Peut-on définir la poésie ?
Qu’est-ce que la poésie ? Il est bien difficile de poser une définition unique de la poésie tant ses formes sont multiples et en perpétuelle évolution (J-M. Gleize, A noir. Poésie et littéralité; cité par H. Marchal, 2007, p.42 ; J-P. Siméon, 2014). Revenons tout d’abord à l’étymologie de ce mot. Poésieest issue du grec poeien, qui signifie « faire », « créer ». Ainsi, pour J-P. Siméon (2012), un poète est un compositeur qui crée à partir de la langue. Il ajoute que la poésie a deux enjeux principaux : bouleverser la langue et questionner notre rapport au monde.
Dans La poésie, livre de H. Marchal où il tente de définir celle-ci, on trouve une citation de T.S. Eliot confirmant ce premier enjeu : « Le poète […] ; c’est au langageque va son premier devoir, d’abord pour le préserver, puis pour l’étendre et l’améliorer. » (T.S. Eliot, 1957, On Poetry and Poets ; cité par H. Marchal, 2007, p.18.) Ainsi la poésie a un rôle mnémotechnique, mais aussi une dimension novatrice avec cet écart à la norme du langage (H. Marchal, 2007). En effet, un texte poétique est la rencontre d’un jeu sonore et d’un jeu sémantique. H. Marchal précise que« cette tension entre forme et message a pu conduire à associer la poésie à un “primat du signifiant” » (2007, p.33). Il ajoute que cela entraine parfois une résistance à la compréhension qui induit une réception sensorielle et non plus interprétative. J-P. Siméon le pense aussi : « ce qui est poésie dans un poème, c’est ce qui n’est pas immédiatement compréhensible. » (2012, p.67.) C’est cette attention au signifiant qui transforme le langage, le bouleverse.
Le second enjeu développé par J-P. Siméon (2012 ; 2014) est que la poésie est là pour interroger, faire écho à la complexité du monde. Il explique que les poèmes abordent des questions fondatrices, universelles et insolubles de la vie. Dans La vitamine P. La poésie, pourquoi, pour qui, comment ?, il résume cette idée ainsi : « Tous les poèmes du monde entier […] parlent de la même chose : de notre humanité mise à nue. » (2012, p.39.) G. Jean le rejoint sur ce point en énonçant que « la langue procède à sa propre découverte de l’être et de l’univers par [d]es jeux de mots » (1978, 3min56) », ces jeux étant le fondement de la poésie. J- P. Siméon précise également que ce questionnement concerne tout le monde et que ce serait une erreur que de penser que la complexité ne fait pas partie de la vie d’un enfant, qu’il ne sepose pas de questions complexes (2014). « L’enfant sait bien où est son grand questionnement et la poésie l’accompagne dans ce parcours. » (J-P. Siméon, 2012, p.52.)
Lorsque que l’on nous demande de définir la poésie, nous pensons assez rapidement à la caractéristique de la rime. D’après R. Jakobson, celle-ci « repose par définition sur la récurrence régulière de phonèmes » (2003, p.233). Mais si l’on prend uniquement le point de vue du son, ce serait une simplification qui oublie les relations sémantiques. En effet, la rime regroupe nécessairement le son et le sens. C’est d’ailleurs ce qui peut différencier la poésie du langage référentiel, porté lui davantage sur le contexte que sur le message. R. Jakobson explique que « dans le langage référentiel, le lien entre le signifiant et le signifié est […] un lien de contigüité codifiée » (2003, p.240). Il précise que pour communiquer, nous sélectionnons des mots, sur la base de l’équivalence sémantique puis nous les combinons, c’est-à- dire que nous construisons la séquence (par exemple une phrase) en se servant de la contigüité. La fonction poétique, elle, utilise l’équivalence sonore des mots pour faire la combinaison. P. Valéry le résume ainsi : « Le poème, hésitation prolongée entre le son et le sens. » (P. Valéry, Tel quel II Rhumbs ; cité par R. Jakobson, 2003, p.233.) Un texte poétique travaille donc sur la matérialité sonore. Il est à noter que la poésie est souvent rapprochée « de la musique, en tant qu’art des sons » (H. Marchal, 2007, p.32). Par son rapport à l’oralité, elle est donc comparée à la chanson (Éduscol, 2010 ; R. Jakobson, 2003 ; J-P. Siméon, 2012). Finalement, nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que la poésie est une nouvelle manière de s’exprimer mais qui utilise le langage commun (A. Borer ; cité par Éduscol, 2010, p.1 ; R. Jakobson, 2003, H. Marchal, 2007 ; J-P. Siméon, 2012 ; 2014). Selon la formule de J- P. Siméon, « l’utopie de la langue, c’est la poésie » (2014, 3min16), où utopie désigne un lieu qui n’existe pas. Il explique que les poètes amènent la langue là où elle n’est pas d’habitude.
