Image corporelle
Selon Murphy et Hrabosky (30), l’AM et la B partagent une caractéristique clé de leur psychopathologie: la perturbation de l’image corporelle, du poids, de leur contrôle et la surévaluation de leur importance. Alors que la plupart des gens se jugent sur la base de leur performance perçue dans divers domaines de la vie, comme la qualité de leurs relations, leur performance professionnelle ou leurs prouesses sportives, les personnes ayant un TCA sont en grande partie tributaires, ou même exclusivement, de leur image corporelle, de leur poids et de leur aptitude à les contrôler. Cette psychopathologie est particulière aux TCA. Les patients anorexiques développent pour la plupart une insuffisance pondérale en raison de la restriction persistante et sévère de la quantité et du type de leur alimentation. En plus des règles alimentaires strictes, certains patients réalisent de l’activité physique de manière excessive, ce qui contribue davantage au faible poids corporel.
Les patients anorexiques valorisent le sens du contrôle qu’ils tirent de la sous-alimentation. Les vomissements auto-induits et l’abus de laxatifs et/ou de diurétiques est également une pratique courante, notamment chez les personnes qui éprouvent des épisodes de perte de contrôle alimentaire. Les patients atteints de B ressemble à ceux souffrant d’AM en terme d’habitudes alimentaires et de méthodes de perte de poids. La caractéristique principale distinguant les deux maladies est le fait que chez les patients boulimiques, les tentatives de limitation de l’apport alimentaire sont régulièrement perturbées par un accès hyperphagique. Ces épisodes d’hyperphagie sont généralement suivis par des vomissements auto-induits ou un abus de laxatifs compensatoires. La combinaison de la restriction alimentation, des accès hyperphagiques et des comportements compensatoires permet à la plupart des patients boulimiques de ne pas être remarqués parce qu’ils ont un IMC dans les normes. Dans le but de créer, selon elles, une meilleure image de soi qui résulterait d’un amaigrissement, certaines personnes ‘’démontrent une intention consciente et librement déterminée de limiter leur prise alimentaire dans le but de perdre du poids et/ou de le maintenir, avec en parallèle une absence de réduction objective, systématique et permanente des apports énergétiques’’ qui sont les caractéristiques de la restriction cognitive et le premier pas vers le développement d’un TCA (31).
Dépistage et traitements
Le questionnaire SCOFF-F (Annexe I) permet de dépister l’AM et la B. De plus, une détection précoce est possible grâce à des signes comme une perte ou un gain de poids brutal(e), des fluctuations pondérales brutales, des anomalies électrolytiques, une bradycardie, des antécédents de comportements alimentaires compensatoires. Une activité physique excessive ainsi que la présence d’aménorrhée ou de règles irrégulières en sont d’autres signes (36). Le diagnostic peut être posé à l’aide du DSM-5 qui propose des critères précis. Cependant, le diagnostic peut s’avérer complexe à poser en raison de la réticence des femmes souffrant de TCA à consulter ou à divulguer leurs symptômes aux professionnels de la santé à cause de la honte qu’elles éprouvent (37). Une prise en charge optimale des TCA implique une équipe spécialisée multidisciplinaire impliquant l’axe psychiatrique, nutritionnel, somatique et social (33, 37). Cette prise en charge peut être individuelle, familiale ou en groupe (36, 37). Cependant, cette dernière n’est pas systématiquement multidisciplinaire, ni effectuée par des soignants spécialisés en TCA, ce qui diminue son efficacité. Au début de toute prise en charge, une évaluation complète de l’état physique et psychique est mise en place afin d’identifier au mieux le problème.
Pour l’AM, en fonction de l’état psychique, notamment du risque de suicide ou d’automutilation ainsi que de l’état général, une hospitalisation peut être proposée voire ordonnée par le médecin référent. L’hospitalisation repose sur différents critères, notamment un IMC inférieur à 14 kg/m2, des troubles électrolytiques, des malaises ou pertes de connaissances et/ou des troubles cardiaques (36). Pour la B, le risque suicidaire doit également être investigué en raison de son risque jusqu’à trente-et-une fois supérieur à la population générale (38). Les diagnostics somatiques comme l’hypokaliémie, l’arythmie cardiaque et la rupture digestive nécessitent des soins spécifiques, car ces complications peuvent être mortelles (36). Parmi les traitements proposés pour l’AM, différentes psychothérapies existent : les thérapies de soutien, les psychothérapies psychodynamiques ou d’inspirations analytiques, les thérapies comportementales et cognitivo-comportementales (TCC) (36). La plupart de ces thérapies nécessitent un suivi d’au minimum une année. Parmi ces thérapies, la TCC est l’une des plus indiquées (27). En parallèle, des approches corporelles comme l’art-thérapie ou de la musicothérapie peuvent être bénéfiques (36). Les traitements pharmaceutiques tels que les antidépresseurs et les antipsychotiques n’ont pas démontré d’effets probants pour l’AM (36). Concernant la B, la TCC est également jugée comme la plus efficace avec une moyenne de dix-huit à vingt séances réparties sur quatre à six mois. Cette thérapie induit un sentiment de compétence et d’autonomisation chez le patient (39). Certains antidépresseurs de seconde génération ont montré une efficacité sur les taux de rémission de la B ainsi qu’une réduction des crises de B (40).
