En 1954, avec la parution de Nations Nègres et culture du professeur Cheikh Anta Diop, bien de zones d’ombre de l’histoire africaine ont été éclairées. En ce qui concerne la question des relations entre l’Égypte ancienne et l’Afrique noire, malgré les éclairages qu’apporte l’ouvrage susmentionné, il a fallu attendre le colloque du Caire pour savoir à quoi s’en tenir, c’est-à-dire s’il faut faire les rapprochements aussi bien sur le plan racial que culturel ou seulement culturel. Effectivement, c’est dans le but de trancher la question qu’en 1974, à l’initiative de l’UNESCO, un colloque international d’égyptologie s’était tenu au Caire, regroupant des spécialistes de divers horizons. Au cours des débats, le professeur Cheikh A. Diop et son disciple le professeur Théophile Obenga ont fait savoir à leurs pairs que s’ils veulent vraiment comprendre la civilisation égyptienne, il serait obligatoire, pour eux, de placer celle-ci dans son contexte africain. Malgré les nombreuses divergences entre spécialistes, il fut admis que les anciens Égyptiens étaient culturellement négro-africains. Donc, nous pouvons dire que ce colloque avait résolu, en partie, l’un des problèmes les plus débattus de l’historiographie africaine . En effet, si l’étude des relations entre l’Égypte pharaonique et l’Afrique noire est devenue une branche de l’égyptologie, c’est également grâce à ce fameux colloque.
Mais avant et même après cette rencontre du Caire, d’éminents égyptologues ont attiré l’attention sur le caractère africain de la culture égyptienne . Déjà, en 1957, Serge Sauneron avait souligné que :
« nous [il parle des auteurs occidentaux] aimons parler de ̏ civilisation méditerranéenne ̋ et y inclure tout ce qui s’est fait de beau ou de grand à proximité de cette mer. Mais lorsque le Nil, par ses sept embouchures, se déverse en elle, il laisse loin derrière lui toute la civilisation égyptienne dans ce qu’elle a de plus original. […] Pour l’Égypte, elle [la Méditerranée] marque au contraire la limite d’un monde, d’un monde africain ; aussi les révélations d’Ogotomméli, ou la ̏ philosophie bantoue ̋ apportent-elles de précieux éléments qui nous aident à mieux comprendre certains aspects de la pensée religieuse égyptienne : mais nous ne devrons rien attendre, dans ce domaine, ou fort peu de choses, de la lecture de Platon » .
Et Jean Leclant d’ajouter que :
« si les Égyptiens en effet, ceux des pyramides et ceux de nos jours, ne sont évidemment pas nègres, il demeure que la civilisation égyptienne antique est par excellence une civilisation africaine ; L’Égypte est avant tout terre d’Afrique. Et la civilisation pharaonique peut servir d’introduction à la connaissance du monde noir ».
Dans la foulée des études traitant des liens Égypte ancienne/Afrique noire, un autre égyptologue français non moins connu, Jean Vercoutter, approuve que « la civilisation égyptienne, par sa langue, son écriture, sa façon de penser est indiscutablement africaine avant tout […] » .
Malgré ces voix qui s’élèvent pour le rapprochement culturel entre l’Égypte ancienne et l’Afrique noire, d’autres restent sceptiques et hermétiques à cette idée. À ce propos, l’exemple de François Daumas nous suffit pour preuve. Pour cet auteur, les conceptions dogon et bantou du monde et de l’être ne sauraient expliquer la pensée religieuse et philosophique des anciens Égyptiens qui, à bien des égards, était plus élaborée . Qu’est ce qui explique ce comportement ? Les causes d’une telle attitude, sont profondes, c’est-à-dire essentiellement psychologiques, « idéologiques » . Pour freiner cette idéologie occidentale, les chercheurs africains doivent s’intéresser davantage aux relations entre les différentes populations de l’Afrique depuis l’ère pharaonique jusqu’à nos jours. En plus de cela, l’étude des rapports interethniques est très importante dans une Afrique où la question de l’ethnicité est très souvent à l’origine de multiples troubles. Ainsi, l’unité africaine qui est l’une des préoccupations majeures des pouvoirs publics présuppose la connaissance de toute l’Afrique par tous les Africains . Mais ne nous faisons pas trop d’illusions, une telle entreprise ne sera effective qu’à partir du moment où les populations se mettront à consolider davantage les parentés qui existent entre elles.
C’est dans cet état d’esprit que nous avons choisi de faire une étude sur la cohabitation entre Peuls et Soninkés. Cependant, traiter de la question du pourquoi et de l’historique de la cohabitation de deux groupes ethniques revient à analyser l’évolution de ces derniers depuis qu’ils se sont constitués en tant qu’ethnie dans le temps et l’espace. Sur cette base, nous serons amené donc à fouiller tout le passé des ethnies en question.
LA PRÉSENTATION DES PEULS, DE LEUR PAYS ET DE LEUR ACTIVITÉ
Qui sont les Peuls ? D’où viennent-ils ? Quelle est leur histoire ? Voilà trois questions qui ont suscité des réponses aussi étonnantes que diverses et contradictoires. Depuis la période coloniale, il est de coutume chez les chercheurs qui s’intéressent aux Peuls de mentionner dans leurs préfaces, avant-propos ou introductions, qu’il est difficile de faire une étude sur cette ethnie vu la complexité de son histoire. En réalité, la question peule n’est devenue complexe qu’avec l’islamisation des Fulɓe. Cependant, les choses se sont empirées lorsque les auteurs européens (de toutes spécialités) de la période coloniale se sont investis à la tâche de l’écriture de l’histoire des Peuls nomades. Cette période a produit une masse importante de documents sur ce groupe ethnique.
