Perspectives historiques de l’évolution des rapports entre l’alimentation et la santé dans les représentations

Perspectives historiques de l’évolution des rapports entre l’alimentation et la santé dans les représentations : une « démédicalisation » de l’alimentation sur le long terme ?

Des liens entre alimentation et médecine, de l’antiquité au Moyen Âge

Dans Histoire de l’alimentation, sous la direction de Jean-Louis et Flandrin et Montanari Massimo, plusieurs historiens font le récit des modes de consommations alimentaires, traditions et usages, ainsi que des représentations liées à ceux-ci au cours de l’histoire de l’humanité, dans ses différentes sociétés. Il apparaît alors que les plus anciennes traces écrites de l’histoire exprimaient déjà l’existence de liens entre alimentation et santé. Les hiéroglyphes égyptiens antiques en témoignent : «Ainsi les anciens égyptiens étaient-ils conscients du lien entre ces deux « oralités», l’émission des mots et l’absorption des aliments, et du rapport primordial qui existe entre la vie et la nourriture, au point que les termes étaient souvent synonymes dans le langage « réel » aussi bien que métaphorique. Des plaisirs de la table dépendaient, à leurs yeux, la santé et la longévité » . De même, grâce aux écrits des égyptiens antiques (que l’on semble pouvoir faire remonter au IVème millénaire avant J.C jusqu’aux débuts de notre ère), nous savons qu’il existait déjà alors une division sociale du travail et des rôles : les médecins de l’Egypte antique se chargeaient de définir par des écrits ce qui était considéré comme une alimentation bonne et saine, pour la conservation d’une bonne santé. Les textes de médecine pharaonienne proposaient des remèdes aux maladies basés sur la vertu d’aliments et leur préparation, incluant donc un lien indissociable entre gastronomie, diététique et thérapie . L’alimentation fut ainsi, dès les plus anciennes sociétés humaines dont nous avons des traces écrites, partie intégrante de la médecine et soumise à l’examen des médecins qui se chargeaient de distinguer le bon du mauvais, non sans une certaine autorité de ces derniers sur le reste de la société. Le terme « diététique », souvent employé de nos jours dans un langage courant et familier pour désigner le fait d’adopter un régime alimentaire particulier qui correspond à la volonté de mincir (ou « se mettre à la diète »), signifie à l’origine en grec hygiène de vie (diaitêtiké), tout en faisant référence à l’alimentation et au régime alimentaire correspondant à cette « hygiène de vie » désignée. D’après Innocenzi Massini, la diététique est « avec la chirurgie et la pharmacologie, une des trois branches fondamentales de la médecine antique » : « L’alimentation appliquée à la santé s’appuie sur toute une série de convictions et de connaissances qui en font une des branches fondamentales de la médecine. Parfaitement convaincus de l’importance de la nourriture dans la vie de l’homme, sain ou malade, les Anciens se sont préoccupés du rapport de causalité entre l’alimentation et la santé et des relations entre la diététique et les autres branches du savoir médical » . L’alimentation saine est d’ailleurs perçue dans cette optique autant primordiale pour les malades que pour les hommes en bonne santé et la conservation de celle-ci, donc absolument nécessaire à l’ensemble de la société. Il existe également chez les « antiques » un lien entre alimentation saine et santé de l’esprit. Massini évoque le fait que dans les premiers siècles de l’Empire, alors que les conditions économiques et ressources disponibles favorisent et rendent possible les excès, « se resserrent les liens entre la médecine et l’éthique, sous l’influence du stoïcisme : puisqu’elle dépend du contrôle des instincts, la santé est également le résultat de la vertu » . Enfin parmi les trois branches de la médecine que l’on évoquait précédemment, l’alimentation semble en demeurer la plus capitale, dominant la chirurgie et la pharmacologie de par son usage quotidiennement nécessaire, ainsi qu’un degré d’efficacité jugé supérieur par les médecins antiques, particulièrement pour les malades .