Je citerai pour conclure J-P. Siméon : « la poésie ne se laisse pas enfermer dans une définition et c’est là toute sa richesse. » (2012, p.149.) Elle a des enjeux forts comme transformer la langue et interroger le monde ; elle se présente sous différentes formes et joue souvent sur les sons et les sens. Comment cette richesse est-elle abordée à l’école ? C’est ce à quoi nous nous intéressons dans la suite de ce travail.
Quelle est sa place à l’école ?
La pratique artistique de manière générale, et plus particulièrement la poésie, ne se justifie à l’école que par la conviction « qu’elle a un effet profond et durable sur l’individu » (J-P. Siméon, 2012, p.117). En essayant de la définir, nous avons aperçu la richesse de la poésie. « [Elle] est un instrument de savoir » (J-P. Siméon, 2013, p.7) et participe donc à l’acquisition de nombreuses compétences. À ce propos, dans la revue Chantiers Formations & Pratiques, il est développé les possibilités qu’offrent la lecture et l’écriture de poésie pour l’épanouissement des enfants. Cela aide par exemple à comprendre le monde ou à trouver un sens à la vie (D. Mabon, 2003). La poésie participe également à l’enseignement du français.
Elle permet d’aborder le langage autrement que dans une dimension utilitaire (Éduscol, 2010). « Dire/lire/écrire ne suffit pas ; il faut dire/lire/écrire quelque chose ! » (P. Sève, 2013, p.27.) Enfin, elle est intéressante pour elle-même, en tant qu’objet de l’éducation artistique. En effet, l’art et la poésie permettent une ouverture au monde et luttent contre les pensées toutes faites. Ils participent à l’enrichissement d’une culture commune et à la formation du citoyen (Éduscol, 2010 ; M. Perraudeau, 1994).
Quelles propositions d’enseignement ?
Au vu des innombrables bienfaits qu’elle peut apporter aux élèves, J-P. Siméon déplore « qu’on maintienne si souvent encore la poésie […] à la périphérie des apprentissages fondamentaux » (2013, p.7). Il reconnait par contre l’apparition depuis 1970 d’initiatives pour changer les habitudes (2012). Il expose la nécessité de « penser une autre pédagogie de la poésie si l’on veut faire des enfants des lecteurs de poésie actifs et passionnés […] et inventer des modes d’accès au poème sortant du registre traditionnel » (2012, p.17).
Ainsi, pour pallier le manque de temps consacré à la poésie et les actions restreintes qui sont pratiquées, il propose des « activités multiples autour de la lecture, de l’oralisation et de l’écriture de poèmes, alliant toujours appropriation individuelle et partage collectif » (2012, p.138). « Les entrées en poésie : la poésie vivante, le dire, l’écrit, le lire, la transdisciplinarité » (Le printemps des poètes, 2016, p.6), son t nombreuses. J-P. Siméon propose trois aspects sur lesquels travailler : la familiarisation avec le fait poétique (écouter et lire), le travail sur l’écriture et la mise en voix du poème (2012). Nous nous intéresserons au mode d’accès au poème qu’est l’écriture. L’enjeu est de « donner aux enfants des clefs linguistiques pour entrer dans un poème » (J. Jolibert et al., 1992, p.24). Ainsi, les ateliers d’écriture sont un moyen d’y parvenir, avec notamment la pratique de jeux poétiques et ensuite, l’écriture de poèmes (J-P. Siméon, 2012). Selon G. Jean (1978), il est nécessaire de les pratiquer mais s’il y en a trop, la poésie fini par disparaitre. Il est également important de mêler cette activité formelle à des moments informels où l’enfant va de lui-même rencontrer la poésie (J. Jolibert et al., 1992).
