Phases Haute Pression du système Na-Si
Les composés du système Na-Si sont principalement employés dans l’électronique et les composants thermoélectriques. Les nouvelles phases haute pression de ce système sont donc susceptibles de diversifier les matériaux (i.e. proposer de nouvelles compositions et/ou structures cristallines et, donc, de nouvelles propriétés) pour des applications similaires ou voisines. Dans la suite, on va donc présenter l’analyse bibliographique selon ces deux applications caractéristiques, toujours d’actualité. Ensuite, on décrira plus soigneusement les allotropes du silicium et des composés connus dans le système Na-Si.
Propriétés électroniques du Silicium
Le silicium conventionnel a une structure de type diamant (comme le germanium et la forme diamant du carbone) [O’Mara, 1990], i.e. qu’il cristallise dans le système cubique à faces centrées, chaque atome établissant des liaisons covalentes avec quatre de ses proches voisins (coordinance tétraédrique). Le silicium possède 4 électrons de valence par atome qui remplissent donc la bande de valence (Figure 1). Par dopage, il est possible de remplacer certains atomes de silicium par d’autres atomes, qui vont alors modifier la structure des bandes de conduction ou de valence et donc varier l’énergie nécessaire pour rendre le semi-conducteur plus ou moins conducteur. Pour cela, il s’agit d’injecter dans les cristaux de silicium des atomes bien choisis pour créer des porteurs de charge soit de type électrons (dopage type N, dopage d’un atome avec 5 électrons de valence comme le phosphore) ou de type trous (dopage type P, dopage d’un atome avec 3 électrons de valence comme le bore). Le niveau de Fermi est localisé dans/proche de la bande de conduction dans le cas de type N et dans/proche de la bande de valence dans le cas de type P. Les propriétés de semi-conducteur du silicium ont permis la création de la deuxième génération de transistors, puis des circuits intégrés (les « puces »). C’est aujourd’hui encore l’un des éléments essentiels pour l’électronique, notamment grâce à la capacité technologique actuelle permettant d’obtenir du silicium pur à plus de 99,999%.
L’intérêt du Si sous des formes allotropiques différentes s’explique par un grand nombre de raisons. Le silicium est le deuxième élément le plus abondant, après l’oxygène, dans la croûte terrestre. Il est essentiel pour l’électronique d’aujourd’hui et permet de couvrir les nombreux domaines des applications électroniques de pointe. En outre, le silicium n’est plus polluant une fois sa mise en fonction réalisée et, par conséquent, serait un produit idéal pour remplacer les matériaux utilisés en photovoltaïque qui sont habituellement à base d’arsenic et de métaux lourds. Il ne les a pas remplacés jusqu’à présent parce que le silicium est un semi-conducteur à gap indirect et ne peut pas absorber directement les photons solaires sans agitation thermique du réseau cristallin (phonons). Cela le prive des applications de prochaine génération (diode lumineuse, transistor haute performance) étant donné les pertes énergétiques par la chaleur. Cela justifie pleinement nos tentatives de créer de nouveaux matériaux de silicium avec un gap direct, pouvant donc absorber et émettre directement de la lumière. Les études récentes des variétés cristallines nouvelles et existantes du silicium qui peuvent être synthétisées par des méthodes hautes pressions hautes températures, permettent de couvrir les défis mentionnés. Un certain nombre de principes guident à la fois la recherche expérimentale et théorique de matériaux photoniques et optoélectroniques avancés. Une fois qu’une nouvelle phase stable ou métastable est trouvée (habituellement un ensemble d’entre eux, spécialement dans le domaine des études théoriques), la valeur du gap et sa nature (transitions optiques directes, indirectes, autorisées, etc.) sont établies [Kurakevych, 2017, HDR], pour :
(i) L’efficacité maximale des cellules solaires ; en effet, on a besoin d’une valeur de bande interdite directe autour de 1,3 eV, de transitions inter bandes droites autorisées par dipôle et de valeurs préfigurées proches de gaps direct et indirect [Archer, 1990].
(ii) Le photonique infrarouge lointain nécessite des matériaux à faible gap. Au cours des dernières années, en dépit d’intenses programme de recherches dans ce sens, aucun silicium de ce type n’a été synthétisé.
(iii) a l’inverse, la photonique à basse température peut nécessiter un grand gap (à la fois direct et indirect) avec des transitions dipolaires non autorisées. Récemment, la formation de Na4Si24 (NaSi6) (et donc après transformation de Si24) a été rapportée vers 8 GPa [Kurakevych, 2013]. Cette étude permet donc de stimuler la synthèse haute pression des formes avancées de silicium pour les applications photovoltaïques et les futures applications. En effet, cette découverte récente de l’allotrope de silicium Si24 de silicium avec un gap quasi direct (Figure 2) et une valeur idéale pour le photovoltaïque (Eg = 1,3 eV) est particulièrement prometteuse.