Les liens entre l’alimentation et la santé semblent ainsi extrêmement forts dans les sociétés « antiques » nous ayant fournis suffisamment de traces écrites et corpus de textes médicaux (de l’Egypte pharaonienne jusqu’à l’Empire romain, en passant par la Mésopotamie, la Phénicie ou encore la Grèce, cette dernière souvent perçue par les historiens comme le berceau culturel de l’occident). Cet intime rapport entre alimentation et santé ne semble pas connaître de rupture par la suite, au cours de la période du « Moyen Âge », et prend même forme dans d’inattendus faits. Par exemple, l’usage des épices, que les historiens de l’alimentation font généralement remonter au traité culinaire d’Apicius (Romain du Ier siècle de notre ère), largement répandu en occident pendant le Moyen Âge et faisant office d’un commerce d’importation avec l’Empire arabe, est selon Jean-louis Flandrin intimement lié à la médecine. L’historien écrit que « traditionnellement, le mot « épices » désignait non pas n’importe quel aromate utilisé en cuisine, mais seulement des produits exotiques, venus de loin. Parmi ces produits importés d’Orient, beaucoup n’avaient pas de fonction culinaire mais une fonction thérapeutique. Quant à ceux dont se servaient les cuisiniers, eux aussi avaient tous des usages médicaux » . Nous ne pouvons ici nous empêcher de remarquer que le mot « culinaire » est paradoxalement employé ici par Flandrin pour désigner ce qui n’est pas lié à la médecine, ou plutôt pour faire référence, il nous semble, à la cuisine réalisée en vue d’un principal plaisir gustatif. Le « culinaire », dans le contexte décrit par l’historien, n’est pourtant pas séparé du médical… le serait-il ainsi plutôt davantage dans le contexte historique dans lequel le discours cité prend forme ? Nous y reviendrons. En tout cas, les épices sont ici bien décrites comme médicales avant d’être des moyens d’améliorer l’agréabilité du goût : « chacune des épices employées en cuisine à la fin du Moyen Age a dans un premier temps été importée comme médicament, avant de l’être pour l’assaisonnement des aliments » .

La Révolution en tant que rupture, et le développement d’une culture de la gourmandise

Un tel lien entre le rapport de l’alimentation à la santé et le rapport philosophique de l’homme face à la nature (et plus largement son environnement) nous conduit ainsi à rechercher un hypothétique point de rupture du rapport traditionnel entre nourriture et médecine dans le changement historique de ce rapport de l’homme à la nature, opérant principalement au siècle des Lumières. En effet la révolution scientifique et encyclopédique liée à la philosophie des Lumières semble avoir établi la volonté d’une maîtrise de la nature par l’homme, pensé comme ayant la capacité de s’autodéterminer grâce à la raison. Le rationnel doit triompher des croyances et superstitions, l’encyclopédie prône la curiosité intellectuelle en luttant contre les autorités royales et religieuses. La place de l’homme dans l’univers semble dans ces grandes lignes passer d’une soumission aux lois naturelles à la maîtrise de celles-ci. René Descartes, en tant que précurseur de cette révolution scientifique invitait les humains à se rendre, grâce au savoir scientifique, « comme maîtres et possesseurs de la nature » . C’est non étonnamment dans ce contexte historique que semble s’installer, particulièrement en France, une « ère gastronomique » où la gourmandise s’installera peu à peu comme norme culturelle légitime. Frédéric Charbonneau fait état de cette émancipation de la gourmandise par rapport à l’ancien poids de la morale traditionnelle la condamnant, dans « L’école de la gourmandise ». Dans cet ouvrage, le spécialiste de l’histoire littéraire des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles ne prétend pas établir une histoire de l’alimentation ni directement de la gourmandise, mais une histoire de la littérature témoignant de l’évolution de celles-là.

Une culture du « festin joyeux » s’est en effet d’abord développée dans la royauté, particulièrement sous les règnes de Louis XIV et Louis XV (bien que des festins entrainant des excès de tout genre puissent être observés plus tôt, notamment lors de la célèbre fête de la chevalerie organisée par le roi Charles IV en mai 1389), jusqu’à peu à peu se diffuser au sein de la noblesse pour arriver quelques années précédant la Révolution française chez les bourgeois. Une littérature à la fois de recettes et de poésies, mélangeant parfois les deux et vantant la cuisine gourmande, fut de plus en plus abondante au cours du XVIIIème siècle (qui n’existait pratiquement pas du tout avant la moitié du XVIIème), cependant à cette époque : « le domaine culinaire n’avait pas encore d’existence autonome et n’accéda à la publication que par le truchement d’un grand nom, ou, vers la fin du XVIIIe siècle, d’un savoir parallèle – l’économie ou la médecine » , de plus, la plupart des livres de cuisine restaient encore anonymes.