À l’état actuel de la recherche, parler des Peuls n’est pas une entreprise aisée. Cette difficulté est liée d’une part à l’abondance de la littérature ethnologique, anthropologique, historique et linguistique sur les Fulɓe et d’autre part à la dispersion de ce groupe ethnique à travers toute l’Afrique. Pour ne pas commettre les mêmes erreurs que certains de nos devanciers, nous n’allons pas différencier les Peuls des autres nègres car ils appartiennent tous à une même réalité.
LES PEULS
De toutes les questions qu’un chercheur puisse se poser sur l’histoire des Fulɓe, la plus délicate est, sans doute, celle qui porte sur leur origine lointaine. Effectivement, l’origine de ces fameux pasteurs fut l’un des sujets les plus discutés dans le courant des 19e et 20e siècles. De nombreux spécialistes occidentaux se sont penchés sur le problème sans apporter de résultats probants. Déjà, en 1912, Maurice Delafosse soulignait que « la question de l’origine des Peuls a fourni matière à d’amples discussions et cependant elle est loin d’être résolue » . Comme nous l’avons dit tantôt, en 1954, avec la parution de Nations nègres et culture du professeur Cheikh Anta Diop, les chercheurs africains commençaient à être édifiés véritablement sur l’histoire ancienne de l’Afrique et de ses populations. En effet, sur la base des synthèses du premier égyptologue africain, le professeur Aboubacry Moussa Lam publia en 1993 une excellente monographie sur les Peuls . D’après lui, ces derniers sont originaires de la vallée du Nil.
Ces fameux pasteurs dont la caractéristique identitaire par excellence est la pulaaku, constituent l’un des peuples les plus nombreux en Afrique (entre 8 à 20.000.000 d’individus ). L’inégale répartition des Fulɓe, à travers tout le continent, est liée à leur activité pastorale. Toutefois, il est sans doute abusif de parler d’un nomadisme absolu du Peul . Généralement, le pulaar est la langue vernaculaire des Peuls mais il est utilisé aussi comme langue véhiculaire dans plusieurs pays africains. La langue étant considérée comme une force unificatrice, le pulaar constitue donc le ciment de l’unité des populations pastorales. Si l’on s’en tient à la classification de J. H. Greenberg , cette langue, le pulaar bien sûr, appartiendrait au groupe ouest atlantique de la famille de langues Niger-Congo.
D’après ce qui vient d’être dit sur le poulaar et le poulagou , nous pouvons affirmer avec Anneke Breedveld & Mirjam De Bruijn qu’ils constituent les critères majeurs pour identifier le Peul. En Afrique de l’Ouest, de nombreux « États » ont été créés par les Peuls : au Fuuta-Tooro, au Fuuta-Jaloo, au Massina, à Sokoto etc. Mais le plus souvent, les Fulɓe cohabitent avec des groupes de cultivateurs notamment les Bambaras, les Malinkés, les Soninkés … Par exemple dans la moyenne et haute vallée du fleuve Sénégal, il suffit pourtant de se promener avec une oreille et un regard quelque peu attentifs pour percevoir l’existence d’une communauté pluriethnique. Singulièrement, les brassages entre Peuls et Soninkés avaient atteint des proportions très importantes au point qu’ils engendrèrent un groupe transethnique , les Xassonkés.
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Table des matières
Introduction générale
Premier partie : La présentation des ethnies étudiées, de leurs pays et de leurs activités respectives
Introduction
Chapitre premier : La présentation des Peuls, de leur pays et de leur activité
A- Les Peuls
B- Le pays peul et l’activité qui y prédomine
Deuxième chapitre : La présentation des Soninkés, de leurs pays et de leurs activités
A- Les Soninkés
B- Le Pays et les occupations des habitants
Conclusion
Deuxième partie : La revue critique des sources et de la littérature scientifique
Introduction
A- Les points de vue des auteurs coloniaux sur l’origine des Peuls et leurs rapports avec les voisins nègres
B- Les positions des auteurs négro-africains sur la question de l’origine des Peuls et des Soninkés, et sur celle de leur cohabitation primitive
Conclusion
Troisième partie : Les principes de la cohabitation interethnique
Introduction
Chapitre premier : Principe d’une religion commune
A- La religion et ses finalités sur le plan social
B- La cohabitation pacifique des Peuls et des Soninkés repose-t-elle sur un soubassement confessionnel ?
Deuxième chapitre : principe de l’interdépendance des activités
A- L’origine de l’organisation clanique des sociétés africaines
B- Les activités primitives des anciens Égyptiens : l’exemple de l’agriculture et de l’élevage
C- L’importance de la division du travail social
Troisième Chapitre : Principe d’un pouvoir fort
A- L’État fort dans lequel les Peuls et les Soninkés ont vécu avant l’émergence de Ghana
B- L’État Pharaonique
Conclusion
Quatrième partie : Les faits qui attestent que le Peuls, les Soninkés et les Égyptiens ont vécu ensemble
Introduction
Chapitre premier : similitudes de conceptions entre anciens Égyptiens et Ouest-africains autour de certains animaux
A- Les animaux symbolisant la puissance
B- Les animaux protecteurs : le vautour et le serpent
C- Le serpent : une divinité bienfaisante
Deuxième chapitre : le matriarcat et la croyance à la vie post-mortem en milieu Peul et Soninké
A- Le matriarcat
B- La croyance à la vie post-mortem
Troisième chapitre : quelques faits linguistiques communs à l’égyptien, au pulaar et au soninké
A- La formation du pluriel
B- Les adjectifs et les expressions
C- L’aspect morphologique et sémantique des mots
Conclusion
Conclusion générale