Phénoménologie et intersubjectivité

L’art de la médecine se fonde avant tout sur la faculté du médecin à observer son patient. En effet, toute discipline médicale s’appuie en tout premier lieu sur l’examen clinique qui consiste pour le médecin à interroger et examiner son patient à la recherche d’informations lui permettant de poser un diagnostic et de proposer des soins à son patient. En psychiatrie, cet examen est d’un type particulier. D’une part, bien que les pratiques évoluent, le psychiatre n’examine généralement pas le corps de son patient et l’examen clinique se traduit donc par un dialogue entre le patient et le psychiatre. D’autre part, cet échange, encore appelé entretien psychiatrique, possède une dimension holistique en ce qu’il explore tous les champs de la vie du patient. La psychiatrie, pouvant être définie étymologiquement comme la « médecine de l’âme », a pour objet d’étude le psychisme humain, dont on pourrait dire qu’il n’est pas « un organe comme les autres ». En effet, malgré les nombreuses tentatives de la science en ce sens, le psychisme humain n’est pas réductible à un système. Il n’est ni réductible au fonctionnement cérébral, ni au pur champ de la psychologie. Sa complexité, en lien avec sa nature même, tend à faire de la psychiatrie un vrai art. Ici, pas de signe pathognomonique pouvant garantir au psychiatre un diagnostic précis. L’examen clinique est d’autant plus important en psychiatrie qu’il n’existe généralement pas d’examens paracliniques sur lesquels le médecin pourrait s’appuyer. Aussi, les maladies psychiatriques, à l’instar des patients qui les présentent, sont de nature changeante. Elles évoluent au cours du temps, mais aussi se présentent différemment en fonction de la personnalité des patients, de leur histoire, de leur éducation, de leur culture, de leur religion et de bien d’autres facteurs. La psychiatrie considère l’homme dans toute sa complexité, intégrant sa dimension biologique, sociale, intellectuelle, politique, économique, culturelle, spirituelle. Elle ne considère pas le patient comme un « organe à traiter ». En cela l’entretien psychiatrique est d’abord une rencontre entre deux individus.

Approche phénoménologique et concept d’intersubjectivité

Intérêt de l’approche phénoménologique et du concept d’intersubjectivité dans l’étude de la relation psychothérapeutique

Les psychothérapeutes se sont toujours questionnés sur la nature de la relation qui les unissait avec leurs patients. Certains ont même avancé que c’était la relation entre le thérapeute et son patient qui était au cœur des processus de guérison. D’autres ont cherché à mettre en avant ce qui faisait la qualité de cette relation et à mettre en lien ces éléments avec l’efficacité de la thérapie . Lorsque l’on aborde la question de la relation entre un patient et son thérapeute, l’empathie du thérapeute est une dimension qui vient souvent au premier plan. L’empathie, dont la définition a varié selon les époques et les courants de pensée, est généralement conçue comme la faculté de tout individu à percevoir les affects mais également les cognitions d’un autre individu. Ainsi il semble primordial que le thérapeute possède cette faculté pour être en mesure de comprendre et d’aider son patient. Les théories actuelles sur l’empathie dans le champ de la psychologie cognitive et sous-tendues par des explications d’ordre neurobiologique, sur lesquelles nous ne reviendront pas ici, sont à notre sens inadéquates pour décrire pleinement l’expérience particulière qu’est le phénomène d’empathie. En effet le processus d’empathie est un procédé complexe qui ne saurait être réduit à ses seules composantes psychologiques ou neurobiologiques. Le psychiatre n’a jamais affaire seulement à un être physique, biologique ou à un être simplement psychologique ou encore à un pur intellect mais il a affaire à un homme total dont l’ensemble de ses aspects forme un tout indistinct. Par ailleurs, avant de chercher à qualifier la relation psychothérapeutique, il semble qu’il soit nécessaire de comprendre les processus à la base de toute forme de relation entre deux individus. En effet, que se passe-t-il quand deux individus se rencontrent ? De quelle manière un individu fait-il l’expérience d’un autre individu ? Un individu peut-il en comprendre un autre ? Qu’est-ce qui rend possible une rencontre ?

