Il y a peu de temps, seuls des atomes alcalins avaient donné lieu à la condensation de Bose-Einstein. Mais de nombreux laboratoires dans le monde tentent d’appliquer à d’autres éléments les techniques utilisées pour atteindre la condensation de Bose-Einstein avec les alcalins (Rb, Li, Na, Cs, Yb). Parmi ceux là, les gaz rares dans leurs états métastables se révèlent des candidats intéressants et originaux. Leur spécificité, qui les rend attirants mais aussi difficiles à manipuler, réside en la très grande énergie interne qu’ils possèdent, de l’ordre de plusieur eV. Pour des atomes dans un nuage ultra-froid, cette énergie électronique est très grande devant l’énergie externe, liée au mouvement : à une température de l’ordre du µK, le rapport entre énergie interne et énergie cinétique est de l’ordre de 10¹⁰. Cette énergie peut être libérée quand l’atome métastable entre en collision avec un atome ou une surface. Les atomes d’hélium métastable (He∗ ) ont une énergie interne tellement élevée, de l’ordre de 20 eV, qu’ils peuvent ioniser très efficacement tout atome ou molécule à l’état fondamental lors d’une collision, à l’exception de l’hélium et du néon, dont les seuils d’ionisation sont plus grands que 20 eV. Lorsqu’un atome d’hélium métastable rencontre un autre partenaire, il peut lui arracher un électron, et se désexciter, conformément à la réaction suivante :
He∗ + X → He + X+ + e− ,
où X peut être un autre atome d’hélium métastable, une molécule ou un atome quelconque. Cette réaction est appelée ionisation Penning. En outre, la longueur de diffusion est l’unique paramètre qui caractérise complètement les collisions élastiques à basse température et qui soit adapté à la description des interactions au sein du gaz ultrafroid (voir par exemple l’article de revue [Weiner et al., 1999]). Le signe de a renseigne sur le caractère attractif (a < 0) ou répulsif (a > 0) des interactions. Là encore, l’observation du condensat de BoseEinstein a donné les premières informations sur a. Tout d’abord, elle a démontré que a > 0, puisque le condensat est stable. En effet, une longueur de diffusion négative aurait conduit à l’effondrement du condensat sur lui-même à cause des interactions attractives [Gerton et al., 2001]. Depuis les premières observations de la condensation de Bose-Einstein de He∗ , la longueur de diffusion est restée un paramètre mal connu. Cette inconnue s’avère un handicap important pour les expériences menées jusqu’à présent, comme l’étude du régime hydrodynamique dans notre équipe [Leduc et al., 2002], ou l’étude des taux d’ions émis et des processus de collisions inélastiques dans l’équipe d’Orsay [Sirjean, 2003]. L’incertitude sur a représente une difficulté supplémentaire pour la calibration du nombre d’atomes dans l’expérience, et donc pour la détermination des autres propriétés collisionnelles, qui nécessite la mesure précise de la densité.
Plus généralement, la mesure de a est un prélude à la compréhension fine des interactions de paires d’atomes dans le gaz froid, dans le contexte scientifique actuel ou le challenge est dicté par la possibilité de contrôler très finement ces interactions de paires. C’est pour ces raisons que notre équipe s’est orientée, au début de l’année 2002, vers des expériences de photoassociation. Cependant, le champ des expériences nouvelles à réaliser ne se limite pas à la seule mesure de la longueur de diffusion. Ainsi, des dimères géants originaux ont été découverts et étudiés lors de la précédente thèse [Léonard, 2003]. De plus, la possibilité ou non de produire des dimères éventuellement “doublement” métastables restait une question en suspend. Tout d’abord la spectroscopie de ce type de molécules conduirait à une compréhension approfondie des collisions élastiques entre atomes métastables. Ensuite la mesure éventuelle de la durée de vie encore inconnue de ces dimères renseignera sur les mécanismes d’auto-ionisation de type Penning, supposés responsables de sa destruction.
C’est pour ces deux raisons, l’importance de connaître a avec précision par une mesure directe et de comprendre les mécanismes des réactions Penning, que nous avons prolongé l’étude sur la photoassociation à un photon réalisée par Jérémie Léonard. Un travail préliminaire, auquel j’ai participé, a été mené en mesurant des déplacements lumineux de raies moléculaires par photoassociation à un photon qui fera l’objet de la thèse de Maximilien Portier. Puis, avec la spectroscopie à deux photons, nous avons mesuré par effet Raman l’énergie de liaison du dimère (“doublement”) métastable, qui est liée à la longueur de diffusion a, afin d’en déduire sa durée de vie. Ce manuscrit expose les différentes expériences qui ont été menées dans ce but. Dans un premier chapitre, une rapide présentation est donnée sur les caractéristiques de l’hélium métastable et sur le montage expérimentale utilisé. Le deuxième chapitre introduit la notion de photoassociation, à un seul photon, illustrée par quelques expériences faites dans ce contexte. La photoassociation à deux photons est abordée au troisième chapitre, avec la notion de longueur de diffusion ainsi que celle de spectroscopie Raman, accompagnées des interprétations théoriques sur les différents signaux expérimentaux obtenus. Enfin, notre mesure de la longueur de diffusion a est détaillée dans le quatrième chapitre, et comparée avec les différentes valeurs de a données par les autres groupes. La mesure de la durée de vie fait l’objet du cinquième et dernier chapitre. Trois annexes complètent ce manuscrit, la première qui présente un effet Raman atomique (mais comme il ne s’agissait pas de photoassociation, elle n’avait pas sa place dans le corps du manuscrit), la deuxième qui fait le bilan sur les essais d’imagerie réalisés sur une caméra adaptée à l’infrarouge, la troisième qui introduit brièvement une de nos publications sur la photossociation à un photon qui a aboutie à une autre mesure de a.
