Depuis son accession à l’indépendance, le Mali s’efforce de bâtir un système éducatif performant, adapté à son environnement socioculturel et à ses réalités économiques. L’ambition est de promouvoir un système éducatif ouvert au développement scientifique, technique et technologique tout en s’appuyant sur les valeurs nationales. Pour ce faire, l’introduction des langues nationales s’avère un choix stratégique. Dans ce cadre, la réforme de 1962 proposait les objectifs suivants:
Dispenser un enseignement tout à la fois de masse et de qualité ;
-Dispenser un enseignement qui, avec une économie maximum de temps et d’argent, dotera le pays des cadres dont il a besoin pour ses divers plans de développement ;
-Dispenser un enseignement qui décolonise les esprits et réhabilite les valeurs culturelles spécifiquement africaines et maliennes, mais aussi les valeurs universelles.
Ainsi, depuis cette réforme qui a remis sur les fonts baptismaux le système éducatif malien, les politiques d’éducation ont connu diverses innovations scolaires et pédagogiques touchant la structure de l’école, les méthodes d’enseignement, et la gestion des flux. Les structures de formation des formateurs n’ont pas échappé à cette série de modifications. L’introduction des langues nationales dans le système formel s’inscrit dans cette recherche d’un système performant.
Mais la plupart de ces innovations ont été abandonnées sans subir une véritable évaluation capable d’analyser objectivement leurs forces et faiblesses. Cela pourrait expliquer qu’après 52 années d’indépendance, l’école malienne ne se porte pas mieux surtout sur le plan de la qualité des enseignements offerts. Malgré la mise en place du Programme d’Investissement Sectoriel de l’Éducation (PISE), aujourd’hui plus qu’hier, les espoirs de lier l’école à la vie et le défi d’un système éducatif restent encore un défi. Même si le taux brut de scolarisation a connu une évolution rapide— 36,5% en 1990 et 77,6% en 2007 d’après la cellule de planification et de statistiques (CPS) —, la scolarisation universelle de qualité reste un objectif lointain pour le Mali.
La persistance de ces problèmes explique le recours à d’autres innovations. L’introduction des langues maternelles en est une illustration. Au Mali, l’enseignement des langues nationales s’opère dans le cadre d’une pédagogie dite convergente (PC). Elle est une utilisation concomitante des langues nationales avec le français langue officielle. Le Mali étant un pays multilingue, la PC adopte la langue majoritaire de chaque aire sociolinguistique. Mais comme dans toute innovation, l’introduction des langues nationales par une pédagogie convergente (PC) ne peut être mise en œuvre sans tenir compte de plusieurs facteurs dont les perceptions des différentes parties prenantes. En effet, de nombreuses recherches ont montré que les perceptions des parties prenantes ou acteurs sont des facteurs déterminants dans la réussite d’une innovation (Naparé, 2010). Ainsi dans le cadre de ce travail nous nous sommes intéressés aux perceptions des parents d’élèves du Centre d’Animation Pédagogique (CAP) de Bandiagara, dans le processus d’introduction des langues nationales.
PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA DE RECHERCHE
Problématique
Les pratiques pédagogiques et les dispositifs qui les accompagnent sont régulièrement soumis à des critiques de la part des acteurs impliqués et/ou des partenaires des systèmes éducatifs. Pour faire face à cette expression d’insatisfaction due à des résultats en deçà des attentes de la société ou à des besoins nouveaux à l’école, les responsables des politiques éducatives procèdent souvent à des innovations. De manière générale, l’innovation dans le contexte éducatif est « une activité délibérée qui tend à introduire de la nouveauté dans un contexte donné et cherche à améliorer substantiellement les apprentissages des apprenants en situation d’interaction et d’interactivité ». (Béchard et Pelletier, 2001 : P.78).
Les innovations en éducation peuvent découler de la généralisation d’initiatives locales réussies, d’influences de courants théoriques ou révolutions technologiques. Cependant leur acceptation par les acteurs des systèmes éducatifs n’est jamais automatique. L’innovation est marquée par une assez longue histoire. Elle génère des postures différentes, selon la position des acteurs de l’institution éducative. L’introduction des langues nationales dans l’enseignement formel au Mali est un exemple d’innovation éducative. C’est une entreprise de taille aussi bien sur le plan individuel que collectif. Elle doit être nécessairement conduite d’une façon collective car comme l’a dit Mauss (1978), la langue est « un fait social total ». Ses implications politiques, sociales, économiques et religieuses sont d’une importance capitale. Par ailleurs, les réactions subjectives, sont capables de provoquer un dysfonctionnement voire un arrêt définitif d’une innovation ou de toute décision portant sur la langue elle-même.