Evolution durant la vie A dix ans, environ 45% des personnes atteintes de TCA guérissent complètement, 30% améliorent leur état de santé et 20% développent une forme chronique (41). L’AM présente le taux de mortalité le plus élevé de tous les troubles psychiatriques, décrivant un risque de décès prématuré six à douze fois plus élevé que dans la population générale, après correction des variations dues à l’âge (33). Ce taux élevé de mortalité est dû majoritairement aux complications médicales liées à la restriction alimentaire, aux complications cardiaques, aux infections graves et un décès sur cinq résulte d’un suicide (27). Les rechutes sont fréquentes et la guérison est rarement atteinte avant quatre ans. Le développement cérébral n’étant pas complet avant l’âge de vingt ans, les effets du jeûne sur le développement cérébral sont particulièrement nocifs (42). Une détection et une prise en charge précoce offrent de meilleures chances de convalescence. Les patients déclarant la maladie avant dix-sept ans auraient un taux plus élevé de guérison que les patients dont la maladie se déclare à l’âge adulte.
L’apparition prépubertaire de la maladie a le pronostic le moins favorable (27). Les facteurs influençant négativement le pronostic sont l’apparition de la maladie à un âge élevé, la durée de la maladie avant sa prise en charge, un IMC bas au début de la prise en charge et la présence d’une ou de plusieurs comorbidités psychiatriques (41). La fréquence d’accès hyperphagique et de purge joue également un rôle dans le pronostic, car le syndrome du jeûne et les accès hyperphagiques contribuent à maintenir le TCA (43). 21 Bien que la moitié des adolescentes/ jeunes femmes souffrant d’anorexie recouvre un bon état de santé, une autre partie ne connaît qu’une rémission partielle, évoluant vers une forme chronique de la maladie. Cette rémission peut être parfois suffisante pour retrouver une régulation du cycle menstruel et permettre aux femmes de tomber enceintes, volontairement ou non, malgré la continuité de certains symptômes de la maladie et un état de santé non-optimal.
Evolution des TCA durant la grossesse
Diverses études et ouvrages se sont intéressés à l’évolution des TCA durant la grossesse (45,48,49). Les études réalisées au cours de la grossesse chez des patientes présentant un TCA actif ou en rémission afin d’évaluer l’évolution de l’intensité des symptômes alimentaires préexistants apportent des résultats convergents, avec quelques nuances sans doute en partie liées à la méthodologie des études et aux présupposés des différents auteurs (45). Il en ressort en majorité une diminution de la prévalence et des préoccupations concernant le poids et l’alimentation dans les cas de l’AM et de la B durant la grossesse. Cette amélioration du comportement alimentaire ne serait cependant pas exempte d’une détresse psychologique associée aux modifications corporelles liées à la grossesse avec des préoccupations persistantes autour du poids et de l’image corporelle (45). Une diminution relative des préoccupations autour du poids et de l’image corporelle pendant la grossesse a également été rapportée chez les femmes souffrant de TCA, bien que les préoccupations concernant le poids demeurent plus élevés que chez les femmes contrôles (50-52). Swann et al. (53) ont étudié l’attitude des mères contrôles et souffrant de TCA à l’encontre du gain de poids gestationnel.
L’étude confirme un taux plus élevé de préoccupations concernant le gain de poids chez les femmes atteintes de TCA et suggère une association entre l’inquiétude précoce sur le gain de poids lié à la grossesse et un gain de poids gestationnel, un poids de naissance du nouveau-né et un taux de LGA supérieurs en comparaison aux femmes qui rapportent un taux de préoccupations bas (53). L’amélioration des symptômes n’est cependant que temporaire, une recrudescence de ceux-ci étant marquée neuf mois après la naissance de l’enfant. (45,50) Le comportement alimentaire peut s’améliorer durant 22 la grossesse chez les femmes souffrant d’AM, mais retourne à son stade préconceptionnel après l’accouchement. L’évolution chez les femmes atteintes de B montre des résultats plus divergents, aussi bien durant la grossesse avec une amélioration ou une péjoration des symptômes, que durant la période post-partum avec la péjoration de l’amélioration des symptômes ou sa continuité. Les explications à cette recrudescence pourraient être de différentes natures: perte de motivations suffisantes pour faire face aux TCA, angoisse suscitée par la présence de l’enfant, levée du »déni » temporaire portant sur les modifications corporelles liées à la grossesse, réactivation de problématiques liées aux liens de la patiente avec sa propre mère. Des facteurs biochimiques et hormonaux pourraient également être impliqués, ainsi que la désorganisation des rythmes de vie occasionnés par la présence d’un nourrisson (45). Lors de nos recherches, nous n’avons trouvé aucune donnée sur le fait que la grossesse puisse être un éventuel déclencheur d’AM ou de B. 4.3 Evolution pondérale
L’évolution pondérale durant la grossesse pour les femmes souffrant de TCA est facteur de risque important pour l’évolution du foetus. De nombreuses preuves scientifiques ont montré qu’un IMC préconceptionnel bas et un faible gain de poids gestationnel sont associés à des conséquences négatives pour le foetus (54,55). En effet, un gain de poids insuffisant est partiellement responsable des conséquences obstétricales négatives rencontrées chez les femmes souffrant de TCA (55,56). L’évolution pondérale spécifique à chaque TCA a été abordée par de nombreux articles et les résultats sont parfois discordants. Une majorité d’études décrit une prise de poids gestationnelle supérieure chez les femmes souffrant d’anorexie en comparaison à la prise de poids gestationnelle physiologique (55,57,58). Cette prise de poids supérieure pour les femmes anorexiques est appropriée et protectrice, puisqu’elles ont un IMC préconceptionnel bas, ce qui est un facteur de risque de complications. Une méta-analyse sur le poids de naissance chez la progéniture de femmes souffrant d’AM soutient en partie ces résultats, mais relève également une disparité dans ses résultats, certaines études montrant une prise de poids identique ou inférieure aux femmes contrôles (59).
