Les ouvrages hydrauliques tels que les barrages et les digues sont utilisés depuis toujours pour la rétention et la canalisation des eaux pour l’agriculture, pour l’alimentation en eau potable ou pour la production hydroélectrique. La France dispose d’un parc d’ouvrages hydrauliques important, avec plus de 9000 km de digues de protection contre les crues, 8000 km de digues de canaux de navigation, et 1000 km de canaux hydroélectriques. Sur l’ensemble des barrages, on recense environ 600 grands ouvrages et plusieurs dizaines de milliers de barrages dont la hauteur est inférieure à 15 m (Bonelli (2012)). La deuxième caractéristique du parc français des ouvrages hydrauliques, en plus de son importance, est son ancienneté. En effet, la majeure partie des barrages est âgée d’un demi-siècle environ, et la majorité des digues est âgée de plus d’un siècle. Si les grands barrages sont construits avec des matériaux bien sélectionnés avec ou sans liants hydrauliques, et mis en place dans les règles de l’art, une partie significative des petits barrages et des digues a été construite avec des matériaux naturels trouvés près des sites, qui n’ont pas toujours été suffisamment sélectionnés ni traités.
Ces caractéristiques d’ancienneté et de non-sélection de matériaux de construction favorisent la vulnérabilité de ces ouvrages hydrauliques, d’où la nécessité de réaliser des travaux de maintenance et d’entretien souvent conséquents et couteux surtout sur un parc aussi important. A défaut d’entretien, l’apparition de dégradations sur la structure de ces ouvrages peut conduire à leur rupture. En effet, les structures des ouvrages de rétention d’eau (barrages et digues) sont soumises à des pressions d’eau proportionnelles à la hauteur des eaux retenues. Ces pressions peuvent augmenter instantanément et d’une façon agressive dans les cas de fortes précipitations et d’inondations. Ces fortes sollicitations, combinées avec des défauts dans la structure des ouvrages ou de leurs fondations (trous, racines d’arbres…), ou des défauts de construction (de compactage par exemple) peuvent conduire à la rupture de ces ouvrages. Sur 11192 ouvrages hydrauliques en terre recensés par Foster et al. (2000), 136 ont subi des désordres, dont 6 % par glissement (instabilité globale), 46 % par érosion interne et 48 % par surverse (instabilité locale ou interne). Dans cette étude, on s’intéresse uniquement au phénomène d’érosion interne.
En France, on enregistre annuellement en moyenne une rupture d’un ouvrage majeur par érosion interne, et les conséquences de ces ruptures peuvent être importantes. En effet, la plupart de ces ouvrages ont été construits sur les hauteurs de zones habitées ou agricoles. Et donc les dommages liés à une rupture peuvent se chiffrer en centaines de milliers d’euros, voire même en pertes de vies humaines.
Dans un document établi par la Commission Internationale des Grands Barrages (CIGB) en 1997 (Fry et al. (1997)), les auteurs ont décrit les différents mécanismes de l’érosion interne. L’érosion interne est définie par l’arrachement et le transport des particules fines d’un sol sous l’effet d’un écoulement d’eau le traversant. Les auteurs suggèrent que pour que l’érosion puisse apparaitre, il faut combiner deux conditions nécessaires, à savoir l’arrachement des particules fines et leur transport. Six mécanismes d’arrachement sont définis et décrits et deux mécanismes de transport sont identifiés à savoir le renard hydraulique et la suffusion. Pour le cas des sols grossiers, qui constituent le sujet de cette étude, l’érosion interne se manifeste principalement par suffusion, appelée aussi instabilité interne (Kenney et Lau (1985)). Ce phénomène se définit par l’arrachement et le transport des particules fines libres à travers l’espace poral des particules grossières sous l’effet d’un écoulement d’eau.
Les ouvrages hydrauliques en France
Le parc des ouvrages hydrauliques en France, son importance et ses caractéristiques
La France dispose d’un patrimoine d’ouvrages hydrauliques en terre important, avec les 600 grands barrages, les dizaines de milliers de petits barrages d’une hauteur inférieure à 15 m, 9 000 km de digues de protection contre les crues, les inondations et les submersions marines, plus de 1000 km de digues d’aménagement hydraulique, et 8 000 km de voies navigables endiguées et de levées de canalisation (Bonelli(2012)). Cela constitue un parc très important. Bien que ces ouvrages soient de très grandes utilités pour la société : réserves d’eau potable, protection de certaines zones habitées, protection et irrigation des champs agricoles, production de l’électricité… Ces ouvrages sont aussi des ouvrages relativement anciens (plus de 50 ans en moyenne pour les barrages et plus d’un siècle pour les digues) et de ce fait ils nécessitent une surveillance, une maintenance et un entretien spécifiques pour éviter l’endommagement de leur structure qui pourrait conduire à leur rupture.
