De nombreux produits chimiques organiques usuels sont susceptibles de devenir instables lorsqu’ils sont stockés de manière inadéquate ou durant de longues périodes au contact de l’air [1]. Ils peuvent en effet réagir avec l’oxygène moléculaire, y compris { température ambiante, par un processus d’autoxydation (peroxydation), qui se déroule selon des mécanismes radicalaires en chaîne. Les produits de ce processus sont des espèces chimiques peroxydées caractérisées par la présence dans leur structure du groupement -OO-, thermodynamiquement instable à cause de la faible liaison O-O [2]. Le phénomène d’autoxydation et les produits qui en sont issus, ont été reconnus comme étant { l’origine de nombreux accidents dans des laboratoires [3,4]. Néanmoins, la peroxydation reste un phénomène très mal connu. [ l’état actuel, pour lutter contre les risques liés { ce type de vieillissement, seules des solutions empiriques sont apportées, telles que des temps limités de stockage ou l’ajout d’inhibiteurs chimiques pour augmenter la durée de stockage. Cependant, ces inhibiteurs sont consommés pour retarder ou empêcher le processus de peroxydation et, lorsqu’ils le sont entièrement, il peut y avoir une accumulation rapide de peroxydes explosibles dans un produit qui est resté stable très longtemps [5]. Les peroxydes formés ne sont pas toujours instables. Ainsi, ce phénomène d’autoxydation se manifeste dans l’industrie pétrochimique, lors du stockage des hydrocarbures et dans l’industrie agroalimentaire, lors de la mise en œuvre des huiles et graisses insaturées. La peroxydation de ces produits peut alors conduire non seulement à une altération de leurs propriétés physicochimiques mais également à la formation de dépôts solides (ou « gommes ») sur les parois des équipements susceptibles de provoquer des phénomènes de bouchage [6]. Les industriels de ces secteurs ont donc été { l’origine des travaux de recherche sur la peroxydation des composés carbonés (les hydrocarbures sont, par exemple, l’objet d’intérêt principal de l’industrie pétrochimique). Cependant, les mesures empiriques mises au point (ex. ajouts d’inhibiteurs, inertage), ne les ont pas poussés { s’investir plus avant dans la compréhension de ces phénomènes. Aujourd’hui, le problème de la peroxydation des composés organiques est à nouveau objet de l’intérêt des industriels. Cela est surtout dû aux efforts actuels d’ajouter aux carburants des additifs oxygénés [7,8] et de substituer les carburants traditionnels { base d’hydrocarbures avec des carburants à base de composés carbonés oxygénés (tels que les éthers) [9,10] avec le double but de réduire la consommation de combustibles fossiles et les émissions de suie. Les composés oxygénés sont en effet très sensibles à la formation de peroxydes dangereux. L’essentiel des études sur le phénomène de la peroxydation porte sur l’évolution des caractéristiques des composés peroxydables au cours du temps. La présence d’espèces radicalaires, de plusieurs (dizaines) de chemins réactionnels et le fait que les produits chimiques soient des mélanges de composés rendent, en effet, la caractérisation expérimentale des mécanismes réactionnels menant { la formation des peroxydes très difficile. De plus, il n’existe actuellement aucune méthode prédictive concernant la formation des espèces peroxydées et de leur décomposition explosive. Seules des méthodes de titrage existent pour mesurer la concentration globale de nombreux peroxydes, mais ces méthodes ne permettent pas { l’heure actuelle ni de les identifier séparément ni d’étudier leur stabilité [5,11]. La complexité du processus et le manque de protocoles expérimentaux fiables rendent les méthodes de modélisation moléculaire particulièrement indispensables pour la caractérisation des mécanismes réactionnels et des intermédiaires de réaction. La thèse réalisée s’inscrit dans ce contexte et dans le projet de recherche INERIS (Institut Nationale de l’Environnement Industriel et des Risques) [12] nommé RIPER pour « étude des RIsques liés à la PERoxidation ». Elle vise à étudier le processus de peroxydation dans le cas de quelques espèces chimiques représentatives (les éthers notamment) par modélisation moléculaire et cinétique, afin d’identifier les voies réactionnelles principales et de caractériser les intermédiaires de réaction les plus importantes. Le projet de recherche RIPER prévoit aussi des essais expérimentaux qui visent au développement de méthodes permettant de caractériser le processus de peroxydation et de suivre les produits que en sont issus. L’objectif commun des deux approches est d’arriver { une meilleure compréhension du processus de peroxydation et d’identifier et maitriser les causes de risques accidentels qui en dérivent. Dans ce premier chapitre le contexte scientifique et réglementaire de la thèse seront présentés. Dans un premier temps le phénomène de la peroxydation sera décrit, ainsi que les causes de danger liées à la production de peroxydes au sein des composés peroxydables. Dans la suite le projet RIPER sera ensuite discuté dans le détail, ainsi qu’un état de l’art sur l’oxydation des composés organiques.