Introduction au concept d’intersubjectivité

Les individus ont tendance à se considérer comme des êtres singuliers et donc comme absolument différents des autres. Le processus d’individuation est le processus par lequel un individu devient distinct de tout autre. En réalité, nous nous rendons compte que cette dimension de singularité au sein de notre être cache une nature commune que nous partageons avec les autres individus et qui forme notre essence. Cette nature n’est rien d’autre que celle que l’on nomme dans la tradition occidentale la nature de sujet. Ainsi, c’est parce que nous partageons cette nature commune que nous sommes susceptibles d’entretenir des relations dites intersubjectives. Au sein de la dyade psychiatre/patient, le patient n’est pas un être absolument autre par rapport au psychiatre. Il présente une forme d’altérité mais dans cette dimension d’altérité le psychiatre reconnait aussi une part de mêmeté. Ainsi même si le patient est un individu distinct du psychiatre, le psychiatre le reconnait comme un semblable, c’est-à-dire, au moins à un premier degré, il lui reconnait la qualité de sujet, qu’ils partagent. Comme lui, le patient est un sujet particulier. Mais sur quoi se fonde cette nature de sujet ?

Nous sommes des êtres en contact avec un monde constitué d’objets. C’est avant tout cette position – être en face d’objets – qui définit la nature du sujet. Mais dans le monde, nous n’avons pas seulement affaire à des objets, nous avons aussi affaire à d’autres sujets. Il faut donc s’interroger sur les rapports et les relations que peuvent entretenir les sujets entre eux. Ce domaine propre à plusieurs sujets est qualifié d’intersubjectif. Par son étymologie – formée de la conjonction du préfixe « inter » qui signifie « entre » et de « subjecto » qui renvoie au « sujet » – l’intersubjectivité désigne une dimension qui peut être partagée par plusieurs sujets. L’intersubjectivité est un domaine extrêmement vaste. On le retrouve par exemple dans le champ de la connaissance ; en effet toute connaissance doit avoir une valeur universelle et nécessaire, ne doit pas seulement valoir pour moi mais pour chacun, ce qui suppose de comprendre comment plusieurs sujets peuvent reconnaitre et s’accorder sur la vérité d’un jugement. Dans le champ de la morale, c’est-à-dire dans le domaine de l’action, nous devons pouvoir nous accorder sur des valeurs communes (le bien et le mal) et nous avons besoin de reconnaitre la liberté des autres sujets et par là leur responsabilité. Dans le champ politique, nous reconnaissons l’autre comme un semblable avec lequel nous sommes capables de partager des fins communes et donc avec lequel nous sommes capables de constituer une communauté, en vue d’améliorer notre existence.

Dans le domaine thérapeutique, la question de l’intersubjectivité se manifeste avec une intensité d’autant plus forte que tout processus de soins nécessite la reconnaissance préalable de la nature de cet autre qui doit être soigné et présuppose l’existence d’un espace de rencontre et d’un partage de connaissances. Cette dimension intersubjective a été particulièrement étudiée dans le champ phénoménologique. La phénoménologie en tant qu’elle vise à penser les conditions de possibilité de toute connaissance et de toute structure d’être nous semble la seule discipline capable d’unifier, au sein d’une approche rationnelle, les dimensions psychologiques, physiques, intellectuelles, physiologiques de la relation psychothérapeutique.

Ainsi, dans cette partie de notre travail, nous présenterons d’abord les concepts généraux de la phénoménologie telle qu’elle a été originairement fondée au début du XXème siècle par Edmund Husserl. Puis nous étudierons plus particulièrement les notions d’intersubjectivité et d’empathie, au cœur de son œuvre, guidés par ses Méditations cartésiennes (3) et par le travail d’une de ses élèves, Édith Stein. Signalons que nous resterons dans le cadre des travaux de ces deux auteurs en ce qui concerne les théories phénoménologiques de l’intersubjectivité.