Pathologie des ouvrages hydrauliques
Les ouvrages en terre sont construits par le compactage de couches de sols de différentes natures sans liant spécifique. Dans le cas des grands barrages, l’ouvrage est souvent constitué d’un noyau en argiles compacté, équipé du côté aval ou des deux côtés, amont et aval, d’un filtre pour éviter que les particules fines d’argile ne migrent sous l’effet des pressions d’eau qui règnent dans l’ouvrage. Pour certains petits barrages, mais également certaines digues, les matériaux utilisés pour leur construction sont des matériaux naturels disponibles sur les sites de construction et ils ne sont pas toujours bien sélectionnés. Ces ouvrages sont en général construits ou traversent des endroits qui surplombent soit des zones habitées, des champs agricoles ou les deux à la fois. De ce fait la rupture de ce type d’ouvrages peut conduire à des pertes de vies humaines et de dégâts matériels qui peuvent se chiffrer par des dizaines de milliers d’euros. En effet, le Comité Français des Barrages et des Réservoirs (Fry et al. (1997)) a recensé plus de 71 incidents d’érosion interne sur les 550 grands barrages, quelques milliers de petits barrages, et 1000 km de digues hydroélectriques entre 1970 et 1995, dont 23 par renard hydraulique et 48 par suffusion.
La rupture par érosion interne
Globalement, l’érosion interne se manifeste par l’arrachement et le transport de certaines particules composant l’ouvrage sous l’effet d’un écoulement ‘parasite’ traversant sa structure ou ses fondations. L’origine de cet écoulement peut être liée à la construction (défaut de compactage, mauvais contact entre deux couches adjacentes de même nature ou pas…) ou pathologique (trous pouvant se créer pour différentes raisons comme par les animaux fouisseurs, des racines d’arbres pourries) … Ces écoulements, souvent locaux, s’ils ne sont pas détectés à temps ou mal maitrisés peuvent induire un entrainement d’une quantité considérable de matériaux de l’ouvrage, ou créer des instabilités hydrauliques ou mécaniques dans la structure de l’ouvrage qui peuvent, dans le cas extrême, causer la rupture de l’ouvrage en question par érosion interne.
Bien que l’érosion soit définie par l’arrachement et le transport des particules fines dans la structure de l’ouvrage ou dans ses fondations, les retours d’expériences (Fry et al. (1997), Bonelli(2012) …) montrent que les mécanismes de cette érosion sont multiples, différents et complexes, et dépendent de la nature des matériaux et des conditions d’écoulement. Dans ce qui suit, nous allons présenter plus en détail ces mécanismes.
Définition des mécanismes de l’érosion
La définition de l’érosion est étroitement liée à l’échelle choisie pour cette définition. En fonction de l’échelle de temps et d’espace, on passe d’une définition naturaliste (observation et compréhension) pour les grandes échelles, aux domaines des sciences, notamment de la Mécanique des Sols et de la Mécanique des Fluides, à l’échelle du réseau poral (Guide ERINOH (2015)). Dans le rapport du Comité Français des Grands Barrages (Fry et al. (1997)) six phénomènes d’arrachement des particules ont été définis (entrainement, érosion régressive, boulance, débourrage, dissolution, défloculation), auxquels on ajoute l’ex-solution décrite par Garner et Sobscowics (2002), ainsi que deux phénomènes de transport (renard et suffusion).
Erosion par suffusion
Terminologie et état de l’art
Dans la littérature, plusieurs termes sont utilisés pour définir le phénomène d’érosion par suffusion de volume, bien que la définition reste la même : l’arrachement et le transport des particules fines libres à travers la porosité des particules grossières qui constituent le squelette solide. Pour définir ce phénomène, Kenney et Lau (1985), utilisent le terme suffusion pour décrire les matériaux qui sont instables vis-à-vis de l’érosion. On trouve également le terme instabilité interne (Interna instability) pour décrire la susceptibilité d’un sol vis-à-vis de la suffusion, utilisé entre autres par Wan et Fell (2004, 2008), Moffat et Fannin (2006). Les termes suffusion et soffusion sont utilisés dans la littérature d’une manière parfois interchangeable. Les termes stabilité et instabilité mettent en avant la sensibilité de la structure porale, sans pour autant mentionner son origine, ce qui pourrait conduire à une confusion avec la stabilité globale par glissement par exemple (qui est d’origine mécanique ou hydraulique). Richard et Reddi (2007) ont utilisé le terme ‘suffusion’ pour caractériser le transport de particules fines à travers un squelette grossier stable, et le terme ‘suffosion’ pour caractériser le transport de fines à travers un squelette grossier instable. D’un autre côté Moffat et al. (2011) font la distinction entre la suffusion qui n’entraine pas la variation de volume de sol et la soffusion qui peut entrainer l’effondrement de la matrice solide. Devant cette complexité des termes utilisés et pour enlever toute confusion sur le terme à utiliser, à l’issue de la rencontre d’Aussois en 2005, les différents intervenants ont adopté le terme ‘suffusion’, pour désigner le processus d’arrachement et de transport des particules fines à travers la structure porale des particules grossières considérées comme immobiles. L’évolution de la suffusion est conditionnée par les caractéristiques de la phase solide (le sol) et de la phase liquide (l’eau), et cette évolution entraine une modification de l’état et des caractéristiques des deux phases. La complexité de l’étude de l’érosion réside dans la multitude et l’interaction des paramètres dont elle dépend : granulométriques, hydrauliques, minéralogiques et physico-chimiques. (Wan et Fell(2008)) ont défini trois conditions nécessaires pour l’initiation de l’érosion dans un massif de sol :
1. La structure de sol doit être bimodale, où les particules grossières constituent le µ squelette solide qui reprend les charges mécaniques, et les petites particules, qui remplissent la porosité des particules grossières, peuvent sous l’effet de l’écoulement d’eau être entrainées à travers cette porosité. On note que pour que les particules grossières assurent la fonction de squelette solide, il faut qu’elles soient en contact, d’où la nécessité de définir un seuil maximal de la fraction volumique des petites particules, au-delà duquel les particules grossières deviennent ‘flottantes’.