L’IMC préconceptionnel des femmes atteintes de B est généralement plus élevé que la population contrôle. Une partie des études indique malgré cela une prise de poids supérieure chez les femmes souffrant de B comparée aux femmes contrôles, qui serait due aux habitudes alimentaires (55,57). Une autre étude de Micali et al. (55), dont l’objectif était d’analyser la trajectoire pondérale de femmes enceintes atteintes d’AM ou de B, indique une prise de poids inférieure chez les femmes souffrant de TCA que pour le groupe contrôle. Les résultats sont contradictoires dans la littérature et dénotent une prise de poids inférieure, égale ou supérieure pour les femmes souffrant d’AM et/ou de B comparées aux femmes contrôles. Malgré cela, la surveillance de l’évolution pondérale est indispensable tout au long de la grossesse afin d’éviter diverses complications obstétricales.
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Table des matières
Abréviations
Résumé
1. Introduction
2. Grossesse
2.1 Physiologie de la grossesse
2.2 Troubles physiologiques liés à la grossesse
2.3 Aspects nutritionnels
2.3.1 Besoins nutritionnels
2.3.2 Spécificités alimentaires
2.3.3 Carences
2.4 Complications courantes
3. Troubles du comportement
3.1 Critères diagnostiques
3.1.1 Anorexie mentale
3.1.2 Boulimie
3.2 Prévalence
3.3 Psychopathologie
3.3.1 Anorexie mentale
3.3.2 Boulimie
3.3.3 Image corporelle
3.3.4 Restriction cognitive
3.4 Conséquences
3.5 Dépistage et traitement
3.6 Evolution durant la vie
4. Grossesse et anorexie mentale et boulimie
4.1 Prévalence des TCA durant la grossesse
4.2 Evolution des TCA durant la grossesse
4.3 Evolution pondérale
4.4 Aspects nutritionnels
5. Problématique
6. Définition de l’étude
6.1 But
6.2 Objectifs
6.3 Question de recherche
6.4 Hypothèses
7. Méthodologie
7.1 Stratégie de recherche
7.1.1 Bases de données
7.1 2 Mots-clés
7.2 Critères d’inclusion et d’exclusion
7.2.1 Design de l’étude
7.2.2 Population
7.2.3 Exposition
7.2.4 Outcomes
7.2.5 Langues
7.2.6 Date
7.2.7. Critères diagnostiques
7.3 Sélection des études
7.4 Analyse et extraction des données
8. Résultats
8.1 Résultats de la revue de littérature
8.2 Caractéristiques des études
8.3 Résultats des études
8.3.1 Taux de prématurité
8.3.2 Poids de naissance
8.3.3. Circonférence crânienne
8.3.4 Croissance staturo-pondérale
9. Discussion
9.1 Rappel des résultats
9.2 Interprétation des résultats et mise en perspective
9.2.1 Etat actuel de la littérature et nombre d’études
9.2.2 Taux de prématurité
9.2.3 Poids de naissance
9.2.4 Circonférence crânienne
9.2.5 Croissance staturo-pondérale
9.3 Limites
9.4 Points forts
9.5 Limites de notre études
9.6 Perspectives
9.6.1 Recommandations pour la pratique
9.6.1.1 Dépistage des TCA
9.6.1.2 Suivi de grossesse
9.6.1.3 Supplémentation
9.6.1.4 Suivi post natal de la mère et d nouveau-né à l’âge adulte
9.6.1.5 Place du diététicien dans la prise en charge
9.6.2 Recommandations pour la recherche
10. Conclusion
11. Remerciements
12. Bibliographie
13. Annexes
13.1 Annexe I: Questionnaire SCOFF
13.2 Annexe II: Grille d’analyse qualité
13.3 Annexe III: Graphiques de la croissance staturo-pondérale
13.4 Annexe IV: Protocole de Travail de Bachelor
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