Introduction à la phénoménologie husserlienne 

L’épochè et la réduction transcendantale

La phénoménologie est fondée sur la volonté d’Husserl de trouver un fondement absolu aux sciences et à la connaissance. En effet Husserl critique les sciences naïves dont il pense qu’elles acceptent un grand nombre de présupposés à leurs fondements. Inspiré par la méthode cartésienne du doute, il remet en question toutes ses connaissances et cherche à revenir à la connaissance première, à une connaissance absolue, qu’il trouve dans l’ego cogito cartésien. La démarche phénoménologique fondamentale passe tout d’abord par ce qu’Husserl nomme l’épochè transcendantale qui nous mène à la réduction phénoménologique transcendantale. L’épochè consiste à suspendre sa croyance naturelle en l’existence du monde. S’ouvre alors « une sphère nouvelle et infinie d’existence que peut atteindre une expérience nouvelle, l’expérience transcendantale » [(3),p 57].

En effet, dans l’attitude naturelle, quand nous nous intéressons à la nature d’une expérience ou d’un objet quel qu’il soit et a fortiori quand nous nous interrogeons sur la nature de l’homme ou de sa conscience, nous admettons comme acquis un grand nombre de présupposés. Le premier de ces présupposés est l’existence d’une nature humaine et l’existence d’un monde dans lequel il évolue. Husserl critique le fait qu’une grande partie des sciences et en particulier les sciences dites « positivistes », admettent ces croyances sans les questionner ni les fonder et prétendent énoncer des vérités fondamentales sans jamais s’interroger sur leur propre méthode et sur la véracité de leurs principes. Par l’épochè et la réduction transcendantale qui en résulte, Husserl propose de mettre « entre parenthèses » notre croyance en l’existence du monde et toutes les croyances qui en découlent. Alors le monde n’est plus qu’un « phénomène » pour notre conscience. Il apparait devant nous mais nous n’émettons pas d’acte de jugement en ce qui concerne son existence en tant que monde naturel qui serait indépendant de nous.

Le courant des cogitationes

Après cette réduction transcendantale, que nous reste-t-il ? Sur quoi peut alors s’appuyer notre connaissance et notre expérience ? Il persiste l’ego transcendantal, entité du Moi qui est constituée par notre flux de cogitationes, courant de la conscience qui forme la vie de ce Moi. Chacune de ces cogitationes émane d’un sujet, l’ego et ont toujours un objet, le cogitatum. En effet, selon la célèbre formule de la phénoménologie : « Toute conscience est toujours conscience de quelque chose ». L’ego vise et saisit un cogitatum par un acte de visée intentionnelle qu’Husserl nomme cogito : « il faudra élargir le contenu de l’ego cogito transcendantal, lui ajouter un élément nouveau et dire que tout cogito ou encore tout état de conscience vise quelque chose, et qu’il porte en lui-même, en tant que «visé» (en tant qu’objet d’une intention) son cogitatum respectif. » [(3), p 64-65] Pour Husserl les états de conscience sont des « états intentionnels », le mot intentionnalité signifiant ici que la particularité de la conscience d’être conscience de quelque chose. Tout cogito contient une visée, « un regard sur » l’objet qu’il vise, regard qui diffère selon le type d’acte. Par exemple que ce soit dans la perception d’une maison ou dans le souvenir d’une maison, le cogito vise la maison, le cogitatum. Néanmoins l’acte intentionnel ou cogito diffère : il perçoit ou il se souvient.