Qu’est-ce qu’un atelier d’écriture ? Tout d’abord, écrire n’est pas à prendre au sens de la graphie du texte mais bien de l’expression avec des mots du sens du discours (M. Perraudeau, 1994). C’est un acte de communication où le scripteur doit prendre en compte le destinateur ; cela relève donc d’un apprentissage (J. Jolibert et al., 1992 ; M. Perraudeau, 1994). Un atelier d’écriture change notre rapport à l’écriture. Il permet de développer l’habileté à produire des objets littéraires aboutis et lisibles par des tiers (I. Rossignol, 1997 L’invention des ateliers d’écriture en France ;citée dans Aleph Écriture, 2016). Selon M. Perraudeau (1994), l’atelier d’écriture crée de nouvelles situations d’écriture afin de renouveler la motivation, de libérer l’imagination et de donner le goût de manipuler les mots. Grâce à des contraintes de formes, qui nécessitent par ailleurs d’être réfléchies, la créativité est plus facilement libérée (F. Dachet, 2005). À ce titre, les poètes et écrivains ont depuis longtemps pratiqué ces jeux, au sens de manipulations des mots (F. Dachet, 2005 ; G. Jean, 1978). Un des exemples les plus connus de telles activités est l’Oulipo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle. Les ateliers d’écriture permettent de désacraliser l’écriture et de la rendre plus accessible. « Il s’agit non pas de prouver un talent, mais de faire l’expérience d’une écriture créative et impliquante. » (Le printemps des poètes, 2016, p.6.)
Plus particulièrement, les liens entre poésie et musique sont nombreux, comme évoqué plus haut. Les ateliers d’écriture peuvent ainsi avoir comme objectif de changer le rapport des élèves aux mots. Ils ne représentent plus seulement un sens mais aussi une sonorité. Si « jouer avec […] les mots, […] leurs sonorités […] permet de mieux s’approprier la langue » (F. Dachet, 2005), alors un atelier autour des rimes peut être intéressant pour de jeunes élèves qui construisent leurs connaissances langagières. Bien que la poésie ne puisse se limiter aux textes à rimes, ces dernières permettent une première approche, par « le travail sur la musicalité » (Le printemps des poètes, 2016, p.15). On s’intéresse donc au poème en tant que « fonctionnement particulier du langage » (J. Jolibert et al., 1992, p.25), avec des structures phoniques. Ainsi, un moyen parmi tant d’autres de changer les habitudes de classe, comme la récitation, est d’aborder la poésie par la production d’écrit et par son rapport à la musique.
Nous pouvons pour cela créer un atelier d’écriture autour des rimes et des sonorités des mots.
Aborder la poésie par son rapport à la musique et par la production d’écrit – problématique
Pour résumer cette analyse, si la poésie a toujours fait partie du langage, elle semble aujourd’hui réservée à une élite et inaccessible. Peu de personnes en lisent, la considérant comme incompréhensible ou inutile ; les enseignants ne s’y sentent pas à l’aise et limitent souvent les activités en classe à la récitation dans le premier degré.
La poésie est certes difficile à définir mais cela ne limite en rien sa richesse. Parmi toutes ses caractéristiques, un de ses aspects est de jouer avec les mots et leur sonorité. En tant qu’art du son, elle se rapproche ainsi de la musique. En se focalisant sur le signifiant et non plus le signifié, sur le message en tant que tel, elle tient une place bien particulière dans le langage. De plus, la rencontre avec celle-ci semble une nécessité pour découvrir notre monde et s’y ouvrir. Elle présente de cette manière de nombreux avantages.
L’importance de sa place à l’école est donc maintenant affirmée par des poètes et par l’Éducation Nationale, et de nombreuses activités pour mettre en place son enseignement sont proposées. L’écriture est une approche parmi d’autres. Mais des élèves en cycle 2, qui découvrent l’écriture en tant que geste graphique d’abord puis en tant qu’expression, sont souvent en difficultés face à de tels exercices. Cette résistance est d’abord due à l’exigence de la maitrise du code mais aussi à un blocage de l’imagination. Comment surmonter cet obstacle à la création ? Les ateliers d’écriture semblent permettre un accès privilégié à l’écrit. Ils se développent sous différentes formes et s’avèrent propices à la création et à la production d’écrits.
Méthode
J’ai choisi d’effectuer une recherche corrélationnelle, c’est à dire de tenter de découvrir des covariations ou des associations de phénomènes. Mon but était donc d’établir comment un phénomène est lié à un autre ; vivre un atelier d’écriture et produire spontanément des poèmes. Je n’ai pas souhaité réaliser une recherche expérimentale, qui montre comment un phénomène en cause un autre, car il aurait fallu pour cela définir un groupe de comparaison. Or, étant convaincue des apports potentiels de mon activité, je ne souhaitais pas en priver une partie de mes élèves.
