Phylogénie et taxonomie du dauphin souffleur
Répartition géographique
Le Dauphin souffleur, est une espèce à distribution cosmopolite. Elle se rencontre dans la majorité des eaux mondiales, depuis les eaux subpolaires jusqu’aux eaux tropicales, avec une occupation plus marquée des zones tempérées et tropicales (Lusseau., 2003 ; MacLeod et al., 2005). C’est l’espèce la plus commune le long de la côte atlantique américaine, dont le Golfe du Mexique et celui de Californie, et elle est fréquemment observée sur les côtes atlantiques européennes (Nishiwaki, 1972). Elle est également présente dans les Océans Indien et Pacifique, et les Mers Méditerranée, Noire et Rouge (Wells et Scott, 1999). Les dauphins souffleurs sont présents au sein de la Mer Méditerranée, dispersés en petites unités, peuplant les mers d’Alboran, des Baléares, Adriatique, les plateaux Tunisien et Maltais, la Mer Egée, les détroits turcs et d’autres zones du talus continental, les eaux côtières algériennes, et potentiellement également les eaux de l’est de la Méditerranée. Ils y fréquentent des eaux à température comprise, à la surface, entre 13,8 et 21,9°C. Vers les côtes d’Amérique du Nord, ils peuplent principalement les eaux dont les températures de surface varient de 10 à 32°C.
Il semblerait que la répartition géographique de cette espèce soit liée à et limitée par la température, ainsi que directement ou indirectement à la distribution de ses proies (Tayler et Saayman 1973). En effet, ses migrations semblent être liées majoritairement aux effets secondaires des arrivées de courants chauds, comme des changements en abondance de proies, plutôt qu’aux changements de température eux – mêmes. Ceci n’est pas toujours facilement mis en évidence (Barco et al., 1999), certaines populations évitant parfois des eaux riches en poissons, mais de température trop basse (Tayler et Saayman, 1973). Ainsi, les fluctuations saisonnières dans les courants océaniques chauds et froids sont associées avec des mouvements de masse de dauphins apparemment sur de grandes distances, ou vers des aires spécifiques, lors de changements soudains des conditions climatiques, affectant la température de l’eau (Wells et Scott, 1999 ; Tayler and Saayman, 1973 ; Hubard et al., 2004 ; Hastie et al., 2003 ; Barco et al., 1999 ; Caldwell et al., 1965).
Par exemple, le regroupement de dauphins, au printemps, dans des baies abritées indique souvent un changement atmosphérique imminent (Tayler et Saayman, 1973). Ces mouvements saisonniers ne sont pas rencontrés chez toutes les populations, mais surtout parmi celles vivant dans des zones soumises à des variations écologiques au cours des saisons. Ils ne sont, en effet, pas observés par Griffin et Griffin, (2004), dans leur étude d’une population peuplant le talus continental de l’ouest de la Floride, ni par Forney et Barlow (1998) en Californie.
Le Dauphin souffleur : une espèce sociale
Il existe des espèces « sociales », définies comme un regroupement stable d’individus qui appartiennent à la même espèce et qui communiquent entre eux de manière plus ou moins fréquente (Altmann, 1965 ; Deputte, 2000 ; Scott, 1968), contrairement aux espèces dites « solitaires » chez lesquelles les congénères ne forment aucun groupe permanent, et où les interactions intraspécifiques sont limitées à la reproduction, à l’élevage des jeunes et aux conflits (e.g. Altmann, 1965 ; Deputte, 2000 ; Scott, 1968). Il est possible de distinguer une espèce sociale d’un regroupement grégaire d’une espèce par la récurrence d’interactions intraspécifiques et de « l’interattraction » entre les congénères d’un groupe (e.g. Deputte, 2000).