D’une manière similaire, la formation de sII (Na24Si136) sous des pressions entre 3 et 5 GPa permet d’optimiser la synthèse haute pression de nouvelles formes de silicium pour les applications photovoltaïques. Ainsi, après évacuation du sodium, Si136 possède un gap quasi direct et sa valeur est également intéressante pour les applications photovoltaïques (Eg = 1,9 eV).
Propriétés thermoélectriques des clathrates du silicium
Les clathrates du silicium sont également connus pour leurs propriétés thermoélectriques qui consistent dans le couplage des phénomènes électriques et thermiques, permettant la conversion directe entre ces deux types d’énergie. Cette conversion se produit à travers deux phénomènes réversibles primaires : l’effet Seebeck et l’effet Peltier. Pour rappel, l’effet Seebeck décrit le potentiel électrique à l’interface de deux conducteurs dans un gradient thermique. Et l’effet Peltier consiste en la libération ou l’absorption de la chaleur au niveau de la jonction de deux conducteurs suite au passage du courant électrique. Des générateurs thermoélectriques ont été développés avec succès depuis 1962 pour alimenter sur de longues périodes les sondes de la NASA, des dispositifs de récupération des déchets de chaleur à petite échelle, la mesure de la température et de la réfrigération électronique réversible. Les clathrates des éléments du groupe 14 sont très prometteurs pour ce type d’applications étant donné leur couplage unique d’une basse conductivité thermique et d’une haute conductivité électrique. En outre, les clathrates sont non-polluants. L’effet Seebeck, mis en évidence en 1824, décrit donc le potentiel électrique manifeste à travers l’interface de deux conducteurs dissemblables dans un gradient thermique établi. La valeur de ce rapport donne le coefficient de Seebeck. Pour un conducteur uniforme dans un gradient thermique, des porteurs de charge excités thermiquement à l’extrémité chaude diffuse à travers le gradient de concentration pour occuper les états d’énergie inférieure à l’extrémité froide, générant une différence de tension (Figure 3).
Ce potentiel électrique fournit l’équilibre dynamique nécessaire pour empêcher un transfert ultérieur de la charge nette, résultant dans le transport exclusif de l’énergie cinétique. Dans les semi-conducteurs de type n (/type p), le potentiel fixe dans la direction opposée (/le même sens) du gradient thermique conduit à une valeur négative (/positive) du coefficient Seebeck. L’utilité d’un matériau pour des applications thermoélectriques est déterminée par les deux facteurs caractérisant l’efficacité et la puissance. Ceux-ci sont déterminés par les conductivités électrique et thermique, le coefficient de Seebeck et leur comportement en fonction de la température. La capacité d’un matériau à produire efficacement la puissance thermoélectrique est liée à son facteur de mérite (ZT) donnée par la formule
suivante: ZT= σ S²T/ λ .
qui dépend du coefficient de Seebeck S, de la conductivité thermique λ, de la conductivité électrique σ et de la température T. Afin de déterminer l’utilité d’un matériau dans ce domaine, le facteur de puissance est calculé pour une différence de température donnée :
Facteur de puissance = σ S²
où S est le coefficient de Seebeck, et σ est la conductivité électrique. Les matériaux avec un facteur de puissance élevé sont plus efficaces dans des applications où l’espace est restreint. Des nombreux travaux ont porté sur la recherche de structures cristallines ouvertes ou complexes pour obtenir des matériaux avec un découplage entre propriétés électriques et thermiques suivant le concept de Phonon Glass Electron Crystal (PGEC) édicté par Slack en 1994 [Nolas, 1998 ; Slack, 1994]. Selon ce concept, un bon matériau thermoélectrique posséderait une faible conductivité thermique comme les matériaux amorphes, une conductivité électrique élevée (σ) semblable à celle des métaux, et un fort coefficient Seebeck(S) semblable à celui typique des semi-conducteurs. Parmi les matériaux pressentis pour avoir un comportement PGEC figurent les matériaux « cages » qui possèdent une structure cristalline particulière dans laquelle certains atomes (que l’on insert ou qui sont déjà présents dans la structure) sont au centre de polyèdres complexes (que l’on assimile à des cages) et qui sont très faiblement liés à leurs voisins. L’interaction des vibrations du réseau (phonons) avec ces atomes faiblement liés est forte ce qui permet l’obtention de faibles conductivités thermiques de réseau.