Qui sont les participants ?
Mon école se trouve dans la commune de Villard-de-Lans, zone la plus développée économiquement et démographiquement du massif du Vercors. Ma classe fait partie d’un groupe scolaire réunissant école maternelle et élémentaire. Il représente un ensemble de 17 classes (dont 12 en élémentaire) pour environ 430 enfants (dont 296 en élémentaire).
Cette étude a porté sur une classe de 28 élèves de CE1. Ils ont donc tous entre sept et huit ans. L’effectif est réparti en 10 filles et 18 garçons. Par ailleurs, un élève de la classe bénéficie de 9 heures par semaine avec un AESH (Accompagnant des En Situation de Handicap). Il y a deux enseignantes à mi-temps sur cette classe ; j’assure les jeudis et vendredis ainsi qu’un mercredi sur deux. Sur le temps de l’expérimentation, l’autre enseignante a été remplacée toute la durée de la période 4, c’est-à-dire les semaines 10 à 15. L’enseignante qui partage habituellement la classe avec moi était au courant de mes actions autour de la poésie et des dispositifs mis en place, alors que sa remplaçante non.
Que leur faisons-nous faire ? – procédure et matériel
Depuis septembre, j’ai abordé la poésie dans ma classe de manière très succincte, à travers l’apprentissage et la récitation de trois poèmes, un pour chaque saison. En période 4, j’ai également fait découvrir un virelangue par semaine aux élèves. Ces phrases qui jouent avec les sonorités des mots leur plaisent beaucoup. Après plusieurs écoutes, ils devaient essayer d’en comprendre le sens puis de le répéter sans erreur. Plus tard, ils recopiaient cette phrase dans leur cahier du jour. Les virelangues découverts sont présentés dans l’annexe 1. Mon étude a débuté le mercredi 8 février, en semaine 6, avec la lecture de quelques pensées d’un écrivain, que la classe sera par ailleurs amenée à rencontrer. Cette lecture a eu lieu au cours d’une activité régulière du mercredi matin : lecture offerte par l’enseignante. Les textes ont été tirés au hasard dans le recueil Pensées sauvages pour enfants cultivés, de Franck Prévot, 2011, éditions l’Édune. Ils sont en annexe 1.
Le même jour, j’ai mis en place une boite à poèmes. Il s’agit d’une boite de céréales recouverte de papier blanc, du mot « Poème » et d’images de plume et d’encrier. J’ai donné une consigne très ouverte aux élèves, leur proposant une boite dans laquelle ils pourraient mettre des poèmes inventés. J’ai indiqué les temps où les élèves pourraient faire ces écrits : temps libre (lorsqu’ils terminent une activité avant les autres par exemple), temps de la lecture offerte, à la maison (à condition de le faire seul). J’ai également expliqué qu’on lirait à la classe les poèmes de ceux qui le souhaitaient ; pour cela, ils devraient indiquer « à lire » ou « à ne pas lire » sur leurs productions, ainsi que leur prénom. Des questions ont émergé et j’ai autorisé le mélange entre des choses existantes et d’autres inventées. Cette boite a été accrochée à un mur de la classe (à l’aide de pastilles adhésives), en face et à hauteur des enfants. J’ai également fixé une pochette transparente contenant des feuilles blanches enformat A5 ainsi que deux papiers avec le modèle d’écriture pour « à lire » et « à ne pas lire ». Il a fallu veiller à réapprovisionner la réserve en feuilles blanches.
Chaque semaine, j’ai recueilli les poèmes spontanés des élèves dans la boite. Un temps était réservé dans l’emploi du temps pour lire les poèmes des élèves qui le souhaitaient, lecture effectuée par eux-mêmes ou l’enseignante (selon leur envie et/ou le temps disponible). La lecture des poèmes n’a pas toujours été faite de manière régulière en raison des contraintes et imprévus de la vie de classe. Ainsi, la première lecture de leurs productions a eu lieu en semaine 10, les vacances de février ajoutant à cet écart. Pour les semaines 11 et 12, la lecture a eu lieu le vendredi soir, mais celle prévue en semaine 13 a été reportée en fin de semaine 14, avec les poèmes de cette semaine-là. Les poèmes de la semaine 15 ont été lus avant le départ en vacances, mais par l’enseignante par manque de temps.