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Table des matières

Introduction
Première partie : Recherche théorique et construction de notre objet de recherche
1.1 : Comprendre le contexte de la « modernité alimentaire » grâce à une revue de la littérature en sociologie de l’alimentation
1.2 : Perspectives historiques de l’évolution des rapports entre l’alimentation et la santé dans les représentations : une « démédicalisation » de l’alimentation sur le long terme ?
A. Des liens entre alimentation et médecine, de l’antiquité au Moyen Âge
B. La Révolution en tant que rupture, et le développement d’une culture de la gourmandise
1.3 : La transition épidémiologique. Pourquoi le contrôle et la conscience de son alimentation sont essentiels face aux enjeux sanitaires du XXIème siècle ?
A. Transition épidémiologique et maladies chroniques en tant que pathologies environnementales
B. Le rôle de l’alimentation dans le contexte de la transition épidémiologique
1.4 : Sociologie et prévention holistique dans le contexte de la transition épidémiologique
A. Une transition au cœur de la santé publique, des soins à la prévention
B. Sociologie et prévention de la santé
C. La sociologie de l’alimentation face aux enjeux de la transition épidémiologique
1.5 : Qu’est-ce que « Bien manger » ? Face à l’obésité et au développement croissant des maladies chroniques
A. L’alimentation comme favorisant le développement de maladies chroniques, ou contribuant à leur prévention
B. Pour une approche holistique de l’alimentation, face à des enjeux tant sanitaires qu’environnementaux
1.6 : La légitimité de la sociologie en tant que « science de la santé » : comment nous positionner ?
Le risque de la stigmatisation face aux risques sanitaires encourus par l’obèse
A. Distinguer l’obésité des personnes obèses, ou la maladie chronique et l’humain
B. Réflexions sur la légitimité de la sociologie et le rôle du chercheur face à l’obésité et aux autres maladies chroniques
1.7 : Pourquoi les enfants ? Pour une sociologie des représentations de l’alimentation et de la santé, des pratiques alimentaires et de l’éducation à l’alimentation
A. L’humain, son alimentation, et l’enfant au regard du Principe responsabilité
B. À propos de l’éducation à l’alimentation
C. Objet et projet de recherche, pour une enquête de terrain à l’école élémentaire
Deuxième partie : Épistémologie et méthodologie
2.1 Préambule
2.2 : Approche et considérations épistémologiques : mobilisation d’éléments issus de la « théorie ancrée » et réflexions à propos de son usage
2.3 : Entreprendre une enquête sociologique de terrain à l’école : échantillonnage, démarches et difficultés rencontrés, accès au terrain
A. Echantillonnage
B. Démarches et difficultés rencontrées
C. Accès au terrain et écoles dans lesquelles nous avons enquêtées
2.4 : Constructions d’outils pour l’enquête : guides d’entretien, guide d’observation
A. Guide d’entretien réalisé pour des entretiens semi-directifs avec des enfants du troisième cycle de l’école élémentaire
B. Explications et justifications quant aux choix réalisés pour construire le guide d’entretien
C. Observation de repas de cantine à l’école élémentaire
D. Guide d’entretien réalisé pour des entretiens collectifs (focus group) avec des classes du troisième cycle de l’école élémentaire
E. Explications et justifications du guide d’entretien réalisé pour des entretiens collectifs avec des classes de troisième cycle à l’école élémentaire, et remarques concernant la démarche
F. Limites et biais méthodologiques. Remarques concernant le déroulement de l’enquête
Adaptations aux contraintes
Troisième partie : Sociologie empirique des représentations alimentaires et de l’éducation à l’alimentation
3.1 Entretiens semi-directifs passés avec des enfants du troisième cycle de l’école élémentaire, dans les écoles A, B, C et D
A. Présentation des enfants interrogés
B. Les Goûts et les dégoûts des enfants : des répertoires alimentaires qui varient selon l’origine sociale
C. Le plaisir alimentaire chez les enfants, socialement varié
D. Les aliments désirés mais interdits et les interdictions et limites alimentaire imposées par les parents : une illustration sociologique de la « transition épidémiologique »
E. Les petits-déjeuners des enfants
F. Les repas du midi pris en dehors de l’école
G. Les repas du midi pris à la cantine
H. Les diners des enfants
I. Le goûter en tant que quatrième repas de la journée et second petit-déjeuner
J. A propos des courses
K. Synthèse à propos de la consommation alimentaire des enfants : une exposition par l’alimentation aux risques de développer des maladies chronique socialement marquée
L. L’alimentation des parents, selon leurs enfants
M. La cuisine
N. Ce que les parents veulent que leurs enfants mangent
O. Quelques mots à propos des questions posées sur les amis et sur la commensalité
P. Les représentations de la santé
Q. Comment fait-on pour être en bonne santé ?
R. L’éducation à la santé
S. Qu’est-ce que « bien manger » ?
T. Reconnaitre un « bon aliment »
U. L’éducation à l’alimentation selon les enfants interrogés
3.2 Séances d’observation
A. Goûter et classe du goût dans une école située dans un quartier prioritaire. « L’éducation à l’alimentation » face à la réalité empirique
B. Observations de repas dans les cantines des écoles A, B, C et D
3.3 Entretiens collectifs
A. À propos des entretiens collectifs
B. Quelques représentations collectives de la santé et des maladies chroniques
C. Introduction à la santé environnementale et aux liens entre l’alimentation et la santé, test d’un dispositif expérimental adapté aux enfants
D. L’alimentation en tant qu’interaction avec l’environnement
Conclusions

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