Certains clathrates des éléments du groupe 14 sont des matériaux qui présentent de telles propriétés. Ils possèdent des vides à tailles atomiques qui peuvent encapsuler de lourds ions qui subissent de grandes vibrations anharmoniques avec des phonons de dispersion efficace, tandis que leurs propriétés électriques varient avec le dopage. Les clathrates ont la formule générale AxByE36-y (type I) et AxByE136-y (type II), où B et E sont les éléments des groupes III et IV, qui forme le cadre dans lequel sont « invités » les atomes A (métal alcalin ou alcalino-terreux), i.e. encapsulés dans deux différents polyèdres face à face. Les différences entre les types I et II proviennent du nombre et de la taille des vides présents dans les cellules unitaires. Les propriétés de transport dépendent des propriétés du cadre, mais le réglage est possible en changeant les atomes « invités ». L’approche la plus directe pour synthétiser et optimiser les propriétés thermoélectriques des semi-conducteurs clathrates de type I est le dopage substitutif, où certains atomes cadres sont remplacée par des atomes dopants. En outre, les techniques de croissance de la métallurgie ont été utilisées dans la synthèse de clathrate. Les propriétés structurales et chimiques des clathrates permettent l’optimisation de leurs propriétés de transport en fonction de la stoechiométrie. Dans les clathrates avec la structure de type II, des matériaux permettent un remplissage partiel du polyèdre, ce qui offre un meilleur réglage des propriétés électriques et donc un meilleur contrôle du niveau de dopage. Des variantes partiellement remplies de clathrates peuvent être synthétisés sous forme de semi-conducteur ou même isolant. Les résultats récents de synthèse des clathrates sous haute pression [Yamanaka, 2010, Kurakevych, 2013] permettent aujourd’hui de diversifier davantage les matériaux de type cage pour ce type d’applications.
Allotropes HP stables et métastables du silicium
Le silicium (Si) est un matériau clé pour les applications technologiques et les études fondamentales de la matière, et son diagramme de phases et les mécanismes de transition entre les différents allotropes montrant plusieurs phases métastables en compression et décompression a suscité un intérêt soutenu en recherche fondamentale [Wang, 2014, Hu, 1984]. En utilisant la haute pression, la diffraction des rayons X (DRX) et des mesures de résistivité dans une cellule à enclume de diamant (DAC), le silicium et certains de ses clathrates ont précédemment été étudiés avec beaucoup de soin [Bundy, 1970, Mignot, 1985]. Un grand nombre de structures cristallines de Si sont décrites qui sont stables entre 1 MPa et 100 GPa (et même à pressions « négatives » !) à température ambiante ; et trois autres phases sont considérées comme étant métastables sous pressions inférieures à 10 GPa [Kurakevych, 2013]. Sous conditions ambiantes, on peut récupérer seulement Si-I (structure diamant et thermodynamiquement la forme stable à l’ambiante), et deux allotropes métastable Si-III et Si-IV (Tableau 1). Les formes cristallines qui existent audessous de 16 GPa ont une coordination tétraédrique (idéale pour Si-I cubique « diamant » et Si-IV hexagonale « lonsdaléite », ou fortement déformée de Si-II quadratique et Si-XI orthorhombique). Au-dessus de 16 GPa, les structures cristallines stables sont produites principalement par type hexagonal classique ou empilement cubique (hp Si-V, hc Si-VII et ccp Si-X). Il est ainsi remarquable de constater que Si subit une série de transitions de phase lors de la compression, à partir de la structure cubique diamant (Si-I) à conditions ambiantes vers le β-Sn phase métallique (Si-II) à 12 GPa, ensuite vers la structure Imma (Si-XI) à 13 GPa, puis vers une structure hexagonale primitive (Si-V) à 16 GPa. Les transitions Si-II → Si-XI → Si-V sont réversibles lors de la décompression, tandis qu’au lieu d’une transition inverse de la phase Si-II vers Si-I, le Si-II se transforme en une phase métastable R8 (Si-XII) à environ 9 GPa, et ensuite (ou en parallèle) dans une phase métastable cubique face centrée BC8 (Si-III) qui demeure aux conditions ambiantes quand la pression est complètement relâchée. Si I est une forme stable à condition ambiante, c’est une structure cubique à face centrée (cfc) avec le groupe d’espace Fd3m (Figure 4). Si-I est un semiconducteur à gap indirect de 1,19 eV et un gap direct de 3,2 eV. Le gap idéal pour les applications photovoltaïques doit être direct avec une valeur entre 1 eV et 2 eV avec une valeur proche de gap indirect. Evidement, ceci n’est pas le cas pour ce silicium Si I, ce qui justifie la recherche de nouvelles formes cristallines de silicium.