Le mercredi 5 mars (semaine 14), j’ai fait vivre à mes élèves un atelier d’écriture. Le lendemain, un temps a été consacré pour expliquer le travail de la veille aux absents et leur permettre de rattraper un peu l’activité, ainsi qu’à quelques élèves qui avaient eu des difficultés. Plus tard, la suite de l’atelier a ainsi pu être suivie par toute la classe. La fiche de préparation est en annexe 2.
Cet atelier a pour objectif que chaque participant écrive un poème. Il permet également de découvrir une caractéristique de nombreuses poésies : la rime. Il se déroule en trois grandes parties.
La première débute par une réflexion autour du poème et de sa définition. Ma classe a formulé ainsi ce qu’est un poème : « C’est une petite poésie, avec des phrases qui riment et qui nous font plaisir ». Les élèves cherchent ensuite des mots qui riment avec leur prénom et les inscrivent sur leur ardoise. Puis, à partir d’un corpus créé avec les poèmes et chants appris depuis le début de l’année (présenté en annexe 1), la classe réalise une banque de mots, regroupés en fonction de leur rime. Celle faite avec mes élèves est en annexe 3.
La deuxième partie commence par une appropriation de ces mots, en jouant avec leur sonorité. Les élèves prononcent tous les mots d’une liste en y mettant un caractère (ex. : joie, colère). En amont, l’enseignante aura montré comment varier les paramètres du son (hauteur, intensité, durée) et fait quelques exemples. La fin de cette partie clôture également la première. Les élèves reprennent leur ardoise où sont inscrits leur prénom et trois mots rimant avec. Ils doivent alors écrire sur un papier ½ A5 distribué deux phrases avec ces mots à la fin, de sorte que les phrases riment.
La troisième partie débute elle aussi par l’appropriation de la banque de mots. Sous forme de jeu, pour chaque groupe de mots qui riment, les élèves proposent un chant (étudié dans l’année) à l’enseignante. Celle-ci chante alors la liste de mots sur la mélodie imposée. S’en suit un travail de répétitions par les élèves, comme pour l’apprentissage d’un nouveau chant.
Ensuite, chaque élève choisi un son, qui représente le groupe de mots se terminant par ce son.
Il doit écrire (sur une feuille ½ A5 distribuée) deux phrases qui se terminent par un mot de ce groupe. Finalement, chaque élève a rédigé quatre phrases. Ils doivent les numéroter de 1 à 4 dans l’ordre qu’ils souhaitent pour avoir leur poème final. En annexe 4, les poèmes produits lors de l’atelier par les élèves n°1, 2, 8 et 11 sont présentés.
Comment en mesurer les effets ? – choix des critères d’analyse
Je cherche à évaluer l’effet que peut avoir un atelier d’écriture de poèmes, centré sur les rimes et la sonorité des mots, sur les productions spontanées d’élèves. Afin de l’analyser, j’ai défini des critères, qui seront validés ou non à l’aide d’indicateurs. Mes deux critères principaux sont de savoir si les élèves écrivent spontanément, et s’ils écrivent de la poésie (ici, au sens des rimes).
Pour valider le premier critère, j’ai observé la quantité de poèmes spontanés dans la boite. J’ai calculé le nombre de poèmes avant et après l’atelier, en fonction du nombre de jour de présence en classe. Ce calcul a été fait pour la classe entière mais également élève par élève afin d’identifier si, suite à l’atelier, le nombre de productions spontanées par élève augmente. Par exemple, nous pourrons voir si certains élèves qui n’avaient pas encore écrit spontanément des poèmes s’y sont mis.