Peroxydation et composés peroxydables
Les hydrocarbures et en général toutes les espèces chimiques composées par des chaînes carbonées, peuvent réagir en phase liquide dans un processus radicalaire d’autoxydation, également connu sous le terme de peroxydation [13]. L’initiation du processus est habituellement due à la lumière, à la chaleur ou à des contaminants chimiques (des radicaux libres déj{ présents en solution ou des métaux) et consiste en l’arrachage d’un atome d’hydrogène de la chaîne carbonée, produisant le radical initial R· (RH étant l’espèce chimique peroxydable). Ce radical peut facilement réagir avec l’oxygène moléculaire pour former un radical peroxydique ROO·, précurseur des molécules peroxydées, telles que les hydroperoxydes ROOH et les alkyl peroxydes ROOR.
Les peroxydes et leur danger
La dangerosité du processus d’autoxydation est attribuée { la production de ces espèces peroxydée. En effet, les peroxydes organiques sont des molécules caractérisées, dans la plupart des cas, par des propriétés oxydantes et comburantes ainsi que par une grande instabilité chimique. De plus, ils sont généralement sensibles aux sollicitations mécaniques (tels que les chocs et les frottements) et peuvent réagir violemment avec des substances variées (acides forts, bases fortes, amines, alcools, certains métaux et sels métalliques, produits facilement oxydables…) [14]. Selon leur structure moléculaire, les peroxydes organiques sont aussi sensibles à la chaleur : ils commencent généralement à se décomposer à des températures inférieures à 80°C en produisant des produits gazeux, parfois de façon si rapide et exothermique qu’ils génèrent des explosions inattendues.
Bien que le danger lié à la présence de peroxydes dans les composés chimiques soit désormais évident, les concentrations à partir desquelles ces produits deviennent effectivement dangereux sont peu connues dans la littérature.
Kelly, dans sa revue [11] sur les recommandations liées { l’utilisation des composés peroxydables cite à ce propos quelques documents de sécurité Américains et Canadiens pour démontrer le manque absolu de preuves scientifiques sur la concentration seuil de peroxydes. Il cite notamment un document de sécurité de l’Université de la Californie [12] où il est écrit : « Il n’y a pas d’accord sur la concentration de peroxydes constituant un danger ». De plus, au sujet de la distillation du DIPE oxydé, Hamstead [13] indique que « La température et la concentration auxquelles l’explosion devient probable n’ont jamais été spécifiées de façon définitive. Même de faibles concentrations peuvent être dangereuses ». Concernant le DEE, le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (Canadian Centre for Occupational Health, CCOH) a suggéré que le danger se produit dans l’utilisation lorsque les solutions contiennent une concentration de peroxydes supérieure à 100 ppm [14]. Cette dernière valeur, sans une justification scientifique apparente, est généralement considérée, dans beaucoup de documents de sécurité [11,18] comme la valeur seuil { partir de laquelle un réel danger d’explosion existe. La valeur de concentration choisie est probablement due aux limites pratiques de détection des peroxydes imposées par les méthodes analytiques traditionnelles utilisées (ex. dosage iodométrique avec l’iodure de potassium).
Les nombreuses causes possibles de danger liées { l’utilisation de peroxydes organiques et de composés peroxydés imposent, afin d’assurer la sécurité des procédés industriels ou de laboratoire, une bonne connaissance du processus d’autoxydation et des classes de molécules qui peuvent ainsi réagir.
Les composés peroxydables
Le processus de peroxydation est commencé, comme cela a été déj{ rappelé, par l’arrachage d’un atome d’hydrogène de la structure moléculaire d’un composé chimique. Cela suggère que les composés susceptibles de se peroxyder doivent présenter dans leur structure un atome d’hydrogène activé [5,11,19] par des groupes fonctionnels (ou hétéroatomes) en position vicinale. De fait, ces derniers affaiblissent la liaison C-H et stabilisent le radical R· produit par la réaction d’initiation. Bien que les éthers soient reconnus comme les plus dangereux producteurs de peroxydes, d’autres classes chimiques (par exemple acétals, alcènes, aldéhydes, amides, lactames…) présentent le même caractère.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : CONTEXTE ET OBJECTIFS
1. Peroxydation et composés peroxydables
1.1. Les peroxydes et leur danger
1.2. Les composés peroxydables
1.3. Inhibiteurs et contrôle des composés peroxydables
2. Le projet RIPER
2.1. Le DEE comme molécule modèle de la classe des éthers
Le règlement CLP
2.2. Accidentologie liée { l’oxydation des éthers
3. Oxydation des composés chimiques
3.1. L’oxydation des alcanes
Initiation
Propagation
Terminaison
3.2. L’oxydation des éthers
4. Objectifs et plan de la thèse
Références
CHAPITRE 2 : RAPPELS DE THÉORIE
1. Le problème électronique
1.1. L’équation de Schrödinger
1.2. L’approximation de Born-Oppenheimer
1.3. Approximation orbitalaire et fonctions de base
2. La théorie d’Hartree-Fock
2.1. Les équations d’Hartree-Fock
2.2. Les systèmes à couches ouvertes
3. Énergie de corrélation et méthodes CI
4. La Théorie de la Fonctionnelle de la densité
4.1. Les Théorèmes de Hohenberg et Kohn
4.1. La méthode de Kohn et Sham
4.2. Les fonctionnelles
4.3. Effet du solvant
5. Thermodynamique statistique et vitesse de réaction
5.1. Fonction de partition et séparabilité des composantes
Composante électronique
Composante translationnelle
Composante rotationnelle
Composante vibrationnelle
5.2. De la fonction de partition { l’équation d’Eyring
La théorie de l’état de transition
Effet tunnel sur la constante de vitesse
6. Détails méthodologiques
6.1. Étude mécanistique
La fonctionnelle B3LYP et les systèmes radicalaires
6.2. Élaboration du modèle cinétique
Références
CHAPITRE 3 : OXYDATION DU DEE – MÉCANISME
1. Oxydation de l’éther diéthylique
1.1. Étude bibliographique
Clover, 1922
Lemay et Ouellet, 1955
Waddington, 1959
Karnojitzky, 1962
Salooja, 1965
Orlando, 2007
1.2. Conclusions
1.3. Un modèle de mécanisme
2. Étude théorique de l’oxydation du DEE
2.1. Initiation
2.2. Propagation de la chaîne réactionnelle
Décomposition du radical éthyle
Dimérisations des radicaux peroxyde
Isomérisation intramoléculaire
Décomposition de l’hydroperoxyde
3. Effet du solvant
4. Discussions des résultats
4.1. Le mécanisme
4.2. Modèle microcinétique des voies en compétition
4.3. Identification des dangers
5. Conclusions
Références
CHAPITRE 4 : OXYDATION DU DEE – MODÈLE CINÉTIQUE
1. Développement d’un mécanisme cinétique détaillé : démarche et outils
1.1. Génération automatique du mécanisme
Mécanisme EXGAS
1.2. Développement du modèle cinétique
Résultats expérimentaux à reproduire
Conditions d’entrée
2. Résultats des simulations SENKIN
2.1. Simulations sur le mécanisme réactionnel généré par EXGAS
2.2. Simulation sur le mécanisme EXGAS modifié par ajout des données DFT
2.3. Comparaison avec les données expérimentales de Waddington
Sélectivité
Evolution de la concentration des espèces
Flux des produits
2.4. Validation du modèle cinétique : comparaison avec les données expérimentales de Lemay105
3. Oxydation du DEE dans des conditions simulant la phase liquide
3.1. Simulations de l’oxydation du DEE { haute pression et { 310 K
Flux des produits
3.2. Influence de la température sur l’oxydation du DEE { haute pression
Limites du modèle
4. Conclusions
Références
CONCLUSION