Le silicium subit une transition semi-conducteur/métal pendant la compression. Si-II se forme sous 11,7 GPa, son système cristallin est tétragonal (ou quadratique) avec le groupe d’espace I41/amd (Figure 4). Cette phase haute pression est plus dense que Si-I. Elle montre des propriétés supraconductrices en dessous de 9 K [Mignot, 1985]. Au cours de la décompression, la forme métallique de Si-II ne retourne pas à Si-I mais se transforme vers plusieurs autres formes métastables [Mujica, 2015]. La décompression lente conduit à la phase rhomboédrique R8 (Si-XII) à environ 10 GPa, qui se transforme ensuite en une phase cubique à face centré BC-8 (Si-III) à environ 2 GPa [Crain, 1994 ; Ganguly, 2014]. Si-III (Figure 5), qui a longtemps été estimé être semi-métallique [Pfrommer, 1997] jusqu’à peu, est en effet un semiconducteur à bande directe étroite de 30 meV [Zhang, 2017] et est un matériau prometteur pour les émetteurs dans l’infra rouge et les autres applications dans la photonique IR.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Analyse bibliographique
I.1. Historique
I.2. Phases HP du système Na-Si
I.2.1. Propriétés électroniques du silicium
I.2.2. Propriétés thermoélectriques des clathrates du silicium
I.2.3. Allotropes HP stables et métastables du silicium
I.2.4. Diagramme de phases binaire Na-Si
I.2.5. Composé NaSi (phase Zintl)
I.2.6. Composés Na-Si avec structures de clathrates
I.2.6.1. Na8Si46 (structure cubique type I)
I.2.6.2. Na24±xSi136 (structure cubique type II)
I.2.6.3. NaSi6 (structure zéolite)
I.2.7. Siliciums de type clathrate
I.2.7.1. Si136 avec structure de clathrate type II
I.2.7.2. Si24 avec structure de zéolite
Chapitre II. Méthodes expérimentales
II.1. Réactifs de départ
II.2. Synthèse HP/HT
II.2.1. Presse Paris-Edimbourg
II.2.1.1. Principe de la presse
II.2.1.2. Assemblages HP/HT
II.2.1.3. Protocole typique de synthèse
II.2.2. Presse multi-enclumes
II.3. Diffraction des rayons X
II.3.1. Principe
II.3.2. Mesures ex situ
II.3.3. Mesures in situ avec rayonnement synchrotron
II.3.4. DRX en poudre des phases du système Na-Si
II.4. Spectroscopie Raman
II.4.1. Principe
II.4.2. Spectres Raman des phases Na-Si
II.5. Mesures électriques in situ
Chapitre III. Etudes expérimentales du système Na-Si à HP/HT et détermination du diagramme de phases isoplétique
III.1. Synthèse de composés NaxSiy sous différentes pressions
III.1.1. Synthèses sous pressions < 3 GPa
III.1.2. Synthèses sous pressions entre 3,5 et 6,5 GPa
III.1.3. Synthèses sous pressions entre 7 et 9 GPa
III.1.4. Synthèses sous pressions supérieures à 9 GPa
III.2. Etudes in situ sur le diagramme de phases expérimental
III.2.1. Synthèses sondées par DRX sous rayonnement synchrotron
III.2.2. Synthèses sondées par les mesures électriques
III.2.3. Diagramme de phases combinant données in situ et ex situ
III.3. Synthèse de Si à partir des clathrates
Chapitre IV. Affinement de structure des phases du système Na-Si sous HP/HT et leurs équations d’état p-V-T
IV.1. DRX in situ sous HP/HT
IV.1.1. Structure de Si-I sous HP/HT
IV.1.2. Structure de Na8Si46 sous HP/HT
IV.1.3. Structure et composition du clathrate II sous HP/HT
IV.2. Equations d’état p-V-T
IV.2.1. Principe
IV.2.2. Equations d’état du Si-I, sI et sII-HP.
Chapitre V : Etude thermodynamique du système Na-Si sous HP/HT
V.1. Diagramme expérimental du système Na-Si sous 4 GPa
V.2. Diagramme calculé du système Na-Si sous 0,1 MPa
V.2.1. Généralités sur les diagrammes de phases
V.2.1.1. Diagramme de phases
V.2.1.2. Loi des phases
V.2.1.2.1. Variance d’un système
V.2.1.2.2. Expression de la loi des phases
V.2.1.3. Représentation du diagramme de phases
V.2.1.4. Règles de construction des diagrammes
V.2.1.4.1. Points conjugués
V.2.1.4.2. Règle du levier
V.2.2. Modélisation d’un diagramme de phases
V.2.2.1. Expression de l’équation de lissage d’une courbe de liquidus
V.2.2.2. Calcul des paramètres A, B, C,
V.2.3. Modélisation du diagramme de phases du système Na-Si
Conclusion générale
Références bibliographiques
Annexe