Le second critère relève de la qualité des poèmes. Il est difficile d’en juger objectivement. J’ai donc choisi des indicateurs qui limitent la définition de la poésie mais qui permettent une meilleure objectivité. Nous pourrons donc noter la présence ou non de rimes et/ou de répétitions d’un son. Afin d’analyser correctement le critère de qualité, j’ai pris le parti de n’étudier les productions que de certains élèves. En effet, avec 72 poèmes au total, il aurait été difficile d’inventorier les rimes et/ou répétitions de sons pour chacun, puis surtout de présenter cette analyse de manière claire et fructueuse. J’ai donc fait un choix parmi les élèves ayant produit des poèmes avant et après l’atelier (n°1, 2, 7, 8, 11, 12, 14, 16, 19, 22, 23, 28) pour pouvoir comparer leurs productions. J’ai ensuite sélectionné en fonction du nombre de poèmes (s’il y en a plusieurs, l’analyse sera plus complète). Ainsi, je n’ai pas observé les élèves n°12, 19 et 22 puisqu’ils n’ont produit qu’un seul poème avant et après. De plus, les poèmes de l’élève n°28 (élève en situation de handicap) étaient assez peu lisibles. J’ai finalement considéré les élèves n°1, 2, 8 et 11, deux garçons et deux filles, pour qui il y a eu soit un effet visible soit apparemment pas de changement.
Pour réaliser l’analyse des productions et faciliter le stockage puis la lecture des données, j’ai réalisé des tableaux récapitulatifs ainsi que des diagrammes. Ils m’ont permis de synthétiser les résultats de mon action.
Résultats
L’hypothèse de mon travail est donc que suite à un atelier d’écriture de poèmes sur les rimes, incluant une approche musicale des mots, les productions spontanées des élèves se retrouvent influencées quantitativement et qualitativement. Plus précisément, je pense que la quantité de poèmes produits par chaque élève sera plus importante suite à l’atelier d’écriture. De plus, je suppose que les productions post-atelier comporteront davantage de rimes et/ou de répétitions de sons.
La quantité
Pour le critère de quantité, j’ai relevé les poèmes de la boite chaque semaine. J’ai compté le nombre total de poèmes par semaine, pour la classe et par élève. Cependant, le nombre de jours de présence à l’école a pu varier selon les semaines. En effet, l’action a débuté un mercredi donc la première semaine ne comportait que trois jours. Puis suite à diverses activités (ski et cinéma) et absences d’enseignants (problème d’organisation des remplacements), d’autres semaines ont été raccourcies. En ramenant le nombre de poèmes par semaine, comme si elles comportaient toutes cinq jours, on obtient la figure 1.
Discussion
Mon étude cherche à définir dans quelle mesure un atelier d’écriture lié à la musicalité des rimes peut susciter des productions de poèmes spontanées d’élèves de CE1, du point de vue quantitatif et qualitatif. J’ai pour cela mis en place dans ma classe un dispositif pour que les élèves puissent écrire spontanément : la boite à poèmes. De plus, j’ai fait vivre à mes élèves un atelier d’écriture où ils ont découvert la notion de rimes, où ils ont joué avec la sonorité des mots et où ils ont tous produit un poème. L’hypothèse avancée était que le fait de vivre un tel atelier d’écriture est en corrélation avec l’augmentation chez les élèves de l’envie de produire des poèmes et avec le fait que ces productions intègrent davantage d’éléments sonores caractéristiques, comme des rimes ou des répétitions de sons. En analysant les résultats, j’ai pu remarquer quela quantité de poèmes produits spontanément par les élèves augmente dans les semaines qui suivent l’atelier pour la majorité des élèves. Cependant, la qualité des productions post-atelier ne semble pas meilleure, du point de vue des rimes et des répétitions de sons.
Nous allons essayer de comprendre ces résultats au vu des données de la littérature, d’établir les limites du dispositif mis en place et de proposer des modifications ou prolongements afin d’enrichir ce travail.
Des leviers et obstacles à la progression des élèves – interprétation
Du point de vue de la quantité de poèmes produits spontanément par les élèves, dans la partie résultat on note qu’elle a augmenté dans les semaines suivant l’atelier. Cependant, elle n’a jamais été aussi importante lors de la semaine de lancement. Cette différence vient probablement de l’effet d’enthousiasme dû à la nouveauté. Pendant la semaine suivante (la numéro 7), il y a eu moins de poèmes dans la boite mais tout de même un nombre au-dessus de la moyenne. L’enthousiasme était certainement moins présent ; la lecture des productions n’ayant de plus pas eu lieu comme prévu, elle n’a pas permis une émulation. On constate également qu’en semaine 10, après les vacances scolaires, il n’y a qu’un seul poème déposé.
On peut supposer que les élèves avaient besoin de se remettre dans le rythme scolaire et de se souvenir de l’existence de cette boite. Ils devaient également prendre leurs marques avec la remplaçante en début de semaine.