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Table des matières

Introduction
I. Phénoménologie et intersubjectivité
1) Approche phénoménologique et concept d’intersubjectivité
a) Intérêt de l’approche phénoménologique et du concept d’intersubjectivité dans l’étude de la
relation psychothérapeutique
b) Introduction au concept d’intersubjectivité
2) Introduction à la phénoménologie husserlienne
A) L’épochè et la réduction transcendantale
B) Le courant des cogitationes
C) La corrélation noético-noématique
D) Vécu non-réfléxif ou pré-réflexif
E) La méthode des variations imaginatives
F) La phénoménologie comme idéalisme transcendantal ?
G) Le solipsisme transcendantal
3) L’expérience de l’alter ego ou l’intersubjectivité chez Husserl
A) L’expérience d’autrui comme condition de sortie du solipsisme transcendantal
B) La réduction transcendantale de l’ego à sa sphère d’appartenance
C) Précisions sur l’explicitation de l’expérience de l’ego de lui-même
D) L’expérience de l’altérité et l’intersubjectivité
a) Perception du corps d’autrui
b) Assimilation du corps de l’autre à mon propre corps
4) L’empathie ou expérience de la vie psychique étrangère chez Stein
A) Méthode de recherche
B) Description eidétique des actes d’empathie
C) Degrés d’accomplissement de l’empathie
D) Empathie, co-sentir, co-affect et unipathie
E) L’empathie est-elle une intuition ou une représentation ?
F) L’empathie comme constitution d’un individu psychophysique étranger
a) Constitution de l’individu psychophysique
b) La constitution de l’individu étranger
G) L’empathie comme compréhension des personnes spirituelles
H) Signification de l’empathie pour la constitution de ma propre personne
II. Hypnothérapie et phénoménologie
1) De multiples théories et définitions de l’hypnose
2) Les grands principes de l’hypnose éricksonienne
a) L’hypnose comme psychothérapie
b) Déroulement d’une séance d’hypnothérapie
c) L’hypnose comme état modifié de conscience
d) La notion d’inconscient chez Erickson
e) La suggestion hypnotique et le langage analogique
f) L’importance du langage non verbal
g) Approche utilisationnelle
3) Hypnose et accordage
4) Phénoménologie de l’hypnose
a) Intérêts d’une phénoménologie de l’hypnose
b) Phénoménologie de l’hypnose
III. Exploration phénoménologique de l’intersubjectivité en hypnothérapie : réalisation d’entretiens phénoménologiques expérientiels auprès d’hypnothérapeutes
1) Matériel et méthodes
A) Type d’étude
a) Recherche qualitative
b) La méthode phénoménologique comme méthode de recherche qualitative
c) Entretiens semi-dirigés
B) L’entretien phénoménologique expérientiel
a) Présentation générale
b) Portée et finalité de l’EPE
c) Trame et déroulement de l’EPE
C) Choix de la méthode de l’EPE
D) Population
a) Choix de la population cible et alternatives envisagées
b) Taille de l’échantillon
c) Recrutement des participants, critères d’inclusion et d’exclusion
d) Échantillonnage de la population
E) Investigateur
F) Réalisation des entretiens – Protocole
a) Structure des entretiens
b) Environnement
c) Cadre contractuel
d) Durée de l’entretien
e) Enregistrement
G) Analyse des données
2) EPE d’une séance d’hypnothérapie choisie : résultats et discussion
A) Structure générale de l’expérience décrite
B) Pluralité des vécus de conscience
C) Le corps du patient en hypnose
a) Modifications corporelles et état affectif
b) Corps et personnalité
c) Congruence du corps et du discours
d) Repérage des signes extérieurs de la transe
D) Saisie des vécus du patient par le thérapeute : empathie ou unipathie ?
E) L’hypnothérapeute à l’écoute de ses propres sensations corporelles
F) Nature intentionnelle ou non intentionnelle de l’empathie
G) Transe et perceptude, une ouverture à l’autre
H) Accordage et imitation
a) L’accordage : une forme d’imitation
b) Imitation, accordage et transe hypnotique
I) La transe comme ouverture de l’intuition ou accès à l’inconscient
J) Position de retrait du thérapeute
K) Partage d’un paysage mental commun et création d’une matrice intersubjective
L) Amour et hypnose
a) L’accordage semble favorisé par le lien relationnel et affectif
b) L’expérience de la transe partagée renforce la relation psychothérapeutique
c) La juste distance ou l’amitié thérapeutique ?
M) Limites de notre étude
Conclusion

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