2. La taille des pores formés par les particules grossières et de leurs constrictions (pores) d’accès doit être suffisamment grande pour permettre le déplacement des particules fines détachables sous l’effet de l’écoulement d’eau.
3. La vitesse de l’écoulement doit être suffisante pour arracher les petites particules et les transporter à travers la porosité des particules grossières.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
I-1 LES OUVRAGES HYDRAULIQUES EN FRANCE
I-1-1 LE PARC DES OUVRAGES HYDRAULIQUES EN FRANCE, SON IMPORTANCE ET SES CARACTERISTIQUES
I-1-2 PATHOLOGIE DES OUVRAGES HYDRAULIQUES
I-1-3 LA RUPTURE PAR EROSION INTERNE
I-2 DEFINITION DES MECANISMES DE L’EROSION
I-3 EROSION PAR SUFFUSION
I-3-1 TERMINOLOGIE ET ETAT DE L’ART
I-3-2 CRITERES D’EROSION
I-4 CONCLUSION ET OBJECTIFS DE LA THESE
CHAPITRE II DISPOSITIF EXPERIMENTAL, MATERIAUX UTILISES ET PROTOCOLE D’ESSAI
II-1 APPROCHE RETENUE
II-2 DISPOSITIF EXPERIMENTAL
II-2-1 CONFIGURATION HORIZONTALE
II-2-2 CONFIGURATION VERTICALE
II-2-3 EQUIPEMENTS ANNEXES
II-2-4 INSTRUMENTATION
II-3 LES MATERIAUX ETUDIES
II-3-1 CHOIX DE MATERIAUX MODELES
II-3-2 PROTOCOLE DE RECONSTITUTION DES MATERIAUX
II-3-3 VERIFICATION DE L’HOMOGENEITE ET DE LA REPETABILITE
II-3-4 APPELLATION DES MATERIAUX
II-4 PROTOCOLE D’ESSAI
II-4-1 MISE EN PLACE DU SOL DANS LA CONDUITE
II-4-2 INSTALLATION DE LA CONDUITE SUR LE CIRCUIT
II-4-3 SATURATION DU SOL EN CONDUITE
II-4-4 EROSION DU SOL EN CONDUITE
II-4-5 DEMONTAGE DE LA CONDUITE ET ANALYSE GRANULOMETRIQUE POST-ESSAI
II-5 CONCLUSION
CHAPITRE III ESSAIS TYPIQUES ET VALIDATION
III-1 CONFIGURATION HORIZONTALE
III-1-1 ESSAIS TYPIQUES
III-1-2 LIMITES DE LA CONFIGURATION HORIZONTALE
III-1-3 PHASE DE SATURATION
III-1-4 PHASE D’EROSION
III-2 CONFIGURATION VERTICALE
III-2-1 ESSAIS DE VALIDATION
III-2-2 ESSAIS SUR SOLS FINS « SIMPLIFIES »
III-2-3 ESSAIS SUR MATERIAUX SABLEUX
III-3 CONCLUSION
CHAPITRE IV ETUDE PARAMETRIQUE
IV-1 LES TYPES DES ESSAIS RETENUS
IV-1-1 ESSAI AVEC DES PALIERS DE PRESSION
IV-1-2 ESSAI A DES PRESSIONS CONSTANTES APPLIQUEES SUR LA POMPE
IV-2 ETUDE PARAMETRIQUE
IV-2-1 CHOIX DES MATERIAUX ET CARACTERISTIQUES DES ESSAIS
IV-2-2 INFLUENCE DE LA FORME DE LA COURBE GRANULOMETRIQUE
IV-2-3 INFLUENCE DE LA PRESSION D’ECOULEMENT
IV-2-4 INFLUENCE DE LA NATURE DES FINES
IV-2-5 INFLUENCE DE LA QUANTITE DES FINES ARGILEUSES AJOUTEES
IV-2-6 INFLUENCE DE LA DENSITE
IV-2-7 APPLICATIONS AUX CRITERES D’ERODABILITE : CONFRONTATION AUX CRITERES EXISTANTS
IV-3 CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE
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