Du point de vue de la qualité cette fois, les résultats montrent que certains élèves ont commencé à s’approprier des éléments de l’atelier pour les réutiliser dans leur productions personnelles. Ils jouent davantage avec les sonorités des mots. Cela vient peut-être également de la rencontre hebdomadaire avec un virelangue. Cependant, les élèves pour qui on peut noter un changement significatif entre leurs productions faites avant l’atelier et celles réalisées après sont peu nombreux. Nous pouvons présumer le fait que vivre un seul atelier d’écriture n’est pas suffisant pour qu’ils réinvestissent les éléments travaillés.
Je pense que les élèves ont pu progresser dans leur rapport à la poésie grâce à divers facteurs. En premier lieu, la boite à poème ne les obligeait à rien. C’était simplement par plaisir qu’ils pouvaient participer, sans bonne réponse ou résultat attendu. Parallèlement, ce moment informel devait cohabiter avec des activités plus structurées, comme nous l’avons vu en première partie (J. Jolibert et al., 1992). Ainsi, en deuxième lieu, les jeux poétiques contraignants pratiqués lors de l’atelier ont certainement aidé à changer le rapport des élèves aux mots. Les différents auteurs de la première partie, comme G. Jean et J-P. Siméon, insistaient effectivement sur l’importance de pratiquer de tels jeux. Nous avons vu qu’un atelier d’écriture peut permettre de rendre l’écriture plus accessible. Comme l’expliquait M. Perraudeau, la motivation est renouvelée et l’imagination est débloquée. En troisième lieu, le fait d’aborderla poésie à travers un autre art, la musique, a pu donner la possibilité aux élèves de considérer les mots pour leur sonorité et non plus leur sens. La découverte de virelangues a elle-aussi probablement participé à ce changement. Ainsi, ces différentes approches ont permis aux élèves de produire davantage de poèmes et parfois d’y intégrer des éléments sonores caractéristiques.
Malgré ces améliorations non négligeables, des éléments ont pu empêcher les élèves de progresser. Dans un premier temps, J-P. Siméon recommandait de pratiquer des activités variées et nombreuses, autour de la lecture et de l’écriture de poèmes. Ainsi, un seul atelier d’écriture n’a sûrement pas suffit pour que les élèves se familiarisent avec la poésie. De la même manière, les temps dédiés à l’écriture de poèmes étaient assez courts et ne permettaient pas aux élèves de s’appliquer ; l’écriture d’un poème se faisant habituellement sur un temps plus long qu’entre deux activités. Dans un second temps, nous avons vu qu’écrire était un nouvel apprentissage pour des élèves de CE1. M. Perreaudau et le groupe de recherche d’Écouen (J. Jolibert et al., 1992) rappelaient qu’écrire est un acte de communication où il est nécessaire de considérer le destinataire. Un apprentissage est donc indispensable. De plus, les élèves acquièrent de nouvelles connaissances langagières tout au long de l’année. Il est arrivé qu’ils soient tellement absorbés par l’acte graphique par exemple, qu’ils ne réussissaient plus à se concentrer sur autre chose. Ainsi, il leur est sûrement difficile de s’approprier la langue pour composer avec, comme le fait un poète (J-P. Siméon, 2012).
Dans le dispositif mis en place, le manque de temps dédié à l’écriture et aux jeux poétiques ainsi que les apprentissages en construction au niveau de l’écriture chez les élèves ne leur ont pas permis de progresser dans leur rapport à la poésie autant qu’ils auraient pu. Nous allons maintenant voir les changements et prolongations qui auraient pu s’avérer efficaces.
Vers une découverte de la poésie sur la durée et par la diversité -prolongements
Afin d’améliorer mon action, différents axes auraient pu être développés au sein de ce que j’ai proposé. Tout d’abord, le temps imparti pour l’écriture spontanée devrait être plus important pour permettre aux élèves de revenir sur leur poèmes. De la même manière, un travail sur l’orthographe pourrait être mené avec eux pour les aider à améliorer leurs productions, dans la perspective de les partager. Il y a tout un travail d’apprentissage de l’écrit à renforcer, avec également des réflexions sur ses liens avec l’oral. En effet, le langage est aussi bien oral qu’écrit et mon atelier d’écriture joue sur les deux, sans en expliciter les différences et points communs, le passage de l’un à l’autre.
