel. Ils comprennent les comportements d’évitement, de menace et d’attaque. Les comportements agressifs sont de deux types : sans contact physique (menace, poursuite) ou avec contact physique (attaque). Pour menacer, la chèvre « présente » ses cornes à son adversaire. Lors d’une attaque, la chèvre peut mordre ou utiliser ses cornes. Elle se cabre alors, fléchit le cou et percute de ses cornes, celles de son opposant. De par l’arrête saillante sur la surface rostrale de sa corne, et ses muscles cervicaux très développés, l’arrachement des cornes et les fractures cervicales sont rares lors d’un affrontement. Le caractère dominant est établi par la capacité d’un individu à exercer sa priorité sur l’accès aux ressources (nourriture, eau, espace et accouplements) avec un minimum de nécessité à se battre.
Chez les chèvres, la hiérarchie sociale est clairement établie et se maintient durablement (Barroso et al., 2000). Cependant, elle ne semble pas s’établir en fonction de l’importance du cornage (Begin, 1990). Elle est plutôt initialement influencée par l’agressivité, l’âge, la taille, le poids, la race, le sexe ou l’expérience de chaque individu (Miranda-de-la-lama et al., 2010). Les mâles sont souvent dominants par rapport aux femelles, mais une femelle cornue peut dominer un mâle sans cornes (Haenlein et al., 1992). Les chèvres cornues sont généralement dominantes, plus lourdes et occupent plus de place à l’auge par rapport aux chèvres écornées (Tolü et Savas, 2007). Ainsi, il est recommandé de ne pas mélanger, au sein d’un même lot, des sujets écornées (ou mottes) et d’autres cornues. Les comportements d’évitement ou de menace, sans contact physique, sont plus fréquents chez les chèvres cornues alors que les réactions d’attaque sont plus fréquentes chez les chèvres sans cornes (Aschwanden et al., 2008). En général, quand deux adultes sont présentés pour la première fois ou après une brève séparation, un contact physique est souvent observé. Ainsi, lorsqu’un nouvel individu est introduit au sein d’un groupe de chèvres sauvages, le nombre d’interactions, de comportements d’exploration et de comportements agonistiques augmente. Mais les interactions agressives diminuent dès 24h après l’introduction de l’animal étranger au troupeau (Alley et Fordham, 1994). En élevage, les changements de lots peuvent donc avoir des conséquences négatives pour le bien-être animal, en perturbant les processus de reconnaissance individuelle.
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Table des matières
TABLE D’ILLUSTRATION
LISTE DES ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : RAPPELS MORPHOLOGIQUES, ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DES CORNES ET DES ANNEXES SÉBACÉES CHEZ LES CAPRINS
A] Morphologie cornuale
1.1. Détermination génétique d’une chèvre motte
1.2. Gène PIS (Polled Intersex Syndrome)
1.3. Conclusion : Intérêt ou non de la sélection du caractère «motte » comme alternative à l’écornage en élevage caprin
Conformation des cornes
Dimension des cornes
B] Anatomie et rapports cornuaux
Anatomie et histologie des cornes
Étui corné
Innervation cornuale
Vascularisation cornuale
Glandes sébacées cornuales
C] Physiologie des cornes et des glandes sébacées annexes
1.Embryologie des bourgeons cornuaux
2.Croissance cornuale
3.Rôles des cornes
3.1. Arme
3.2. Régulation thermique
3.3. Outil
4.Rôles des glandes sébacées cornuales
DEUXIÈME PARTIE : ÉCORNAGE EN ÉLEVAGE CAPRIN, UNE PROCÉDURE ZOOTECHNIQUE DE ROUTINE
A] Importance de l’élevage caprin français
Nombre de caprins
Productions caprines françaises
B] Justifications de la pratique de l’écornage
1.Arguments en faveur de l’écornage
1.1. Sécurité
1.2. Gestion de l’espace
1.3. Dégâts matériels
1.4. Modification des comportements
1.5. Utilisations pratiques des cornes par l’homme
2.Arguments en faveur de la persistance des cornes
2.1. Éthique
2.2. Contention
2.3. Coûts
2.4. Comportement et réactions de défense
2.5. Esthétique
C] Moment de l’écornage
Âge des caprinsInfluence du sexe, du poids et de la race
Techniques employées
Saison et conditions climatiques
Pratique actuelle et conclusions
D] Temps opératoires
1.Pré-écornage
1.1. Pesée
1.2. Préparation du site d’écornage
1.3. Contention
1.3.1. Contention chimique
1.4. Anesthésie locale
2.Écornage proprement-dit
2.1. Différents procédés
2.2. Avantages et inconvénients des différents procédés
3.Temps post-écornage
3.1. Prophylaxie de la plaie
3.2. Prophylaxie antitétanique
E] Complications
1.Repousse des cornes
2.Méningo-encéphalite
2.1. Clinique
2.2. Histologie et bactériologie
2.3. Traitement
2.4. Facteurs de risque et prophylaxie
3.Autres complications infectieuses
3.1. Tétanos
3.2. Listériose
3.3. Myiases
3.4. Sinusite
4.Complications traumatiques
4.1. Fracture
4.2. Hémorragie
4.3. Brûlures
F] Ablation ou cautérisation des glandes sébacées cornuales
Conséquences physiologiques
Technique d’ablation ou de cautérisation des glandes sébacées cornuales
TROISIÈME PARTIE : ÉCORNAGE EN ÉLEVAGE CAPRIN, UNE PRATIQUE DOULOUREUSE
A] Rappels sur la douleur
1.Définitions
2.Physiopathologie de la nociception
2.1. Phase lésionnelle
2.2. Phase inflammatoire
3.Manifestations de la douleur
3.1. Critères physiologiques, comportementaux et zootechniques
3.2. Limites
B] Mise en évidence de la douleur lors de l’écornage
Chez le chevreauDouleur chez les nouveau-nés : analogies inter-espèces
C] Gestion anesthésique
1.Préambule à l’utilisation des anesthésiques : droits et devoirs attachés à la prescription
2.Particularités physiologiques du nouveau-né et pharmacocinétique des anesthésiques / analgésiques
2.1. Appareil cardiovasculaire
2.2. Appareil respiratoire
2.3. Système nerveux
2.4. Reins et foie
2.5. Autres
3.Préparation pré-opératoire
4.Sédation
4.1. Benzodiazépines
4.2. α2-agonistes
4.3. Phénothiazines
4.4. Kétamine
5.Anesthésie générale
5.1. Prémédication
5.2. Anesthésie gazeuse
5.3. Anesthésie fixe
5.3.1. Xylazine
5.3.2. Xylazine et kétamine
5.3.3. Xylazine, kétamine et atropine
5.3.4. Mélange de kétamine, xylazine et butorphanol
5.3.5. Propofol
5.3.6. Alphaxalone
5.4. Surveillance
5.4.1. Stades de Guedel
5.4.2. Monitoring
5.4.3. Réveil
D] Gestion analgésique
1.Préambule à l’utilisation des analgésiques : droits et devoirs attachés à la prescription
2.Anesthésie locale cornuale
2.1. Effets de l’anesthésie locale
2.2. Réalisation de l’anesthésie locale cornuale
2.3. Discussion
2.Opioïdes
3.Anti-inflammatoires non stéroïdiens
4.1. Oxicams
4.2. Dérivés aryl-carboxyliques
4.3. Fénamates
4.4. Salicylés
4.5. Pyrazolés
4.6. Discussion
5.Anesthésiques analgésiques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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