L’atome d’hélium métastable 4He∗
L’état métastable triplet
Pour les gaz rares, à la différence des alcalins, les isotopes les plus abondants ont un spin nucléaire nul, et donc pas de structure hyperfine, comme c’est le cas pour l’isotope 4 de l’hélium, qui est un boson. 4He possède deux niveaux métastables, un niveau triplet 2 3S1, et un niveau singulet 2 1S0 (voir la figure 1.1 où sont représentés quelques niveaux de l’hélium). Ici, nous nous intéressons au niveau métastable 2 3S1, qui se trouve à 19.8 eV au-dessus de l’état fondamental, 1 1S0. L’hélium métastable He∗ ne peut se désexciter radiativement que par une transition de type dipolaire magnétique, ce qui explique sa très longue durée de vie de 7860 s : on peut le considérer comme stable à l’échelle de temps de nos expériences. Il peut être utilisé comme un niveau fondamental effectif pour des expériences de refroidissement laser. Mais, en raison de sa très grande énergie interne, supérieure au seuil d’ionisation de presque tous les atomes, il peut aussi se désexciter facilement par collision avec un autre atome, ou une molécule, ou encore une surface.
Les différentes collisions avec He∗
Les collisions Penning
L’énergie interne des états métastables de gaz rares est toujours assez grande pour provoquer, lors d’une collision entre deux atomes métastables, l’ionisation d’un des deux atomes. Pour l’hélium 4 dans l’état 2 3S1, l’énergie interne est de 19.8 eV, alors que l’énergie d’ionisation est de 24.6 eV. Quand un atome métastable rencontre un autre atome métastable .
La première réaction est appelée ionisation Penning, et donne naissance à un ion et à un atome dans l’état fondamental. Dans la deuxième réaction, appelée ionisation associative, un ion moléculaire se forme, qui contient de l’énergie interne sous forme vibrationnelle. Les deux réactions donnent naissance à un électron, qui possède une énergie de l’ordre de 15 eV. La réaction dominante est l’ionisation Penning : le rapport de branchement de l’ionisation associative a été mesuré à une température de 1 mK par les auteurs de [Mastwijk et al., 1998] qui ont trouvé 3 %. D’après les calculs de [Fedichev et al., 1996], le taux de collisions ionisantes de la réaction (1.1) est réduit de quatre ordres de grandeur si les atomes sont polarisés. Cette réduction est la conséquence d’une règle de conservation du spin total au cours de la réaction. En effet, pour des atomes polarisés dans l’état de spin 2 3S1, mJ = +1 (J est le moment cinétique total), le spin électronique total dans le membre de gauche de la réaction (1.1) est S = 1 + 1 = 2, alors que celui du membre de droite est la somme de deux spins 1/2 et d’un spin 0 pour les produits He+, He et e−, et de deux spins 1/2 pour les produits He+ 2 et e−, ce qui ne peut produire qu’un spin S = 0 ou 1. Cette réaction ne peut alors avoir lieu que si les spins des atomes ne sont pas conservés pendant la collision. Le spin électronique total n’est toutefois pas un bon nombre quantique : il peut relaxer à cause de l’interaction spin-spin. Deux mécanismes de pertes dans le piège magnétique sont alors possibles :
1. Le premier mécanisme est une ionisation de type Penning induite par la relaxation des spins. Pendant la collision, l’interaction spin-spin modifie les spins des atomes, qui peuvent alors réagir selon le mécanisme d’ionisation Penning s’ils s’approchent suffisamment l’un de l’autre.
2. Le deuxième est uniquement une relaxation des spins. À l’issue de la collision, un des deux atomes de la paire, voire les deux, ne sont plus dans l’état mJ = +1. Ils ne sont alors plus confinés magnétiquement et s’échappent du piège.
Les références [Shlyapnikov et al., 1994] et [Fedichev et al., 1996] montrent que dans la gamme des températures inférieures au mK et pour des champs magnétiques inférieurs à 100 G, le mécanisme dominant est l’ionisation Penning induite par la relaxation des spins.