Un deuxième axe serait de travailler sur la continuité. Il serait avantageux de mener plusieurs ateliers afin que les élèves s’approprient les différents jeux et stratégies d’écriture, et observer ainsi l’évolution de leur productions. Quant au contenu des ateliers, il faut qu’il soit diversifié. En gardant le lien avec la musique, il serait intéressant de travailler la poésie au sens du rythme des phrases et des mots par exemple.
Le dernier axe qui pourrait être développé est celui des émotions. Je n’ai pas pu relever les réactions des élèves lors des lectures des poèmes de la boite. Elles étaient cependant nombreuses (rire, surprise, intervention,…) et auraient pu être utiles à analyser. Ainsi, un dernier critère aurait pu ressortir : la confiance en eux des élèves. Elle est difficile à mesurer mais la mention « à lire » ou « à ne pas lire » inscrite sur les poèmes spontanés peut en donner un aperçu. En effet, le fait qu’un élève ne souhaite pas que son poème soit lu devant la classe montre qu’il appréhende le regard des autres. Nous aurions peut-être pu identifier des corrélations entre l’envie d’écrire d’un élève, la mention « à lire » ou « à ne pas lire » inscrite sur ses poèmes et les réactions de ses camarades. Ces points seraient donc à développer dans le cadre de ce que j’ai mis en place. En outre, de nombreuses activités pourraient avoir lieu en parallèle.
Les données de la littérature font ressortir l’importance de varier les modalités d’accès à la poésie. Comme décrites par Le printemps des poètes, les entrées en poésie sont nombreuses, et les auteurs insistent notamment sur l’importance de la rencontre avec la poésie par la lecture. D’après J-P. Siméon et le groupe de recherche d’Écouen (J. Jolibert et al., 1992), ces lectures individuelles ou collectives doivent être nombreuses avant de commencer l’écriture de poèmes. Seulement, mes élèves n’ont finalement que très peu entendu de poèmes.
Cela se ressent dans leurs productions qui sont, pour certaines, un message adressé directement à un camarade, comme on peut le faire dans d’autres activités de classe (par exemple, remercier un copain lors du conseil de classe). Les lectures offertes ont été axées sur les albums et les recueils de pensées de l’auteur avec qui la rencontre était programmée. Le peu de poèmes étudiés n’a donc pas permis d’en découvrir toutes les variétés. Ainsi, la lecture de poèmes est un axe qu’il faudrait absolument développer davantage. D’autres modalités d’accès peuvent aussi être mise en place, comme proposé par Éduscol ou Le printemps des poètes : écoute, lecture, écriture, mais aussi par les arts, comme la musique ou le dessin, la danse. Finalement, il serait intéressant de travailler en parallèle les trois axes proposés par J-P. Siméon (2012) : la familiarisation avec le fait poétique (écouter et lire), le travail sur l’écriture et la mise en voix du poème.
La poésie pour mes élèves et moi-même – conclusion
Réaliser ce mémoire a réellement changé ma manière de voir la poésie, tant d’un point de vue personnel que professionnel. J’ai ainsi l’envie de la redécouvrir moi-même afin de pouvoir en faireprofiter mes élèves. Au travers de l’interdisciplinarité, elle peut permettre de nouveaux apprentissages et en tant qu’objet de l’éducation artistique elle ouvre sur le monde et la culture. Elle prend des formes si variées et si différentes que c’est un champ immense de découvertes dans lequel chaque élève peut trouver la forme qui lui convient. Elle participe ainsi à l’épanouissement des enfants.
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Table des matières
1. Introduction
2. Partie théorique
2.1. Mais qu’est-ce que la poésie ? – état de l’art
2.1.1. Qu’est-ce que le langage ?
2.1.2. Peut-on définir la poésie ?
2.1.3. Quelle est sa place à l’école ?
2.1.4. Quelles propositions d’enseignement ?
2.2. Aborder la poésie par son rapport à la musique et par la production d’écrit – problématique
3. Méthode
3.1. Qui sont les participants ?
3.2. Que leur faisons-nous faire ? – procédure et matériel
3.3. Comment en mesurer les effets ? – choix des critères d’analyse
4. Résultats
4.1. La quantité
4.2. La qualité
5. Discussion
5.1. Des leviers et obstacles à la progression des élèves – interprétation
5.2. Vers une découverte de la poésie sur la durée et par la diversité – prolongements
5.3. La poésie pour mes élèves et moi-même – conclusion
6. Bibliographie
7. Annexes
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