Le Dauphin souffleur possède donc une nature sociale, étant observé en groupes stables, et ce malgré le peu de données éthologiques concernant cet animal à l’état sauvage Les sociétés de dauphins révèlent une organisation sociale complexe (Wells et Scott, 1999), de type « fusion – fission » (Scott et al., 1990 ; Grellier et al., 2003 ; Lehmann et al., 2007 ; Connor, 1999 ; Connor et al., 2000 ; Connor et al., 2006). Si les bandes de dauphins souffleurs sont des regroupements temporaires instables, réunissant plusieurs groupes, les sous-groupes, constitués de paires ou trios de dauphins, qui sont une division de ces groupes, peuvent être, eux, stables ou répétés sur de nombreuses années (Wells et al. 1987). Les groupes se constituent de manière variable en fonction de différents facteurs écologiques et sociaux, intrinsèques et extrinsèques (Tayler et Saayman, 1973 ; Shane et al., 1986 ; Bearzi et al., 1999 ; Lusseau, 2003 ; Lusseau, 2004 ; Banks et Cockcroft, 2005).
La perception acoustique
Les organes externes de l’ouïe chez les dauphins et autres cétacés sont relativement réduits. En effet, l’on ne distingue pas de pavillon auriculaire comme chez beaucoup de mammifères terrestres, mais un simple méat auditif. Cependant, le cerveau des odontocètes, très développé avec de nombreuses et complexes circonvolutions, présente des aires visuelles et des centres olfactifs réduits, alors que les centres acoustiques sont très volumineux (Popov et Supin, 2007). Il semblerait que l’appareil auditif des dauphins soit séparé en deux systèmes : l’un servirait à recevoir et analyser tous les sons extérieurs, non liés à l’écholocation (audition dite « active »), tandis que l’autre permettrait de récupérer tous les sons envoyés par écholocation, afin d’analyser l’environnement (audition nommée « passive » par Dubrovsky, 2003).
Les dauphins communiquent grâce à l’émission de sons particuliers, dont les modulations s’enrichissent au cours de leur vie. Le système phonatoire semble être constitué par les plis du larynx agissant comme des lames vibrantes, et par les sacs aériens. Des trois sortes de sons (cliquetis, sifflements et vocalises) qu’ils peuvent produire, seul le «clic» sert à l’écholocation : émis à haute fréquence, les sons sont réfléchis par les obstacles (poissons, filets à petites mailles, rochers) et «récupérés» par le système auditif, extrêmement précis. Leur ouïe, très fine, perçoit en effet des sons de fréquence allant de 0,075 à 150 kHz chez le Dauphin souffleur, ce qui leur permet d’avoir une vision acoustique étendue et très précise de leur environnement (Babushina et Polyakov, 2008). C’est la mâchoire inférieure qui permet de recevoir les sons, les conduisant par un tissu graisseux et nerveux jusqu’à l’oreille interne (Whitlow et Lammers, 2007) (Figure 7). Des études proposent que la régularité des dents des dauphins aide à la réception des signaux « sonar » (Dobbins, 2007).
Définition du répertoire comportemental
Contrairement à un éthogramme, qui regroupe l’ensemble des comportements caractéristiques d’une espèce donnée (Tinbergen, 1963), le répertoire comportemental est un catalogue, plus ou moins exhaustif, qui dépend d’une problématique de recherche. Ce n’est ainsi pas un simple inventaire complet de comportements, il est basé sur une thématique (Vauclair, 1984). Le souci premier de l’éthogramme est la quantité de travail à fournir pour l’obtenir. Il permet une approche qualitative de l’ensemble des comportements exprimés par une espèce, dans toutes les conditions environnementales possibles, et peut donc représenter un travail de plusieurs centaines de pages, unique pour une espèce définie et essentiellement descriptif (Tinbergen, 1963). La constitution d’un répertoire comportemental prend donc en compte les conditions environnementales et la variabilité individuelle de l’espèce observée.
De plus, il rassemble un nombre limité d’unités comportementales, jugées importantes par l’observateur qui effectue une approche sélective des comportements qu’il cherche à analyser (Tinbergen, 1963). Le répertoire comportemental est donc fondé sur une problématique précise, et est composé d’unités dont la description est plus ou moins détaillée. Chaque répertoire est lié à une étude éthologique, ce qui, malgré des similitudes le différencie de l’éthogramme. En outre, un éthogramme est espèce-spécifique, tandis qu’un répertoire comportemental basé sur un même sujet d’étude peut comporter des unités communes à plusieurs espèces appartenant même à des genres éloignés phylogénétiquement. Par exemple, pour deux répertoires comportementaux dont la problématique traiterait des comportements interactifs chez l’éléphant (Samy, 2005) et le dauphin, ces répertoires présentent des unités semblables telles que « esquive » ou «s’interpose », et des unités espèce-spécifiques comme « lance sa trompe vers le congénère » chez l’éléphant et « donne un coup de caudale sur la tête du congénère » chez le dauphin.
La description des unités qui composent un répertoire comportemental doit être précise (Hinde, 1966), car c’est le seul moyen pour la communauté scientifique d’exploiter ce répertoire. Cependant, la phase de description des unités comportementales ne constitue qu’une étape, nécessaire mais non suffisante, à l’approche éthologique quantitative.
|
Table des matières
INTRODUCTION
I CARACTERISTIQUES BIOLOGIQUES, ETHOLOGIQUES ET ANATOMIQUES DU DAUPHIN SOUFFLEUR
I.A Phylogénie et taxonomie du dauphin souffleur.
I.B Milieu de vie
I.B.1 Répartition géographique
I.C Le dauphin souffleur : une espèce sociale
I.D Contraintes anatomiques, particularités physiologiques et capacités d’expression
I.D.1 Anatomie externe
I.D.2 Squelette, musculature, organes de locomotion.
I.D.2.1 Mouvements de la caudale
I.D.2.2 Mouvements de la tête
I.D.2.3 Mouvements des pectorales
I.D.3 Les organes de la reproduction : localisation et influence sur les interactions
I.E Organes des sens et de la communication
I.E.1 La perception acoustique
I.E.2 Le rostre : organe tactile
I.E.3 L’évent : communication et respiration
I.E.4 Les nageoires en tant qu’organes tactiles
I.E.5 La vision chez le dauphin
II MISE EN PLACE D’UN REPERTOIRE COMPORTEMENTAL
II.A Définition du répertoire comportemental
II.B Constitution du répertoire comportemental
II.B.1 Phase de familiarisation avec l’espèce observée
II.B.2 Problématique
II.B.3 La création d’unités comportementale
II.B.3.1 La sélection des unités
II.B.3.2 La taille des unités
II.B.3.3 L’exclusivité des unités
II.B.4 Le type de répertoire : fermé ou ouvert ?
II.B.5 Définition et catégorisation des unités
II.B.5.1 Les modes de description et la catégorisation des unités
II.B.5.2 Absence de restriction des unités aux caractéristiques individuelles
II.B.5.3 Absence de finalité dans la définition des unités
II.B.5.4 Absence de contexte dans la définition des unités
II.B.6 Dénomination des unités
II.B.6.1 Codage
II.B.6.2 Utilisation des verbes pour la définition
II.B.7 Les outils de prélèvement des données
II.B.7.1 Le prélèvement écrit
II.B.7.2 Le prélèvement informatique
II.B.7.3 Le dictaphone
II.B.7.4 Le caméscope
II.B.7.5 Les appareils d’enregistrements sonores
III LE REPERTOIRE COMPORTEMENTAL
III.A Sujets, matériel et méthode
III.A.1 Sujets
III.A.2 Milieu de vie
III.A.3 Matériel et méthode
III.B Termes utilisés dans la définition des unités et les illustrations
III.C Répertoire
III.C.1 Comportements de proximité
III.C.2 Comportements d’approche
III.C.3 Comportements visuels
III.C.4 Comportements de contact
III.C.5 Comportements d’évitement ou de rupture de contact
III.C.6 Comportements orientés vers la zone génitale
III.C.7 Comportements « solitaires
III.C.7.1 Comportements stationnaires
III.C.7.2 Comportements non stationnaires
III.C.8 Comportements avec émission de bulles
III.C.9 Comportements de tétée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Télécharger le rapport complet