Au cours de la lutte anticoloniale, les leaders africains ont perçu très l’enjeu constitué par la langue. Ainsi, depuis longtemps, certains penseurs africains tels que : Cheikh Anta Diop, Senghor, Théophile Obenga, Wole Soyinka… ont mis l’accent sur l’impérieuse nécessité d’un recours aux langues africaines ; c’est-à-dire leur prise en compte dans l’analyse sociolinguistique ou leur adoption dans un système d’enseignement durable. Mais cette introduction des langues nationales dans le système éducatif formel s’est très vite révélée comme une entreprise redoutable. En effet, les tentatives d’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel notées depuis plusieurs années se sont toujours soldées par des échecs à cause d’une absence de maîtrise des objectifs. Il s’agit d’une question récurrente au nom de laquelle chaque individu est prêt à tenir un discours militant, volontariste sans tenir compte du principe de réalité. (Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Éducation {ROCARE}, 2008).
Le thème de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif est un sujet aussi controversé depuis que les ex-colonies d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du sud ont obtenu leur indépendance politique. (Organisation des Nations Unies pour L’Éducation la Science et la Culture {UNESCO}, 1953). Dans cette publication, l’UNESCO a souligné l’importance d’éduquer les enfants dans leur langue maternelle. La langue et la communication sont sans aucun doute deux des facteurs les plus importants du processus d’apprentissage. « Le rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous » de 2005, a souligné le fait que le choix de la langue d’enseignement et de la politique linguistique dans les écoles joue un rôle essentiel dans l’efficacité de l’éducation. (UNESCO, 2004). Dans une étude décisive sur la qualité de l’éducation en Afrique, menée par l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA, 2004), le facteur linguistique s’avère l’un des facteurs de qualité les plus déterminants. Pourtant, plus de 50 ans après la première déclaration de l’UNESCO et malgré une pléthore de livres, d’articles, de conventions, de déclarations et de recommandations sur ce thème, ainsi que diverses expériences concluantes d’utilisation des langues locales dans l’éducation et la politique, la plupart des pays africains continuent d’utiliser la langue de l’ex-pays colonisateur comme principale langue d’enseignement et de gouvernement du pays. L’Afrique est le seul continent où la majorité des enfants commencent l’école en utilisant une langue étrangère (UNESCO, 2010).
Dans toute l’Afrique, l’idée persiste selon laquelle les langues internationales de grande diffusion (arabe, anglais, français, portugais et espagnol) sont les seules voies d’ascension économique. Il existe des raisons objectives, historiques, politiques, psychosociales et stratégiques à cet état de choses dans les pays africains ; leur passé colonial et le défi moderne que représente la mondialisation ne sont pas des moindres. Beaucoup de malentendus s’avèrent difficiles à dissiper, particulièrement lorsqu’ils servent d’écran de fumée à des motifs politiques de domination et d’hégémonie. (UNESCO, 2010).
De nouvelles études montrent de plus en plus les conséquences négatives de ces politiques : la faible qualité de l’éducation et la marginalisation du continent, qui aboutissent à une « amnésie rampante attaquant la mémoire collective » (Prah , 2003).
Cette situation de marginalisation des langues nationales persiste malgré les réussites et les leçons qui ont découlé de ces petites étapes et de ces études à grande échelle, réalisées à travers le continent et ailleurs, Aujourd’hui, il y a suffisamment d’éléments pour remettre en question les pratiques actuelles et favoriser l’adoption de nouvelles approches d’utilisation des langues dans l’éducation.
Au lendemain de l’indépendance, le Mali s’est attaché à mettre en œuvre un système scolaire susceptible de répondre au mieux à ses besoins et réalités dans le but de rompre avec le programme scolaire légué par les autorités coloniales. Dans cette perspective, l’acte qui a constitué le tournant majeur, en termes d’éducation, est incontestablement la réforme de l’enseignement en 1962. (ROCARE, 2009).
Le diagnostic du système éducatif qui a été fait en 1962 a permis d’établir que l’usage exclusif du français était un handicap majeur. Après analyse du système hérité de la colonisation, l’utilisation de la langue française comme seul médium d’enseignement a été perçu comme l’une des causes du retard et de l’échec scolaire d’un nombre important d’écoliers maliens. Aujourd’hui encore ce problème reste entier. Cette persistance du problème est d’autant plus vraie qu’avant d’aller à l’école, la plupart des enfants maliens n’ont jamais été en contact direct avec cette langue. (Naparé, 2010).