Les collisions, sources de chauffage
Pour des nuages très denses, la possibilité d’avoir des collisions secondaires (entre les atomes piégés et les produits d’une collision ayant eu lieu dans le nuage) apparaît. Ces produits, qui sont en général assez énergétiques, peuvent être ici de plusieurs natures. La référence [Beijerinck et al., 2000] examine l’effet des collisions secondaires entre les atomes métastables piégés et les différents produits des collisions Penning : ions, électrons, atomes dans l’état fondamental, ou ions moléculaires. Ces particules ne sont pas piégées et sortent rapidement du nuage avec une énergie considérablement plus grande que celle des atomes piégés. Mais leur probabilité de faire une collision avec un atome piégé n’est pas complètement négligeable quand le nuage est suffisamment dense. Cela conduit à des pertes supplémentaires, ainsi qu’à un chauffage lié au transfert d’une partie de leur énergie aux atomes piégés. Une autre source de pertes et de chauffage est liée à un phénomène de collisions élastiques en avalanche qui peut se produire dans un nuage très dense [Schuster et al., 2001] : si un atome d’énergie élevée subit une collision élastique avec un atome du nuage piégé plus froid, l’énergie est alors partagée entre les deux atomes. Chacun d’entre eux peut à son tour faire une collision élastique avec un atome piégé, et lui transférer une partie de son énergie : il se produit alors une réaction en chaîne. L’énergie de l’atome chaud initiale peut se trouver intégralement dissipée dans le nuage, et ce chauffage engendre des pertes supplémentaires par évaporation. Ces atomes chauds initiant le processus peuvent provenir :
– d’un gaz de Oort. C’est un nuage d’atomes chauds qui sont encore piégés malgré l’évaporation, et dont l’énergie est beaucoup plus grande que l’énergie moyenne de l’échantillon qui a été évaporé. Il est le résidu d’une évaporation imparfaite, qui n’aurait pas expulsé avec une efficacité de 100 % tous les atomes d’énergie supérieure à la hauteur du couteau radio-fréquence. Ce nuage est constitué d’une fraction de l’ordre du pour cent ou du pour mille des atomes initialement piégés.
– de produits des collisions à trois corps, comme les atomes qui emportent l’énergie de liaison des molécules qui sont alors formées.
– des atomes et molécules qui composent le gaz résiduel, et qui, au cours d’une collision élastique, transfèrent aux atomes piégés une impulsion relativement élevée. Si leur énergie excède la profondeur du piège, ces atomes s’échappent du piège ou déclenchent des collisions en avalanche avant de sortir du nuage piégé.
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Table des matières
Introduction
1 Le dispositif expérimental
1.1 L’atome d’hélium métastable 4He∗
1.1.1 L’état métastable triplet
1.1.2 Les différentes collisions avec He∗
1.1.2.1 Les collisions Penning
1.1.2.2 Les collisions, sources de chauffage
1.2 Production et ralentissement de He∗
1.2.1 Le système laser
1.2.2 Le système à vide
1.3 Le piégeage magnétique et la détection
1.3.1 Caractéristiques du piège magnétique
1.3.2 Détection d’un nuage ultra-froid
1.3.3 La calibration de la température
1.3.4 Caractéristique du nuage piégé
1.4 Conclusion
2 Photoassociation à un photon dans l’hélium : nouvelles mesures
2.1 Principe de la photoassociation
2.2 Les dimères géants d’hélium
2.3 Acquisition des spectres de photoassociation
2.4 Nouveau dispositif laser
2.5 Mesure de l’énergie de liaison de l’état moléculaire le plus profond (v = 0) du potentiel 0 +u
2.5.1 Corrections à l’énergie de l’état lié v = 0
2.5.2 Mesure du décalage de la raie moléculaire
2.5.3 Comparaison avec la théorie
2.6 Conclusion
3 La longueur de diffusion a en onde s de l’hélium métastable polarisé
3.1 Généralités sur les collisions froides et la longueur de diffusion
3.1.1 Collisions froides dans l’état électronique 5Σ +g
3.1.2 Longueur de diffusion
3.1.2.1 Définition
3.1.2.2 Pseudo-potentiel
3.1.2.3 Potentiels à décroissance “rapide”
3.2 Les valeurs théoriques de la longueur de diffusion
3.2.1 Le potentiel de [Stärck and Meyer, 1994]
3.2.2 Le potentiel de [Gadéa et al., 2002] et [Dickinson et al., 2004]
3.2.3 Le potentiel de [Przybytek and Jeziorski, 2005]
3.2.4 Comparaison des différents potentiels théoriques
3.3 Les différentes méthodes expérimentales pour déterminer la longueur de diffusion
3.3.1 Mesure de la taille du condensat en expansion ballistique
3.3.2 Étude des modes hydrodynamiques et observation des collisions élastiques
3.3.3 Théorie du refroidissement évaporatif
3.3.4 Observation des collisions inélastiques
3.3.5 Déplacement lumineux de raies moléculaires
3.3.6 Les autres méthodes encore non utilisées sur l’He∗
3.4 Conclusion
4 Effet photo-mécanique de la photoassociation : une nouvelle méthode pour mesurer a
4.1 Taux de photoassociation
4.2 Mesure des pertes d’atomes induites par PA
4.3 Effet mécanique induit par la photoassociation
4.3.1 Déplacement du nuage
4.3.2 Mesure de la fréquence du piège
4.3.3 Détermination de la longueur de diffusion a
4.4 Conclusion
Conclusion
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