C’est pourquoi la réforme de 1962 a inscrit parmi les priorités du système éducatif malien la promotion et l’introduction des langues nationales dans l’éducation scolaire des enfants. Depuis cette date, toutes les autres rencontres nationales autour de l’école malienne ont réitéré l’intérêt des langues nationales comme un impératif pédagogique. Ainsi, le séminaire national de 1964, la conférence des cadres de l’éducation tenue en 1968 et en particulier le séminaire national sur l’éducation tenu à Bamako en décembre 1978, ayant constaté que l’école malienne était en divorce avec les réalités socioculturelles, ont aussi recommandé l’utilisation des langues nationales dans le système éducatif. (Naparé, 2010).
Les structures d’accueil du CAP de Bandiagara
Devant l’impossibilité matérielle de satisfaire la demande sociale d’éducation et sous la pression d’une démographie galopante, les autorités éducatives ont choisi de scolariser autrement. La scolarisation par la voie classique est aujourd’hui relayée au Mali par l’éducation non formelle donnée dans les Centres d’Éducation pour le Développement et les Centres d’Alphabétisation Fonctionnelle. Ces deux formes de scolarisation rejoignent ainsi les écoles communautaires qui, depuis les années 1990, contribuent à relever de façon perceptible le taux brut d’inscription. C’est ce que nous avons appelé la scolarisation multiple.
Nous entendons par scolarisation multiple, l’enrichissement du système de scolarisation par la prise en compte des initiatives de type communautaire et l’intégration de nouvelles alternatives éducatives dans le système formel jadis réservé exclusivement à l’action de l’État. En d’autres termes, il s’agit de l’ouverture du système éducatif formel à d’autres types d’éducation dans un souci d’élargissement de la couverture éducative nationale. Cette disposition aide le Mali à répondre le plus rapidement possible aux exigences de l’éducation pour tous et d’autres engagements internationaux.
Le Mali est signataire des recommandations de Jomtien en 1990. Quarante sept années après l’historique réforme scolaire de 1962, les efforts financiers et humains de l’État n’ont pas permis au système éducatif de réaliser l’éducation universelle. Vu les investissements dont a bénéficié le secteur de l’éducation et malgré les résultats qu’on peut apprécier à travers l’accès d’un nombre important et la production de cadres, l’école peine à réaliser l’éducation universelle. Aussi, l’efficacité interne du système éducatif et la qualité des diplômés restent toujours un pari difficile.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
1. Problématique
2. Objectifs de la recherche
2.1 Objectif Général
2.2 Objectifs Spécifiques
CHAPITRE 2 : CONTEXTE ET JUSTIFICATION DE L’ÉTUDE
1. Contexte de l’étude
1.1Quelques données générales sur le Centre d’animation pédagogique (CAP) de Bandiagara
1.2 Les structures d’accueil du CAP de Bandiagara
1.3 Quelques éléments de réflexion sur le contexte éducatif du Centre d’Animation Pédagogique (CAP) de Bandiagara
2. Justification de l’étude
2.1 Justification sur l’intérêt des perceptions des parents d’élèves
2.2 Justification du choix du thème
2.3 Justification du choix du milieu
CHAPITRE 3 : DÉFINITION DES CONCEPTS ET LE CADRE THÉORIQUE
1. Définition des concepts
1.1 Perception des parents d’élèves
1.2 Innovation pédagogique
1.3 Langues nationales
1.4 Langues maternelles
2 Le cadre théorique
2.1 Les théories sur la perception
2.2 Les théories sur l’innovation pédagogique
CHAPITRE 4 : CADRE OPÉRATOIRE
1. Cadre opératoire
1.1 Questions problèmes spécifiques
1.2 Les variables de la recherche
CHAPITRE 5 : LA MÉTHODOLOGIE
1. La population cible
2. L’échantillon
3. Méthodes et techniques de recueil d’informations
3.1 Les instruments de recueil d’informations
3.2 Recueil et traitement des données
CHAPITRE 6 : ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES DONNÉES
1. Description de l’échantillon
2. Présentation de la perception des parents d’élèves selon les variables étudiées
3. Analyse des réponses aux questions ouvertes
4. Interprétation des résultats
5. Les limites de l’étude
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
INDEX DES AUTEURS
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES